La dermatologie est une science au carrefour de nombreuses spécialités
(gynécologie, proctologie, ophtalmologie...) car l’examen dermatologique
porte sur le tissu cutané et les phanères (cheveux, poils, cils, sourcils, ongles),
mais aussi sur les semi-muqueuses (lèvres, anus, organes génitaux externes)
et les muqueuses (buccales, génitales, conjonctivales).
L’origine
embryologique commune neuroectodermique du revêtement
cutanéomuqueux et de certaines structures oculaires, notamment
sclérocornéenne, la similitude des épithéliums de surface et des sites
pigmentaires, la contiguïté palpébroconjonctivale et l’exposition identique
aux micro-organismes, aux allergènes et aux facteurs environnementaux, les
mécanismes de défense similaires avec des cibles d’auto-immunité, tant dans
le tissu dermoépidermique que dans la scléroconjonctive et l’uvée, expliquent
la fréquence des pathologies communes comportant une symptomatologie à
la fois dermatologique et ophtalmologique (génodermatoses,
neurofibromatoses, dermatoses bulleuses, vascularites, maladie de Behçet,
dermatite atopique, rosacée...).
Le plan adopté pour ce travail est très pragmatique et calqué sur la pratique
quotidienne ; il cherche à définir les situations pour lesquelles le
dermatologue doit faire appel à l’ophtalmologiste et réciproquement.
Il a fallu naturellement limiter cet exposé aux affections comportant, de
façon prédominante, à la fois une symptomatologie dermatologique et des
manifestations oculaires sinon la plupart des maladies auraient été abordées
(notamment les maladies métaboliques dont le diabète, les maladies de
surcharges, les endocrinopathies, dont les dysthyroïdies, de multiples
infections : syndrome de l’immunodéficience acquise [sida], lèpre,
tuberculose, maladie de Lyme, filarioses, leishmanioses, toxoplasmose,
etc).
Dermatoses imposant des soins
ophtalmologiques urgents :
A - Syndrome de Lyell, syndrome de Stevens-Johnson :
Surveillance quotidienne
:
L’érythème polymorphe qui comporte une atteinte cutanée prédominant aux
membres supérieurs, à type de cocardes avec deux ou trois anneaux
concentriques d’évolution potentiellement bulleuse et une atteinte muqueuse
occasionnelle relativement modérée (conjonctivite sur le plan oculaire),
guérissant sans séquelles, est plus volontiers d’origine virale, postherpétique.
Le syndrome de Stevens-Johnson, anciennement nommé ectodermose
pluriorificielle, se traduit par une éruption de cocardes atypiques, maculeuses,
confluentes avec des décollements muqueux.
Il résulte approximativement
des mêmes prises médicamenteuses que le syndrome de Lyell.
Les
complications oculaires sont aussi sévères et fréquentes dans le syndrome de Stevens-Johnson que dans le syndrome de Lyell, bien qu’il semble exister une
corrélation entre leur gravité, le pronostic fonctionnel et l’étendue du
décollement cutané.
Cependant, la frontière nosologique entre un syndrome
de Stevens-Johnson sévère et un syndrome de Lyell modéré est floue.
Il existe
un spectre clinique entre ces différentes entités.
On peut ainsi observer des
érythèmes polymorphes postherpétiques ou/et médicamenteux sévères avec
une importante atteinte muqueuse, des syndromes de Stevens-Johnson
d’origine infectieuse, notamment secondaires à une infection par le
Mycoplasma pneumoniae...
La conjonction d’une infection et d’une prise
médicamenteuse est souvent à l’origine du processus toxidermique (réactions
d’hypersensibilité retardée à médiation cellulaire, accumulation de
métabolites réactifs...).
La conjonctivite est la plus fréquente des manifestations oculaires : elle est
généralement bilatérale, peut être catarrhale, hémorragique, pseudomembraneuse,
membraneuse, purulente lors de surinfection.
Elle s’associe à
un oedème conjonctival (ou chémosis) et des érosions palpébrales.
Une uvéite
antérieure, une kératite peuvent également s’observer en phase aiguë, bien
que plus rarement.
La gravité de l’atteinte oculaire repose sur le risque de
cicatrisation fibrorétractile des conjonctivites pseudomembraneuses,
exposant ensuite à de multiples complications ; le symblépharon
(synéchies conjonctivales) favorise l’entropion (retournement en dedans du
bord libre de la paupière) avec trichiasis (incurvation des cils frottant sur
l’épithélium cornéoconjonctival) pouvant entraîner une ulcération cornéenne
d’autant plus que le film lacrymal est instable et qu’il y a souvent une
xérophtalmie secondaire, puis une kératinisation cornéoconjonctivale.
À la
phase aiguë, le suivi ophtalmologique doit être quotidien afin d’assurer la prévention des surinfections par un lavage oculaire au sérum physiologique
et l’instillation de collyre antibiotique (n’appartenant pas à la classe
médicamenteuse incriminée en cas de toxidermie), le plus souvent de type antistaphylococcique (rifamycine) ou antiseptique sans conservateurs.
La
limitation des adhérences conjonctivopalpébrales s’obtient en luttant contre
la xérophtalmie grâce aux larmes artificielles et à une éventuelle occlusion
palpébrale surtout la nuit, en clivant les synéchies avec une baguette de verre
à bout mousse, en favorisant la cicatrisation avec des pommades
ophtalmiques à la vitamine A.
B - Dermatoses bulleuses :
Risque de synéchies conjonctivales :
La pemphigoïde cicatricielle (anciennement nommée dermite
mucosynéchiante et atrophiante de Lortat-Jacob) est la dermatose bulleuse
qui comporte le plus fréquemment une atteinte oculaire.
Sa prévalence varie,
selon la spécialité du service recruteur, de 50 à 100 % des effectifs des séries
de la littérature.
Le symptôme oculaire le plus fréquent et volontiers initial est
une conjonctivite chronique, généralement bilatérale, sans caractère
spécifique ; les bulles conjonctivales ou cornéennes sont rarement rapportées,
probablement du fait de leur fugacité ; les érosions séquellaires peuvent être
mises en évidence par la fluorescéine sous le filtre bleu de la lampe à fente.
L’évolution se fait progressivement vers une fibrose sous-épithéliale
entraînant un raccourcissement des culs-de-sac conjonctivaux, des
symblépharons entre la conjonctive bulbaire et tarsale, une
xérophtalmie (par occlusion du système lacrymal, réduction du nombre de
cellules à mucus, diminution du clignement), un entropion avec trichiasis
prédominant au tiers interne de la paupière supérieure.
Ces anomalies
engendrent une kératopathie se traduisant par une néovascularisation
cornéenne sous-épithéliale et intrastromale, des opacités cornéennes, une
kératite ponctuée superficielle puis des érosions cornéennes.
La surinfection
à type de blépharoconjonctivite purulente subaiguë et récidivante est ainsi
facilitée, a fortiori au décours d’une corticothérapie locale ; elle expose au
risque d’ulcération cornéenne.
L’« oeil de statue » avec absence de larmes,
trichiasis douloureux, kératinisation complète du revêtement épithélial cornéoconjonctival, fermeture des culs-de-sac conjonctivaux,
ankyloblépharon, constitue le stade terminal de l’atteinte oculaire.
Le diagnostic est posé sur les résultats de l’histologie cutanée et/ou muqueuse
(notamment conjonctivale), mais surtout sur les examens en
immunofluorescence directe (dépôts linéaires d’immunoglobulines G [IgG]
et/ou de C3 ± IgA ± IgM dans la zone de la membrane basale) et indirecte
(présence d’IgG ± IgA dans le sérum) ; car il n’est pas toujours possible
d’effectuer la biopsie d’une bulle récente (décollement à la jonction
dermoépidermique avec infiltrat inflammatoire comportant des éosinophiles)
et l’histologie est souvent peu spécifique.
Les techniques d’immunotransfert
ont permis de confirmer l’hétérogénéité clinique : il existe ainsi des formes
combinées, à la frontière de la pemphigoïde bulleuse (réagissant avec les
antigènes 180 et 230 kDa - desmoplakine I) ou de l’épidermolyse bulleuse
acquise (145 kDa - collagène VII), et des formes oculaires prédominantes
(réagissant avec un antigène de 45 kDa ± épiligrine...).
Les modalités thérapeutiques symptomatiques comportent une hydratation
oculaire (l’emploi de « lentilles pansements », l’occlusion des points
lacrymaux peuvent être utiles) et une prophylaxie des surinfections par
collyres ou pommades antibiotiques et/ou cyclines per os pour lutter contre
les meibomites.
