La maladie de Behçet est une vascularite multisystémique d’origine
inconnue, évoluant par poussées et rémissions, où l’atteinte oculaire
est retrouvée chez 40 à 75 % des patients.
Cette vascularite prédomine aux veines, mais les artères sont
également intéressées au même titre que les petits et gros vaisseaux,
ce qui la distingue des autres vascularites.
Les manifestations
oculaires représentent avec l’atteinte neurologique les expressions
les plus importantes de la maladie : elles conditionnent le pronostic.
Cette affection a été décrite pour la première fois en 1937 par Hulusi
Behçet (dermatologue turc), qui l’a individualisée en tant qu’entité
clinique séparée sur les données de deux observations cliniques
rapportant une aphtose buccogénitale et une iridocyclite à hypopion
récidivante.
Le diagnostic est clinique, basé sur des critères diagnostiques établis
par l’International Study Group for Behçet Disease.
Le diagnostic
de maladie de Behçet est retenu sur la présence d’aphtoses buccales
récidivantes associée à au moins deux des atteintes suivantes :
aphtose génitale, atteinte oculaire, atteinte cutanée et test
pathergique cutané.
Les atteintes vasculaire, articulaire, digestive,
cérébrale et les antécédents familiaux de maladie de Behçet sont des
critères mineurs.
Épidémiologie
:
La prévalence de la maladie de Behçet est plus importante dans les
pays du Moyen-Orient, au Japon et dans les pays du bassin
méditerranéen.
Au Japon, sa prévalence est de 8,5 à 10/100 000.
Aux États-Unis, elle est de 0,4/100 000.
La maladie de Behçet ne constitue que 0,2 à 0,4 % des uvéites aux
États-Unis, 5 % en France, 5,5 % en Belgique, 6,5 % en
Arabie Saoudite, contre 20 % au Japon et près de 24 % de
l’ensemble des uvéites au Maroc.
La maladie de Behçet est deux fois plus fréquente chez l’homme
que chez la femme.
Le début de la maladie se manifeste
habituellement vers la troisième décennie, mais des cas
ont été rapportés chez l’enfant.
Les formes familiales existent dans 5 à 18% des cas.
Ces
formes familiales n’ont pas la même sévérité dans la fratrie.
Pathogénie
:
Sa pathogénie demeure inconnue.
Les premières études ont suspecté
une origine virale.
Actuellement, on retient le rôle de phénomènes
cellulaires et humoraux sous-tendus par le human leukocyte antigen
(HLA) B51 dans l’étiopathogénie de la maladie.
Ceux-ci consistent
en une hyperréactivité des polynucléaires neutrophiles et des
anomalies de l’immunité à médiation cellulaire.
Une prédisposition
génétique HLA-B51 est en effet retrouvée dans la majorité des séries.
Une association plus forte existerait avec l’allèle A6 du gène MICA
(complexe majeur d’histocompatibilité classe I chain-related protein),
génétiquement proche du gène HLA-B.
Cependant, la présence
de l’antigène HLA-B51 n’est pas retenue comme critère diagnostique.
L’environnement est un facteur supplémentaire étant
donné que l’incidence est différente dans des populations
génétiquement similaires vivant dans des lieux géographiques
différents.
Certains auteurs considèrent la maladie de Behçet comme une
maladie auto-immune du fait de la présence d’un taux élevé de
complexes immuns circulants chez 60 % des patients atteints de
maladie de Behçet.
Par ailleurs, le tumor necrosis factor (TNF)
jouerait également un rôle dans le processus inflammatoire.
Histopathologie des lésions oculaires
:
Les lésions histopathologiques sont similaires dans tous les organes.
La lésion histopathologique de base est la vascularite ou
périvascularite occlusive nécrotique non granulomateuse.
Elle
correspond à une infiltration chronique par des lymphocytes T et
des polynucléaires neutrophiles.
