Oblitération de la veine centrale de la rétine et de ses branches
Cours d'Ophtalmologie
Étiologie
:
Dans la plupart des cas, il n’y a pas une étiologie
d’occlusion veineuse rétinienne (OVR) mais un terrain
prédisposant lié à l’âge et à l’artériosclérose.
Cependant,
en absence de facteurs de risque cardiovasculaires, le
bilan clinique et paraclinique devra s’attacher à rechercher
une cause à l’origine des modifications circulatoires.
A - Artériosclérose et ses facteurs de risque :
L’artériosclérose est la principale cause d’occlusion veineuse
rétinienne, qui survient souvent à l’occasion d’un
facteur déclenchant surajouté.
Ainsi, une hypertension
artérielle est retrouvée dans 60 % des cas, associée ou non aux autres facteurs de risque d’artériosclérose que
sont le tabagisme, l’hyperlipidémie, l’hyperuricémie ou
le diabète.
B - Glaucome chronique à angle ouvert
:
Une hypertonie oculaire chronique est retrouvée dans
quasiment 30 % des cas d’occlusion veineuse rétinienne.
C -
Modifications circulatoires :
1- Anomalies du contenu vasculaire :
Ces anomalies sont :
– hyperviscosité sanguine (cellulaire ou plasmatique) : hyperagrégabilité érythrocytaire, hémopathies (leucémies,
lymphomes…), dysglobulinémies (myélome,
maladie de Waldenström…), syndrome inflammatoire ;
– troubles de l’hémostase : hyperagrégabilité plaquettaire
primitive ou secondaire (prolapsus de la petite valve
mitrale), déficit en inhibiteur de la coagulation (antithrombine
III, protéine C, protéine S), anticoagulant
circulant, résistance à la protéine C activée, trouble de
la fibrinolyse.
2- Anomalies de la paroi vasculaire
(vascularites occlusives)
:
La contraception orale par oestroprogestatifs est un
facteur de risque reconnu ; les diurétiques et la sulfasalazine
(Salazopyrine) ont été incriminés.
Diagnostic positif
:
L’occlusion veineuse rétinienne survient le plus souvent
chez le sujet de 50 à 70 ans, sans prédominance de sexe,
et se traduit par une sensation de baisse d’acuité visuelle
centrale d’intensité variable en fonction de la topographie
et du degré de sévérité de l’occlusion.
A - Occlusion du tronc de la veine centrale
de la rétine :
L’obstacle veineux se situe au niveau de la lame criblée,
en arrière de la papille et l’examen du fond d’oeil après
dilatation pupillaire retrouve la tétrade caractéristique :
dilatation et tortuosités veineuses, hémorragies rétiniennes
disséminées superficielles (en flammèches) ou profondes
(rondes), oedème exsudatif diffus (rétinien et papillaire)
et nodules cotonneux.
Les formes cliniques sont définies en fonction des altérations
capillaires, au mieux appréciées lors de l’examen angiographique à la fluorescéine, examen paraclinique
indispensable.
1- Forme oedémateuse :
C’est la forme typique, la plus fréquente (60 à 80 % des cas).
• Signes fonctionnels : l’acuité visuelle est relativement
conservée, le patient se plaignant principalement d’un
brouillard visuel prédominant le matin.
• Signes physiques : lors de la phase aiguë, l’examen du
segment antérieur est normal et la recherche d’un glaucome
par prise de la tension oculaire doit être systématique.
Lors de l’examen du fond d’oeil, la dilatation et les
tortuosités veineuses sont majeures, les hémorragies
rétiniennes retrouvées sont de type superficiel (en flammèches)
et les manifestations oedémateuses exsudatives
sont au premier plan.
• Signes angiographiques : l’obstacle veineux est
confirmé par le retard de remplissage veineux aux temps
précoces.
Au cours de la
séquence angiographique, les capillaires dilatés laissent
diffuser le colorant avec constitution aux temps tardifs
d’un oedème rétinien diffus qui se traduit par une hyperfluorescence.
L’oedème papillaire s’accompagne d’un
oedème maculaire au niveau du pôle postérieur.
Lorsque
ce dernier revêt un aspect caractéristique en logettes, on
parle d’« oedème maculaire cystoïde ».
• Examens paracliniques : le relevé du champ visuel
peut permettre de retrouver des scotomes centraux relatifs.
2- Forme ischémique :
Forme la moins fréquente (10 à 15 % des cas), elle est aussi
la plus sévère et se caractérise par les éléments suivants.
• Signes fonctionnels : la baisse d’acuité visuelle est
brutale et profonde.