Le traitement du trichiasis est difficile car il se complique
parfois d’aggravation du symblépharon, de kératite ; la cryothérapie semble
préférable à l’électrolyse, au laser ou à la chirurgie.
De même, la cure chirurgicale d’entropion peut accélérer le symblépharon.
Le traitement de fond peut associer une corticothérapie générale (1 mg/kg/j)
à de la dapsone (50 à 150 mg/j) ou à un immunosuppresseur (azathioprine ou
cyclophosphamide 0,5 à 2 mg/kg).
Une atteinte oculaire cicatricielle peut également s’observer dans
l’épidermolyse bulleuse acquise (avec dépôts d’IgG ou/et d’IgA sur le
plancher de la bulle, correspondant à un clivage sous la lamina densa) et dans
certaines formes d’épidermolyses bulleuses génétiques (surtout
l’épidermolyse bulleuse jonctionnelle généralisée létale de Herlitz et la
dermolyse bulleuse dystrophique polydysplasique récessive de Hallopeau-Siemens, mais aussi la dermolyse bulleuse dystrophique hyperplasique
dominante de Cockayne-Touraine, la dermolyse bulleuse dystrophique
albopapuloïde de Pasini, l’épidermolyse bulleuse jonctionnelle généralisée
atrophique bénigne d’Hintner-Wolff et l’épidermolyse bulleuse simple
herpétiforme de Dowling-Méara).
Les manifestations ophtalmologiques de la pemphigoïde bulleuse, de la
dermatose à IgA linéaire et du pemphigus vulgaire sont peu fréquentes et se
traduisent surtout par des conjonctivites d’évolution généralement non
cicatricielle et des érosions des marges palpébrales.
Le pemphigus
paranéoplasique qui associe une symptomatologie à type de pemphigus
vulgaire, de pemphigoïde bulleuse et d’érythème polymorphe, comporte des
lésions oculaires dans plus de la moitié des cas : il s’agit d’une
kératoconjonctivite volontiers surinfectée dont l’évolution peut être
pseudomembraneuse et/ou fibrosante.
C - Érythrodermie
:
Risque d’ectropion :
Certaines étiologies d’érythrodermie, tels le psoriasis, l’eczéma, le
syndrome de Sézary et les érythrodermies ichtyosiformes congénitales,
comportent plus fréquemment une atteinte oculaire et en cas d’évolution
suffisamment longue, la complication majeure que constitue l’ectropion.
L’ectropion se traduit initialement par une éversion exagérée du bord libre
palpébral et des cils, puis il y a perte de contact entre le globe oculaire et la
paupière ou diastasis oculopalpébral.
Il se complique de kératoconjonctivites
à répétition, d’un oedème puis d’une kératinisation de la conjonctive et de la cornée, d’un larmoiement par obstruction canaliculaire. Le traitement est
essentiellement préventif (collyre antibiotique, larmes artificielles, lunettes
protectrices...) ; l’utilisation précoce des corticoïdes locaux peut également
jouer un rôle prophylactique lors d’atteinte inflammatoire des paupières et/ou
des conjonctives.
En cas de chronicité, les techniques de blépharorraphies
(diminuant l’exposition oculaire par raccourcissement de la fente palpébrale)
et de canthoplasties (retendant la paupière sur ses insertions orbitaires)
pourront être proposées, mais elles impliquent la guérison ou la rémission de
la dermatose.
La pustulose exanthématique aiguë généralisée dont le spectre clinique est
parfois à la frontière du psoriasis pustuleux ou du syndrome de Lyell et qui
résulte d’une prise médicamenteuse (bêtalactamines, macrolides,
carbamazépine, paracétamol...) ou/et d’une infection habituellement virale,
comporte exceptionnellement une atteinte oculaire de type conjonctivite.
D - Zona ophtalmique
:
Précocité du traitement antiviral
:
Le zona ophtalmique correspond à l’atteinte cutanéomuqueuse du
territoire du nerf ophtalmique du trijumeau (V1) par le virus varicelle-zona
(VZV) ; cette topographie représente près de 15 % des localisations de zona.
Elle résulte de la réactivation du virus resté latent dans le ganglion neurosensitif de Gasser, sous l’influence de facteurs déclenchants (cancers
notamment hémopathie, traitements immunosuppresseurs ou
chimiothérapies, sida, traumatisme...) ou prédisposants (âges extrêmes,
grossesse...).
Les lésions oculaires s’observent surtout lors d’atteinte de la
branche nasale du V1 qui assure l’innervation sensitive de l’oeil, du tiers
interne de la paupière inférieure, de l’espace intersourcilier, du nez et de la
muqueuse des fosses nasales.
Mais elles peuvent se rencontrer également lors
d’atteinte de la branche frontale (innervant le tiers interne et moyen de la
paupière supérieure et de la conjonctive sous-jacente ainsi que le front
jusqu’au vertex) et de la branche lacrymale (innervant le tiers externe de la
paupière supérieure et de la conjonctive).
Les douleurs cutanées à type de
brûlures, les adénopathies (notamment prétragiennes) précèdent de 24 heures
l’éruption typique vésiculeuse, évoluant en poussée, survenant sur un placard
érythémateux et oedémateux cuisant, bien délimité, presque toujours
unilatéral.
Les vésicules translucides se troublent, deviennent pustuleuses ou
hémorragiques, s’ombiliquent puis se rompent, sont parfois coalescentes,
laissent place à des érosions croûteuses puis des cicatrices déprimées et
dyschromiques, guérissant habituellement en une quinzaine de jours.
La
survenue de manifestations ophtalmologiques est généralement différée par
rapport à l’éruption cutanée ; elles peuvent être, de façon exceptionnelle,
isolées ; elles sont plus fréquentes et plus sévères chez le malade
immunodéprimé.
On peut observer des vésicules conjonctivales éphémères
avec chémosis, une (épi)sclérite, une atteinte cornéenne (40 %) à type de
kératite ponctuée superficielle avec hyperesthésie initiale puis hypoesthésie
(dont la surveillance est capitale en raison du risque d’ulcération
neuroparalytique), d’ulcérations pseudodendritiques, plus rarement de
kératites retardées (10e jour), disciformes volontiers hypertensives ou
interstitielles, pouvant évoluer vers la formation de taies vascularisées.
La
surinfection staphylococcique ou streptococcique des lésions est possible.
Les
uvéites antérieures (10 %) sont volontiers hémorragiques, hypertensives ou synéchiantes et génèrent des glaucomes secondaires.
L’atteinte du segment
postérieur est plus rare et souvent tardive et peut se traduire par une choriorétinite non spécifique, une rétinite nécrosante surtout chez le sujet
immunodéprimé, de rares occlusions vasculaires.
Les paralysies
oculomotrices, notamment du nerf moteur oculaire commun (III), sont
relativement fréquentes (10 %) et généralement régressives.
Les paupières
peuvent être le siège de cicatrices rétractiles favorisant un entropion avec
trichiasis ou bien un ectropion.
Les douleurs post-zostériennes, dues à la
destruction des gaines de myéline par le virus, sont fréquentes dans cette
topographie et de durée plus prolongée chez le sujet âgé.
Le diagnostic clinique est conforté par le cytodiagnostic de Tzanck pratiqué
sur les vésicules palpébrales ou nasales, révélant un effet cytopathogène.
Les
techniques d’immunofluorescence directe, d’immunoperoxydase, permettent
la mise en évidence de l’antigène VZV ; l’isolement du virus sur culture
cellulaire affirme l’infection.
Le zona avec atteinte oculaire doit être systématiquement traité avec, outre la
pommade ophtalmique d’aciclovir, un antiviral systémique. L’aciclovir
(Zoviraxt) (800 mg 5 fois/j durant 7 jours) reste le traitement standard.
L’instauration du traitement doit être le plus précoce possible (théoriquement
avant la 72e heure suivant le début des manifestations cliniques) afin de limiter
les complications oculaires et de diminuer le risque de survenue de douleurs
post-zostériennes.
Chez le sujet immunodéprimé, l’aciclovir doit être
introduit en perfusion intraveineuse (IV) à raison de 10 à 15 mg/kg toutes les
8 heures chez l’adulte et 500 mg/m2 chez l’enfant de plus de 3 mois, avec un
relais per os, durant 10 à 15 jours au total ; l’élimination rénale nécessite
l’adaptation de la posologie à la clairance de la créatinine. Du fait de la faible
biodisponibilité de l’aciclovir per os (20 %), le valaciclovir (Zélitrext)
(absorption à 50 %) (2 comprimés 3 fois/j durant 7 jours) est actuellement
préféré.
Des antalgiques parfois majeurs sont associés. Localement, on utilise
en plus des collyres antibiotiques pour prévenir les surinfections.