Les polynucléaires
neutrophiles des patients atteints de maladie de Behçet présentent
plusieurs anomalies : augmentation du chimiotactisme, de la
production de superoxydes, de médiateurs chimiques de
l’inflammation, et une expression accrue des molécules
d’adhésion.
Les taux de TNFa, d’interleukine Ib et 8 sont
anormalement élevés.
Ceux-ci coexistent dans les lésions
histologiques et contribuent à une activation polyclonale des
lymphocytes B avec formation de complexes immuns.
Ainsi, à la
phase aiguë, l’infiltration est essentiellement leucocytoclasique plus
ou moins associée à une nécrose fibrinoïde ; en période de rémission,
l’infiltrat devient lymphoïde.
Au stade ultime, on note une
prolifération collagène avec épaississement de la choriocapillaire,
hypotonie oculaire et phtyse.
Étude clinique
:
A - MANIFESTATIONS OCULAIRES :
L’oeil est l’une des principales cibles de la maladie : l’atteinte oculaire
est présente dans 40 à 85 % des cas.
1- Signes fonctionnels :
Ils sont représentés le plus souvent par une baisse de l’acuité
visuelle ou un simple brouillard visuel ; ces symptômes visuels
peuvent être accompagnés de douleurs oculaires et de photophobie.
Dans près de 25 à 49 % des cas, l’atteinte oculaire est inaugurale.
Ailleurs, elle fait suite à l’aphtose, dans les 3 ou 4 ans.
Dans
certains cas, l’atteinte est strictement oculaire : c’est la dénomination
de Behçet oculaire adoptée par de nombreux auteurs.
Il s’agit le plus souvent d’une uvéite postérieure ou d’une panuvéite
non granulomateuse, mais fortement synéchiante.
L’atteinte est
souvent bilatérale.
Dans les cas unilatéraux, l’atteinte de l’oeil adelphe se fait dans les 2 ans.
2- Uvéite antérieure :
Elle se manifeste par une rougeur oculaire avec cercle périkératique,
tyndall inflammatoire de l’humeur aqueuse et fins précipités
rétrocornéens.
L’aspect le plus typique est l’iridocyclite à hypopion.
Cet hypopion aseptique est fugace ; il peut être minime,
détecté uniquement en gonioscopie. L’hypopion est retrouvé dans
35 % des cas.
Cette uvéite antérieure peut rétrocéder
spontanément, laissant des séquelles à type d’atrophie de l’iris et de
synéchies antérieures, iridocornéennes ou postérieures,
iridocristalliniennes, voire de secclusion pupillaire.
3- Atteinte du segment postérieur :
Elle est plus grave.
Elle réalise une uvéopapillite avec périphlébite
rétinienne occlusive.
À la phase aiguë, la hyalite est quasi
constante.
L’examen ophtalmoscopique montre un rétrécissement
du calibre artériel associé à des engainements vasculaires
blanchâtres, segmentaires ou diffus, qui siègent au début en
périphérie rétinienne.
La vascularite rétinienne est à prédominance
veineuse, engendrant des occlusions de la veine centrale de la rétine
ou plus fréquemment d’une de ses branches.
Cette vascularite
occlusive finit par atteindre les artères et les veines du pôle
postérieur.
Un cas d’occlusion de l’artère centrale de la rétine
a été récemment décrit chez un patient âgé de 52 ans, sans facteur
de risque vasculaire connu, porteur d’une maladie de Behçet depuis
l’âge de 30 ans et suivi pour atteinte oculaire depuis 6 ans.
Une
pars planite accompagne fréquemment cette vascularite rétinienne ;
rarement, elle peut constituer la seule composante inflammatoire
uvéale.
L’oedème maculaire, complication fréquente, compromet la
fonction visuelle et nécessite une prise en charge précoce, c’est-àdire
avant la dégénérescence des photorécepteurs.
Quant à
l’ischémie maculaire, elle est rarement observée.
4- Neuropathie optique
:
Parmi les manifestations neuro-ophtalmologiques de la maladie de
Behçet, l’atteinte du nerf optique serait la plus fréquente : il s’agit
généralement d’une neuropathie optique évoluant sur un mode
chronique vers l’atrophie optique.
