Neuropathies optiques carentielles, toxiques et médicamenteuses
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
La vulnérabilité des voies visuelles antérieures à des produits
toxiques est connue depuis des siècles.
Les neuropathies optiques
de cause carentielle et toxique sont fréquemment décrites ensemble
car les manifestations cliniques de ces deux types d’atteintes sont
très souvent similaires.
De plus, elles coexistent souvent chez le
même patient (surtout dans le cadre des neuropathies dites alcoolotabagiques).
Signes cliniques. Diagnostic positif
:
La suspicion du diagnostic de neuropathie optique toxique et/ou
carentielle repose sur des arguments cliniques : il s’agit d’une baisse
visuelle d’intensité variable, progressive, insidieuse, souvent
bilatérale, mais pouvant être, aux stades initiaux, unilatérale ou
asymétrique, se manifestant essentiellement dans la partie centrale
du champ visuel.
Fait notable, la baisse de l’acuité visuelle est
indolore dans la grande majorité des cas et l’existence d’une douleur
oculaire doit remettre cette étiologie en question.
De manière
générale, les signes fonctionnels sont communs aux neuropathies
optiques toxiques et nutritionnelles, et il n’y a pas de signe
spécifique d’un certain type d’intoxication.
C’est pour cette raison
que l’interrogatoire a une importance capitale afin de faire préciser
la notion d’une intoxication volontaire (alcool, tabac) ou non, de
carence alimentaire chronique ou encore de l’existence d’une
pathologie digestive, potentiellement responsable d’une
malabsorption.
Connaître la profession du patient et son exposition
potentielle aux toxiques professionnels est très important.
Les signes
fonctionnels visuels sont recherchés avec soin, sans oublier les
plaintes neurologiques possibles, comme par exemple l’existence des
paresthésies évocatrices d’une neuropathie sensitive périphérique
associée.
Hormis la baisse visuelle, les patients peuvent accuser
l’existence subjective d’une dyschromatopsie, souvent signe inaugural, isolé de la neuropathie optique.
L’examen clinique
quantifie la baisse de l’acuité visuelle, presque toujours bilatérale,
mais pouvant être asymétrique dans les phases initiales de l’atteinte.
La baisse visuelle est le plus souvent progressive, sur plusieurs
semaines ou mois, mais elle peut intervenir plus vite.
Le degré de la
baisse visuelle est très variable, mais la cécité complète ou l’absence
de perception lumineuse est rare (sauf dans le cas particulier de
l’intoxication par le méthanol) un sotome central est souvent mis en
évidence au champ visuel de Goldmann.
La présence
d’une baisse visuelle profonde strictement unilatérale doit rendre
prudent pour évoquer le diagnostic de neuropathie optique toxique
ou carentielle.
Aux stades initiaux, les deux pupilles ont un diamètre
égal (isocorie) et le réflexe photomoteur direct et consensuel est
présent, quoique parfois plus lent.
C’est uniquement une recherche
fine de la motilité pupillaire qui permet, lors d’un éclairement
alterné des deux pupilles en ambiance sombre, de mettre en
évidence un déficit pupillaire afférent (phénomène de Marcus Gunn)
en cas d’atteinte unilatérale ou asymétrique des voies visuelles.
Le
déficit pupillaire afférent se manifeste par une dilatation paradoxale
de la pupille du côté atteint lors d’un éclairement alterné des deux
pupilles en ambiance sombre.
La mise en évidence d’un déficit
pupillaire afférent témoigne d’une conduction asymétrique de
l’influx afférent au sein des deux nerfs optiques.
En cas d’atteinte
bilatérale symétrique des deux nerfs optiques, le déficit pupillaire
afférent est donc absent.
Aux stades tardifs, lorsque la vision est très
faible (c’est le cas surtout après une intoxication au méthanol), les
pupilles peuvent être dilatées, avec un réflexe photomoteur quasi
absent.
Le reste de l’examen ophtalmologique a comme but d’éliminer une
autre cause ophtalmologique de cette baisse d’acuité visuelle
(cataracte, glaucome, rétinopathie, maculopathie).
Ainsi, l’examen
ophtalmologique d’une neuropathie optique toxique et/ou
carentielle ne révèle habituellement pas de particularité, surtout aux
stades initiaux, puisque l’aspect de la tête du nerf optique est le
plus souvent normal.
