Le paludisme est une maladie parasitaire transmissible
qui sévit dans les régions tropicales et subtropicales.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS),
2 à 3 milliards d'individus sont exposés au risque, le
nombre de cas cliniques est évalué à 300-500 millions.
Environ 2 millions de malades décèdent de cette infection
chaque année. L'Afrique subsaharienne est la plus
touchée, l'incidence annuelle y est de 500 à 900 cas pour
1 000 habitants, alors qu'en Asie et Amérique latine, elle
est seulement de 5 à 6 pour 1 000 personnes.
La vogue
actuelle des voyages a considérablement augmenté
l'éventualité diagnostique de cette maladie dans tous les
pays.
En France, le paludisme d'importation est en nette
progression depuis 1996, plus de 5 000 cas par an,
essentiellement chez les voyageurs en provenance
d'Afrique de l'ouest et centrale ; la létalité, secondaire à
un retard diagnostique, y est estimée à 20 décès par an.
Étiologie :
Le Plasmodium est un sporozoaire (Phylum des Apicomplexa) dont 4 espèces sont spécifiques de l'homme
:
Plasmodium falciparum est l'espèce la plus fréquente
et responsable d'accès fébriles simples susceptibles
de se transformer en accès graves dits pernicieux,
mortels en l'absence de traitement.
Plasmodium vivax,
Plasmodium ovale et Plasmodium malariæ sont responsables
uniquement d'accès simples.
Épidémiologie :
1- Cycle parasitaire :
Il s'effectue chez 2 hôtes successifs : l'homme, chez qui
a lieu la reproduction asexuée ou schizogonie, et un
moustique vecteur, l'anophèle femelle, où se réalise la
reproduction sexuée ou sporogonie.
• Cycle chez l'homme : il comporte 2 phases.
La première,
asymptomatique, suit l'injection intravasculaire
par l'anophèle femelle de sporozoïtes (formes allongées
de 4 à 5 µm de long), qui disparaissent du flux sanguin
en une demi-heure, puis gagnent l'hépatocyte où s'effectue
pendant une semaine une multiplication intense du
parasite (schizogonie exo-érythrocytaire).
Ainsi se forment
des corps bleus contenant puis libérant de nombreux mérozoïtes, stade parasitaire infestant pour les
globules rouges.
Dans une seconde phase érythrocytaire, les mérozoïtes
pénètrent dans l'hématie, se transforment en trophozoïtes,
s'y multiplient par schizogonie intra-érythrocytaire.
Le schizonte ainsi formé (ou rosace) éclate et libère
d'autres mérozoïtes qui vont parasiter de nouvelles
hématies.
Cette phase dure de 48 à 72 heures selon l'espèce plasmodiale.
Après plusieurs cycles, se différencient
quelques gamétocytes mâles et femelles dont la
potentialité sexuelle est bloquée jusqu'à l'absorption par
le moustique.
• Cycle chez le moustique : après ingestion de sang
humain parasité, le gamétocyte mâle subit une exflagellation et produit des gamètes mâles, le gamétocyte femelle
se transforme en ovule ; puis s'effectue une fécondation
dans le tube digestif du moustique avec formation d'un
oocinète mobile, puis d'un oocyste où s'individualisent les
sporozoïtes qui vont gagner les glandes salivaires.
Ce
cycle dure de 10 à 40 jours selon la température extérieure
et l'espèce d'anophèle en cause.
2- Vecteur et transmission
:
Seules les femelles hématophages des moustiques du
genre Anopheles transmettent le paludisme ; celles-ci
piquent entre le coucher et le lever du soleil.
Les larves ont
besoin d’eau pour se développer.
Une vingtaine d'espèces anophéliennes sont impliquées, chacune avec des conditions
écologiques et biologiques différentes, dont la
connaissance est indispensable à la lutte antivectorielle.
Hormis cette transmission naturelle, une transmission est
possible par transfusion, greffe, voie congénitale,
seringue.
3- Répartition géographique :
En zone tropicale chaude et humide, le paludisme essentiellement
à P. falciparum sévit à l'état endémique.
Parfois des poussées épidémiques surviennent à la saison des
pluies avec l'arrivée de nouveaux vecteurs et de sujets non
immuns. P. vivax est plus rare et P. ovale se rencontre en
Afrique là où n'existe pas P. vivax.