Celle-ci serait secondaire à
l’occlusion des petits vaisseaux nourriciers du nerf optique.
L’oedème papillaire bilatéral peut être en rapport avec une
hypertension intracrânienne secondaire à une thrombophlébite des
sinus veineux de la base du crâne ou avec une neuropathie optique
inflammatoire et/ou ischémique.
5- Angiographie à la fluorescéine :
L’angiographie à la fluorescéine est un examen capital : elle permet
de révéler une vascularite rétinienne infraclinique notée chez 6 %
des patients.
La vascularite se traduit en angiographie par une
diffusion de la fluorescéine à travers la paroi vasculaire.
On
peut observer un élargissement apparent du calibre des veines
temporales avec rétention du colorant.
L’angiographie fluorescéinique permet également de mettre en évidence des
occlusions vasculaires, d’en préciser le siège, ainsi que
d’apprécier l’importance et l’étendue des territoires ischémiques qui
en résultent.
De plus, elle permet de mieux étudier l’atteinte papillomaculaire et de différencier une papillite d’une neuropathie
optique ischémique antérieure. Elle représente un document objectif
essentiel dans l’évolution.
6- Angiographie au vert d’indocyanine :
L’angiographie au vert d’indocyanine est un complément
d’investigation rarement effectué dans ce contexte clinique.
Elle
recherche une atteinte de la choriocapillaire qui est objectivée sous
forme d’hyper- ou d’hypofluorescences, avec une prédominance des
lésions hyperfluorescentes, notamment à la phase aiguë.
7- Autres anomalies témoignant d’une activité du Behçet
oculaire
:
Ces dernières années, de nombreux auteurs se sont intéressés aux
anomalies témoignant d’une activité du Behçet oculaire : l’épaisseur
de la cornée y serait significativement augmentée et redeviendrait normale en période de rémission.
L’hyperhomocystéinémie serait
également le témoin d’une activité de la maladie.
B - MANIFESTATIONS SYSTÉMIQUES :
1- Aphtose :
L’aphtose bipolaire ou uniquement buccale mais récidivante
(minimum de trois poussées d’aphtose buccale par an pour la
retenir comme critère diagnostique) est souvent inaugurale et peut
précéder l’atteinte oculaire de quelques mois à plusieurs années.
Inversement, l’atteinte oculaire peut rester longtemps isolée,
soulevant ainsi des problèmes de diagnostic étiologique.
La
présence d’une aphtose bipolaire est hautement évocatrice de la
maladie de Behçet. Celle-ci est généralement récidivante et
douloureuse.
Les aphtes buccaux siègent généralement à la muqueuse labiale et
gingivale, à la langue, à la face interne des joues, et plus rarement
au palais, aux amygdales et à l’oropharynx.
La lésion élémentaire
est représentée par une ulcération douloureuse à fond purulent
jaunâtre, entourée d’un halo d’érythème, dont la taille varie de
quelques millimètres à 1 cm de diamètre en moyenne.
Ces aphtes
cicatrisent en 7 à 15 jours.
Les aphtes génitaux intéressent le scrotum ou le sillon balanoprépucial et le gland chez l’homme, la vulve ou le vagin chez
la femme.
L’aphtose génitale met plus de temps à cicatriser et,
contrairement aux aphtes buccaux, elle laisse habituellement une
cicatrice, qui permet un diagnostic rétrospectif.
2- Test pathergique :
Le test à la piqûre ou test pathergique cutané est une réaction
d’hypersensibilité sous forme d’une pustule ou d’une papule qui
apparaît 24 à 48 heures après injection intradermique d’eau distillée,
ou au point de ponction veineuse, ou même à la simple piqûre par
une aiguille 20 G.
Elle reproduit la pseudofolliculite nécrotique qui
apparaît spontanément.
C’est un test non pathognomonique de la
maladie de Behçet ; cependant, il s’agit d’un critère majeur de
diagnostic.
