Le terme « ostéodystrophie rénale » désigne l’ensemble des
complications osseuses et viscérales en rapport avec les
perturbations du métabolisme phosphocalcique.
Celles-ci peuvent
être la conséquence directe de l’insuffisance rénale, ou indirecte,
l’insuffisance rénale favorisant la rétention de toxique d’origine
souvent iatrogène, résultat de certaines thérapeutiques.
On exclut
de l’ostéodystrophie rénale les maladies osseuses secondaires à des
tubulopathies (telles que le syndrome de Fanconi ou l’acidose
tubulaire d’Albright) ou à des maladies métaboliques (telles que les
oxaluries primaires) même si ces maladies peuvent se compliquer
secondairement d’insuffisance rénale.
Les ostéoarthropathies en
rapport avec l’amylose à bêta 2-microglobuline, qui s’observent
habituellement après plusieurs années d’insuffisance rénale
terminale, n’entrent pas dans le cadre classique de l’ostéodystrophie
rénale, bien qu’elles soient spécifiques de l’urémie.
En l’absence
d’iatrogénie ou d’autres expositions toxiques, l’hyperparathyroïdie
secondaire de l’insuffisance rénale est responsable de la forme
histologique osseuse la plus fréquente de l’ostéodystrophie rénale,
l’ostéite fibreuse.
Initialement, une augmentation de la fréquence des
cas d’ostéite fibreuse sévère a été observée secondaire à
l’amélioration de la survie des urémiques grâce à la dialyse.
Par la suite, les thérapeutiques mises en oeuvre pour traiter ou prévenir
l’hyperparathyroïdie secondaire et la contamination du dialysat par
l’aluminium ont fait émerger les ostéopathies iatrogènes.
Elles sont
dominées par l’ostéomalacie et l’ostéopathie adynamique (OPA)
aluminique hypercalcémiante et fracturaire.
L’arrêt progressif des complexants aluminiques du phosphore à la fin des années 1980 a
entraîné l’émergence d’ostéopathies adynamiques non aluminiques
chez des patients asymptomatiques et normocalcémiques.
Elle est
essentiellement due à un contrôle exagéré de l’hypersécrétion de
parathormone (PTH) par les sels alcalins de calcium (CaCO3) et les
dérivés actif de la vitamine D.
Dans cet article, nous présentons les
caractéristiques histologiques et l’étiopathogénie de ces différentes
variétés histologiques d’ostéopathie.
Nous discutons des possibilités
du diagnostic radiologique et biochimique. Nous abordons
l’indication de la biopsie osseuse à visée diagnostique et pour
orienter le traitement.
Nous envisageons les modalités
thérapeutiques préventives et curatives chez l’urémique avant le
stade de dialyse, et au stade de l’épuration extrarénale.
Les
principales complications liées à ces mesures thérapeutiques sont
abordées.
Variétés histopathologiques
et leur étiopathogénie :
L’évaluation des paramètres histodynamiques nécessite un double marquage préalable de l’os
par la tétracycline.
La tétracycline
se déposant sur le front de calcification et donnant une fluorescence,
la distance entre le milieu des deux bandes fluorescentes représente
l’épaisseur de l’os minéralisé pendant le temps écoulé entre les deux
marquages.
Cette distance divisée par le nombre de jours
(habituellement 12) donne la vitesse de minéralisation ou mineral apposition
rate (MAR).
Le taux de
formation osseuse est obtenu en multipliant le MAR par l’étendue des
surfaces marquées à la tétracycline.
Suivant les
auteurs, cette étendue est calculée en prenant soit uniquement les
surfaces doublement marquées, soit les surfaces doublement marquées
et la moitié des surfaces simplement marquées, soit encore les
surfaces doublement marquées et la totalité des surfaces simplement
marquées.
Les valeurs
normales de ces taux dans les populations de référence sont
variables suivant le mode de calcul, la race, le sexe et l’âge.
A -
OSTÉITE FIBREUSE (OF) :
1- Aspects histologiques
:
C’est la forme la plus fréquente.
Sur le plan histologique, elle se
caractérise par une accélération du remodelage osseux, qui se traduit
par un taux de formation osseuse élevé, un important degré de
fibrose médullaire et une hyperrésorption ostéoclastique.
Elle est
secondaire à des taux plasmatiques de PTH continuellement élevés.
Cette hormone stimule directement les cellules stromales desquelles
sont issus les ostéoblastes.
Ces derniers activent à leur tour les
précurseurs ostéoclastiques d’origine monocytaire.
Il existe ainsi
une prolifération des ostéoclastes qui sont hyperactifs.
Leur activité est responsable de l’augmentation de la surface de résorption
osseuse.
Les ostéoblastes sont larges (en touche de piano) et
nombreux.
Leur activité entraîne l’augmentation des surfaces ostéoblastiques et ostéoïdes.
L’épaisseur des bordures ostéoïdes,
ajustée au taux d’apposition osseuse est en revanche normale,
témoignant de l’absence de trouble de la minéralisation.
Le volume ostéoïde est toujours augmenté parallèlement à l’augmentation des
surfaces, expliquant que l’augmentation de ce paramètre n’est pas
synonyme d’ostéomalacie.
Des études biopsiques transversales faites
chez des urémiques ayant, avant dialyse, différents degrés
d’insuffisance rénale, ont montré que ces lésions d’OF étaient
précédées par des lésions plus discrètes.
Elles sont caractérisées le
plus souvent par un taux de formation osseuse normal et une
discrète augmentation de la fibrose et/ou de la résorption ostéoclastique et/ou des surfaces ostéoblastiques.
On parle alors de
lésions légères ou mild lesions.
2- Facteurs étiopathogéniques
:
L’ostéite fibreuse est secondaire à des taux plasmatiques
continuellement élevés de PTH.
Ces taux élevés s’expliquent par
trois mécanismes cellulaires : une augmentation de la sécrétion
individuelle des cellules parathyroïdiennes parallèlement à leur
hypertrophie ; une augmentation du pourcentage des cellules
activement sécrétrices et une augmentation de leur nombre total.