En conclusion, la consultation ophtalmologique doit être systématiquement
demandée en cas de zona ophtalmique, a fortiori lors d’atteinte de la branche
nasale du V1 (se traduisant volontiers par une éruption vésiculeuse de l’aile
nasale - signe de Hutchinson - ou/et de la partie interne de la paupière
inférieure) car elle peut se compliquer d’une kératoconjonctivite et parfois
d’une uvéite zostérienne.
La gravité de l’atteinte oculaire et l’importance des
séquelles dépendront de la précocité d’instauration du traitement antiviral.
E - Herpès oculopalpébral/syndrome
de Kaposi-Juliusberg :
Kératite dendritique
:
L’atteinte oculaire par le virus herpès est essentiellement due au type 1 mais
peut s’observer également avec le type 2.
La primo-infection herpétique est
volontiers accompagnée d’hyperthermie, d’une adénopathie prétragienne ;
elle se caractérise le plus souvent par une conjonctivite de type folliculaire et,
dans la moitié des cas, une kératite dendritique (en « feuille de fougère »)
douloureuse, généralement unilatérale (parfois bilatérale chez l’atopique),
succédant à une atteinte palpébrale vésiculooedémateuse.
La kératite
peut être également ponctuée superficielle ou bien interstitielle profonde et se
compliquer d’ulcération, de surinfection avec hypopion, d’iridocyclite, de
glaucome secondaire.
L’herpès récurrent oculaire résulte, comme le zona,
d’une réactivation du virus demeuré à l’état latent dans les ganglions sensitifs et très probablement dans la cornée elle-même ; il se traduit habituellement
par une kératite superficielle dendritique unique ou multiple, d’extension
géographique, qui contre-indique absolument les corticoïdes locaux (risque
de perforation cornéenne) ; plus rare, la kératite disciforme, correspondant à
un oedème du stroma cornéen d’origine immunologique, peut au contraire
bénéficier d’un collyre corticoïde.
L’uvéite herpétique est moins fréquente et
peut se traduire par un simple phénomène de Tyndall, par des précipités rétrocornéens associés à une hypertonie oculaire et une dépigmentation
irienne tardive très évocatrice.
Elle est rarement isolée et s’associe
généralement à une kératite, une épisclérite périlimbique.
Le traitement
antiviral repose sur la pommade ophtalmique à l’aciclovir.
En cas de formes
graves, on doit recourir à un traitement systémique à raison de 1 g/j (soit
5 comprimés de 200 mg) durant 7 jours ; dans les formes récurrentes sévères
ou/et fréquentes (> 1 / mois), on pourra proposer une prophylaxie au long
cours (6 à 12 mois) par aciclovir (200 mg) (2 comprimés ´ 2 fois /j) ; lors
d’immunodépression, on préférera la forme IV (5 à 10 mg/kg toutes les
8 heures).
Le syndrome de Kaposi-Juliusberg (ou eczema herpeticum)
correspond à une éruption herpétique ou varicelleuse (ou encore secondaire à
la vaccination contre la variole) disséminée, fébrile avec altération de l’état
général, surinfectant un eczéma généralement atopique en poussée, ou bien
des dermatoses acantholytiques chroniques (maladie de Darier,
pemphigus...).
L’hospitalisation avec perfusion d’aciclovir et prophylaxie
antistaphylococcique est préconisée.
Le cytodiagnostic du plancher vésiculaire coloré au May-Grünwald-Giemsa
permet d’objectiver des cellules de Unna évocatrices de l’infection par un
Herpes viridae ; sa présence est affirmée par la fixation d’anticorps
monoclonaux (HSV1 / HSV2, VZV) ou par une mise en culture du contenu
des vésicules (l’effet cytopathogène se manifeste en 24 à 48 heures).
La
sérologie objective en cas de primo-infection une augmentation significative
des anticorps IgM dosés à 15 jours d’intervalle.
F - OEdème palpébral
:
Angio-oedème, infections sévères des parties molles
:
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un symptôme dermatologique mais
plutôt d’une manifestation clinique frontière entre plusieurs spécialités qui
peut mener vers l’ophtalmologiste alors qu’il s’agit d’une urticaire ou
d’un eczéma, ou vers le dermatologue alors que la cause est ophtalmique (blépharochalasis par exemple).
Certaines étiologies (angiooedème,
cellulite...) nécessitent un traitement urgent en raison de leur extension
possible et d’un risque létal.
Il importe de distinguer l’oedème palpébral de
l’exophtalmie et d’analyser ses caractéristiques (bi- ou unilatéralité,
inflammation, infiltration, lésions cutanées, prurit, manifestations à distance,
modalités évolutives).
Il peut se traduire en cas de chronicité par un faux
ptôsis réversible ou des poches palpébrales avec modification du tissu cutané,
notamment par lésions de grattage.
Il importe d’insister particulièrement sur les infections sévères des parties
molles, car outre le risque fonctionnel visuel (kératite d’exposition par
lagophtalmie, compression du globe oculaire potentiellement responsable
d’occlusions vasculaires rétiniennes, de neuropathie optique et de
complications pressionnelles intraoculaires...), elles peuvent se compliquer
d’une thrombose du sinus caverneux mais aussi d’un choc septique, d’où
l’urgence de l’antibiothérapie intraveineuse adaptée et d’un éventuel geste
chirurgical (drainage d’un abcès, excision des tissus nécrotiques, exérèse d’un
corps étranger...).
La cellulite préseptale est une infection des tissus sous-cutanés de la paupière
en avant du septum orbitaire qui constitue une barrière anatomique.
Elle peut
survenir après traumatisme local, orgelet, dacryocystite, érysipèle ou être
secondaire à une dissémination hématogène (notamment lors de sinusite
ethmoïdale).
Les germes impliqués sont essentiellement Staphylococcus
aureus et Streptococcus pyogenes chez l’adulte, Haemophilus influenzae et
Streptococcus pneumoniae chez l’enfant.
L’évolution peut se faire vers la
cellulite orbitaire rétroseptale et/ou l’abcédation, ou encore vers la fasciite
nécrosante plus volontiers due à une co-infection par un streptocoque du
groupeAet par S aureus.
Dermatose nécessitant une exploration
ophtalmologique systématique contribuant
à l’affirmation du diagnostic et au bilan
d’extension :
A - Sclérose tubéreuse de Bourneville :
Phacome rétinien
:
C’est une affection congénitale héréditaire à transmission autosomique
dominante, de pénétrance et d’expressivité variables, de fréquence
relativement importante (1/30 000 naissances ; 30 % des cas sporadiques).
Les phacomes rétiniens, présents dans près de la moitié des cas sont
asymptomatiques ; découverts au fond d’oeil en zone péripapillaire
(classiquement aspect d’amas de « grains de tapioca » ou d’« oeufs de saumon
») ou à l’angiographie, ils correspondent histologiquement à des
hamartomes astrocytaires.
On peut également observer des zones hypopigmentées rétiniennes et iriennes.
B
- Neurofibromatose :
Nodule de Lisch, gliome du nerf optique
:
La neurofibromatose, maladie à transmission autosomique dominante mais
génétiquement hétérogène, de pénétrance variable et d’expressivité très
diverse, de fréquence importante (1/3 000 naissances ; 50 % des cas
sporadiques), comporte au moins deux formes :
– le type I, ou forme périphérique, ou maladie de von Recklinghausen,
représentant neuf malades sur dix, résulte d’une anomalie du chromosome
17 ;
– le type II, ou forme centrale, est lié à une anomalie du chromosome 22.
Les nodules iriens de Lisch constituent la manifestation oculaire la plus
fréquente et pathognomonique de la maladie.
Ils correspondent à des amas de
mélanocytes et de cellules gliales.
Ils se traduisent par des maculopapules
iriennes pigmentées ou transparentes, visibles parfois à l’« oeil nu »
ou sinon objectivables à la lampe à fente.
Inconstants avant l’âge de 6
ans, ils sont presque toujours présents par la suite.
Le névrome plexiforme de
la paupière supérieure est également fréquent (25 %) et très évocateur de
neurofibromatose ; sa palpation caractéristique donne l’impression d’un «
paquet de vers » ou d’une « pelote de ficelle ».
Il peut se compliquer
d’un ptôsis asymétrique par dermatolyse palpébrale et s’associer dans la
moitié des cas à un glaucome (qui pourrait résulter d’une gêne à l’écoulement
de l’humeur aqueuse, en raison de l’épaississement neurofibromateux du
trabéculum ou du corps ciliaire).
Une dégénérescence maligne est possible
mais exceptionnelle.