• Signes physiques : si l’examen du segment antérieur
est normal, l’examen du fond d’oeil retrouve des hémorragies
profondes en flaques, un réseau artériel grêle
et de nombreux nodules cotonneux, témoins d’une
ischémie rétinienne.
• Signes angiographiques : les temps circulatoires sont
augmentés aussi bien au niveau artériel qu’au niveau
veineux.
L’atteinte du lit capillaire se traduit par de vastes
territoires ischémiques de non-remplissage vasculaire qui
restent noirs lors de la séquence angiographique.
• Examens paracliniques : les déficits relevés au
champ visuel sont absolus et l’électrorétinogramme peut
être altéré dans les formes graves.
3- Forme mixte :
Survenant soit d’emblée, soit comme complication
d’une forme oedémateuse, elle est définie par l’examen angiographique.
Elle associe des territoires de dilatation
capillaire et des territoires de non-perfusion.
B - Occlusion de la branche veineuse
rétinienne :
L’occlusion se situe au niveau d’un croisement artérioveineux,
la plupart du temps complication ou évolution
de l’artériosclérose.
1- Caractéristiques générales :
• Signes fonctionnels : ils sont variables, la gêne
visuelle pouvant passer inaperçue.
• Signes physiques : l’examen du fond d’oeil retrouve
les 4 éléments caractéristiques d’occlusion veineuse
rétinienne localisés dans le territoire de drainage de la
branche atteinte (dilatation et tortuosités veineuses en
amont du croisement artérioveineux, hémorragies,
nodules cotonneux, oedème rétinien).
• Signes angiographiques : les temps précoces mettent
en évidence le retard de remplissage de la veine occluse
avec rétrécissement de la lumière veineuse au niveau du
croisement pathologique et stase en amont du croisement.
L’angiographie à la fluorescéine retrouve une diffusion
localisée au niveau du croisement artérioveineux et permet
par ailleurs d’apprécier l’atteinte du lit capillaire.
2- Formes cliniques :
On les retrouve en fonction :
• du type de capillaropathie : les occlusions de branche
veineuse rétinienne oedémateuses sont les plus fréquentes,
l’angiographie retrouve lors de ces formes la
dilatation capillaire avec phénomènes de diffusion et
oedème rétinien.
Comme lors de l’occlusion de la veine
centrale de la rétine, des zones de non-perfusion définissent
les formes ischémiques ;
• de la topographie de la branche occluse : l’occlusion
peut être hémisphérique (supérieure ou inférieure, temporale
ou nasale), localisée à une branche temporale ou
nasale (rare) ou atteindre une veine de 2e ou 3e ordre.
Diagnostic différentiel
:
L’interrogatoire, l’examen clinique et l’examen angiographique
permettront d’éliminer d’autres causes de baisse
d’acuité visuelle brutale unilatérale à oeil blanc et indolore :
• occlusion de l’artère centrale de la rétine : l’acuité
visuelle est réduite aux perceptions lumineuses, la
pupille est en mydriase avec abolition du réflexe photomoteur direct et le fond d’oeil retrouve l’aspect
caractéristique d’oedème rétinien ischémique blanchâtre
avec macula rouge cerise ;
• neuropathie optique ischémique antérieure aiguë :
l’examen du fond d’oeil retrouve un oedème papillaire
avec quelques hémorragies superficielles chez un sujet présentant des facteurs de risque cardiovasculaires ;
• décollement de la rétine avec atteinte maculaire :
l’interrogatoire recherche des phosphènes ou myodésopsies
les jours précédents ;
• hémorragie du vitré, qui peut être une complication
d’une occlusion veineuse rétinienne passée inaperçue
ou relever d’une autre étiologie (déchirure rétinienne,
rétinopathie diabétique…).
Le fond d’oeil est inéclairable.
Les autres causes d’hémorragies rétiniennes disséminées
sont :
• ischémie oculaire chronique : en cas de sténose
carotidienne sévère, les hémorragies rétiniennes sont
typiquement périphériques et c’est l’écho-doppler des
vaisseaux du cou qui fera le diagnostic ;
• rétinopathie diabétique évoluée : l’atteinte est habituellement
bilatérale et les temps circulatoires sont
normaux lors de l’examen angiographique.
Évolution
:
L’évolution d’une occlusion veineuse rétinienne est variable
en fonction de la forme clinique, mais l’occlusion veineuse
rétinienne est une affection dont le pronostic à long terme
est globalement réservé.
Par ailleurs, il faut toujours
penser au risque de bilatéralisation qui est de 10 à 15 %.