Ce
dernier mécanisme fait intervenir une prolifération insuffisamment
contrebalancée par l’apoptose. Il définit l’hyperplasie des glandes
parathyroïdiennes.
Ces trois mécanismes cellulaires sont stimulés
par des facteurs autocrines et paracrines, et par cinq principaux
facteurs systémiques pouvant être médicalement contrôlés :
l’hypocalcémie, la rétention phosphorée avant même la survenue de
l’hyperphosphorémie, l’hypocalcitriolémie, la baisse relative de la
25OH vitamine D et l’acidose.
À l’opposé, ils sont freinés par la
surcharge aluminique, l’hyperglycémie et le déficit en oestrogènes.
L’action de la PTH sur l’os est médiée par son récepteur
ostéoblastique.
Elle est modulée par l’action de facteurs de
croissance locaux comme les insuline like growth factors (IGF), et leurs
protéines de liaison, les macrophage- et granulocyte- macrophage colony
stimulating factors (M-CSF, GMCSF), l’oncostatine, l’osteogenic protein
I.
La stimulation de ces différents facteurs survient souvent à des
degrés divers au cours de l’urémie avant dialyse.
Au stade de
dialyse, le degré de leur stimulation est fonction de la
biocompatibilité des membranes utilisées.
La PTH peut elle-même
stimuler l’expression de l’acide ribonucléique (ARN) messager et la
synthèse protéique de diverses cytokines ou de leur récepteur,
notamment l’interleukine 6 (IL 6), et le récepteur de l’IL 2, ou de
facteurs de croissance comme les IGF et leurs protéines de liaison
inhibitrices.
Le calcitriol, quant à lui, peut interférer dans
l’interaction de ces différents facteurs avec leur récepteurs et
inversement.
Il diminue notamment l’expression du récepteur de la PTH/PTHrP (surtout après administration en bolus), expliquant
l’induction d’ostéopathies adynamiques et de retards de croissance
chez l’enfant.
Les lieux de synthèse de ces facteurs locaux sont les
cellules d’origine sanguine ou stromale mais aussi les cellules
osseuses : les ostéoblastes eux-mêmes (IL 1, tumor necrosis factor
[TNF]-alpha et IL 6) et parfois les ostéoclastes (IL 6).
D’après des études
faites principalement in vitro, les facteurs qui stimulent la résorption
sont l’IL 1, le TNF-alpha, l’IL 6, l’IL 11, l’epithelial growth factor (EGF), le
transforming growth factor (TGF)-alpha, le M-CSF et le GMCSF alors que
ceux qui l’inhibent sont principalement le TGF-bêta, les interférons,
l’oncostatine M et l’IL 4.
Les cytokines qui influencent la formation
osseuse sont principalement l’IGF-I, le TGF-bêta et les morphoprotéines
osseuses liées ou non aux prostaglandines.
Le rôle exact de leur
modification dans l’expression de la sévérité de l’ostéite fibreuse ou
la survenue de son contraire, à savoir l’ostéopathie adynamique,
n’est pas encore connu, mais fait encore l’objet d’une intense
recherche.
Signalons que la carence en oestrogène freine la
sécrétion de PTH mais potentialise l’action résorptive osseuse de
celle-ci.
B -
OSTÉOMALACIE :
1- Aspects
histologiques :
L’ostéomalacie est caractérisée par une augmentation considérable
du volume ostéoïde.
Celle-ci est la conséquence non seulement de
l’augmentation des surfaces, mais de l’épaisseur des bordures ostéoïdes.
Elle est due à un défaut primaire de minéralisation qui
reste prédominant sur celui de la formation.
Cette dernière reste
normale ou le plus souvent diminuée. Colorées en rouge par la coloration de Goldner, ces bordures ostéoïdes donnent un aspect très
caractéristique.
La vitesse de minéralisation est diminuée, comme
en témoigne la fusion des deux marquages à la tétracycline.
Les
colorations de l’aluminium (acide aurin-tricarboxylique et
solochrome azurine acide) sont positives sur plus de 25 % des
interfaces os ostéoïde/os calcique en cas d’ostéomalacie aluminique.
2- Facteurs étiopathogéniques
:
La carence en vitamine D et l’intoxication à l’aluminium sont les
deux facteurs principaux impliqués dans l’ostéomalacie chez
l’insuffisant rénal.
L’ostéomalacie aluminique se rencontre surtout
en cas d’intoxication massive par le dialysat, mais peut néanmoins
se voir en cas de prise prolongée de fortes doses de complexant
aluminique du phosphore.
En l’absence d’intoxication aluminique, une ostéomalacie peut se
voir sous forme de stries de Looser-Milkmann pour des
concentrations plasmatiques de 25OH vitamine D inférieures à
10 ng/mL (25 nmol/L), comme chez le sujet à fonction rénale
conservée.
D’autres facteurs peuvent cependant être en cause :
l’acidose, l’hypocalcémie et l’accumulation de substances toxiques
du fait de l’insuffisance rénale comme les pyrophosphates, le fluor
et le strontium.
Ces facteurs expliquent les ostéomalacies qui se
voient pour des concentrations normales de vitamine D.
L’hypophosphorémie
en l’absence d’excès de complexant du phosphore peut se voir
exceptionnellement chez l’insuffisant rénal en cas de malabsorption
ou d’anorexie, et contribuer ainsi à une ostéomalacie même en
l’absence de carence en vitamine D ou d’intoxication à l’aluminium.
C -
OSTÉOPATHIE MIXTE :
Cette dénomination a été proposée par l’équipe de Sherrard pour
désigner des ostéopathies à remodelage osseux élevé mais avec
volume ostéoïde augmenté.
Elle est parfois considérée comme une
association d’ostéite fibreuse et d’ostéomalacie.
Cependant, le critère
diagnostique spécifique de cette dernière entité (augmentation de
l’épaisseur ostéoïde pour un certain taux ajusté d’apposition
osseuse) n’est pas toujours respecté, car Sherrard se contente de
l’augmentation du volume ostéoïde comme critère d’ostéomalacie.