En zone subtropicale, le
paludisme est saisonnier et survient par petites épidémies,
dues principalement à P. vivax.
Dans les pays tempérés, le
paludisme est habituellement une maladie d'importation,
le paludisme d'aéroport restant rare.
Physiopathologie
:
La période de schizogonie exo-érythrocytaire est sans
conséquence clinique. Par contre, l'éclatement des
hématies parasitées produit une hémolyse avec fièvre,
anémie et ictère.
L'organisme réagit par une hyperplasie
des macrophages se révélant essentiellement par un
hypersplénisme.
Progressivement, lorsque la transmission
palustre est constante et régulière en zone d'endémie,
s'élabore une immunité labile ou état de prémunition,
non stérilisante, qui fait tolérer une parasitémie
basse et rend la perniciosité rare.
Cette prémunition
apparaît d'autant plus précocement que la transmission
est intense et disparaît rapidement en l'absence de
piqûres anophéliennes.
Dans le neuropaludisme, l'adhérence et la séquestration
des hématies parasitées par P. falciparum dans les capillaires
cérébraux jouent un rôle majeur.
Des désordres
complexes des cytokines participent aux diverses
atteintes viscérales du paludisme grave.
Diagnostic clinique et évolution :
La survenue d’une fièvre au retour d’un voyage récent
(dans les 6 derniers mois) en zone d’endémie palustre
doit faire évoquer la possibilité d’un paludisme, même
pour un séjour bref (quelques heures) et avec une chimioprophylaxie
bien conduite.
La méconnaissance d’un
voyage en zone tropicale, la confiance excessive dans
l’efficacité des mesures préventives et l’ignorance des
formes atypiques représentent les principaux pièges
conduisant au retard diagnostique qui transforme un
accès palustre simple à P. falciparum, typique ou paucisymptomatique,
en un accès palustre grave, potentiellement
létal.
A - Paludisme à P. falciparum :
1- Paludisme d’importation du sujet non
immun :
Il survient habituellement 10 à 20 jours après la piqûre infestante, mais ce délai peut atteindre quelques mois,
en particulier pour une souche chloroquino-résistante
chez un sujet avec une chimioprophylaxie inadéquate
ou mal suivie.
• Accès de primo-invasion : le tableau clinique typique
de l’accès simple comporte l’installation en quelques
heures d’un « embarras gastrique » associant asthénie,
anorexie, nausées voire vomissements, diarrhée fécale.
Précédée de courbatures, de sensation de froid intense et
de frissons, la fièvre s’installe brutalement, atteignant
39 à 40°C et s’accompagne de céphalées et de sueurs
abondantes.
L’examen physique retient l’absence de
splénomégalie ; parfois une résurgence d’herpès labial
ou un discret subictère sont observés.
La normalité de
l’examen clinique est un argument diagnostique fort en
faveur du paludisme et contre les autres causes de
fièvres au retour des tropiques [amibiase hépatique, salmonellose,
arbovirose, primo-infection par le virus de
l’immunodéficience humaine, hépatites virales…].
À ce
stade, la notion d’un voyage récent (à toujours rechercher)
avec survenue rapide et brutale d’une fièvre nue
fait évoquer le diagnostic de paludisme.
• Évolution : si le diagnostic n’est pas posé, la fièvre
devient irrégulière, en plateau ou intermittente.
La succession
d’une apyrexie spontanée et d’une reprise fébrile
après 24 heures fait parler de fièvre tierce, mais cette
évolution reste rare et ne doit pas être attendue pour évoquer
le diagnostic.
En effet, non diagnostiqué et non
traité, tout accès palustre simple peut évoluer vers la
récurrence et la perniciosité en peu de jours ; la guérison
spontanée paraît exceptionnelle chez le sujet non
immun.
• Présentations atypiques : le séjour en zone de chloroquinorésistance
et la notion d’une chimioprophylaxie,
parfois inadaptée ou mal suivie, sont les éléments prédisposants
à une présentation atypique de l’accès de
primo-invasion.
Le délai de survenue peut atteindre
quelques mois après le retour mais jamais plus d’un an.
Ainsi certains accès palustres survenant à l’automne
sont initialement pris en charge comme un syndrome
grippal avec un retard diagnostique parfois dramatique.
Une asthénie, une fatigabilité à l’effort, des céphalées
récentes et rebelles, un amaigrissement, une pâleur cutanéo-muqueuse, une splénomégalie modérée isolée sont
les manifestations possibles de l’accès palustre atypique.
