Anatomie et histologie de la moelle osseuse Cours
d'hématologie
Introduction
:
La moelle osseuse, malgré sa dispersion anatomique, présente une unité
d’organisation justifiant la réunion des territoires intraosseux multiples sans
lien de continuité en un même organe hématopoïétique.
Cet organe assure la
différenciation des cellules sanguines grâce aux particularités de sa
vascularisation et à sa richesse en cellules stromales, cellules
mésenchymateuses stimulant l’hématopoïèse.
Les connaissances sur
l’histophysiologie de la moelle osseuse ont été renouvelées par les cultures à
long terme de cellules souches hématopoïétiques et par l’identification de
nombreux facteurs de croissance et de molécules d’adhésion cellulaire
permettant de mieux comprendre les interactions entre les cellules
hématopoïétiques et les cellules du stroma médullaire.
Peu évident sur les
frottis de myélogramme et les coupes histologiques de moelle osseuse, le stroma est pourtant la structure essentielle de l’hématopoïèse : hautement
organisé, il forme les niches adhésives pour le logement et la survie à long
terme, la prolifération et la différenciation des cellules souches
hématopoïétiques.
L’exploration anatomique de la moelle a été renouvelée par les progrès des
scintigraphies et surtout de l’imagerie par résonance magnétique (IRM).
L’analyse histologique est actuellement perfectionnée par l’essor de
l’immunohistologie avec la disponibilité de nombreux anticorps
monoclonaux utiles en hématologie.
Développement embryonnaire et foetal
:
L’hématopoïèse foetale chez l’homme est caractérisée par plusieurs stades.
Le stade primitif mésodermique, durant les 5 premières semaines de la
gestation, correspond à la différenciation au sein du tissu conjonctif
embryonnaire des îlots sanguins primitifs de Wolf et Pander, foyers de
différenciation intravasculaire érythroblastique apparaissant à partir du 16e
jour dans le sac vitellin, puis du 22e jour dans le mésoblaste.
Le stade hépatosplénique s’étend du troisième au sixième mois foetal.
Des
îlots hématopoïétiques périvasculaires, apparus progressivement depuis la
sixième semaine dans le foie, et plus accessoirement dans la rate, produisent
des érythroblastes de taille plus réduite que celle des cellules primitives.
Les granulocytes et les mégacaryocytes paraissent encore peu nombreux.
La part
de l’hématopoïèse splénique reste réduite par rapport à celle du foie.
Le stade médullaire commence vers le quatrième mois foetal, avec la
résorption du cartilage, le début de l’ossification et la pénétration des
ébauches osseuses par les axes vasculoconjonctifs : à leur contact, se
différencient d’abord les granulocytes, puis des érythroblastes et des
mégacaryocytes.
L’hématopoïèse médullaire deviendra prépondérante à
partir du sixième mois.
À chacun de ces stades, l’hématopoïèse se développe
secondairement à l’apparition préalable de cellules stromales et de cellules
souches hématopoïétiques.
Ainsi, dans les os longs du foetus humain, son
développement autour des vaisseaux artériels centraux de l’os est secondaire
à la constitution d’un réseau local de cellules stromales médullaires qui
paraissent venir de l’adventice des artères.
Dans les os plats, des séquences
analogues apparaissent dans les régions endostales.
Données macroscopiques, quantitatives
et topographiques :
A - Données macroscopiques :
L’aspect macroscopique de la moelle est variable : la moelle rouge active est
riche en cellules myéloïdes et en vaisseaux sanguins, avec une proportion
moyenne ou faible de cellules adipeuses; celles-ci sont prépondérantes dans
la moelle jaune inactive.
Entre ces deux extrêmes, il existe tous les
intermédiaires en fonction de l’âge, de la topographie des pièces osseuses et
de la pathologie.
En effet, la cellularité myéloïde, soumise à de nombreux
facteurs de variations (âge, besoins de l’organisme, maladies
hématologiques), dépend aussi, en valeur relative, des variations de volume
du contenant osseux.
Ces facteurs, ajoutés à la grande dispersion de la moelle,
expliquent la difficulté d’appréciation de la richesse médullaire en pathologie.
B - Données quantitatives :
Les données quantitatives relatives, exprimant le pourcentage ou le nombre
de cellules par millilitre, sont obtenues chez l’homme grâce à la ponction du
sternum ou de la crête iliaque chez l’adulte, de la crête tibiale ou des
apophyses épineuses chez l’enfant.
Il y a de 5 000 à 20 000 cellules nucléées
par millilitre chez le sujet normal.
Chez l’adulte, la lignée granuleuse
neutrophile représente en moyenne 38 % des cellules médullaires, la lignée
éosinophile 3,5 %, la lignée érythroblastique 22 %.
Le pourcentage des
lymphocytes varie avec l’âge : de l’ordre de 12 %le premier jour de la vie, il
monte à presque 50 % vers la fin du premier mois, puis descend
progressivement pendant les 2 premières années pour atteindre un taux
moyen de 16 %. Les plasmocytes représentent moins de 2 % des cellules
médullaires.
Les données quantitatives absolues sont beaucoup plus difficiles à obtenir.