Le taux de formation osseuse est habituellement élevé, à l’inverse
de l’ostéomalacie pure.
Sur le plan étiopathogénique, cet aspect se rencontre souvent en cas
d’ostéite fibreuse parathyroïdienne initiale et d’intoxication
aluminique secondaire.
D - OSTÉOPATHIE ADYNAMIQUE (OU APLASTIQUE)
:
À l’opposé de l’ostéite fibreuse, elle se caractérise par une
diminution du taux de formation osseuse aboutissant à une moindre
production d’ostéoïde par les ostéoblastes.
La minéralisation
secondaire est réduite de façon proportionnelle.
Il en résulte que
l’épaisseur des bordures ostéoïdes est toujours normale, voire
diminuée.
L’aspect histologique est défini par une raréfaction des
travées osseuses et par des surfaces osseuses sans activité ostéoclastique ni ostéoblastique.
Le volume trabéculaire est
habituellement bas et la densité osseuse basse quand il s’agit
d’intoxication aluminique.
En revanche, dans les autres cas
d’ostéopathie aplastique ces deux paramètres sont conservés,
expliquant la solidité osseuse et l’absence de fracture.
Sa principale étiologie était l’intoxication aluminique. Elle est révélée
par une coloration spécifique des dépôts d’aluminium sur la biopsie
osseuse.
Certains auteurs ont restreint sa définition à une
surface positive pour l’aluminium dépassant 25 %.
Cependant, ces
mêmes auteurs ont montré que la prévalence des hypercalcémies
était proportionnelle à l’étendue des surfaces aluminiques même
lorsque celle-ci était en dessous du seuil de 25 %.
Ils démontrent
ainsi le rôle propre de l’aluminium dans la survenue des
hypercalcémies, puisque ces événements étaient indépendants du
degré de freination de la PTH.
Le suivi de 5 ans de ces mêmes
malades (avec moins de 25 % de surface positive pour l’aluminium)
montre que la maladie osseuse devient de plus en plus
symptomatique, avec survenue de fractures malgré la diminution
de l’intoxication aluminique.
Ceci démontre le mauvais pronostic
à long terme de cette ostéopathie adynamique aluminique.
Elle
s’oppose au caractère asymptomatique et non hypercalcémiant de
l’ostéopathie adynamique non aluminique.
En effet, des patients
jamais exposés à l’aluminium du bain ou des complexants du
phosphore n’ont pas ces complications.
La présence histologique d’aluminium n’est même pas nécessaire pour
incriminer la responsabilité de l’aluminium dans la pathogénie de
l’ostéopathie adynamique.
En effet, chez des dialysés exposés
pendant 2 ans à de faibles doses d’aluminium mais n’ayant aucune
trace histologique d’aluminium, une corrélation négative existe entre
le taux de formation osseuse et les concentrations plasmatique et
osseuse en aluminium, ceci après correction statistique de l’effet de
la PTH.
Il faut signaler par ailleurs que les conséquences d’une
surcharge même modérée en aluminium pourraient être renforcées
par la carence en fer induite par l’érythropoïétine.
Cette carence
favorise l’accumulation de l’aluminium dans les parathyroïdes et les
ostéoblastes, potentialisant ainsi l’ostéopathie adynamique.
En dehors de l’exposition à l’aluminium, d’autres facteurs
interviennent pour s’opposer à l’action remodelante de la PTH chez
l’urémique, et favoriser ainsi l’ostéopathie adynamique (OPA) non
aluminique :
– le rétrocontrôle négatif de la synthèse des récepteurs de la PTH par
l’urémie et peut-être par le blocage de ces récepteurs par les
fragments C terminaux inactifs de la PTH (en particulier la PTH
7-84), encore que Slatopolsky n’apporte la preuve que de
l’abolition de l’effet hypercalcémiant de la PTH 1-84 par la PTH 7-84
et non de son effet histodynamique ;
– des facteurs locaux (monoxyde d’azote) ou systémiques
(hyperphosphatémie, hypocalcitriolémie, hypercalcitoninémie, et
facteur inhibiteur des ostéoclastes ou ostéoprotégérine) qui inhibent
la résorption ostéoclastique et l’effet hypercalcémiant de la PTH ;
– des facteurs inhibant la formation osseuse, qu’ils soient systémiques
(l’acidose, la toxine inhibitrice des ostéoblastes, la correction
excessive de l’hypocalcitriolémie), ou locaux comme l’excès d’IL 1,
IL 4, IL 11 ou le déficit en antagonistes des récepteurs de l’IL 1 et en
protéine I ostéogénique.
En dehors de ces facteurs contribuant à l’apparition des formes non
aluminiques d’ostéopathie adynamiques, celles-ci semblent
cependant essentiellement dues à une hypoparathyroïdie relative,
qui peut être elle-même favorisée par la ménopause et
l’hyperglycémie induite par le diabète ou la dialyse péritonéale.
De
plus, l’OPA est favorisée par la prise antérieure de corticoïdes et
l’hypothyroïdie.
Quant au rôle favorisant de l’âge avancé, il n’est
peut-être qu’un artefact lié à l’absence de mesure du taux de
formation osseuse sur un nombre suffisant de sujets âgés sains, c’est-à-dire
sans insuffisance rénale ni pathologie osseuse autonome.
Aspects diagnostiques
:
A - DIAGNOSTIC INVASIF : BIOPSIE OSSEUSE
Seule la biopsie osseuse (BO) permet de préciser avec certitude le
diagnostic histologique de l’ostéopathie. Nous pensons qu’elle n’est
vraiment indiquée qu’en cas de manifestations symptomatiques de
l’ostéopathie et d’une exposition antérieure à l’aluminium.
Une
symptomatologie fonctionnelle à type de douleurs osseuses ou
articulaires, de fractures, de myopathie proximale, de syndrome hypercalcémique (nausées, vomissements, confusion, troubles
psychiatriques) ou de calcifications vasculaires diffuses, peut être
aussi bien liée à une hyperparathyroïdie, à une amylose à bêta 2- microglobuline qu’à une ostéopathie aluminique.