Certaines anomalies biologiques alertent le clinicien
: anémie normochrome normocytaire, régénérative
avec stigmates modérés d’hémolyse [élévation des
lacticodéshydrogénases (LDH), abaissement de l’haptoglobinémie]
ou peu régénérative, thrombopénie, leucopénie,
hypocholestérolémie, hypotriglycéridémie,
absence de syndrome inflammatoire net. Non reconnues,
ces formes atypiques évoluent vers l’accès
palustre grave.
Il vaut donc mieux évoquer ce diagnostic
par excès et demander au biologiste une recherche opiniâtre
du Plasmodium.
• Accès palustre grave ou pernicieux : il découle trop
souvent d’erreurs évitables : mauvaise information ou
négligence du voyageur face au risque de paludisme ; chimioprophylaxie absente, inadéquate ou incorrectement
suivie ; retard à la consultation ; diagnostic non
évoqué ou récusé sur les seuls critères cliniques ; lecture
erronée du frottis sanguin (erreur d’espèce, fausse négativité)
; erreur dans le traitement de l’accès simple
(choix inopportun de la molécule antimalarique, posologie
erronée, voie d’administration inadéquate).
Les critères de définition du paludisme grave ou pernicieux
ont été définis par l’OMS.
Leur
recherche doit être systématique et la constatation d’au
moins un critère justifie un traitement parentéral urgent,
éventuellement en unité de soins intensifs.
Il en est de
même pour la présence de troubles digestifs (vomissements,
diarrhée) ou d’un terrain fragile (femme enceinte,
enfant, sujet âgé).
Chez l’adulte non immun, la complication
la plus fréquente est le neuropaludisme avec
coma hypotonique sans convulsion ni signe focal ; il est
souvent associé à une insuffisance rénale et une anémie
hémolytique d’installation retardée.
D’autres atteintes
viscérales sont parfois au premier plan : choc hémodynamique,
oedème pulmonaire, syndrome hémorragique.
La survenue d’une infection bactérienne communautaire
ou nosocomiale n’est pas rare.
Chez l’enfant, les convulsions
et l’hypoglycémie sont fréquentes.
2- Paludisme en zone d’endémie :
Pour les expatriés non immuns séjournant quelques
semaines ou quelques mois en zone d’endémie, la présentation
peut être également typique ou trompeuse sous chimioprophylaxie ou grave.
Rappelons la fièvre bilieuse hémoglobinurique qui survient chez des sujets
consommant irrégulièrement de la quinine, de la méfloquine ou de l'halofantrine.
Accident allergique, ce
tableau sévère associe une hémolyse aiguë intense avec
insuffisance rénale et défaillance hémodynamique.
Les autochtones sont exposés dès l’enfance à de multiples
piqûres d’anophèles et à des souches plasmodiales
différentes.
Après quelques années, de multiples accès
palustres confèrent une prémunition responsable d’une
tolérance partielle de l’infection mais ne protégeant pas
des réinfections.
Schématiquement, on oppose le paludisme-infection avec portage régulier et asymptomatique
d’hématozoaires et le paludisme-maladie avec
accès palustres simples ou graves.
Le paludisme-infection
entraîne souvent une anémie chronique et une splénomégalie
chez l’enfant, majore l’anémie de la femme
enceinte et favorise l’hypotrophie foetale ; la présence
d’une parasitémie non négligeable peut faire porter le
diagnostic d’accès palustre par excès et méconnaître une
infection associée.
Le paludisme-maladie peut se traduire
par des accès palustres bien tolérés cliniquement malgré
des parasitémies élevées, d’évolution favorable
après traitement voire spontanément.
Les accès graves
touchent surtout les enfants de 6 mois à 6 ans en zone de
transmission permanente, parfois plus âgés en zone de transmission saisonnière et les femmes enceintes.
Trois
aspects dominent le paludisme grave de l’enfant : le neuropaludisme avec coma hypertonique ou convulsions,
l’anémie hémolytique sévère fébrile et l’hypoglycémie
; le décès peut survenir en quelques heures.
Enfin,
le paludisme viscéral évolutif de l’enfant est défini par
l’association d’une altération de l’état général avec cassure
de la courbe de croissance, d’une fébricule, d’une
anémie profonde, d’un subictère hémolytique, d’une
splénomégalie modérée ainsi que d’une parasitémie
faible.