L’association d’un névrome plexiforme de la paupière à
une buphtalmie par glaucome congénital et à une hémihypertrophie du massif
facial constitue le syndrome de François.
Il importe de savoir dépister un
gliome du nerf optique (et/ou du chiasma) (10 %) avant l’apparition de
l’exophtalmie, sur une amputation du champ visuel, une baisse de l’acuité
visuelle, un oedème ou une atrophie papillaire au fond d’oeil ; le scanner et
surtout l’imagerie par résonance magnétique nucléaire visualisent la
dilatation du nerf optique ; son traitement reste controversé (abstention,
radiothérapie, chirurgie).
On peut observer également des hamartomes
choroïdiens (élevures jaune-brun).
L’incidence du mélanome choroïdien
serait plus élevée au cours de la maladie de von Recklinghausen que dans la
population générale.
C - Pseudoxanthome élastique
:
Stries angioïdes :
Le pseudoxanthome élastique comporte, dans plus de trois quarts des cas, des
stries angioïdes visibles au fond d’oeil (qui a souvent un aspect irrégulier en «
peau d’orange ») ; elles correspondent à des déhiscences de la membrane de
Bruch, et apparaissent comme des stries rouge-orange à gris-brun, divergeant
de façon radiaire à partir d’un cercle gris péripapillaire sans dépasser
l’équateur ; elles prédisposent à l’envahissement de l’espace sousrétinien
par des néovaisseaux d’origine choroïdienne, qui favorise une
dégénérescence maculaire exsudative et hémorragique précoce.
Les stries angioïdes ne sont pas spécifiques du pseudoxanthome élastique et peuvent
ainsi s’observer dans le syndrome de Marfan, le syndrome d’Ehlers-Danlos,
la maladie de Paget, la drépanocytose, l’hyperphosphatémie et le saturnisme.
Le traitement par photocoagulation au laser ne fait que retarder la perte de la
vision centrale.
Le dépistage de cette affection hétérogène de transmission
autosomique récessive ou dominante, liée à un déficit moléculaire du tissu
élastique, est fondamental en raison du risque létal vasculaire ischémique ou
hémorragique lié à l’atteinte des fibres élastiques des parois des artères.
D - Angiomatoses neuro-oculaires :
Valeur prédictive du territoire V1
:
Le syndrome de Sturge-Weber-Krabbe se définit par l’association d’une
malformation capillaire cutanée de type angiome plan (dit « flammeus »),
localisée sur le territoire de la branche frontopalpébrale du nerf ophtalmique
du trijumeau (V1), d’un angiome leptoméningé homolatéral avec
manifestations neurologiques diverses (épilepsie hémicorporelle,
hémiparésie controlatérale, retard psychomoteur) et d’une atteinte oculaire
(dilatation vasculaire conjonctivale et épisclérale, angiomes choroïdiens ou
rétiniens, glaucome, buphtalmie, décollement de rétine...).
La radiographie
du crâne peut objectiver des calcifications méningées ondulées gyriformes à
double contour.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) révèle
l’anomalie vasculaire cérébrale souvent occipitale.
L’association d’un
angiome plan maxillaire supérieur (V2) à un glaucome est également
classique.
Mais l’atteinte angiomateuse cutanée des territoires V2 ou V3
(maxillaire inférieur) sans atteinte du V1, n’est pas associée à une atteinte
leptoméningée. Le syndrome de Blanc-Bonnet-Dechaume comporte un
angiome artérioveineux médiofrontal et un anévrysme cirsoïde de la rétine et
du tronc cérébral.
E - Hémangiome et lymphangiome
à localisation palpébrale :
Risque fonctionnel :
Un hémangiome palpébral peut, même lorsqu’il est de petite taille et ne gêne
pas directement la vision, déformer la cornée et créer un astigmatisme.
Lorsqu’il est volumineux, il peut entraîner une occlusion visuelle (ou déprivation) avec risque d’amblyopie, gêner l’action des muscles
oculomoteurs, créer une diplopie, une exophtalmie, favoriser des troubles de
réfraction, un strabisme, une kératite par lagophtalmie du fait d’une
inocclusion palpébrale.
Le scanner avec injection et/ou l’angio-IRM facilitent
sa délimitation.
La plupart des hémangiomes régressent spontanément en
quelques années.
En cas d’hémangiomes alarmants menaçant la fonction
visuelle, une corticothérapie générale à raison de 1 à 2 mg/kg/j de prednisolone est maintenue durant 1 mois à pleine dose puis lentement
diminuée sur plusieurs mois.
L’interféron alpha 2a semble une alternative en
cas d’échec mais une régression n’est observée qu’après plusieurs mois de
traitement.
La corticothérapie intralésionnelle sous anesthésie générale
(combinant l’injection d’acétate de triamcinolone et de phosphate de
bétaméthasone) est efficace mais non dénuée de complications à type
d’atrophie ou de nécrose palpébrale, plus rarement d’hémorragie
rétrobulbaire ou de thrombose vasculaire.
L’embolisation et la chirurgie sont
périlleuses et doivent être réservées aux formes sévères résistantes et être
réalisées par des équipes multidisciplinaires expérimentées.
Le lymphangiome n’est pas encapsulé et par conséquent il infiltre les tissus.
D’évolution progressive et non régressive, contrairement aux hémangiomes,
il peut se traduire par une exophtalmie réductible ou une infiltration
palpébrale avec ptosis. Hormis une exérèse chirurgicale large, difficilement
possible dans cette localisation, il n’y a pas de thérapeutique efficace.
F - Albinismes :
Correction du strabisme et photoprotection :
La classification des albinismes est basée sur le mode de transmission
génétique et sur la capacité de synthèse de la mélanine exprimée par la
présence de tyrosinase lors du test d’incubation des bulbes pilaires (dans une
solution de tyrosine).
L’albinisme peut comporter une dépigmentation
cutanée, phanérienne (leucotrichie) et oculaire ou bien toucher de façon
prédominante l’oeil.
Sa prévalence est estimée à 1/15 000 habitants.
L’examen ophtalmologique de l’enfant albinos est fondamental en raison du
risque majeur d’amblyopie.
Mais parfois, du fait de la difficulté d’évocation
des albinismes à la naissance, c’est l’absence de réponse aux stimuli visuels
qui attire l’attention.
Dès l’éveil visuel (6 à 12 mois), un nystagmus, une
photophobie, une amblyopie, un strabisme vont se constituer.
La transillumination lors de la recherche du réflexe pupillaire donne un reflet
rouge diffus à la pupille lorsque l’iris est diaphane ou translucide.
L’absence
de reflet fovéolaire et de pigmentation maculaire définissent l’hypoplasie
fovéale.
La démarche thérapeutique est surtout prophylactique avec une photoprotection (verres teintés) et une (ré)éducation oculaire (correction du
strabisme, des troubles de réfraction...).
D’autres syndromes plus rares peuvent comporter une hypopigmentation
cutanée et oculaire : l’albinoïdisme oculocutané autosomique dominant de
Donaldson-Fitzpatrick, ou punctiforme de Bergsma et Kaiser-Kuppfer, le
syndrome d’Apert, le syndrome de Menkes, le syndrome de Waardenburg
(mèche blanche frontale, hypomélanose des cils, des sourcils et parfois de la
pilosité corporelle, canitie précoce, dystrophie canthale, hypochromie
irienne, surdité), le syndrome de Vogt-Harada-Koyanagi.
G - Syndrome d’Ehlers-Danlos, maladie de Marfan :
Ectopie du cristallin
:
Le syndrome d’Ehlers-Danlos regroupe plusieurs formes d’affection
héréditaire du tissu conjonctif.
Les types I, II et III comportent surtout des manifestations cutanées à type d’hyperélasticité pouvant concerner les
paupières (facilitant leur retournement : signe de Métenier) et articulaires
(hyperlaxité avec risque de luxation).
Le type IV se caractérise par une
importante fragilité vasculaire (pouvant se compliquer notamment
d’hémorragie choroïdienne) et peut comporter dans sa forme de type acrogéria une proéminence oculaire.
Le type VI (fragilitas oculi) se
singularise par une importante fragilité oculaire pouvant se traduire par des
ecchymoses palpébrales, un ptosis, un épicanthus, un strabisme, un
kératocône ou une microcornée, une myopie, des stries angioïdes, une
dégénérescence maculaire au fond d’oeil.
Le risque majeur est la rupture
cornéenne post-traumatique et le décollement de rétine.
La subluxation du
cristallin et les sclérotiques bleues ne sont pas spécifiques puisqu’elles
s’observent aussi dans la maladie de Marfan ; cette maladie héréditaire
autosomique dominante, due à un déficit en fibrilline, peut comporter
également un glaucome secondaire à l’ectopie du cristallin, une myopie, un
décollement de rétine, plus rarement une hétérochromie irienne.