Plus tardivement, une pâleur papillaire, non
spécifique, peut s’installer, évoluant jusqu’à une possible atrophie
optique.
La présence d’un oedème papillaire ou d’autres
signes associés (hémorragies, etc), témoignant d’une souffrance très
antérieure du nerf optique, est très rare lors des neuropathies
optiques toxiques et/ou carentielles.
Ces données d’examen clinique peuvent ensuite être confirmées par :
– l’exploration de la vision des couleurs, qui est altérée dès les
stades précoces de la maladie (test 15 Hue désaturé de Lantony, ou
de manière plus complète, par le test de Farnsworth 100 Hue) ;
– la réalisation d’un champ visuel cinétique de Goldmann et/ou
statique de Humphrey, qui peut quantifier l’étendue d’un éventuel
scotome central ou cæcocentral associé.
Les autres types de déficits campimétriques (altitudinal,
concentrique) sont très rares.
L’étude des potentiels évoqués visuels
peut mettre en évidence une atteinte infraclinique de la conduction
au sein des nerfs optiques, montrant une diminution de l’amplitude.
L’augmentation des latences est classiquement plus rare.
Lorsque le diagnostic de neuropathie optique toxique est posé, il est
important d’évaluer par un interrogatoire soigneux les possibles
facteurs de risque et d’exposition (nutritionnels, toxiques,
médicamenteux) d’une telle pathologie.
L’examen général,
notamment neurologique, recherche d’autres anomalies témoignant
d’une atteinte nutritionnelle (neuropathie sensitive des membres
inférieurs, mais aussi des manifestations cutanées et des muqueuses,
comme par exemple une perlèche), sans oublier la recherche de
stigmates d’une pathologie plus générale liée à une intoxication alcoolotabagique.
Diagnostics différentiels
:
La survenue d’une baisse visuelle bilatérale progressive peut avoir
de nombreuses causes et l’atteinte toxique et/ou nutritionnelle est
une hypothèse qui est retenue uniquement après élimination de ces
causes.
A - COMPRESSION OU INFILTRATION :
L’atteinte compressive ou infiltrative, et donc potentiellement
curable, des nerfs optiques, peut mimer une atteinte toxique.
Ainsi,
une compression extrinsèque des deux nerfs optiques ou du chiasma
par une tumeur (le plus souvent méningiome ou gliome) peut
provoquer une tableau tout à fait similaire à celui d’une neuropathie
optique toxique ou carentielle, sauf pour les caractéristiques du
champ visuel.
Néanmoins, plusieurs cas d’atteinte compressive des
voies visuelles se soldant avec un déficit bilatéral central du champ
visuel ont été décrits.
Lorsqu’une atteinte toxique des nerfs optiques
est suspectée, une cause compressive doit être éliminée
systématiquement par la réalisation d’un examen de neuro-imagerie,
compte tenu des possibles implications thérapeutiques d’une telle
découverte.
B - NEUROPATHIES OPTIQUES INFLAMMATOIRES
ET ISCHÉMIQUES :
Elles ont des manifestations cliniques plus bruyantes.
Elles sont plus
souvent unilatérales et elles ne sont que rarement évoquées parmi
les diagnostics différentiels des neuropathies optiques toxiques ou
carentielles.
Dans quelques rares cas, la possibilité d’une neuropathie
optique inflammatoire bilatérale peut être évoquée, nécessitant un
bilan adapté (imagerie par résonance magnétique, analyse du
liquide céphalorachidien, réalisation de sérologies syphilitiques, de
maladie de Lyme, mais aussi un bilan de vascularite, de sarcoïdose,
etc).
C - NEUROPATHIE OPTIQUE DE L’ORBITOPATHIE
DYSTHYROÏDIENNE :
Elle peut simuler une atteinte toxique par son caractère insidieux,
bilatéral, indolore, d’autant qu’elle survient volontiers aux stades
tardifs, fibrotiques de la maladie dysthyroïdienne, sans signe
oculaire franc (exophtalmie, chémosis, etc).
L’histoire de la maladie
et l’imagerie orbitaire permettent dans ce cas d’établir l’origine de
ces neuropathies optiques, qui réagissent souvent favorablement à
un traitement adapté (corticothérapie).