Leur traitement
étant totalement différent, il est nécessaire de les distinguer avec
certitude, car un mauvais choix thérapeutique pourrait avoir des
conséquences désastreuses.
En effet, la parathyroïdectomie aggrave
les ostéopathies aluminiques, et le traitement au long cours par la
déféroxamine (DFO), un chélateur de l’aluminium, expose aux
risques de surdité, de cécité, de yersiniose et de mucormycose fatale.
La suspicion d’ostéopathie aluminique (ostéomalacie, OPA,
ostéopathie mixte) doit donc toujours être confirmée par une biopsie
avant d’envisager un traitement par la déféroxamine.
– Chez les patients asymptomatiques présentant des calcifications
métastatiques et une hypercalcémie supérieure à 2,70 mmol/L ou
une hyperphosphorémie supérieure à 2 mmol/L, le diagnostic
différentiel entre ostéopathie à haut ou à bas remodelage osseux
reste nécessaire, mais s’avère cependant moins urgent.
En accord
avec d’Haese et al, nous pensons que l’indication de la biopsie
osseuse dépend alors principalement du niveau de la PTH sérique
et de la présomption d’une surcharge en aluminium.
Celle-ci est
dépistée par l’interrogatoire et une mesure conjointe de l’aluminémie
et de la ferritinémie.
Lorsque l’aluminémie basale est supérieure à
30 µg/L (ou 1 µmol/L) avec une ferritinémie normale (excluant les
hyperaluminémies par augmentation de l’aluminium lié à la
transferrine) l’attitude dépend du taux de PTH intacte.
Conduite à tenir :
– si la PTH est supérieure à dix fois la limite supérieure de la
normale (LSN), le diagnostic est celui d’une hyperparathyroïdie,
et ceci d’autant plus que les phosphatases alcalines totales et/ou
osseuses sont élevées.
Elle justifierait la parathyroïdectomie
chirurgicale d’emblée.
Cependant, celle-ci peut induire une
ostéopathie adynamique fracturaire en cas de surcharge
aluminique.
C’est pourquoi un test à la déféroxamine doit être
réalisé (administration de 5 mg/kg en perfusion lors de la
dernière heure d’une dialyse, avec dosage de l’aluminémie avant cette séance et avant la séance suivante).
S’il est positif
(augmentation > 50 µg/L de l’aluminémie), un traitement
chélateur de l’aluminium pendant quelques mois avant la
parathyroïdectomie nous paraît justifié ;
– lorsque la PTH est inférieure à dix fois la LSN, le diagnostic
d’ostéopathie aluminique est envisageable. Cependant,
l’évaluation non invasive de cette surcharge par un test à la
déféroxamine présente des risques, même lors de la première
injection.
Aussi, il faudrait réserver ce test aux patients présentant
des complications cliniques (ostéopathie, encéphalopathie, anémie
microcytaire sans carence martiale, hypercalcémie isolée).
Lorsque
le test est positif, la biopsie osseuse est à envisager pour évaluer
l’importance de la surcharge en aluminium (par un marquage
histologique et/ou une mesure physicochimique de sa
concentration) avant d’envisager un traitement au long cours par
la déféroxamine.
Si les complexants aluminiques du phosphore
ont été arrêtés depuis plus de 6 mois, le nombre de résultats
faussement négatifs du test à la déféroxamine peuvent passer de
10 à 80 % d’après Pei et al, en prenant cependant comme critère
de positivité une élévation plus forte de l’aluminémie (de
100 µg/L) que ne le propose maintenant l’équipe de de Broe.
– Lorsque les patients sont asymptomatiques et ne présentent pas
d’hypercalcémie, le test à la déféroxamine n’est pas nécessaire.
L’aluminémie élevée suffit pour procéder à la recherche d’une
contamination qu’il faudra alors stopper.
B - DIAGNOSTIC NON INVASIF
:
1- Symptomatologie clinique
:
Le diagnostic avec certitude sur les seuls signes cliniques est
illusoire.
Cependant, ceux-ci permettent parfois d’orienter le
clinicien vers un type d’ostéodystrophie rénale.
L’ostéite fibreuse reste longtemps asymptomatique ; les douleurs
osseuses ainsi que les fractures favorisées par l’amincissement des
corticales sont rares et tardives ; les calcifications métastatiques
peuvent être responsables du syndrome de l’oeil rouge, d’un prurit
intense, d’accès de pseudogoutte.
Dans les formes sévères
d’hyperparathyroïdie, on peut voir des doigts en baguettes de
tambour par destruction des phalanges distales, des ruptures
tendineuses, et exceptionnellement une calciphylaxie avec nécrose
cutanée des extrémités des membres inférieurs et de la paroi
abdominale.
L’ostéomalacie se présente le plus fréquemment sous la forme d’une
myopathie proximale des membres inférieurs avec des douleurs
dans les hanches et une démarche de canard.
L’ostéopathie adynamique non aluminique est asymptomatique.
L’intoxication aluminique, qu’elle soit responsable d’une ostéomalacie
ou d’une ostéopathie adynamique, se manifeste souvent par des
douleurs ostéoarticulaires, des fractures du squelette axial (côtes,
vertèbres), ainsi que par des fractures des métatarsiens dites « de
fatigue ».
2- Diagnostic radiologique
:
* Radiologie standard
:
La radiographie standard reste un moyen diagnostique peu sensible.
Cependant, certains signes peuvent orienter le clinicien vers le type
de l’ostéopathie.
Ainsi, l’ostéite fibreuse se manifeste principalement par une
résorption sous-périostée intéressant préférentiellement le bord radial des
phalanges, les extrémités claviculaires et la
symphyse pubienne, les articulations sacro-iliaques.
L’hyperrésorption
au niveau du crâne donne un aspect poivre et sel.