Dermatoses et affections systémiques
à tropisme ophtalmologique :
Les affections systémiques à tropisme dermatologique ou certaines
dermatoses chroniques comportent souvent des manifestations oculaires
justifiant une consultation ophtalmologique à visée diagnostique (atteinte
ophtalmique participant aux critères diagnostiques), thérapeutique ou/et
prophylactique (lorsque notamment les thérapeutiques dermatologiques
peuvent aggraver la symptomatologie oculaire).
A - Dermatite atopique :
C’est un eczéma constitutionnel évoluant sur un mode chronique ou par
poussées récidivantes, survenant sur un terrain génétiquement prédisposé.
L’atopie se caractérise par une sécrétion excessive d’IgE en réponse à des
stimuli allergéniques « naturels » entrant en contact avec l’organisme par des
« voies naturelles ».
Ce terrain favorise également le développement d’asthme
et/ou d’une rhinite allergique et/ou d’une conjonctivite chez un même malade
ou de façon dissociée chez un ou plusieurs membres de sa famille.
Le diagnostic de dermatite atopique est donc essentiellement clinique et basé
sur des critères comportant notamment des manifestations oculaires.
Le double pli palpébral inférieur, généralement bilatéral, décrit par Dennie, repris par Morgan, est de fréquence et de spécificité très variables
selon les études ; sa prévalence est d’autant plus grande que la paupière est
elle-même touchée par l’eczéma.
Il constituerait tout de même un bon
marqueur prédictif d’atopie, de même que l’hyperpigmentation périorbitaire
ou « regard sombre des atopiques ».
Le signe de Hertoghe consistant en un
amincissement ou l’absence de bords latéraux des sourcils est plus faiblement
corrélé à l’atopie.
Il faut le distinguer de la dépilation des cils et/ou
des sourcils (ou madarose) des kératoses pilaires (notamment de l’ulérythème
ophryogène), de la perte de la « queue » des sourcils temporaire de la syphilis
secondaire, définitive de la lèpre lépromateuse, ainsi que des dépilations après
pelade décalvante, folliculite bactérienne, teigne, infiltration
(myxoedème de dysthyroïdie, mucinose notamment associée aux lymphomes,
lipoprotéinose de Urbach etWiethe) ou bien après trichotillomanie.
L’atteinte
conjonctivale allergique à type d’hyperplasie papillofolliculaire tarsale, bien
que survenant sur un terrain atopique, n’est pas systématiquement associée à
la dermatite atopique.
On peut observer des passages de l’une à l’autre de ces
manifestations atopiques comme pour l’asthme.
Elle apparaît plutôt chez le
malade adulte et est associée à une rhinite dans un tiers des cas.
Toujours
bilatérale, elle associe un prurit ou des brûlures oculaires, un oedème palpébral
et conjonctival, un larmoiement avec importantes sécrétions mucoïdes, une
photophobie, une hyperhémie conjonctivale.
Il est difficile de la distinguer de
la conjonctivite chronique ou perannuelle, de la conjonctivite aiguë saisonnière ou semi-printanière d’autant plus qu’elles peuvent être rythmées
parles mêmes allergènes.
Dans tous les cas, on peut observer une élévation
des IgE dosées dans les larmes grâce à des bandelettes de papier filtre.
L’intérêt des tests allergologiques aux pneumallergènes (pollens, acariens,
poussières, poils d’animaux...) repose sur l’éviction de l’allergène ou/et la
désensibilisation spécifique.
On peut observer plus rarement une hyperhémie
limbique avec des nodules de Trantas (chez le sujet mélanoderme),
correspondant à des dépôts d’éosinophiles, ou des formes sévères avec fibrose
sous-épithéliale de la conjonctive et parfois symblépharon.
Le traitement est
difficile et associe antiallergiques systémiques et locaux (antihistaminiques, cromoglycate de sodium, corticoïdes locaux et/ou généraux).
La kératoconjonctivite printanière de l’enfant (dite « vernale ») se distingue par
l’atteinte pavimenteuse bilatérale et souvent asymétrique des conjonctives
tarsales, préférentiellement supérieures.
Les lésions palpébrales à type de blépharite chronique, volontiers
compliquées de chalazions ou surinfectées par S aureus, sont fréquentes chez
l’atopique.
Après plusieurs poussées de blépharoconjonctivites parfois
surinfectées par le virus Herpès, on peut observer une kératite ponctuée
superficielle puis des séquelles à type de taie ou leucome vascularisé, de
pannus périphérique puis diffus, d’ulcération cornéenne...
Le kératocône
(correspondant à une ectasie avec amincissement cornéen, en l’absence
d’atteinte de la transparence tissulaire) serait favorisé par l’inflammation
oculaire chronique et le prurit, et serait observé chez plus de 1 % des
adolescents atteints de dermatite atopique.
Une cataracte généralement
bilatérale, de début sous-capsulaire postérieure ou antérieure, serait observée
dans près de 10 % des dermatites atopiques après une dizaine d’années
d’évolution.
Liée à l’origine ectodermique du cristallin, elle était connue bien
avant l’introduction des corticoïdes locaux ou généraux qui peuvent favoriser
son apparition ou accélérer son évolution.
Le décollement de rétine ne serait
pas significativement plus fréquent dans l’atopie.
B - Rosacée ou/et dermite séborrhéique :
Blépharite et xérophtalmie :
La prévalence de l’atteinte oculaire dans la rosacée est élevée et volontiers
sous-estimée en raison de la fréquente modération des symptômes.
Généralement, les signes oculaires surviennent plusieurs mois après les
manifestations cutanées typiques de rosacée (50 %des cas) ou simultanément
(plus d’un quart des cas) et leur fréquence serait corrélée à l’existence de flush
important ; l’atteinte oculaire précède les lésions cutanées dans moins d’un
quart des cas.
Il est difficile d’affirmer l’existence de formes purement et
durablement oculaires, car la symptomatologie ophtalmique n’est pas
spécifique et c’est l’apparition des lésions cutanées qui fait habituellement
porter le diagnostic rétrospectivement.
La rosacée palpébrale s’exprime par
un érythème des paupières et une hyperhémie conjonctivale en cas de flush,
par l’apparition de télangiectasies, plus rarement par des papulopustules et
exceptionnellement par une forme hypertrophique ou blépharophyma.
Fréquente, la blépharite chronique s’associe volontiers à une conjonctivite
papillaire ; l’inflammation de la glande de Meibomius se traduit par
l’accumulation du meibum sur le versant postérieur de la marge palpébrale
épaissie et érythémateuse.
Elle favorise la survenue de chalazions et
prédispose aux infections staphylococciques.
On observe souvent une
xérophtalmie de degré très variable (se traduisant par un prurit, une gêne lors
des mouvements palpébraux ou une sensation de corps étranger) due à une
altération quantitative et qualitative du film lacrymal.
Le test de Schirmer
serait anormal dans près d’un tiers des cas.
On note plus rarement une
(épi)sclérite, une kératite ponctuée superficielle pouvant se compliquer
d’ulcération cornéenne, d’uvéite à hypopion.
La kératite interstitielle
récidivante se localisant aux deux tiers inférieurs de la cornée, évoluant vers
une cicatrice triangulaire à base limbique, serait très évocatrice de rosacée.
Le traitement le plus efficace demeure l’antibiothérapie prolongée (2 à 8 mois)
par cyclines aux mêmes doses que celles prescrites dans l’acné ou par
macrolides en cas de contre-indication ; l’application palpébrale de
compresses chaudes, le lavage quotidien par des lotions oculaires ou un
shampooing doux dilué, l’utilisation de pommade antibiotique ophtalmique
sont des thérapeutiques classiques mais non validées.
La corticothérapie
locale ne doit être utilisée, dans les formes mineures, que sur une période
courte en phase initiale.
Dans les inflammations sévères (kératite
interstitielle), son utilisation est licite après exclusion d’un processus
infectieux. Le métronidazole topique n’a pas l’autorisation de mise sur le
marché pour cette topographie bien qu’il y semble efficace.
Un traitement par kétoconazole par voie orale ou en topique (en évitant cependant le contact
direct avec la muqueuse conjonctivale) peut être utile, d’autant plus que le
principal diagnostic différentiel est la blépharite de la dermite séborrhéique,
l’association ou les formes frontières entre rosacée et dermite séborrhéique
n’étant d’ailleurs pas exceptionnelles.
De même, l’application d’une
pommade à l’oxyde de mercure à 1 %et le nettoyage des cils (élimination des
manchons) permettent de limiter l’infestation ciliaire par les Demodex folliculorum.