D - GLAUCOME À ANGLE OUVERT :
La symptomatologie des deux affections peut être similaire, bien que
l’aspect des champs visuels ne prête que très rarement à confusion.
La pression intraoculaire est le plus souvent élevée dans les
glaucomes, sauf dans leur rare variété dite « à pression normale ».
L’excavation pathologique de la neuropathie optique glaucomateuse
permet la plupart du temps de faire la différence entre les deux
pathologies.
E - NEUROPATHIES OPTIQUES HÉRÉDITAIRES :
Plusieurs types de neuropathies optiques héréditaires peuvent se
manifester par une baisse visuelle bilatérale, à fond d’oeil subnormal,
pouvant ainsi être confondus avec une neuropathie optique toxique.
Il existe plusieurs types de neuropathies optiques héréditaires, les
plus fréquents étant la neuropathie optique héréditaire de Leber et
la neuropathie optique dominante de Kjer.
Le tableau typique de
neuropathie optique héréditaire de Leber est celui d’une survenue
rapide, habituellement séquentielle, d’une neuropathie optique
indolore chez un jeune homme.
Ce diagnostic est d’autant plus
suspecté qu’il existe une notion de transmission familiale de type
mitochondrial : les garçons peuvent être atteints, mais sans
transmettre la maladie à leurs descendants, alors que les filles sont
« porteuses », n’étant que très rarement atteintes.
Néanmoins, les
atteintes de novo ne sont pas rares, raison pour laquelle cette
possibilité diagnostique ne doit pas être omise lors de la réalisation
du bilan d’une neuropathie optique considérée comme toxique
et/ou carentielle.
De surcroît, l’intoxication alcoolotabagique
pourrait être délétère sur un tel terrain génétique, favorisant
l’expression phénotypique de certaines mutations déjà existantes.
La
neuropathie optique dominante de Kjer s’installe aux âges plus
jeunes, ayant une transmission dominante et affectant à la fois les
filles et les garçons. Depuis peu, la mutation génétique de cette
pathologie a été mise en évidence (OPA1).
F - MACULOPATHIES :
La survenue d’un scotome central doit faire rechercher la possibilité
d’une maculopathie, par la réalisation d’un fond d’oeil.
Dans de très
rares cas, les altérations maculaires peuvent être tellement discrètes,
aux stades débutants, qu’elles échappent au seul examen
ophtalmoscopique (comme par exemple dans une dystrophie des
cônes, plus rarement lors d’une choriorétinopathie séreuse centrale).
La réalisation d’une angiographie rétinienne à la fluorescéine peut
mettre en évidence, dans les cas douteux, les altérations maculaires.
Lorsque le site de l’atteinte visuelle (rétine ou nerf optique) n’est
pas clairement établi, il peut être utile de réaliser un
électrorétinogramme qui est perturbé dans les atteintes rétiniennes
isolées, alors que les potentiels évoqués visuels sont davantage
altérés dans les atteintes du nerf optique, sans être formellement
spécifiques.
G - VIGABATRINE (SABRILt)
:
Utilisée dans le traitement de l’épilepsie, elle peut entraîner des
anomalies du champ visuel, à type de rétrécissement concentrique.
Il s’agit en réalité d’une toxicité rétinienne et non du nerf optique, nécessitant néanmoins une surveillance régulière par électrooculogramme,
par champ visuel automatisé et par électrorétinogramme.
H - ATROPHIE OPTIQUE D’AUTRES CAUSES :
Lorsque le patient est vu pour la première fois à un stade évolué
d’atrophie optique, il est très difficile d’en affirmer l’origine, même
si une cause toxique ou carentielle est suspectée.
Une cause
compressive des voies visuelles antérieures est suspectée par
principe, imposant la réalisation d’une imagerie cérébrale.
Une
hypertension intracrânienne bénigne (avec une neuro-imagerie par
définition normale) se manifeste habituellement au début par un
oedème papillaire bilatéral, mais qui évolue in fine et en absence de
traitement vers une atrophie optique.
Ainsi, la découverte d’une
atrophie optique d’étiologie inconnue nécessite de rechercher
d’autres signes d’hypertension intracrânienne (céphalées,
bourdonnements d’oreille, éclipses visuelles), et au moindre doute,
il est impératif d’effectuer une ponction lombaire avec une
manométrie en position déclive.