3- Signes cutanés :
Ils sont représentés essentiellement par la pseudofolliculite et
l’érythème noueux.
La pseudofolliculite regroupe des lésions
papuleuses puis pustuleuses, à contenu aseptique, non centré par
un poil ; elles siègent généralement au dos, à la poitrine et aux
cuisses.
L’érythème noueux siège avec prédilection aux membres
inférieurs.
4- Thromboses veineuses
:
Elles sont particulièrement fréquentes et s’individualisent par leur
caractère volontiers extensif mais peu emboligène.
Elles intéressent
les territoires superficiels et/ou profonds : membres inférieurs, veine
cave inférieure ou supérieure.
5- Atteinte artérielle
:
Elle est rare mais peut mettre en jeu le pronostic vital, notamment
en cas d’anévrisme de l’artère pulmonaire dont la rupture peut
engendrer une hémorragie foudroyante.
6- Atteinte du système nerveux central :
Elle survient généralement tardivement mais peut être concomitante
de l’atteinte oculaire : méningite lymphocytaire aseptique,
hypertension intracrânienne bénigne, thrombophlébite cérébrale,
paralysies oculomotrices, accident vasculaire ischémique.
7- Atteinte articulaire :
Elle concerne principalement les grosses articulations : genoux,
chevilles et poignets ; ces arthralgies inflammatoires et/ou arthrites
disparaissent pendant les périodes de rémission.
Le caractère
destructif ou déformant n’est pas habituel.
Des formes associées à
une spondylarthrite ankylosante ont été décrites.
8- Atteinte gastro-intestinale
:
Elle est faite de douleurs abdominales, flatulences, vomissements,
diarrhée ou constipation.
Des ulcérations digestives à différents
étages du tube digestif peuvent parfois être responsables de
perforations.
Plus spécifiques sont les ulcérations superficielles de
l’intestin grêle ou du côlon ; ces colites ulcéreuses peuvent simuler
une maladie de Crohn, d’autant que certaines formes graves,
étendues, peuvent aboutir à une colectomie.
9- Atteinte rénale et pulmonaire
:
L’atteinte rénale est rare (glomérulonéphrite focale
asymptomatique), de même que l’atteinte pulmonaire (infarctus
pulmonaire, réaction pleurale).
Examens biologiques
:
Aucune anomalie biologique n’est spécifique de la maladie de Behçet.
Un syndrome inflammatoire biologique est fréquemment retrouvé
au cours des poussées : accélération de la vitesse de sédimentation,
élévation de la protéine C-réactive et des fractions C3, C4 et C9 du
complément.
Il existe une hyperactivité des polynucléaires
neutrophiles et une élévation des lymphocytes T CD4 et CD8.
Le typage HLA-B51 est fréquemment retrouvé dans les formes
oculaires : 64 % versus 14,3 % en l’absence d’atteinte oculaire.
Il existe une élévation de l’apolipoprotéine B chez les patients faisant
des occlusions veineuses.
De même, des anticorps anticardiolipines,
une augmentation de l’agrégabilité érythrocytaire et une élévation
des facteur V et VIII sont retrouvés dans les formes associant des
thromboses vasculaires et sont en corrélation avec le risque de
vascularite rétinienne occlusive.
L’hyperhomocystéinémie augmenterait le risque d’occlusions
vasculaires rétiniennes.
Celle-ci témoignerait de l’activité de la
maladie et serait corrélée à l’augmentation de l’oxyde nitrique et de
l’endothéline 1 retrouvée dans le sérum des patients atteints de
maladie de Behçet.
L’augmentation de l’oxyde nitrique serait
également objectivée dans l’humeur aqueuse.
L’hyperhomocystéinémie
n’est pas retrouvée chez les patients n’ayant pas
d’atteinte oculaire.
L’examen du liquide céphalorachidien, en cas de participation
méningée, objective une pléiocytose le plus souvent panachée ou
lymphocytaire, une hyperprotéinorachie et une augmentation
inconstante des gammaglobulines.