B - Paludisme à P.vivax,P. malariae et P.ovale :
Les accès de primo-invasion dus aux 3 autres espèces
plasmodiales ne se distinguent pas cliniquement des
accès simples à P. falciparum.
Le délai de survenue
atteint plusieurs mois après le retour.
Ces accès comportent
classiquement une phase de frissons pendant
1 à 2 heures, une fièvre intense pendant quelques heures
puis une défervescence thermique avec sueurs abondantes
et asthénie.
Non traités, ces accès peuvent se
reproduire tous les 2 jours (fièvre tierce bénigne à
P. vivax ou P. ovale) ou tous les 3 jours (fièvre quarte à
P. malariæ), s’estompent et guérissent spontanément en
1 à 2 semaines.
Il n’y a jamais d’évolution vers la perniciosité.
Des rechutes tardives sont possibles pour P.vivax
et P.ovale, malgré un traitement schizonticide.
Diagnostic biologique :
1- Recherche du parasite :
Elle doit être effectué devant toute fièvre, même modérée,
au retour d'un séjour, même ancien, en zone d'endémie
palustre, même sous chimioprophylaxie bien suivie.
En raison de la gravité du paludisme à P. falciparum et
de l'urgence du traitement, un diagnostic rapide doit être
réalisé.
Aucun accès diagnostiqué et traité suffisamment
tôt ne devient fatal.
Par contre un retard dans le diagnostic
peut entraîner le décès et est inacceptable.
Au
moindre doute et avant tout traitement, on doit pratiquer
en urgence un examen de sang périphérique en période
fébrile par frottis mince, coloré par May-Grünwald-
Giemsa.
La mise en évidence des hématozoaires dans
les globules rouges affirme le paludisme.
Ce frottis sera
examiné par un biologiste averti qui prendra le temps
nécessaire à l'examen microscopique, car la parasitémie
peut être faible.
Le diagnostic d'espèce et l'importance
de la parasitémie doivent être précisés par le
laboratoire ; l'aspect morphologique du Plasmodium et
des globules rouges parasités permet d'identifier l'espèce
en cause.
Des descriptions précises sont données dans
des ouvrages spécialisés. P. falciparum est caractérisé
par une parasitémie souvent élevée.
La goutte épaisse
est une technique plus sensible que le frottis mais délicate,
qui permet de concentrer les parasites sur une petite
surface, par contre le diagnostic d'espèce y est plus
difficile car les globules rouges sont lysés et leur aspect ne peut donc contribuer à confirmer l'espèce plasmodiale.
Si frottis et goutte épaisse restent les examens indispensables
de référence, le biologiste peut s'aider d'autres
techniques de laboratoire qui sont actuellement commercialisées.
La technique dite de QBC (Quantitative
Buffy Coat Test) permet de traiter une plus grande quantité
de sang dans des microtubes, de concentrer et visualiser,
après centrifugation, les parasites fixant l'acridine orange ;
cette technique nécessite cependant un matériel adapté :
centrifugeuse et microscope à fluorescence.
Des tests non
microscopiques par bandelettes sont aussi proposés : le Parasight F et l'ICT Malaria Pf pour P. falciparum qui
détectent un antigène soluble spécifique ; ils ont une
sensibilité équivalente à la goutte épaisse, mais ne mettent
pas en évidence les autres espèces plasmodiales ;
des faux positifs ont été signalés.
Le test Optimal révèle
des enzymes spécifiques de P. falciparum et
P. vivax.
Ces tests restent cependant des tests d'appoint
et n'excluent pas l'examen sanguin.
La sérologie spécifique a peu d'intérêt diagnostique en
dehors du paludisme viscéral évolutif ; elle a cependant
2 indications : la prévention du paludisme transfusionnel
et la réalisation d'enquêtes épidémiologiques.
2- Perturbations biologiques :
L'anémie est constante avec baisse de l'hémoglobine et
stigmate d'hémolyse : hyperbilirubinémie libre, élévation
des LDH, haptoglobinémie basse. Le taux de leucocytes
est souvent normal, parfois diminué mais dépasse
rarement 10 000/mm3.
La thrombopénie est fréquente,
sans valeur prosnostique, et se restaure rapidement sous
traitement.