Bilan
:
La neuropathie optique toxique et/ou carentielle reste un diagnostic
d’élimination, après avoir considéré la possibilité des diagnostics
différentiels déjà mentionnés.
L’examen le plus utile à réaliser est
une imagerie cérébrale et orbitaire, le mieux par imagerie par
résonance magnétique (IRM) avec injection de gadolinium, et des
coupes centrées sur les nerfs optiques et le chiasma, afin d’éliminer
formellement une compression.
Une numération-formule sanguine
est effectuée, associée à une détermination du niveau de vitamine
B12 et folates dans le plasma (comme marqueurs de l’état
nutritionnel du patient).
La suspicion d’une intoxication peut rendre la collaboration d’un
toxicologue très utile (pour rechercher des toxiques dans le sang,
pour une enquête toxicologique appropriée, pour la déclaration
auprès des autorités compétentes).
De cette manière, de nouveaux
produits peuvent être suspectés ou reconnus comme toxiques pour
le nerf optique, avec toutes les implications de Santé publique de
cette démarche.
Causes de neuropathies optiques
carentielles et toxiques :
A - NEUROPATHIES OPTIQUES ALCOOLOTABAGIQUES :
Il est actuellement admis que la survenue de neuropathies optiques
alcoolotabagiques résulte de la conjonction de plusieurs facteurs
chez le même sujet : abus d’éthanol et de tabac, mais aussi d’un
déficit vitaminique associé en B1 et B2, plus rarement en B12 ou
folates.
Cette atteinte est en règle bilatérale, progressive, mais parfois
asymétrique, avec alors au début un tableau clinique d’allure
unilatérale qui dure quelques semaines à quelques mois.
La baisse
d’acuité visuelle de loin est variable, parfois sévère ; elle peut être
précédée d’une gêne en vision de près, en rapport avec un trouble
accommodatif.
La dyschromatopsie d’axe vert-rouge est précoce
avec, dans les formes sévères, une perte complète de la perception
du rouge. Le fond d’oeil est le plus souvent longtemps normal, mais
peut montrer des hémorragies, une tortuosité des petits vaisseaux
rétiniens du pôle postérieur, ou le plus souvent une pâleur légère
du secteur temporal de la papille.
Le champ visuel retrouve un
scotome cæcocentral bilatéral de forme ovalaire, à grand axe
horizontal, à pente raide, à bords souvent irréguliers, s’étendant en
pont entre la tache aveugle et le point de fixation qu’il enveloppe ;
les isoptères périphériques sont normaux.
Cette atteinte du champ
visuel peut être retrouvée même si l’acuité visuelle est normale, en
particulier en utilisant une cible colorée (rouge).
Les potentiels évoqués visuels sont précocement altérés avec un
allongement des latences ; ils sont abolis dans 20 % des cas.
L’évolution dépend de l’ancienneté de l’atteinte, mais est en règle
favorable en 3 à 12 mois à l’arrêt de l’intoxication ; elle est accélérée
par la vitaminothérapie.
La persistance de l’intoxication entraîne une
évolution vers l’atrophie optique avec des séquelles visuelles.
La
pathogénie est encore controversée, plusieurs mécanismes pouvant
coexister : atteinte directe par l’alcool et/ou le tabac, carence
nutritionnelle associée (en vitamine B12, thiamine, pyridoxine et
surtout acide folique), et intoxication par le cyanide contenu dans la
fumée du tabac.
L’élimination du cyanide sous forme de thiocyanate
ne pourrait se faire en raison de la carence vitaminique (B6, B12 et
acide folique, qui jouent un rôle dans cette détoxication).
Le traitement repose sur l’arrêt complet de toute intoxication
alcoolique et tabagique et sur la correction des facteurs
nutritionnels : alimentation équilibrée et apport de polyvitamines du
groupe B.
Le traitement par injection de vitamine B12
intramusculaire 1 000 mg une fois par mois reste controversé.
Sur ce
terrain alcoolotabagique, on redoute un effet toxique surajouté du
disulfirame (Espéralt) administré comme agent thérapeutique, à
titre antabuse.
1- Méthanol :
On rapproche souvent de l’intoxication chronique par l’alcool
éthylique l’intoxication aiguë par le méthanol (alcool méthylique),
utilisé comme support d’alcools frelatés.