Diagnostic différentiel
:
Le diagnostic différentiel comprend toutes les vascularites
rétiniennes, qu’elles soient infectieuses ou en rapport avec une
maladie de système (lupus…), d’où l’intérêt d’une analyse clinique
fine et rigoureuse.
L’hypopion chez un homme jeune peut faire
évoquer une origine rhumatismale et en particulier une
spondylarthrite ankylosante ; c’est dire l’intérêt du typage HLA, qui
recherche l’HLA-B27 ; mais des formes associées ont été décrites.
La sarcoïdose, de symptomatologie moins bruyante, peut revêtir le
même aspect ophtalmoscopique avec cependant quelques nuances :
présence de granulomes choroïdiens et/ou iriens, vascularite
généralement non occlusive et n’intéressant que les veines
contrairement, à la maladie de Behçet où celle-ci est souvent
occlusive, avec une participation aussi bien veineuse qu’artérielle.
Évolution. Complications
:
La maladie de Behçet est une maladie chronique évoluant par
poussées et rémissions aboutissant, malgré les immunosuppresseurs,
à la cécité dans 25 à 75 % des cas après 10 ans d’évolution.
La durée et l’intervalle entre les poussées varient d’un sujet à
l’autre. Les rechutes oculaires sont fréquentes : 70 %.
Après plusieurs
poussées inflammatoires, l’examen de la rétine est souvent gêné par
la cataracte et la secclusion pupillaire.
Il met en évidence des
vaisseaux déshabités au pôle postérieur associés à une atrophie
optique, une dégénérescence maculaire et des remaniements de
l’épithélium pigmentaire.
La dégénérescence postinflammatoire
de la macula peut aboutir à un trou maculaire de
pleine épaisseur.
Le développement de néovaisseaux sousrétiniens
maculaires est exceptionnel.
La formation de déchirures
rétiniennes, secondaires aux altérations vitréennes, est également
rare.
Parfois, la vascularite occlusive peut se compliquer de
rétinopathie proliférante, laquelle peut continuer d’évoluer pour son
propre compte et entraîner une hémorragie du vitré et un
décollement de rétine, voire un glaucome néovasculaire.
La cataracte compliquée est retrouvée dans 21 à 36 % des cas ;
la corticothérapie locale peut favoriser son évolution, de même que
celle du glaucome inflammatoire.
Le glaucome postinflammatoire est secondaire à des goniosynéchies
étendues et/ou à une secclusion pupillaire.
Au stade ultime, l’évolution se fait vers la phtyse oculaire ; cette
évolution peut être précipitée par un acte chirurgical, surtout s’il est
réalisé après une rémission trop courte.
La grossesse ne semble pas influencer le cours de la maladie.
Cependant, toute grossesse doit être déconseillée en raison des
médicaments potentiellement tératogènes prescrits.
Le pronostic visuel est essentiellement conditionné par l’atteinte papillomaculaire.
Le jeune âge et le sexe masculin sont des éléments
de mauvais pronostic.
La coexistence d’un neuro-Behçet
est un élément de mauvais pronostic visuel.
Seuls 25 % des cas
traités classiquement gardent une acuité visuelle supérieure à 5/10
à 5 ans.
Un traitement corticoïde intraveineux instauré
précocement lors de la poussée inflammatoire (combiné à un
traitement immunosuppresseur de fond) améliore les résultats
fonctionnels, avec une acuité visuelle supérieure à 5/10 à 6 ans dans
58 % des cas.
Le pronostic général est bon en l’absence d’atteinte des gros
vaisseaux et/ou du système nerveux central.
La présence du typage
HLA-B51 et l’absence du HLA-B35 représenteraient un facteur de
risque de thrombophlébite.
Traitement
:
Le but du traitement est de :
– contrôler l’inflammation ;
– réduire la fréquence et la sévérité des récidives ;
– minimiser les complications et séquelles (glaucome, atrophie
optique, dégénérescence maculaire postinflammatoire) ;
– en diminuant au maximum les effets secondaires des traitements
utilisés.