A - Occlusion du tronc de la veine centrale
de la rétine :
1- Forme oedémateuse :
Le développement d’une circulation de suppléance et de
voies de dérivation (anastomoses optico-ciliaires péripapillaires)
permet une évolution favorable dans 30%
des cas.
La normalisation de l’examen du fond d’oeil
(retour du calibre veineux à la normale, diminution de
l’oedème rétinien et des hémorragies) se fait progressivement
en plusieurs mois.
Si l’acuité visuelle s’améliore,
la récupération n’est complète que dans moins de 10%
des cas.
Ainsi, dans 50 % des occlusions de la veine
centrale de la rétine oedémateuses l’acuité visuelle est
inférieure à 1/10e après 2 ans d’évolution.
Un oedème maculaire persiste ou s’aggrave dans 50%
des cas.
Cet oedème maculaire prolongé peut être à l’origine
de séquelles qui vont compromettre la récupération
visuelle finale (remaniement cicatriciel de l’épithélium
pigmentaire maculaire, trou maculaire lamellaire…).
La deuxième complication est représentée par la conversion
en une forme ischémique (10 % des cas) avec
risque de néovascularisation secondaire, justifiant une
surveillance angiographique régulière.
2- Forme ischémique :
L’évolution est sévère, toujours défavorable. L’acuité
visuelle d’emblée effondrée ne s’améliore pas.
Les complications graves sont liées à l’apparition d’une néovascularisation dont le risque augmente avec la taille
des surfaces ischémiques.
Le développement d’une rubéose irienne peut être rapide, évoluant vers le dramatique
glaucome néovasculaire (« glaucome des 100 jours ») aboutissant
à la perte fonctionnelle, voire anatomique de l’oeil.
Le développement de néovaisseaux prérétiniens ou prépapillaires
peut être responsable d’hémorragies intravitréennes
récidivantes avec risque de décollement de
rétine tractionnel.
3- Forme mixte :
Forme de gravité intermédiaire, l’évolution se fait vers
le développement de néovaisseaux prérétiniens en bordure
des zones ischémiques.
B - Occlusion de la branche veineuse rétinienne :
Des vaisseaux de suppléance vont se développer autour
du territoire occlus.
L’évolution des formes oedémateuses
est ainsi le plus souvent favorable avec une acuité
visuelle supérieure ou égale à 5/10e dans plus de la moitié
des cas.
L’absence de récupération peut être liée dans
ces formes à la présence d’un oedème maculaire cystoïde
ou partiel.
Le risque de néovascularisation prérétinienne et
prépapillaire existe dans les formes ischémiques et mixtes.
Si le pronostic est meilleur qu’en cas d’occlusion de la
veine centrale de la rétine, la récupération visuelle est par
ailleurs liée à l’atteinte maculaire et cette récupération
visuelle est souvent médiocre en cas d’occlusion de branche
temporale ou en cas d’occlusion d’une veinule maculaire.
Principes du traitement
:
L’occlusion veineuse rétinienne est une urgence médicale
dont la prise en charge en milieu spécialisé doit être la
plus rapide possible, mais l’hospitalisation n’est pas
systématique.
Si le but initial du traitement est la conservation
de la vision, la prise en charge doit également
permettre d’éviter d’une part, l’apparition des complications
et, d’autre part, la bilatéralisation.
A - Traitement du terrain :
Il consiste en :
– prise en charge des facteurs de risque de l’artériosclérose
: traitement d’une hypertension artérielle,
d’une hypercholestérolémie ou d’une hyperuricémie,
équilibration d’un diabète, règles hygiéno-diététiques
(arrêt du tabagisme, régime en cas d’obésité…) ;
– traitement d’un glaucome chronique à angle ouvert ;
– dans les cas où une cause est retrouvée (collagénose,
hémopathie, prise médicamenteuse…), le traitement
de celle-ci est indispensable (traitement anti-inflammatoire,
arrêt d’un traitement oestroprogestatif…).
B - Occlusion veineuse rétinienne récente
:
Tous les moyens thérapeutiques suivants peuvent être
utilisés en respectant leurs contre-indications et les
indications sont fonction du tableau clinique.
1- Traitement médical :
• Les anticoagulants : aucune étude n’a fait la preuve
de l’efficacité de l’héparine ou des antivitamines K
(AVK), une occlusion veineuse rétinienne pouvant
même survenir sous AVK. Ils se justifient en cas d’anomalie
du système de la coagulation.
• Les fibrinolytiques : la fibrinolyse par voie générale
présente des risques vitaux et n’a pas d’indication lors
des occlusions veineuses rétiniennes.