Lors de l’intoxication
aiguë, après une phase de latence allant de 30 minutes à 72 heures,
apparaissent des signes digestifs (nausées, vomissements), isolés
dans les formes mineures, accompagnés de signes oculaires (baisse
visuelle avec parfois phosphènes) dans les formes plus importantes.
Une mydriase aréactive est fréquente et serait de valeur pronostique.
Dans les cas graves, il existe des troubles de la vigilance réalisant un
coma sans signe de localisation.
L’étude du fond d’oeil montre le
plus souvent une hyperhémie papillaire et péripapillaire.
L’évolution
de l’atteinte ophtalmologique dépend de l’importance de
l’intoxication, pouvant néanmoins évoluer vers l’atrophie optique.
Le traitement de l’intoxication est une urgence vitale, nécessitant
souvent l’hospitalisation en milieu de réanimation médicale.
2- Déficits alimentaires
:
Des neuropathies optiques par déficits alimentaires ont été décrites
dans des populations avec des possibilités alimentaires restreintes
(prisonniers pendant la guerre de Viêt Nam, neuropathie optique
épidémique de Cuba), mais aussi chez des personnes ayant un
régime végétalien strict, sans supplémentation vitaminique adéquate.
B - DÉFICIT EN VITAMINE B12
:
Il provoque des dysfonctionnements neurologiques, dont la
neuropathie optique. Elle n’est que très rarement due à un déficit
alimentaire, car les réserves de l’organisme (essentiellement
hépatiques) ne sont épuisées qu’après plusieurs années de privation.
La source de vitamine B12 se trouvant exclusivement dans les
viandes et les produits lactés, l’absence de consommation de ces
produits, notamment chez des végétaliens, peut provoquer une
telle neuropathie optique en l’absence de supplémentation
vitaminique.
La situation la plus fréquente est néanmoins celle
de l’anémie pernicieuse, due à une absorption déficitaire de vitamine
B12 par déficit en facteur intrinsèque, probablement par cause autoimmune.
Le déficit en facteur intrinsèque, sécrété par les cellules
pariétales de l’estomac, rend l’absorption de la vitamine B12 au
niveau iléal déficitaire.
Les patients atteints d’anémie pernicieuse ont
souvent une anémie mégaloblastique.
Les signes neurologiques
résultent d’une atteinte des voies médullaires postérieures au niveau
cervical et thoracique (sclérose combinée de la moelle) ayant comme
conséquence des paresthésies, une faiblesse musculaire, une
diminution de la pallesthésie et l’instauration d’une spasticité avec
une hyperréflexie tendineuse.
La neuropathie optique peut précéder toutes ces atteintes dans l’anémie pernicieuse, ce qui explique la
nécessité de prélèvements sanguins pour doser la vitamine B12 dans
toute neuropathie optique bilatérale progressive d’étiologie
inconnue. Plus rarement, la neuropathie optique par déficit en
vitamine B12 peut survenir dans un contexte de malabsorption par
d’autres mécanismes (chirurgie digestive, vers intestinaux).
Un
traitement parentéral adéquat par vitaminothérapie peut
s’accompagner d’une récupération de la fonction visuelle aux stades
initiaux de la maladie.
Autres déficits
:
D’autres déficits vitaminiques ont été rendus responsables de
neuropathies optiques, dont les plus fréquents sont celui en vitamine
B1 ou thiamine, plus rarement la vitamine B6 ou encore les folates.
La vitamine B1 (thiamine) est une coenzyme essentielle dans le
métabolisme énergétique.
Sa carence, qui provoque le béribéri, peut
être d’origine alimentaire ou secondaire liée à une augmentation des
besoins (hyperthyroïdie, grossesse), une diminution de l’absorption
intestinale ou un défaut d’utilisation (troubles hépatiques).
Dans
l’alcoolisme, le déficit de vitamine B1 est dû à une diminution des
apports, de l’absorption et un défaut d’utilisation.
Il n’est pas clair
que le béribéri s’accompagne d’une neuropathie optique carentielle,
puisque les modèles animaux ne souffrent pas de neuropathie
optique.
Chez l’homme, ce déficit n’aurait cependant qu’un rôle
secondaire lors de carences polyvitaminiques.