Un amincissement
de la corticale des os longs et une densification des plateaux
vertébraux, avec raréfaction osseuse de la partie médiane de la
vertèbre, est responsable d’un aspect en « maillot de rugby » de la
colonne vertébrale. Des
calcifications métastatiques périarticulaires, vasculaires et plus rarement
viscérales peuvent également se voir. Une tumeur brune diaphysaire
peut se voir dans les cas sévères.
L’ostéomalacie est essentiellement diagnostiquée par la présence de
stries de Looser Milkman, préférentiellement sur les branches
ischiopubiennes, la corticale sous-trochantérienne du fémur,
les piliers de l’omoplate et les côtes, et parfois par une déformation
du bassin en coeur de cartes à jouer.
L’ostéopathie adynamique aluminique se traduit par des signes non
spécifiques de déminéralisation diffuse, des fractures localisées du
squelette axial, et des calcifications périarticulaires et vasculaires.
L’ostéopathie adynamique non aluminique n’a pas de traduction
radiologique certaine, bien que de rares études aient rapporté une
prévalence plus élevée de calcifications métastatiques en dialyse
péritonéale continue ambulatoire (CAPD) lorsqu’un dialysat à
1,75 mmol/L est utilisé, entraînant une hypercalcémie chronique
modérée.
* Scintigraphie osseuse
:
En cas d’ostéite fibreuse pure sévère, une hyperfixation diffuse de
l’ensemble du squelette, avec prédominance pour les régions riches
en os trabéculaire (les vertèbres et les articulations), est observée.
À
l’inverse, une hypofixation osseuse peut se voir en cas d’ostéopathie
aluminique à bas remodelage.
* Densitométrie osseuse
:
Elle permet surtout l’évaluation et le suivi du degré d’ostéopénie de
façon plus précise que la radiographie standard et la biopsie osseuse.
Quelques éléments permettent toutefois d’orienter le diagnostic : en
cas d’hyperparathyroïdie sévère, l’ostéopénie prédomine au niveau
des os constitués essentiellement d’os cortical (la jonction des tiers
inférieur et moyen du radius), alors que les os riches en os
trabéculaire (les vertèbres et le radius ultradistal) gardent une bonne
densité.
À l’inverse, la densité osseuse vertébrale est fortement
diminuée dans les ostéopathies adynamiques aluminiques.
3- Diagnostic biochimique
:
* Examens de routine
:
La calcémie, la phosphorémie, la protidémie, la bicarbonatémie, les
phosphatases alcalines totales permettent une approche
diagnostique et l’orientation de la thérapeutique.
À ces examens de routine, il faut ajouter (avec des indications et des
fréquences variables) la détermination de l’aluminémie, du taux
plasmatique de 25OH vitamine D, de la PTH intacte et des
nouveaux marqueurs du remodelage osseux.
Le dosage de la magnésémie n’est le plus souvent pas indispensable sauf chez le
dialysé si on utilise des complexants du phosphore à base de
magnésium, comme le carbonate et l’hydroxyde de magnésium.
* Aluminium plasmatique
:
Son dosage est à pratiquer essentiellement chez les patients dialysés
à la recherche d’une éventuelle exposition à l’aluminium (l’eau du
dialysat, les complexants aluminiques du phosphore).
Son
interprétation nécessite l’évaluation de la ferritinémie, car la
déplétion ferrique (mesurée par une ferritinémie < 100 µg/L) peut
entraîner une augmentation de l’aluminémie, tandis que la
surcharge ferrique (ferritinémie > 800) peut s’accompagner d’une
accumulation osseuse sévère d’aluminium malgré une aluminémie
< 30 µg/L.
* Dosage de la 25OH vitamine D plasmatique
:
Pour apprécier l’état de réplétion en vitamine D, le dosage
plasmatique de la 25OH vitamine D, dont la demi-vie est longue
(2-3 semaines), est préféré à celui du calcitriol et de la vitamine D
native dont la demi-vie est courte.
Ce dosage n’a pas de valeur pour
le diagnostic de la variété d’ostéodystrophie rénale mais a une
grande importance thérapeutique, car sa diminution est un facteur
de risque majeur indépendant du calcitriol, à la fois de
l’hyperparathyroïdie et de la survenue de lésions radiologiques
d’ostéomalacie.
Le taux optimal de 25OH vitamine D que l’on peut
proposer chez l’insuffisant rénal se situe à la limite supérieure de la
population de référence des pays tempérés en fin d’été, soit
40 ng/mL ou 100 nmol/L.
Chez le dialysé non exposé à
l’aluminium, les stries de Looser ne sont observées que pour des
taux de 25OH vitamine D < 40 nmol/L.
PTH intacte plasmatique
:
Le dosage de la PTH se pratique par des méthodes radioimmunométriques
ou immunochimioluminométriques utilisant
deux anticorps monoclonaux.
Ces méthodes remplacent
actuellement les dosages des fragments des régions C-terminale et
moyenne, moins sensibles pour la différenciation de la variété
histologique de l’ostéopathie urémique.
La PTH est le principal
déterminant du remodelage osseux.
Sa valeur pour le diagnostic de
la nature de l’ostéopathie a été bien étudiée.
Ses taux plasmatiques
reflètent bien le niveau de la sécrétion de l’hormone, contrairement
aux taux des fragments des régions C- terminale et moyenne, qui
s’accumulent dans l’insuffisance rénale en raison d’une diminution
de leur catabolisme rénal.
La variabilité des taux de PTH intacte (à
cause d’une demi-vie courte) impose cependant des mesures
répétées avant de prendre des décisions.
L’interprétation des taux de PTH intacte pour prédire le remodelage
osseux doit cependant tenir compte de certains paramètres
indiqués ci-après.
– La nature du dosage de PTH « intacte ».
Trois des kits du commerce (laboratoires Nichols, Incstar et
Diagnostic Systems Laboratory [DSL]) les plus souvent utilisés pour
doser la PTH dite « intacte », ne dosaient pas seulement la PTH 1-84,
mais aussi des fragments C-terminaux, en particulier 7-84.