Les taux de cholestérol et de triglycérides
sont abaissés, une insuffisance rénale fonctionnelle est
possible de même qu'une hypergammaglobulinémie.
Les hémocultures pratiquées lors du bilan de la fièvre
restent négatives.
Traitement
:
A - Médicaments antimalariques :
1- Quinine :
Alcaloïde naturel extrait de l'écorce de quinquina, la
quinine est schizonticide par action sur les lysosomes
des trophozoïtes intra-érythrocytaires des 4 espèces
plasmodiales ; son effet est nul au stade intra-hépatique
et faible sur les schizontes âgés et les gamétocytes.
Sa
demi-vie est d’environ 10 heures et elle est totalement
éliminée par voie rénale en 24-48 heures.
Utilisée sous
forme de sels basiques dans du soluté glucosé à 5 %
(pour éviter toute hypoglycémie), l’administration intraveineuse
doit être lente, en perfusion d’au moins
4 heures.
L’utilisation de la voie intramusculaire doit
être exceptionnelle, du fait du risque de nécrose ou d’abcès.
La posologie exprimée en quinine base doit être calculée
avec attention, surtout chez l’enfant ; les différents
produits commercialisés n’ont pas la même concentration en quinine base : Quinimax dosé à 96 %,
Quinoforme dosé à 87,6 %, Quinine chlorhydrate
Lafran dosé à 81,7 %.
Lors d’administration intraveineuse,
la quininémie doit être dosée à H8 et quotidiennement
pendant quelques jours ; le taux efficace et non
toxique se situe entre 10 et 12 mg/L.
Syndrome fréquent
et régressif à l’arrêt du traitement, le cinchonisme associe
acouphènes, hypoacousie, vertiges, nausées, céphalées,
troubles de la vision ; il traduit l’imprégnation de
l’oreille interne par la quinine mais non le surdosage
(rassurer le malade).
La durée du traitement est d’une
semaine.
2- Amino-alcools :
Méfloquine (Lariam) et halofantrine (Halfan) sont des
schizonticides actifs sur les souches chloroquinorésistantes,
d’action plus lente que la quinine (donc non
adaptées à l’accès grave) ; toutes 2 sont contre-indiquées
en cas de grossesse.
La méfloquine ne doit pas
être prescrite à un sujet avec antécédent psychiatrique
ou comitial, ni en cas d’accès palustre survenu sous prophylaxie
par cette molécule.
Elle peut déclencher des
effets indésirables digestifs sévères, des perturbations de
l’équilibre, des troubles psychiatriques.
Le traitement
curatif par halofantrine est souvent mieux toléré, mais
peut entraîner des accidents sévères : torsades de pointes
mortelles, hémolyse.
Il doit être interdit aux patients à
risque cardiaque : antécédent familial de mort subite,
antécédent personnel de syncope, toute cardiopathie
traitée ou non, prise d’un médicament pro-arythmique
(antiarythmiques, antihypertenseurs, diurétiques), allongement
du segment QT.
Le risque d’hémolyse par mécanisme immuno-allergique fait aussi récuser les malades
avec antécédents d’allergie à la quinidine.
3- Amino-4-quinoléines :
La chloroquine (Nivaquine), schizonticide d’action rapide,
est peu efficace sur la plupart des souches de
P. falciparum isolées en 1998, mais reste active sur les
autres espèces plasmodiales. Bien tolérée aux doses
curatives, elle déclenche parfois un prurit chez les
malades à peau noire.
L’amodiaquine (Flavoquine),
d’élimination lente, a peu de place en thérapeutique.
4- Autres antimalariques :
L’association de sulfadoxine et de pyriméthamine
(Fansidar) est schizonticide sur les souches chloroquinorésistantes
par interférence sur la voie des folates des
hématozoaires.
Utilisée en dose unique mais inefficace
sur certaines souches asiatiques et est-africaines de
P. falciparum, cette association peut entraîner des accidents
allergiques sévères : épidermolyse, atteintes
hématologiques.
Le chlorhydrate de proguanil
(Paludrine) ayant le même mode d'action est utilisé en
prophylaxie.
D’autres molécules sont en cours d’évaluation
: dérivés de l’artémisine, atovaquone, pyronaridine, mais n’ont aucune place dans le traitement du paludisme
en 1998. L’artéméther (Paluther), rapidement diffusible
après administration intramusculaire profonde,
actif sur toutes les souches plasmodiales, pourrait être
utile dans le traitement de certains accès pernicieux.