La vitamine B6 (pyridoxine) se trouve sous trois formes (pyridoxine,
pyridoxal et pyridoxamine) qui, phosphorylées, servent de
coenzymes dans de nombreuses réactions.
Plusieurs drogues
affectent son métabolisme et augmentent ses besoins :
les antituberculeux (isoniazide), le chloramphénicol, la D-pénicillamine.
La carence en vitamine B6 serait plus volontiers
responsable de la neuropathie optique que la toxicité directe de ces
différentes drogues sur le nerf.
Le traitement habituel chez l’adulte
carencé est de 50 à 100 mg/j per os.
L’acide nicotinique (niacine) joue un rôle essentiel dans le
métabolisme cellulaire (nicotinamide adénine dinucléotidecicotinamide
adénine dinucléotide phosphate [NAD-NADP]).
Sa
carence provoque la pellagre dans laquelle ont été décrites des
neuropathies optiques.
L’acide nicotinique est présent dans de
nombreux aliments et sa carence est retrouvée dans l’alcoolisme
chronique et la cirrhose hépatique.
Là encore, la supplémentation
vitaminique pourrait s’accompagner d’une récupération visuelle
dans les stades débutants de la maladie.
C - NEUROPATHIES OPTIQUES D’ORIGINE
MÉDICAMENTEUSE
:
Les médicaments reconnus comme toxiques pour le nerf optique
sont très nombreux et de nouvelles molécules sont régulièrement
décrites.
Dans son livre Toxicology of the eye, Grant
recensait, en 1990, environ 40 substances responsables d’atteinte
rétrobulbaire du nerf optique et le même nombre de substances responsables
d’atteinte antérieure. Nous étudions uniquement les molécules le
plus fréquemment incriminées dans ces atteintes.
1- Éthambutol (Myambutolt)
:
L’apparition de l’atteinte visuelle sous éthambutol est dose
dépendante, en dehors des susceptibilités individuelles (insuffisance
rénale). Plusieurs études de toxicité ont amené les auteurs à conclure
que 15 mg/kg/j est la dose qui permet un risque minime de
neuropathie optique toxique.
Le mécanisme de cette toxicité n’est
pas formellement démontré, mais il est admis que l’éthambutol
aurait un effet chélateur vis-à-vis du zinc, nécessaire dans la fonction
cytochrome oxydase.
Il n’y a pas de particularité dans les manifestations cliniques ;
l’atteinte de la vision des couleurs peut être précoce, précédant la
baisse visuelle.
Le traitement est avant tout préventif, reposant sur
l’élimination des sujets à risque (insuffisance rénale), l’adaptation
des doses au poids et la surveillance ophtalmologique des patients
sous traitement.
Le bilan de départ comporte une mesure
de l’acuité visuelle, de la vision des couleurs, des potentiels évoqués
visuels par damiers, et un champ visuel statique de Humphrey.
Le
même bilan est répété entre la deuxième et la troisième semaine
après le début du traitement, puis tous les 2 mois.
La survenue
d’une dyschromatopsie ou d’une altération des potentiels évoqués
visuels (survenant habituellement en premier) est contrôlée par un
nouvel examen quelques jours plus tard, et si les anomalies se
confirment, le traitement est interrompu.
La récupération
fonctionnelle est habituelle aux stades précoces.
2- Isoniazide (Rimifont)
:
Cet antituberculeux a été rendu responsable isolément de
neuropathies périphériques, en particulier des membres inférieurs
avec des brûlures et des paresthésies au niveau des pieds.
Seul, il
est plus rarement responsable de neuropathie optique, celle-ci
survenant le plus souvent lors de traitements l’associant à
l’éthambutol. Sa toxicité est plus précoce que celle de l’éthambutol
(habituellement avant la sixième semaine).
En cas de survenue de
toxicité oculaire lors d’un traitement antituberculeux par les deux
médicaments, l’éthambutol est arrêté en premier par argument de
fréquence (sauf en cas d’atteinte précoce), puis, si l’atteinte
s’aggrave, l’isoniazide est également interrompu.
L’administration
simultanée de vitamine B6 (pyridoxine) 25 à 100 mg/j, qui prévient
la survenue de neuropathie périphérique, a été conseillée.
Elle
diminue mais ne supprime pas le risque d’atteinte du nerf optique.