En
revanche, le kit Biosource qui utilise les anticorps de Bouillon,
celui des laboratoires Scantibodies et le nouveau kit de Nicholls
(PTH 1-84 bio-intacte) ne dosent pas le fragment 7-84.
Aussi, les
fourchettes de valeurs normales ne sont pas les mêmes selon le kit
de dosage.
C’est pourquoi il est toujours préférable dans l’estimation
d’une fourchette de PTH intacte optimale au cours de l’insuffisance
rénale de l’exprimer en « limite supérieure de la normale » (LSN).
– Le rôle chez le dialysé d’une exposition antérieure à l’aluminium et
des modalités de dialyse.
Chez les dialysés ayant été exposés à l’aluminium, même d’une
façon modérée responsable de moins de 25 % des interfaces osseuses
positives, les taux de PTH supérieurs à quatre fois la LSN pour
les hémodialysés et six fois cette limite pour les dialysés péritonéaux,
permettent de prédire raisonnablement l’ostéite fibreuse.
D’Haese et
al prennent même le seuil de plus de dix fois la LSN pour
diagnostiquer l’ostéite fibreuse.
Qi et al prennent de leur côté un
taux > 450 pg/mL pour affirmer l’ostéite fibreuse, et considèrent que
la prédiction de la variété histologique est impossible quand la PTH
intacte est entre 65 et 450 pg/mL.
À l’inverse, les taux de PTH qui
prédisent l’ostéopathie adynamique sont inférieurs à deux fois la
LSN. En effet, une formation osseuse normale est associée à des taux
de PTH intacte entre deux et quatre fois la LSN.
La raison pour
laquelle la surcharge aluminique élève le seuil pour lequel la PTH
augmente le turn-over osseux, réside dans le fait que l’aluminium a
une action inhibitrice propre sur l’activité des ostéoblastes.
À l’opposé, lorsque les patients n’ont jamais été exposés à
l’aluminium ni aux dérivés 1 alpha hydroxylés de la vitamine D, les taux
de PTH intacte correspondant à un taux de formation osseuse élevé
sont tous supérieurs à deux fois la LSN, alors que des taux de PTH
inférieurs à une fois la LSN diagnostiquent l’ostéopathie
adynamique avec une sensibilité de 83 % et une spécificité de
100 %.
Comme des taux normaux de PTH intacte vraie sont
associés dans cinq cas sur sept (série d’Amiens) à une ostéopathie
adynamique, on peut en déduire que l’urémie per se,
indépendamment de toute exposition aluminique, peut induire une
résistance de l’os à l’effet remodelant de la PTH chez 70 % d’entre
eux, alors que chez 30 % d’entre eux elle peut induire au contraire
une potentialisation de son effet résorptif mais sans stimulation de
la formation osseuse.
Ces variations individuelles s’expliquent
sans doute par les multiples facteurs locaux qui modulent l’action
osseuse de la PTH.
On peut estimer que les taux optimaux de PTH
intacte (car correspondant à un remodelage osseux normal) se
situent approximativement entre une et deux fois la LSN avec le kit
Biosource.
Nous avons pu vérifier que cette fourchette de PTH
était également valable avec le kit Magic de Chiron
Diagnostics
Corporation, à condition de l’exprimer en LSN.
Cette fourchette
correspond en effet à celle qui est associée à la moindre prévalence
d’hypercalcémie, hyperphosphorémie, de calcifications
métastatiques, et à la moindre diminution de la densité du radius.
– Chez l’insuffisant rénal avant le stade de dialyse, les rares séries de la
littérature permettant une confrontation des taux de PTH intacte
(dosée le plus souvent avec le kit Allegro) avec l’aspect
histomorphométrique osseux, nous font proposer comme valeur
optimale de PTH intacte des fourchettes croissant avec le degré de
l’insuffisance rénale :
– entre 0,5 et 1 fois la limite supérieure de la normale pour une
clairance de la créatinine entre 30 et 60 mL/min ;
– entre 1 et 2,5 fois cette limite pour une clairance entre 10 et
30 mL/min ;
– entre 2 et 3 fois la LSN au stade de l’insuffisance rénale
préterminale.
– Cette croissance des taux optimaux de PTH avec la sévérité de
l’urémie s’explique probablement par :
– la rétention de fragments C-terminaux qui sont dosés avec les
kits censés ne doser que la PTH intacte, mais qui de plus bloquent
l’effet hypercalcémiant de la PTH ;
– la rétention de substances toxiques (comme le facteur inhibiteur
de l’ostéoblaste ou osteoblast inhibiting factor) qui augmente la
résistance de l’os urémique à l’action de la PTH.
Ce dernier
mécanisme explique que les taux optimaux soient légèrement plus
élevés au stade de l’insuffisance rénale préterminale qu’en dialyse,
car ce facteur est dialysable.
– L’existence d’un traitement par les dérivés
1 alpha hydroxylés de la vitamine
D est un autre élément à prendre en considération dans
l’interprétation des taux de PTH chez l’insuffisant rénal, surtout en
administration intermittente en bolus.
En effet, ces traitements
induisent une down regulation des récepteurs de la PTH.
Ils
augmentent la résistance de l’os à l’action remodelante de la PTH.
Le taux de PTH est d’autant plus élevé que la prise de sang est faite
à un moment éloigné du bolus de calcitriol ou d’alfacalcidol.
Par
ailleurs, l’administration intermittente a un effet freinateur
transitoire sur la sécrétion de PTH.
Ceci rend compte des
ostéopathies adynamiques sans surcharge aluminique rapportées
après de tels traitements, alors que les taux de PTH intacte mesurés
deux à trois jours après le bolus restaient de l’ordre de
200-300 pg/mL.
* Nouveaux marqueurs biochimiques plasmatiques du remodelage
osseux
:
Les nouveaux marqueurs de la formation osseuse sont les
phosphatases alcalines osseuses (PAO), l’ostéocalcine et le
propeptide C-terminal du procollagène de type I (PCIP).