La doxycycline et l’érythromycine, inactives en monothérapie
contre P. falciparum, sont utilisées en association
avec la quinine en cas de souches de moindre sensibilité
à la quinine.
B - Chimiorésistance
:
La chimiorésistance des hématozoaires est la conséquence
de la large utilisation des antimalariques.
La chloroquinorésistance est apparue dans les années 1960-
70, d'abord en Thaïlande, en l'Afrique de l'est et en
Amazonie, puis s'est ensuite étendue à toute l'Afrique
sub-saharienne, en Asie jusqu'au Pakistan à l'ouest et la
Nouvelle-Guinée à l'est.
Une résistance aux autres antipaludéens
utilisés en prophylaxie ou en thérapeutique
s'est également développée.
Seule la quinine reste une
molécule toujours active, même si quelques souches de
P. falciparum ont une sensibilité diminuée en Asie du
Sud-Est et Amazonie.
C - Traitement curatif :
1- Paludisme à P. falciparum :
• Accès simple : la chloroquine n’a plus sa place dans le
traitement de l’accès à P. falciparum du sujet non immun,
du fait de l’extension de la chloroquinorésistance en particulier
en Afrique.
Signalons toutefois que la chloroquine
reste le traitement de l’accès simple recommandé par
les ministères de la Santé de bien des pays africains,
mais cela ne concerne que les sujets autochtones qui
possèdent une prémunition.
Pour l’accès simple, le traitement
repose sur les amino-alcools et la quinine orale.
En l’absence de contre-indications, l’halofantrine est
prescrite en une cure d’une journée avec 3 prises de 8
mg/kg espacées de 6 heures et à distance des repas ; le
risque de rechute étant de 25 %, il est recommandé d’effectuer
une seconde cure 7 jours plus tard.
En l’absence
de contre-indication, la méfloquine peut également être
utilisée en cure d’une journée à raison de 25 mg/kg,
répartie en 3 prises, mais entraîne fréquemment des
troubles digestifs et neurosensoriels.
Lorsque ces
2 amino-alcools sont récusés, en particulier chez la
femme enceinte, il convient d’utiliser la quinine par voie
orale à la posologie de 25 mg/kg/j de quinine base pendant
5 jours, chez l’adulte comme chez l’enfant. En cas
de présomption de moindre sensibilité à la quinine
(jungles d’Asie du Sud-Est et Amazonie), il est indispensable
d’adjoindre 200 mg/j de doxycycline ou 1,5 g/j
d’érythromycine.
Pour les accès simples avec nausées
ou vomissements, le traitement est la quinine intraveineuse
à la posologie est de 8,3 mg/kg de quinine base à
administrer en 4 à 6 heures (en perfusion lente ou au pousse-seringue électrique) toutes les 8 heures ; le relais
oral est débuté le troisième jour pour une durée totale de 5 à 7 jours.
Pour tous les accès simples, la défervescence
thermique survient dans les 48 heures, les frottis sanguins
quotidiens affirment la disparition de la parasitémie
en moins de 4 jours.
• Accès pernicieux : pour les formes graves, la prise en
charge est hospitalière, souvent en unité de soins intensifs.
Après s’être assuré de l’absence d’administration
préalable de méfloquine ou de quinine, il est recommandé
d’effectuer une dose de charge de 16,7 mg/kg de quinine
base en 4 heures pour obtenir une concentration
efficace plus précoce.
Quatre heures après la fin de cette
dose, le traitement est poursuivi à raison de 8 mg/kg
toutes les 8 heures pendant une semaine.
La doxycycline
intraveineuse est adjointe en cas de résistance possible à
la quinine.
Les traitements symptomatiques sont guidés
par les complications : remplissage vasculaire prudent
en cas d’hypovolémie ou d’insuffisance rénale fonctionnelle
(risque d’oedème pulmonaire de surcharge), prévention
de l’hypoglycémie, ventilation mécanique en
cas de troubles de la conscience, voire épuration extrarénale.
Chez l’enfant, le traitement anticonvulsivant et
l’apport glucosé sont systématiques, la transfusion de
concentrés érythrocytaires est souvent nécessaire.