Il ne faut pas la confondre avec la phtiriase ciliaire (les lentes
sont fixées sur les cils), même si le traitement est identique, car
celle-ci peut s’associer à une maladie sexuellement transmissible en raison
du mode de contamination.
C - Ichtyoses et autres affections génétiques ou/et
métaboliques à tropisme oculocutané potentiel
:
Les troubles généralisés de la kératinisation entraînent du fait de l’atteinte
palpébrale un ectropion de type cicatriciel avec lagophtalmie.
Le tableau le
plus typique est celui du « bébé collodion » avec peau vernissée, tendue,
éversion bilatérale des paupières inférieures et supérieures, blépharoconjonctivite érythématosquameuse avec possibilité de
kératinisation cornéenne ; l’évolution peut se faire vers l’érythrodermie ichtyosiforme congénitale sèche, vers l’ichtyose lamellaire ou, plus rarement,
vers la guérison spontanée ou après traitement par rétinoïdes.
De nombreuses autres affections génétiques ou/et métaboliques rares peuvent
comporter des manifestations cutanéomuqueuses, phanériennes et
ophtalmiques prédominantes ou non ; il serait trop long de toutes les énumérer
et nous nous limiterons à un tableau synthétique.
D - Psoriasis
:
Rechercher l’HLAB27 :
Les manifestations ophtalmologiques sont peu fréquentes et surviennent
surtout dans le cadre du rhumatisme psoriasique, notamment avec atteinte
axiale sur un terrain HLA B27 (human leucocyte antigen).
Par ordre de
fréquence décroissante, on décrit une conjonctivite, une iridocyclite, une
panuvéite, une épisclérite ou une kératoconjonctivite sèche.
L’uvéite avec hypopion résulterait de l’hyperactivation des neutrophiles.
Les
manifestations oculaires du psoriasis sont en fait plus souvent dues aux
thérapeutiques utilisées, surtout les rétinoïdes, parfois la PUVAthérapie
lorsque les mesures de protection ne sont pas correctement suivies.
Cette association est à rapprocher du syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter
(d’autant plus que le psoriasis est volontiers pustuleux lors d’uvéite).
Ce
syndrome associe classiquement une uréthrite non gonococcique (le plus
souvent à Chlamydia trachomatis) ou une diarrhée infectieuse (Shigella
flexneri, Salmonella, Yersinia, Campylobacter...) précessives de 1 à
3 semaines, une arthrite dite réactionnelle (ce qui signifie théoriquement que
la ponction articulaire est bactériologiquement stérile) ou/et une
enthésopathie ou/et une sacro-iliite (pouvant évoluer vers une pelvispondylite
rhumatismale, surtout en présence d’HLA B27), une conjonctivite bilatérale
aiguë papillaire et mucopurulente, plus tardive et spontanément résolutive,
plus rarement une kératite ponctuée superficielle, une iridocyclite, une
(épi)sclérite, une uvéite postérieure.
Les manifestations cutanées peuvent
comporter une balanite circinée, une hyperkératose surtout plantaire d’aspect
psoriasiforme, un érythème noueux en cas de yersiniose.
Le traitement
comporte une antibiothérapie adaptée, un anti-inflammatoire non stéroïdien
ou la sulfasalazine, et sur le plan oculaire une corticothérapie locale.
E - Exanthèmes fébriles avec énanthème
Penser au syndrome de Kawasaki :
Les manifestations ophtalmiques des infections congénitales (rougeole,
varicelle, rubéole, syphilis...) ne seront pas abordées ; seule l’atteinte oculaire
accompagnant les manifestations cutanées à type d’exanthème ou d’éruption
diffuse des principaux agents infectieux sera évoquée.
La rougeole comporte
généralement une catarrhe oculonasale avec photophobie, conjonctivite
parfois associée à une kératite superficielle rapidement résolutive ; l’uvéite,
la choriorétinite, la névrite optique ou les occlusions veineuses rétiniennes sont rares.
La rougeole constitue en Afrique la première cause de cécité chez
l’enfant en raison des surinfections, de la malnutrition avec carence en
vitamine A, favorisant les ulcérations cornéennes suivies d’opacification.
La
rubéole de l’enfant et de l’adulte peut comporter également une kératoconjonctivite modérée et régressive ; de rares cas de papillites et de
rétinopathies ont été décrits.
La mononucléose infectieuse ne comporte que
rarement un exanthème spontané ; généralement il complique une prise
médicamenteuse, notamment de pénicilline A.
Elle entraîne volontiers un
oedème palpébral (signe de Hoaglang), parfois une conjonctivite, plus
rarement des douleurs lors des mouvements oculaires ou une kératite.
Si les adénoviroses ayant un tropisme oculaire (syndrome fébrile
pharyngoconjonctival et kératoconjonctivite épidémique) comportent
rarement un exanthème, les éruptions cutanées maculopapuleuses fébriles
liées aux
Adénovirus sont fréquemment associées à un énanthème avec
notamment conjonctivite.
On décrit également des manifestations oculaires
lors de mégalérythème lié au Parvovirus B19 (chémosis), de scarlatine
(conjonctivite exsudative), d’exanthème subit (oedème des paupières
supérieures précessif et fugace), de rickettsiose (à type de conjonctivite
notamment lors de fièvre pourprée des montagnes Rocheuses, lors de fièvre
boutonneuse méditerranéenne (Rickettsia conori] ou lors de fièvre Q
[Coxiella burnetti] a fortiori lorsque la conjonctive constitue la porte d’entrée
du germe).
La primo-infection du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) peut être
révélée par un exanthème fébrile, fugace maculeux et/ou papuleux, touchant
le tronc, la face mais aussi parfois les membres, les paumes et les plantes
pouvant simuler une roséole syphilitique.
L’énanthème est essentiellement
buccal, touchant le palais osseux sans hypertrophie amygdalienne, pouvant
comporter des micro-ulcérations gingivolinguales, palatines ou
oesophagiennes.
Ces ulcérations peuvent s’observer également sur les semimuqueuses
ou le versant cutané des organes génitaux, de l’anus.
Une
photophobie, des douleurs rétro-orbitaires sont décrites mais généralement
dans le cadre d’une méningoencéphalite ou d’un méningisme.
En revanche,
la conjonctivite n’est paradoxalement pas rapportée dans la littérature.
Lors
de sida avéré, de nombreuses manifestations oculaires infectieuses parfois
opportunistes, des tumeurs à localisation (péri-)orbitaire (sarcome de Kaposi, lymphome) ou des anomalies telle l’hypertrichose ciliaire acquise
sont décrites, mais ne seront pas développées dans le cadre de ce travail.
La syphilis secondaire comporte outre une riche symptomatologie cutanéophanérienne (roséole, syphilides palmoplantaires, plaques muqueuses
génitales ou buccales - glossite dépapillante -, alopécie en clairière
occipitotemporale...) de nombreuses manifestations oculaires (perte de la
« queue » des sourcils, conjonctivite, sclérite nodulaire, dacryoadénite,
kératite interstitielle, choriorétinite multifocale disséminée, nécrose rétinienne aiguë, neuropapillite, paralysie oculomotrice).
La syphilis tertiaire
peut se manifester par des gommes périorbitaires, une sclérite parfois
sclérosante, une pseudorétinopathie pigmentaire, une atrophie optique
progressive et surtout lors de neurosyphilis, un signe d’Argyll-Robertson
(myosis bilatéral avec abolition du réflexe photomoteur et persistance d’un
déclenchement par l’accommodation-convergence).
Les manifestations ophtalmologiques de la varicelle sont rares ; la blépharite
constituée par l’éruption vésiculeuse du bord libre palpébral peut se
compliquer de nécrose.
La conjonctivite folliculaire, la kératite épithéliale
ponctuée ou parfois dendritique peuvent être suivies tardivement d’une
kératite disciforme.
La maladie de Kawasaki, ou syndrome adénocutanéomuqueux, est une
vascularite systémique qui résulterait d’une activation du système
immunitaire et de l’endothélium par des superantigènes ou des toxines
d’origine bactérienne ou bien des agents viraux.
Elle se définit par l’apparition
surtout chez le jeune enfant (moins de 5 ans), dans un contexte endémoépidémique, d’un accès fébrile inaugural à 39-40 °C durant plus de
5 jours, avec altération de l’état général, d’une conjonctivite bulbaire
bilatérale hémorragique (sans exsudat, sans photophobie), d’une chéilite très
érythémateuse, fissuraire, hémorragique, avec stomatite framboisée et
pharyngite érythémateuse, d’adénopathies cervicales.