Ceux de la
résorption osseuse sont la phosphatase acide résistant à l’acide
tartrique (TRAP), les N ou C télopeptides liés aux molécules
d’assemblage des fibres du collagène de type I (Cross-Lapst) et les
pyridinolines.
Leur importance dans le diagnostic non invasif de
l’ostéopathie n’est pas encore bien établie.
Dans notre récente revue
générale, nous avons pu montrer que les marqueurs les plus
fiables étaient la PAO (utile quand il existe une maladie hépatique cholestatique qui augmente les phosphatases alcalines totales) pour
la formation osseuse, les pyridinolines et les Cross-Lapst pour la
résorption.
D’autres études sont nécessaires pour démontrer leur
fiabilité du diagnostic et la qualité de la prise en charge
thérapeutique des patients pour justifier le coût supplémentaire de
leur détermination.
Prévalence des différentes variétés
de l’ostéodystrophie rénale
:
A - AVANT LE STADE DE DIALYSE
:
La prévalence des différentes variétés histopathologiques de
l’ostéodystrophie rénale ne peut être appréciée que sur quelques
rares séries de la littérature dont la représentativité épidémiologique
est discutable, les indications de la biopsie n’ayant pas été bien
précisées sauf dans l’étude de Hamdy, dans laquelle la biopsie
était obligatoire avant la randomisation du traitement entre alfacalcidol et
placebo.
En dehors de
cette étude, la gravité clinique et radiologique n’a guère été
rapportée simultanément de façon précise et systématique.
Les principales
séries de la littérature en fonction de la gravité de l’insuffisance
rénale et du traitement :
– au stade de l’insuffisance rénale préterminale, la prévalence des
ostéopathies à bas remodelage est plus élevée chez les patients
traités par Al(OH)3 que chez ceux qui prennent exclusivement du
CaCO3.
Pour les patients présentant jusqu’à 12 % de surface positive à l’aluminium, la prévalence est de 44 à 50 %, alors que chez les
patients traités par CaCO3 uniquement sans aucune trace
d’aluminium, la prévalence est de 34 %.
La prévalence des ostéopathies à haut remodelage est modérée,
entre 40 et 63 % ;
– au stade de l’insuffisance rénale modérée, les ostéopathies à bas
remodelage sont rares dans l’étude de Hamdy, aussi bien avant
traitement qu’après deux ans de traitement par l’alfacalcidol (6 et
11 %).
Dans l’étude de Cohen-Solal et Coen chez des patients traités
par CaCO3 et 25OH vitamine D, cette prévalence est de 31 et 21 %.
À l’opposé, la prévalence des ostéopathies à haut remodelage est
très élevée (75 %) dans l’insuffisance rénale modérée ne recevant ni
calcium, ni Al(OH)3 ni vitamine.
Après 2 ans de traitement par
l’alfacalcidol, la prévalence de ces ostéopathies reste élevée, à 56 %,
alors qu’elle est plus modeste chez les Français (44 %) et les Italiens
(32 %) traités par restriction protéique modérée et calcium.
La
réplétion vitaminique D est assurée par le soleil (les Italiens) et un
supplément de 25OH vitamine D (les Français).
L’ostéopathie adynamique aluminique a rarement été rapportée
avant le stade de la dialyse, car elle nécessite des biopsies
systématiques dans un but de recherche.
Les formes fracturaires sont
à ce stade exceptionnelles car nécessitant une intoxication forte et
prolongée.
Le rôle de l’aluminium peut néanmoins être évoqué pour
expliquer la forte prévalence d’ostéopathie adynamique rapportée
dans certaines séries de biopsie systématique, comme celle rapportée
par Hernandez et al dans les îles volcaniques des Canaries où l’eau
du robinet a une forte concentration en aluminium.
Rappelons
que même en l’absence de coloration histologique de l’aluminium,
nous avons pu montrer le rôle freinateur d’une surcharge
aluminique sur la formation osseuse.
Ce risque conduit à
recommander de ne pas utiliser les complexants aluminiques du
phosphore avant le stade de la dialyse.
Chez l’enfant, on a pu même
décrire avant dialyse des ostéomalacies et des encéphalopathies
aluminiques.
L’ostéopathie adynamique en l’absence de toute exposition
aluminique se rencontre avant la dialyse, surtout chez le diabétique
dont la sécrétion parathyroïdienne et le remodelage osseux sont
freinés par l’hyperglycémie chronique.
On la suspectera chaque
fois qu’un supplément calcique modéré entraîne une hypercalcémie.
Ceci amènera à attendre un stade plus tardif de l’insuffisance rénale
et une élévation de la PTH intacte au-dessus de la valeur optimale pour introduire le supplément calcique.
L’ostéomalacie aluminique avant la dialyse est rare, car elle nécessite
une intoxication importante.
Elle a été rapportée avant la dialyse
surtout chez de jeunes enfants prenant des complexants aluminiques
du phosphore.
Elle est néanmoins possible aux îles Canaries en
association avec une surcharge aluminique modérée (à 12 %
seulement de surface positive pour l’aluminium), peut-être en
association avec une carence en vitamine D.
La cause majeure de
l’ostéomalacie avant la dialyse est en effet la carence en vitamine D
native.
Elle se rencontre en général pour des taux de 25OH
plasmatique inférieurs à 10 ng/mL (25 nmol/L) comme chez des
sujets sans insuffisance rénale.
S’il n’existe pas d’intoxication
aluminique, elle peut être traitée par des doses physiologiques de
vitamine D native ou de 25OH vitamine D3 corrigeant les taux de
25OH vitamine D au-dessus de 16 ng/mL (40 nmol/L).
Bien que les
dérivés 1 alpha hydroxylés puissent guérir également l’ostéomalacie en
augmentant la calcémie et la phosphorémie, ils n’apparaissent pas
comme le meilleur traitement.
En effet, pour une même élévation
du produit phosphocalcique, ils augmentent moins le front de
minéralisation.
La carence en vitamine D native n’est pas rare
chez le patient urémique avant le stade de dialyse.