La prise en charge de la maladie de Behçet doit être
pluridisciplinaire, associant internistes et ophtalmologistes.
Un traitement bien adapté permet de réduire le taux de cécité de
75 % à 20%.
La colchicine à raison de 1 à 2mg /j est systématiquement prescrite
comme traitement des manifestations cutanéomuqueuses.
Elle n’est
pas efficace dans les formes oculaires.
Elle permet de juguler
l’aphtose buccogénitale. L’éviction d’aliments acides et épicés est
recommandée, de même qu’une hygiène rigoureuse.
L’association à
une corticothérapie locale peut s’avérer efficace.
En cas d’échec ou
d’intolérance, la thalidomide (de 100 à 400 mg/j) peut être proposée.
A - TRAITEMENT ANTI-INFLAMMATOIRE :
La corticothérapie systémique est indiquée en cas de poussée
inflammatoire.
Elle fait appel à la méthylprednisolone (10 mg/kg/j,
sans dépasser 1g/j, en perfusion sur 3 heures, pendant 3 jours),
relayée par la prednisone à la dose de 1 à 1,5 mg/kg/j sans dépasser
80 mg/j.
Cette dose est diminuée progressivement par paliers de
10 % toutes les 1 à 2 semaines jusqu’à obtenir une dose-seuil de 5 à
10 mg/j. Une dégression trop rapide prédispose aux rechutes.
La
prise 1 jour sur 2 permet de réduire les effets secondaires.
Les
Japonais n’utilisent pas de corticoïdes par voie générale au long
cours dans le Behçet oculaire, car certaines études rétrospectives
auraient montré un pronostic fonctionnel à long terme meilleur chez
les patients n’ayant pas eu de corticoïdes.
La corticothérapie à fortes doses permet de juguler la réaction
inflammatoire en 1 à 2 semaines et donc améliore l’acuité visuelle, mais elle est insuffisante pour espacer les rechutes : un
traitement de fond par les immunosuppresseurs est nécessaire.
Une corticothérapie locale est également nécessaire lors des poussées
et repose sur la dexaméthasone en collyre, avec des instillations
fréquentes quand le Tyndall de l’humeur aqueuse est dense, de
manière à éviter les synéchies iridocristalliniennes.
Le relais est
assuré par le rimexolone, qui aurait une action anti-inflammatoire
quasi identique à celle de la dexaméthasone, mais sans ses
complications.
Dans les formes à participation postérieure
prédominante, une corticothérapie locale sous forme d’injections latérobulbaires peut être adjointe.
Cette corticothérapie locale est
associée à un cycloplégique, l’atropine.
Benitez Del Castillo Sanchez et Garcia Sanchez préconisent
l’injection intravitréenne de triamcinolone à la dose de
4 mg/0,1 mL ; celle-ci permettrait de juguler rapidement la réaction
inflammatoire, avec un gain visuel de 5 lignes en 1 semaine.
B - TRAITEMENT DE FOND : IMMUNOSUPPRESSEURS
Le chlorambucil (Chloraminophènet, de 0,1 à 0,2 mg/kg/j) a été le
premier immunosuppresseur utilisé.
Une dose d’entretien peut être
nécessaire pendant en moyenne 18 mois ; des fenêtres
thérapeutiques de 2 à 6 mois, selon la tolérance hématologique, sont
nécessaires.
Il existe un risque de leucémie secondaire chez les
patients ayant une dose cumulative de 1 300 mg.
Sa toxicité
hématologique limite son utilisation.
Le cyclophosphamide (Endoxant) est prescrit à la dose de 8 à
12 mg/kg/j ou de 750 à 1 000 mg/m2/j en perfusion intraveineuse,
en cures mensuelles pendant les 9 premiers mois.
Ces cures doivent
être espacées s’il apparaît une intolérance hématologique
(pancytopénie) ou d’autres complications, qu’elles soient rénales ou
infectieuses.