Un érythème palmoplantaire avec oedème inflammatoire et douloureux apparaît vers le
troisième jour, se généralise sur le tronc, la région périnéale, sous forme de
maculopapules parfois polymorphes, évolue par rash durant 10 à 15 jours,
puis est suivi d’une desquamation fine de l’extrémité des doigts.
Sur le plan
ophtalmologique, on peut observer, durant la première semaine, une uvéite
antérieure, plus rarement postérieure, régressant sans séquelles.
La gravité de
cette affection tient à l’atteinte cardiaque potentielle à type de troubles de la
conduction ou du rythme (myocardite avec risque de mort subite), de
péricardite ou d’endocardite, d’anévrysmes artériels notamment coronariens
survenant de façon retardée.
Le traitement comporte une perfusion continue
durant 10 heures d’immunoglobulines (2 g/kg) à réaliser avant le dixième
jour, de l’acide acétylsalicylique (100 mg/kg/j en phase aiguë puis dégression
à 5 mg/kg/j jusqu’à disparition du syndrome inflammatoire, de la thrombocytose, des anomalies électrocardiographiques et échocardiographiques).
F - Dermatoses neutrophiliques :
« OEil rouge et dermatose fébrile »
:
La conjonctivite fait partie des critères de diagnostic de la maladie de Sweet
ou dermatose neutrophilique aiguë fébrile.
L’épisclérite qui résulte
d’une réaction d’hypersensibilité retardée (responsable des formes granulomateuses subaiguës ou chroniques) ou/et d’une infection pyogénique
(conduisant aux formes suppurées) ainsi que l’iritis sont des manifestations
méconnues, probablement sous-estimées de la maladie de Sweet.
Ces
manifestations oculaires peuvent être les symptômes précurseurs de la
maladie ; elles régressent avec le traitement de la dermatose (le plus souvent
basé sur une corticothérapie générale, des anti-inflammatoires non stéroïdiens
- indométacine - ou encore de la dapsone) et bénéficient d’application de
corticoïdes locaux.
L’hidradénite neutrophilique eccrine comporte volontiers
des localisations périorbitaires.
Le pyoderma gangrenosum est
rarement localisé à l’appareil oculaire.
G - Maladie de Behçet :
Risque thrombotique
:
La maladie de Behçet se définit selon les critères internationaux de diagnostic
établis en 1990 (sensibilité et spécificité supérieures à 90 %) par la survenue
d’ulcérations orales récurrentes (récidivant plus de trois fois en 12 mois) et
d’au moins deux des manifestations suivantes : ulcérations génitales
récurrentes, lésions oculaires, lésions cutanées, test de pathergie positif.
L’atteinte oculaire est très fréquente (plus de 50 %) et conditionne le pronostic
fonctionnel, de la même façon que les atteintes neurologiques centrales
auxquelles elle est corrélée conditionnent en grande partie le pronostic vital.
L’uvéite antérieure à hypopion est classique mais ne constitue pas l’atteinte
la plus fréquente (25 %).
Rarement observée d’emblée, l’iridocyclite
affecte un ou deux yeux, successivement ou alternativement, avec un
hypopion volontiers discret, fugace et récidivant ; elle est parfois
granulomateuse (15 %) mais souvent asymptomatique.
En fait, le signe le
plus précoce et probablement le plus fréquent, sous-évalué dans les
statistiques, est la hyalite (inflammation vitréenne), secondaire à une uvéite
intermédiaire ou postérieure (choriorétinite), à une vascularite ou à une
neuropapillite.
Les lésions vasculaires rétiniennes inflammatoires
caractéristiques affectent en priorité les veines sous forme de périphlébites,
pouvant se compliquer d’occlusions avec ischémie rétinienne et néovascularisation secondaire.
Elles sont à prédominance périphérique, bien
objectivées en angiographie rétinienne si la transparence vitréenne le permet.
Le nerf optique peut être le siège d’une atteinte inflammatoire ischémique ou
oedémateuse. Les atteintes neuro-ophtalmologiques (paralysies
oculomotrices, atteintes des voies optiques), la kératite, l’(épi)sclérite, les
conjonctivites récidivantes sont plus rares.
Le traitement est difficile et la colchicine (1 à 2 mg/j), la Disulonet
(100 mg/j), le thalidomide (100 à 200 mg/j), utiles dans les formes buccales
et articulaires, sont souvent insuffisants dans les formes oculaires où il faut
recourir à la corticothérapie générale (bolus de méthylprednisolone : 1 g IV
sur 3 heures/3 j, initialement dans les formes graves et évolutives puis
prednisolone 1 mg/kg/j/6 semaines puis dégression de 10 % toutes les 1 à
2 semaines pour obtenir une dose d’entretien entre 10 et 5 mg/j), aux
immunosuppresseurs (cyclophosphamide 2 mg/kg/j per os ou 750 mg à 1 g
en bolus IV mensuel, azathioprine 2,5 mg/kg/j, chlorambucil 0,1 à
0,2 mg/kg/j, ciclosporine 5 mg/kg/j...) et aux anticoagulants en cas de
thromboses veineuses ou/et artérielles.
H - Syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada :
Le syndrome deVogt-Koyanagi-Harada se caractérise par l’association d’une
uvéite postérieure bilatérale avec hyalite (suivie d’uvéite antérieure
granulomateuse très exsudative et synéchiante avec parfois décollement de
rétine) à une dépigmentation périlimbique et choroïdienne, une poliose (ou
poliosis = dépigmentation des cils, des sourcils, des cheveux ou des poils), parfois un vitiligo (prédominant à la face, notamment aux
paupières de façon symétrique), une alopécie ou/et une hypoacousie.
La
survenue après un syndrome méningé fébrile (lymphocytaire à la ponction
lombaire) fait évoquer une origine infectieuse plutôt virale, suivie d’une
réaction immune antimélanocytaire sur un terrain HLA particulier
(population asiatique, hispanique...).
I - Maladies systémiques :
Les manifestations ophtalmiques des maladies systémiques sont très diverses
mais assez rarement révélatrices, hormis le syndrome sec.
L’angioscopie conjonctivale est une exploration séduisante des anomalies
microcirculatoires et pourrait, au même titre que la capillaroscopie
périunguéale, faciliter le diagnostic des vascularites et des connectivites.
1- Xérophtalmie :
Un syndrome sec oculaire peut être évoqué devant une impression de corps
étranger, une brûlure ou un prurit oculaire, une absence de larmoiement ; le
diagnostic est porté grâce à la mesure du temps de rupture du film lacrymal précornéen en arrêt de clignement ou break up time (BUT) ou au test de
Schirmer (consistant à mesurer l’humidification par les larmes d’un papier
filtre, étalonné, déposé dans le cul-de-sac conjonctival inférieur : la normale
est estimée à plus de 5 mm au bout de 5 minutes) ou à l’examen au
biomicroscope après instillation de rose Bengale ou plutôt de vert de
lissamine, moins douloureux (qui colorent les cellules en voie de
kératinisation, les cellules mortes non desquamées et les zones où il existe une
altération du film lacrymal) ou de fluorescéine (permettant en éclairage au
filtre bleu cobalt, de visualiser les complications de la sécheresse
conjonctivale à type de kératite ponctuée superficielle, d’ulcérations ou de
taies cornéennes).
La xérophtalmie peut s’observer dans les pathologies suivantes :
– le syndrome de Gougerot-Sjögren « idiopathique » ;
– la polyarthrite rhumatoïde (30 %) ;
– le lupus érythémateux disséminé (15 %) ;
– la sclérodermie systémique (5 %) ;
– la dermatomyosite, le syndrome de Sharp, le vitiligo, l’anémie de Biermer,
la cirrhose biliaire primitive, la thyroïdite, l’anémie hémolytique autoimmune,
le purpura thrombopénique idiopathique, les hépatites chroniques...
On les distingue des sécheresses oculaires iatrogènes (psychotropes, anticholinergiques, bêtabloqueurs, anti-inflammatoires, D- pénicillamine,
antimitotiques, busulfan, épirubicine, chanvre indien, radiothérapie...), du
syndrome sec des sujets âgés (involution sénile ; absence de syndrome
inflammatoire), des xérophtalmies séquelles de traumatisme,
d’inflammations locales ou d’infections (syndrome de Lyell, sarcoïdose,
réaction du greffon contre l’hôte, rosacée, sida, ichtyoses...), de la carence en
vitamine A qui associe successivement un xérosis conjonctival, une
héméralopie (trouble de la vision nocturne), une kératinisation de l’épithélium
malpighien conjonctival (taches de Bitot : dépôts triangulaires, grisâtres,
situés sur le méridien horizontal de la conjonctive bulbaire), un xérosis
cornéen pouvant se compliquer de perforations et de kératomalacie...