Dans tout accès palustre traité, une aggravation ou une
reprise fébrile doit faire rechercher une infection associée,
le plus souvent septicémie ou pneumopathie bactérienne
à entérobactéries, et débuter un traitement antibiotique
probabiliste.
2- Paludisme à P. vivax, P. ovale, P. malariæ :
La chloroquine (10 mg/kg/j pendant 5 jours) per os est
efficace dans tout accès de primo-invasion de ces
espèces mais aussi dans toute reviviscence à P. vivax et
P. ovale.
D - Chimioprophylaxie :
Le choix de la chimioprophylaxie est guidé par la destination
et les modalités du séjour.
Pour prescrire une chimioprophylaxie
adaptée, il est conseillé de suivre les
recommandations du Conseil supérieur d'hygiène
publique de France qui sont publiées chaque année dans
le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH).
Plusieurs zones sont définies :
• pays du groupe 0 : pas de risque, aucune chimioprophylaxie
;
• pays du groupe 1 : pas de chloroquinorésistance. La
chloroquine (Nivaquine 100 mg/j pour l'adulte ou
1,5 mg/kg/j pour l'enfant) est indiquée pendant le durée
du séjour et 4 semaines après le retour ;
• pays du groupe 2 : prévalence de la choroquinorésistance
modérée.
L'association chloroquine-proguanil est
conseillée pendant la durée du séjour et 4 semaines
après le retour, soit 1 comprimé par jour de Savarine
pour l'adulte ou l'association de 1,5 mg/kg/j de chloroquine
et 3 mg/kg/j de proguanil (Paludrine) ;
• pays du groupe 3 : prévalence élevée de chloroquinorésistance
et multirésistance.
– Séjour de moins de 3 mois, Méfloquine: un comprimé
de Lariam 250 mg par semaine pour l' adulte ou à dose
adaptée au poids pour l'enfant, prophylaxie à débuter dix
jours avant le départ (pour évaluer la tolérance), à poursuivre
pendant la durée du séjour et 3 semaines après le
retour.
L'association chloroquine-proguanil peut également
être utilisée, en particulier lors d'intolérance ou de
contre-indication à la méfloquine.
– Séjour de plus de 3 mois, chloroquine-proguanil.
Dans les zones forestières du sud-est asiatique, la doxycycline
peut être conseillée à la dose de 100 mg/jour de
la veille du départ à 4 semaines après le retour de la zone
à risque.
Pour des séjours à faible risque ou des séjours
de plusieurs mois, l'abstention de toute chimioprophylaxie
ne peut se discuter qu'après analyse rigoureuse du
niveau de responsabilisation du voyageur, des conditions
de séjour et des structures sanitaires disponibles
sur place.
Principes de la prévention du paludisme :
Aucun moyen préventif n’assure à lui seul une protection
totale.
Plusieurs mesures doivent être associées.
1- Information du patient :
Qu'il soit touriste ou migrant, en particulier africain
vivant en France, le voyageur doit être informé du risque
de paludisme et de la nécessité d'une consultation précoce
au moindre symptôme survenant dans les semaines
suivant le retour.
2- Réduction du risque de piqûres
de moustiques :
Pour éviter les piqûres d'anophèles, le voyageur doit
s’abstenir de séjourner à l'extérieur après le coucher du
soleil, vivre dans des pièces protégées par des grillages
aux ouvertures ou climatisées, utiliser des insecticides et
des répulsifs (insectifuges) sur les parties découvertes
du corps (durée de protection 2 à 5 heures), dormir sous
des moustiquaires imprégnées de pyréthinoïdes.
3- Prise de chimioprophylaxie :
Laisser partir un voyageur sans prophylaxie en zone de
transmission intense (Afrique, Amérique latine et Asie
forestière) est dangereux.
Pour choisir une chimioprophylaxie,
il est recommandé de prendre l'avis d'un centre
de conseils aux voyageurs qui dispose d'informations
actualisées sur le risque de transmission et l'existence
d'une chimiorésistance dans le pays visité.
(BEH n°21. 1998).
4- Vaccination :
Aucune modalité vaccinale n'a actuellement fait sa preuve
malgré quelques succès partiels, les difficultés étant
l'isolement de fractions vaccinales parmi une multiplicité
antigénique de stades parasitaires et l'absence de modèle animal.
Une dizaine de vaccins sont actuellement
en cours d'étude privilégiant la phase préérythrocytaire
du parasite.