Par la suite, un traitement d’entretien de trois à cinq cures par an est utile.
Certains auteurs préfèrent la forme orale, à
raison de 1 à 2 mg/kg/j.
Les résultats à long terme obtenus avec le cyclophosphamide seraient meilleurs par rapport à ceux du
chlorambucil.
L’azathioprine (Imurelt, de 1 à 2,5 mg/kg/j) diminue les rechutes
oculaires.
Elle est généralement utilisée en association à de faibles
doses de prednisone et/ou à la ciclosporine.
Chlorambucil, cyclophosphamide et azathioprine sont les agents
cytotoxiques les plus utilisés dans le traitement de la maladie de
Behçet ; ils ont comme effet secondaire essentiel une myélotoxicité
et une stérilité.
Une surveillance régulière hématologique, rénale et
hépatique est nécessaire tout au long du traitement.
La ciclosporine A (de 5 à 10 mg/kg/j) serait plus efficace que le cyclophosphamide dans la prévention des rechutes oculaires
qu’elle réduirait de près de 70 %.
La dose de 10 mg/kg/j est
généralement mal tolérée. Sa toxicité rénale peut nécessiter une
diminution des doses qui n’est pas sans effet sur la survenue de
rechutes.
Cette néphrotoxicité limite son utilisation en
monothérapie.
Par conséquent, il peut être judicieux de
commencer par des doses de 5 mg/kg/j et, si l’inflammation
oculaire ne régresse que partiellement, on peut y adjoindre une
faible dose de prednisone ou l’associer à l’azathioprine dans
les uvéites sévères.
Utilisée en association aux corticoïdes, elle
permet l’amélioration ou la stabilisation de l’acuité visuelle dans
75 % des cas.
La ciclosporine inhibe l’activation des lymphocytes
T et serait par conséquent moins dangereuse que les agents
cytotoxiques, bien que des complications rénales puissent survenir.
L’interféron a2a donnerait de bons résultats dans les formes
oculaires associées à une atteinte cutanéomuqueuse et/ou
neurologique, ainsi que dans les formes oculaires réfractaires
aux immunosuppresseurs classiques, mais avec 3 à 10% de
patients non répondeurs.
Il est utilisé par voie sous-cutanée à
la dose de 3 à 5 millions d’unités, trois fois par semaine. Une
rémission complète est obtenue dans 97 % des cas pendant une
période moyenne de 28,6 mois.
Le gain visuel est de, en moyenne,
trois lignes.
Il réduit les rechutes de 50 %.
Des effets
secondaires à type d’alopécie, myalgies, hyperthyroïdie,
exacerbation d’un psoriasis, dépression, diarrhées peuvent nécessiter
l’arrêt du traitement.
Céphalées, fièvre et arthralgies sont quasi
constantes pendant les premières semaines de traitement par
l’interféron a2a.
Le tacrolimus (FK 506), à la dose de 0,05 à 0,15mg/kg/j, a une action
similaire à la ciclosporine. Nouvel immunosuppresseur, le FK 506
est surtout utile dans le traitement des uvéites rebelles aux autres
immunosuppresseurs.
Mochizuki et al rapportent des résultats
favorables dans 75 % des cas.
Plus récemment, un agent anti-TNF, l’infliximab (Remicadet),
anticorps monoclonal anti-TNF, utilisé à la dose de 5 mg/kg en
perfusion lente intraveineuse, est à l’essai clinique dans les formes
sévères, récidivantes.
Cet anticorps a déjà été utilisé avec succès pour
le traitement de phénomènes inflammatoires sévères, comme la
maladie de Crohn ou la polyarthrite rhumatoïde.
Les résultats dans
le traitement de la maladie de Behçet seraient prometteurs : associée
au traitement maximal (immunosuppresseurs et corticoïdes), cette
molécule a rapidement amélioré les patients, avec une diminution
de l’inflammation de 50 % dès les premières 24 heures et de 90 % au
quatrième jour.