Le traitement symptomatique de la xérophtalmie est basé sur les larmes
artificielles sans conservateur ; une thérapeutique de fond comportant des
antipaludéens de synthèse, une corticothérapie générale ou des
immunosuppresseurs, ne se conçoit que lorsqu’il existe une pathologie autoimmune
sous-jacente, une complication sévère, une cryoglobulinémie avec
atteinte viscérale ou un syndrome lymphoprolifératif.
2- Lupus
:
L’atteinte cutanée en vespertilio du lupus érythémateux disséminé ou en
plaques kératosiques du lupus cutané chronique concerne assez rarement les
paupières.
Une blépharite « lie de vin » photoaggravée peut être observée.
L’hyperhémie conjonctivale est notée lors de syndrome sec avec kératoconjonctivite.
La sclérite nodulaire nécrosante évolue par poussée
aiguë et est le plus souvent unilatérale. L’uvéite est rare et s’accompagne
généralement de vascularite.
Celle-ci comporte une occlusion des artérioles précapillaires (donnant les classiques nodules dysoriques correspondant à des
zones d’exclusion capillaire ne se colorant pas en angiofluorographie), des
microanévrysmes, des décollements exsudatifs, des hémorragies en
flammèche.
Une neuropathie optique ischémique peut survenir et se traduire
par une perte brutale de l’acuité visuelle.
Les occlusions artérielles rétiniennes
multifocales, la thrombose de l’artère centrale de la rétine ou des veines
rétiniennes peuvent s’observer, notamment lors de présence
d’antiphospholipides.
Des atteintes orbitaires (myosite, exophtalmie, ptôsis, paralysie isolée et
transitoire du VI) sont également décrites.
3- Polychondrite chronique atrophiante :
Affection systémique rare, la polychondrite chronique atrophiante associe
une inflammation des cartilages ou chondrite (pouvant concerner les oreilles,
le nez, le larynx, la trachée, les articulations, la trompe d’Eustache...) et des
manifestations cutanées (papulonodules des coudes ; aphtose et
pseudofolliculite dans le cadre du MAGIC syndrome : mouth and genital
ulcers with inflamed cartilage), rénales (glomérulonéphrite), neurologiques
(névrite) ou volontiers ophtalmiques.
L’(épi)sclérite, la (kérato)conjonctivite,
l’iritis les plus fréquentes, sont parfois inaugurales et font partie des critères
mineurs de diagnostic.
On décrit plus rarement un oedème palpébral,
une exophtalmie avec paralysie oculomotrice, une vasculite rétinienne ou une
névrite optique.
4- Sclérodermie :
En dehors de la xérophtalmie, l’atteinte oculaire de la sclérodermie est peu
fréquente et survient généralement lors d’atteinte généralisée ou en cas
d’hémiatrophie faciale de Romberg touchant la zone orbitaire.
On peut alors
observer un rétrécissement des fentes palpébrales ou un ectropion cicatriciel,
un poliosis (blanchiment sourciliociliaire), une hémicanitie suivie d’une
hémicalvitie.
5- Dermatomyosite
:
De même, les manifestations oculaires de la dermatomyosite, hormis
l’érythème lilacé palpébral volontiers photosensible, sont rares et peu
caractéristiques : on décrit une (kérato)conjonctivite, une (épi)sclérite, une
iritis, une vascularite rétinienne, des parésies oculomotrices et un nystagmus
par myosite.
6- Périartérite noueuse (PAN)
:
Bien que ne faisant pas partie des critères de diagnostic, les manifestations
oculaires ne sont pas rares (15 %) et sont parfois inaugurales dans la périartérite noueuse.
Résultant du même processus périartéritique, elles se
traduisent par une choroïdopathie multifocale ischémique, une vascularite
rétinienne, une névrite optique ischémique, une sclérite, une conjonctivite
nécrosante, une ulcération cornéenne, une iritis ou une pseudotumeur
inflammatoire.
7- Embolie des cristaux de cholestérol :
C’est un important diagnostic différentiel de la PANpour lequel l’exploration
ophtalmologique est fondamentale.
La localisation rétinienne d’emboles de
cristaux de cholestérol peut se traduire par des scotomes périphériques
pouvant passer inaperçus, une diminution de l’acuité visuelle, ou lorsque les
emboles proviennent directement de la carotide interne et sont alors de grande
taille, une quadranopsie ou amputation altitudinale du champ visuel, une
cécité définitive après parfois quelques épisodes d’amaurose.
La mise en
évidence au fond d’oeil de formations triangulaires ou arrondies jaunes
brillantes, très réfringentes, siégeant aux bifurcations des artérioles
rétiniennes de petit calibre, à distance de la papille, est spécifique des
embolies systémiques de cristaux de cholestérol.
L’angiographie à la
fluorescéine permet de préciser l’étendue des territoires non perfusés.
Le
diagnostic de certitude repose sur l’histologie de la jonction dermohypodermique cutanée (la biopsie étant pratiquée au croisement des
mailles du livedo ou sur un orteil pourpre), du muscle ou du rein : les emboles
oblitérant les artérioles sont dissous par les techniques de fixation usuelles et
apparaissent ainsi sous forme de lacunes lancéolées biconvexes,
biréfringentes en lumière polarisée.
Le traitement n’est pas codifié et
comporte des antiagrégants plaquettaires, parfois une corticothérapie
générale, des mesures symptomatiques (dialyse, lutte contre
l’hypertension...).
8- Vascularites granulomateuses :
Les manifestations oculaires observées dans la PAN peuvent se rencontrer
également dans la granulomatose de Wegener et le syndrome de Churg et
Strauss.
La sténose du canal lacrymonasal avec exophtalmie est évocatrice de
granulome sinusien.
Dans le cadre des autres vascularites, il est toujours utile
de pratiquer un examen ophtalmologique complet, notamment un fond d’oeil,
à la recherche de vascularite rétinienne.
9- Maladie de Horton :
Il est exceptionnel que l’artérite de Horton se révèle par des manifestations
cutanées (nécrose du scalp, purpura ou vascularite nécrosante des membres
inférieurs, acrosyndrome) ; il s’agit plus souvent de céphalées, d’une
claudication intermittente de la mâchoire, d’une pseudopolyarthrite
rhizomélique, d’une altération de l’état général avec important syndrome
inflammatoire, d’une fièvre prolongée inexpliquée... ; le dermatologue doit
savoir palper les artères temporales (diminution ou abolition du pouls
temporal imposant une biopsie objectivant l’artérite granulomateuse
segmentaire à cellules géantes) en raison du risque de cécité définitive
(> 10 %).
La cécité, habituellement précédée d’épisodes d’amaurose fugace,
de flou visuel régressif, d’amputation du champ visuel ou de paralysie
oculomotrice avec diplopie ou ptôsis, résulte soit d’une neuropathie optique
ischémique antérieure aiguë (dont la survenue brutale sans douleur se fait
unilatéralement mais est suivie en quelques jours, dans un tiers des cas, d’une
atteinte de l’autre oeil en l’absence d’instauration urgente de la corticothérapie
générale à plus de 1 mg/kg/j), soit d’une occlusion de l’artère centrale de la
rétine, soit plus rarement d’une neuropathie optique rétrobulbaire aiguë.
On
décrit également des infarctus choroïdiens.
10- Sarcoïdose :
L’atteinte oculaire de la sarcoïdose est volontiers bilatérale, parfois
révélatrice (10 %) et se traduit le plus souvent par une uvéite antérieure granulomateuse chronique (deux tiers des cas) (comportant des nodules iriens
correspondant aux granulomes sarcoïdosiques et des précipités cornéens en
« graisse de mouton ») ou une iridocyclite aiguë non granulomateuse (un tiers
des cas).
L’infiltration granulomateuse de l’angle iridocornéen ou trabéculite
(objectivée par la gonioscopie) qui peut se compliquer d’hypertonie oculaire,
est quasi pathognomonique de la sarcoïdose.
L’uvéite postérieure (rétinite en
« tache de bougie », périphlébites périphériques), l’uvéite intermédiaire,
l’(épi)sclérite, les parésies oculomotrices, la névrite optique sont plus rares.
Les granulomes conjonctivaux ou palpébraux, la xérophtalmie (par
infiltration granulomateuse de la glande lacrymale ; hyperfixation sur la
scintigraphie au gallium) sont fréquents.
Le recours à la corticothérapie
générale (à raison de 0,5 à 1 mg/kg/j) s’impose généralement, d’autant plus
que les manifestations ophtalmiques sont très souvent associées à une atteinte médiastinopulmonaire.