Elle est surtout
fréquente à la fin de l’hiver, chez le sujet âgé et à un stade avancé
d’insuffisance rénale.
Les causes en sont multiples : manque
d’exposition solaire, diminution de ses apports alimentaires en
vitamine D en rapport avec la restriction en laitages, viande et oeufs,
et éventuellement de pertes de la protéine transporteuse de vitamine
D (D-binding protein) en cas de protéinurie néphrotique.
De plus,
chez l’urémique, surtout âgé, la capacité de synthèse cutanée de la
vitamine D est diminuée.
Par ailleurs, la carence calcique liée à la
restriction des laitages peut favoriser le catabolisme hépatique de la
25OH vitamine D3.
Enfin, cette carence peut être accentuée dans
les pays industrialisés situés à des latitudes distantes de l’équateur,
du fait de la pigmentation cutanée ou du régime alimentaire pauvre
en laitages et riche en phytates.
Les autres facteurs favorisant
l’ostéomalacie non aluminique avant la dialyse sont la carence
calcique (qui majore l’hypocalcémie), l’hypophosphorémie et
l’acidose.
Les néphropathies interstitielles d’évolution lente,
l’acidose tubulaire et plus particulièrement le syndrome de Fanconi
(associant acidose tubulaire proximale et diabète rénal phosphoré et
calcique) sont les néphropathies associées fréquemment à
l’ostéomalacie.
B - AU STADE DE DIALYSE
:
Ceci
permet d’éliminer la majorité des patients dont le dialysat avait été
contaminé par l’aluminium.
Il montre la prévalence importante de
l’ensemble des ostéopathies aluminiques à bas remodelage
(ostéomalacie [OM] + ostéopathie adynamique [OPA]) dans toutes
les séries en dehors de celle de Morinière.
Dans celle-ci, seulement
quatre des 10 patients avec OPA avaient des traces d’aluminium à la
coloration spécifique, malades exposés avant 1978 à un dialysat
contenant 1 µmol/L d’aluminium.
Cette différence tient à l’exclusion
définitive de l’Al(OH)3 uniquement dans le centre d’Amiens à partir de 1980.
La prévalence de l’ensemble des ostéopathies à bas
remodelage de 1986 et 1995 en hémodialyse est constante, mais la
prévalence de l’OPA augmente aux dépens de celle de l’OM en
fonction du temps.
Ceci s’explique par le fait que le critère proposé
par Sherrard pour distinguer l’OM de l’OPA, à savoir un volume
ostéoïde élevé, est devenu plus exigeant, passant de > 5 à > 15 %.
Enfin, on notera
la prévalence plus élevée bien connue des OPA chez les patients
traités par la dialyse péritonéale (CAPD) que chez ceux traités par
hémodialyse (66 % versus 39 % et 48 versus 32 %).
À l’opposé, les
ostéopathies à haut remodelage sont plus fréquentes en hémodialyse
(38 versus 9 % et 33 versus 15 %).
La prévalence des manifestations
cliniques dépend de la sévérité, à la fois de la surcharge aluminique
et de l’hyperparathyroïdie.
Dans les ostéopathies adynamiques avec hypoparathyroïdie relative,
la prévalence des douleurs osseuses, des fractures, est la plus élevée
en cas de surcharge aluminique majeure (surface positive ³ 25 %).
La prévalence d’hypercalcémie passe respectivement de 65, 33, à
10 %, suivant que l’étendue des surfaces positives à l’aluminium
passe de > 25 %, 24-6 % à £ 5 %.
Cette baisse de la prévalence de
l’hypercalcémie avec la diminution de la surcharge aluminique, alors
que les taux de PTH et de formation osseuse sont comparables, est d’autant plus
remarquable que la charge calcique orale est plus forte dans le
groupe avec moins de 5 % de surface positive.
Ceci est d’autant plus remarquable que
certains auteurs peuvent considérer la charge aluminique de ces
patients en 1989 comme faible et négligeable, puisque l’aluminémie
basale est seulement de 0,9 et que son élévation sous déféroxamine
ne dépasse pas 1,1 µmol/L.
En effet, les experts du consensus
européen ne proposent de faire le test à la déféroxamine que si
l’aluminémie de base est > 2,2 µmol/L et l’aluminémie postdéféroxamine
> 5,5 µmol/L.
Chez les patients avec lésions légères, la prévalence des douleurs et
des fractures reste faible dans le temps, alors que leur dose
cumulative d’aluminium est comparable à celle des patients avec
ostéopathie adynamique et moins de 25 % de surfaces positives pour
l’aluminium.
Chez les patients avec ostéite fibreuse et ostéopathie mixte, la
prévalence des douleurs, des fractures et des hypercalcémies est
intermédiaire, aussi bien en 1989 qu’en 1994, à celle du groupe avec
ostéopathie adynamique et forte surcharge aluminique, et à celle du
groupe avec lésions légères.
La sévérité des manifestations cliniques ne peut actuellement
s’apprécier qu’en fonction de l’élévation des taux de PTH, qui est le
meilleur critère diagnostique non invasif de la variété d’ostéopathie
(cf PTH intacte plasmatique) du fait du recours moins fréquent à la biopsie.
Ceci a été
réalisé à Amiens chez des patients non exposés à l’aluminium depuis
1980.
En fonction du taux de PTH mensuel
moyenné sur 1 an, la prévalence des hypercalcémies, des
hyperphosphatémies, des calcifications métastatiques, et le degré
d’ostéopénie mesurée en DEXA (absorptiométrie aux rayons X à
double énergie et exprimée en Z score).
Le groupe dont la PTH
est entre une et deux fois la LSN était celui dont la prévalence
des hypercalcémies et des hyperphosphorémies était nulle, et
dont la densité osseuse de la diaphyse et de l’extrémité
ultradistale du radius était la meilleure.
Ceci nous fait donc
proposer cette fourchette de PTH comme optimale, dans une
population non exposée à l’aluminium et ne recevant pas de
1 alpha OH vitamine D.