Il agit également sur le cours évolutif de la
maladie puisqu’il permet d’espacer les rechutes oculaires.
L’association d’une corticothérapie systémique au traitement de
fond de la maladie permet de juguler la poussée plus rapidement
grâce à l’action immédiate des corticostéroïdes, les
immunosuppresseurs n’agissant qu’au bout de 3 à 6 semaines.
Dans
certaines formes sévères, une dose-seuil de 5 à 15 mg/j de
prednisone peut être nécessaire en association avec les
immunosuppresseurs.
L’association corticoïde-immunosuppresseur
permet en plus de réaliser une épargne cortisonique.
Dans les
formes sévères, il est préférable d’associer deux ou trois
immunosuppresseurs plutôt que d’augmenter les doses ; cela permet
de diminuer les effets secondaires des différents médicaments.
Les plasmaphérèses entraînent une rémission rapide mais ne
préviennent pas les rechutes et ne modifient pas le pronostic à long
terme.
L’injection intraveineuse d’immunoglobulines s’avère utile
dans les formes réfractaires à la corticothérapie et à la ciclosporine
A.
C - TRAITEMENT DES COMPLICATIONS
OPHTALMOLOGIQUES :
La chirurgie de la cataracte compliquée ne peut être proposée
qu’après une rémission d’au moins 3 mois.
L’existence de
rechutes pendant l’année qui précède la chirurgie augmente le
risque de rechute postopératoire.
Il faut préférer la phacoémulsification avec implantation.
Cette chirurgie doit être
minutieuse, avec un excellent nettoyage du sac capsulaire et mise
en place d’un implant cristallinien tout polyméthyl-méthacrylate ou
à surface héparinée dans le sac capsulaire.
Les implants cristalliniens
en acrylique sont mal tolérés, responsables d’une exacerbation des
phénomènes inflammatoires uvéaux et vitréens.
Une
corticothérapie systémique périopératoire à la dose de 0,5 mg/kg/j,
démarrée une semaine avant la chirurgie, permet de réduire le
risque de rechute postopératoire.
Les immunosuppresseurs sont
maintenus.
L’association d’une corticothérapie topique
(dexaméthasone) en postopératoire est indispensable.
Les résultats fonctionnels de la chirurgie de la cataracte compliquée
sont conditionnés par la sévérité de l’atteinte du pôle postérieur, et
notamment par l’atrophie optique et la dégénérescence maculaire
postinflammatoire.
Ainsi, l’acuité visuelle postopératoire serait
significativement plus basse par rapport à celle des yeux opérés de
cataracte dans les suites d’uvéites idiopathiques.
Un bilan électrophysiologique préopératoire comprenant un
électrorétinogramme et des potentiels évoqués visuels est un bon
indicateur pronostique.
Les territoires d’ischémie rétinienne secondaires aux occlusions
veineuses sont photocoagulés au laser argon ou krypton, en période
de rémission.
Ce traitement est généralement bien toléré ; parfois
une corticothérapie prophylactique peut être nécessaire pour éviter
une exacerbation des phénomènes inflammatoires.
Un oedème maculaire peut survenir ou s’aggraver dans les suites d’une
photocoagulation rétinienne.
La chirurgie vitréorétinienne est indiquée dans les formes
compliquées d’organisation vitréenne.
Elle permet d’améliorer la
fonction visuelle, ainsi que de diminuer de façon significative le
nombre et la durée des rechutes en postopératoire.
Conclusion
:
L’atteinte oculaire est un critère majeur de diagnostic de la maladie de Behçet, mais aussi un élément de gravité car elle met en jeu le pronostic
visuel.
Il s’agit généralement d’une uvéite totale à prédominance
postérieure, récidivante, associée à une vascularite rétinienne, évoluant
par poussées et rémissions.
L’association corticoïde-immunosuppresseur
permet de juguler rapidement la poussée inflammatoire et
d’espacer les rechutes.
Le pronostic fonctionnel est lié à l’atteinte papillomaculaire.