3- Autres agents anti-infectieux
:
Parmi les autres agents anti-infectieux responsables de neuropathies
optiques, il faut mentionner le chloramphénicol chez des enfants
traités au long cours et les dérivés quinolés utilisés comme antiseptiques
intestinaux.
La quinine a une toxicité surtout rétinienne (ischémie artérielle)
en cas de surdosage.
4- Amiodarone :
Parmi les médicaments à visée cardiovasculaire, l’amiodarone (Cordaronet), antiarythmique d’utilisation fréquente, a un effet potentiellement toxique sur le nerf optique.
La présence de dépôts
cornéens chez des patients sous Cordaronet est fréquente, sans qu’il
y ait de retentissement sur la fonction visuelle.
L’atteinte du nerf
optique est en revanche rare, mais connue : il s’agit le plus souvent
d’une baisse visuelle progressive avec, au fond d’oeil, un oedème
papillaire bilatéral.
L’absence de l’oedème papillaire doit néanmoins
faire évoquer ce diagnostic, puisque l’arrêt du traitement à un stade
précoce permet parfois une récupération partielle de la vision, au
bout de quelques semaines.
D’autres cas de neuropathie optique
irréversible d’allure plutôt ischémique ont été décrits, sans que
l’imputabilité de la Cordaronet soit claire, puisque le terrain de ces
patients prédispose aux mêmes accidents.
Enfin, la Cordaronet a
été rendue responsable de cas d’hypertension intracrânienne
bénigne avec, au fond d’oeil, un oedème papillaire bilatéral.
5- Anticancéreux :
Parmi les médicaments anticancéreux, il faut savoir reconnaître la
possibilité d’une toxicité sur le nerf optique de la vincristine
(Oncovint), mais aussi de l’interféron dont l’étiologie serait plutôt
de nature ischémique, le tamoxifène, plus rarement de
l’azathioprine (Imurelt) ; cette liste est loin d’être exhaustive.
Récemment, le tacrolimus (FK 506), agent immunosuppresseur
utilisé dans les greffes hépatiques, a été impliqué dans la survenue
de neuropathie optique bilatérale, supposée toxique.
6- Disulfirame (Espéralt)
:
C’est un produit utilisé dans les cures de désintoxication alcoolique
et qui entraîne des réactions désagréables et passagères lors de la
prise d’alcool.
Plusieurs cas de neuropathies optiques liées au
disulfirame ont été décrits et il est important d’évoquer cette cause
lorsque le patient continue de voir sa fonction visuelle se dégrader
malgré l’arrêt de l’alcool.
7- Nouvelles thérapies avec une toxicité potentielle
sur le nerf optique :
Le nombre croissant de nouvelles molécules utilisées dans les
maladies systémiques entraîne naturellement une fréquence accrue
d’effets secondaires neuro-ophtalmologiques.
* Sildénafil (Viagrat)
:
Les effets oculaires sont de deux ordres :
– un effet rétinien par inhibition de la phosphodiestérase de type 5,
présente aussi dans les photorécepteurs.
Les patients peuvent
accuser une photosensibilité transitoire, lors de la prise du
médicament ;
– un effet plus grave, celui de la survenue de neuropathie optique
ischémique antérieure aiguë se manifestant par une perte rapide de
la vision, un oedème papillaire et un déficit campimétrique souvent
altitudinal, sans véritable récupération fonctionnelle.
Le mécanisme
impliqué serait l’hypotension artérielle induite par le sildénafil,
entraînant une ischémie d’un nerf optique probablement déjà
prédisposé à un tel phénomène.
* Ciclosporine A
:
La toxicité de cet immunosuppresseur sur les nerfs optiques serait
expliquée par une microangiopathie et/ou une toxicité axonale
directe.
Il est plus rare que la ciclosporine A entraîne une
hypertension intracrânienne et par ce biais un oedème papillaire
bilatéral.
La ciclosporine A peut être responsable de baisse visuelle
par d’autres mécanismes : elle a été récemment incriminée dans la
survenue de cécité corticale.
D - NEUROPATHIES OPTIQUES TOXIQUES EN MILIEU
INDUSTRIEL
:
Devenues rares en France où la législation du travail est stricte, les
neuropathies optiques toxiques en milieu industriel sont reconnues
comme maladies professionnelles si le travailleur a été exposé à l’un
des toxiques faisant partie de la dernière liste établie par la Sécurité
sociale en 1992.