En revanche, les
fibrinolytiques ont été utilisés « in situ », c’est-à-dire
par injection directe dans l’artère ophtalmique après
cathétérisme transfémoral ou en injection intravitréenne
avec des résultats encourageants.
Cependant, il s’agissait de petites séries et ces résultats
demandent confirmation.
• Les antiagrégeants plaquettaires : largement prescrits
dans cette indication, leur efficacité n’a pas été démontrée,
mais ils représentent un traitement préventif des complications
ischémiques lors de l’artériosclérose.
En pratique,
ils sont souvent utilisés au long cours en relais d’un
traitement de quelques jours par héparine de bas poids
moléculaire.
• Les correcteurs rhéologiques : l’intérêt de ces traitements
repose sur la diminution de la viscosité sanguine
et sur la vasodilatation (troxérutine [Veinamitol],
pentoxifylline [Torental]...).
Ils peuvent être associés
aux autres modalités thérapeutiques.
• Les anti-oedémateux : les corticoïdes ne sont pas
indiqués dans les occlusions veineuses rétiniennes du
sujet âgé, mais peuvent avoir un effet bénéfique chez le
sujet jeune ou en cas d’étiologie inflammatoire. Les
autres traitements (acétazolamide, collyres anti-inflammatoires
non stéroïdiens) sont peu efficaces.
• Les collyres hypotonisants oculaires permettent une
amélioration des conditions circulatoires rétiniennes et
peuvent être prescrits même en absence de pathologie
glaucomateuse.
2- Hémodilution isovolémique :
Son but est de diminuer la viscosité sanguine par diminution
du taux d’hématocrite.
Elle se réalise lors d’une
courte hospitalisation de 48 à 72 h et consiste en un
prélèvement de 10 mg/kg de sang total (saignée) associé
à une perfusion à isovolume de soluté de remplacement
pour obtenir une hématocritie comprise entre 30 et 33 %.
Un effet bénéfique a été démontré sur l’acuité visuelle à
long terme.
Cette hémodilution est indiquée en cas de
forme oedémateuse et doit être réalisée au mieux dans la
première semaine d’évolution.
3- Anastomoses choriorétiniennes :
De description récente, elles consistent en la création
d’une anastomose entre la choriocapillaire et la circulation
veineuse rétinienne par des impacts laser de forte puissance
sur une branche veineuse inférieure.
Les risques
(hémorragie, occlusion veineuse complète, néovascularisation
choroïdienne) nécessitent cependant la réalisation
d’autres études avant d’envisager ce traitement en pratique
quotidienne.
C - Surveillance
:
Elle fait partie intégrante du traitement.
L’examen
ophtalmologique régulier doit rechercher des signes
précoces de néovascularisation, tels qu’une rubéose
irienne et un examen angiographique doit être réalisé
tous les 2 mois au cours du premier semestre.
D - Prévention et traitement
des complications :
1- Photocoagulation laser
:
• Prévention et traitement de la néovascularisation
(prérétinienne, prépapillaire, irienne) : l’efficacité de
la photocoagulation laser a été démontrée dans les 2 cas,
empêchant le développement ou faisant même régresser
les néovaisseaux.
Il s’agit d’une destruction de tous les
territoires rétiniens ischémiques par des impacts de laser
confluents.
Dans les occlusions de la veine centrale de la
rétine ischémiques, il faut réaliser une photocoagulation
de toute la rétine des arcades vasculaires temporales à
l’ora serrata (photocoagulation panrétinienne, PPR).
Si
l’examen retrouve une rubéose irienne, cette photocoagulation
doit être réalisée en extrême urgence.
Dans
les occlusions de branche veineuse, la photocoagulation
concerne le territoire occlus.
• Traitement de l’oedème maculaire chronique : une
photocoagulation en « grille » peut être envisagée pour les
oedèmes maculaires persistant plus de 6 mois après l’accident
occlusif et entraînant une baisse d’acuité visuelle.
Il s’agit
de petits impacts non confluents en quinconce appliqués
sur les zones de diffusion capillaire ou tout autour de la
macula.
Ce traitement est surtout efficace dans les occlusions
de branche veineuse rétinienne.
2- Traitement chirurgical :
Il n’est envisagé qu’au stade des complications.
Une
cryothérapie rétinienne par voie transclérale doit être
réalisée si le laser est impossible (hémorragies abondantes,
cataracte gênante).
Une vitrectomie avec endophotocoagulation
est indiquée en cas d’hémorragie du
vitré compliquant la néovascularisation prérétinienne ou
dans les cas d’oedème maculaire tractionnel tardif.