Après déclaration, une commission d’expertise
statue et permet une indemnisation et un changement de poste, soit
au sein de la même entreprise, soit après une nouvelle formation
professionnelle.
Il peut s’agir d’un accident avec exposition brutale
aiguë ou d’une exposition chronique.
Dans ce dernier cas, les
manifestations cliniques typiques des neuropathies professionnelles
ont presque totalement disparu pour laisser la place à une
symptomatologie infraclinique (altération des potentiels évoqués
visuels) permettant de faire un diagnostic précoce de l’intoxication.
Sont reconnues d’origine professionnelle les intoxications par
dérivés halogénés des hydrocarbures, le sulfure de carbone, ainsi
que les composants organophosphorés (parathion).
Actuellement, seuls persistent comme pouvant être responsables
d’atteinte professionnelle du nerf optique les dérivés halogénés des
hydrocarbures aliphatiques (carburants et solvants) et le sulfure de
carbone.
Cependant, dans le chapitre « Pathologie professionnelle
de la vision » établi par la Sécurité sociale (amaurose), on retrouve
les composants organophosphorés.
1- Métaux :
Ils ne sont actuellement plus reconnus dans le tableau de la Sécurité
sociale comme pouvant être responsables de neuropathies optiques
toxiques professionnelles.
Le thallium (et ses sels) était présent dans la composition des
insecticides et des raticides.
Dans le cadre d’intoxication chronique,
il a été rendu responsable de neuropathies optiques graves avec
scotome central et évolution vers l’atrophie optique.
Dans le cadre
d’intoxications aiguës, accidentelles ou volontaires, les neuropathies
optiques étaient fréquentes et graves, associées à des troubles
neurologiques, digestifs et cardiovasculaires.
* Plomb
:
Le classique saturnisme professionnel est, en fait, rarissime.
Il s’agit
le plus souvent d’une intoxication alimentaire par l’eau chargée de
plomb.
Dans l’industrie, le plomb est retrouvé dans les peintures,
les batteries, les carburants...
Outre la baisse visuelle et le scotome
central, l’examen ophtalmologique retrouve parfois un oedème
papillaire plus ou moins associé à des hémorragies rétiniennes.
Le
diagnostic est évoqué sur l’association de signes digestifs (colique
au plomb) avec une anémie, une néphropathie chronique, des
syndromes neurologiques et l’existence d’un liseré gingival (de
Burton).
Le dosage sanguin retrouve une plombémie et une plomburie augmentées. Le traitement repose sur les chélateurs
(acide éthylène diamine tétra-acétique [EDTA]).
2- Sulfure de carbone :
C’est un solvant des graisses utilisé dans l’industrie du caoutchouc
(pneumatiques), des textiles synthétiques et en agriculture
(parasiticide).
L’intoxication chronique est responsable d’asthme,
d’amaigrissement, de diarrhée, auxquels succède une polynévrite
sensitivomotrice associée à une neuropathie optique.
Celle-ci est
caractérisée par une baisse visuelle bilatérale, rapide, avec des
troubles de l’accommodation.
L’examen retrouve un fond d’oeil
normal, une dyschromatopsie d’axe rouge-vert et au champ visuel,
un scotome central parfois associé à un rétrécissement concentrique
des isoptères.
Le traitement de l’intoxication chronique est
essentiellement préventif et repose sur la surveillance des potentiels
évoqués visuels.
L’intoxication aiguë se présente sous forme de
troubles neuropsychiques et digestifs.
L’intoxication par le sulfure
de carbone est une maladie professionnelle reconnue depuis 1945.
Le délai de prise en charge de la neuropathie optique dans le cadre
de l’intoxication chronique est de 1 an.
Conclusion
:
Les neuropathies optiques toxiques et carentielles ont des manifestations
cliniques similaires.
Le diagnostic repose essentiellement sur des données
cliniques mais il n’est retenu qu’après avoir éliminé toutes les autres causes
d’atteintes du nerf optique, notamment les causes compressives.
L’arrêt définitif du toxique et la supplémentation vitaminique en cas de
carence nutritionnelle sont impératifs, conditionnant la récupération
fonctionnelle, qui est d’autant meilleure que le diagnostic a été précoce.