Mechanik, en 1926, par la dissection de 13 cadavres, avec mesure du poids de
la moelle par immersion des pièces osseuses dans l’eau, a trouvé que la moelle
représente en moyenne 4,6 % du poids du corps, soit 3 390 g pour un adulte
de 65 kg (la moelle rouge correspondant à la moitié, soit 1 690 g).
À partir
des ces résultats, Custer, en 1932, a calculé le volume de la moelle comme
variant de 1 320 à 4 192 mL et Pegg la cellularité totale moyenne de la
moelle : 8,1 x 109 cellules par kilogramme de poids total.
Les méthodes
isotopiques (après injection de radiofer et comptage de la radioactivité dans
un échantillon médullaire) évaluent plus précisément le nombre de cellules
nucléées : 2,1 x 109/kg de poids selon Skarberg, avec un volume de
6,8 mL/kg, soit un volume moyen total de 500 mL pour les trois lignées
myéloïdes (érythroblastes, granulocytes, mégacaryocytes).
D’après cette
méthode, la cellularité médullaire totale est multipliée en moyenne par 1,7
dans les polyglobulies primitives de Vaquez et divisée par 2,8 dans les
aplasies médullaires.
Une mesure isotopique pratique de la cellularité
médullaire en clinique humaine a été faite en mettant en relation le turnover
des cellules du sang circulant et de la moelle, précisant la quantité totale des
érythroblastes, réticulocytes, cellules granuleuses et mégacaryocytes, dans la
moelle osseuse humaine.
C - Données topographiques :
La richesse médullaire varie avec l’âge et avec la topographie osseuse.
À la
naissance, et jusqu’à l’âge de 4 ans, la moelle de la totalité des cavités
osseuses, à l’exception des phalanges terminales, est rouge et active, car les
espaces médullaires chez le nouveau-né sont réduits en raison de l’abondance
du cartilage et de l’épaisseur des travées de l’os spongieux.
Après 4 ans, il
apparaît une involution adipeuse de nombreux territoires médullaires, liée à
un accroissement trop important du volume des cavités osseuses par rapport
à celui des cellules de la moelle hématopoïétique.
Cette involution est
centripète, débutant dans les extrémités des membres et s’accentuant à partir
de l’âge de 7 ans.
Chez l’adulte, la moelle hématopoïétique n’est
présente que dans certains os seulement : vertèbres, sacrum, os iliaque, côtes,
sternum, os du crâne, extrémités supérieures du fémur et de l’humérus.
Cependant, même dans les os où l’hématopoïèse est active, il existe une
involution adipeuse progressive, qui est plus marquée à la partie centrale des
os.
Cette involution adipeuse peut être appréciée par des méthodes
histologiques quantitatives, mesurant le pourcentage de volume occupé par
les adipocytes par rapport au tissu médullaire total dans une pièce osseuse
donnée.
À l’aide d’une telle méthode, on peut noter une décroissance du
compartiment cellulaire et une augmentation du compartiment adipeux de la
moelle avec l’âge.
Cette involution adipeuse s’explique en partie par
une augmentation du volume des espaces médullaires avec le vieillissement
du fait de la diminution du volume osseux : elle est particulièrement
marquée dans les ostéoporoses.
La distribution topographique de la moelle hématopoïétique peut être également appréciée par des méthodes
isotopiques : scintigraphies après marquage des érythroblastes (fer ou
indium) ou des macrophages médullaires par des colloïdes radioactifs
(technétium) ou comptages externes.
Ces méthodes permettent de suivre
l’extension de la moelle active dans les cas de besoins accrus (hémorragies,
hémolyses) et dans les syndromes myéloprolifératifs, et sa réduction en cas
d’aplasie.
L’IRM permet aussi l’évaluation de la moelle inactive adipeuse par
rapport à la moelle active rouge grâce à l’étude de la conversion adipeuse de
certaines pièces osseuses avec l’âge (rapport graisse/eau).
Elle permet donc
de préciser la topographie de la moelle active et la chronologie de la
conversion de la moelle rouge en moelle jaune avec la croissance.
L’IRM a
servi ainsi à démontrer que la conversion de la moelle rouge en moelle jaune
survient dans les os de la face avant ceux du crâne.
Elle a précisé les
variations morphologiques avec l’âge de la moelle des vertèbres, du
pelvis, du sternum, du sacrum, du fémur, du genou.
Structure de la moelle hématopoïétique
:
L’hématopoïèse médullaire est localisée dans des logettes extravasculaires,
situées en dehors et à proximité des vaisseaux, partiellement délimitées par
les adipocytes et les travées de l’os spongieux, et irriguées par un réseau
anastomotique de capillaires sinusoïdes et structurées par un réseau de
cellules fibroblastiques.
Dans chacune de ces logettes, l’hématopoïèse est un
processus dynamique avec des interactions complexes entre les cellules
hématopoïétiques et les cellules du stroma.
A - Réseau vasculaire médullaire :
La vascularisation est l’élément central de la microstructure médullaire,
permettant le passage des substances stimulantes et de cellules souches, et la
libération des cellules matures.
Le réseau vasculaire médullaire a surtout
été étudié par injection vasculaire avec microradiographie des os longs des
rongeurs : les observations ne sont que partiellement transposables aux os
hématopoïétiques spongieux de l’homme.
Les artères nourricières de l’os
donnent des ramifications centrales, satellites des plus gros sinus, puis des
artérioles dirigées vers la périphérie des cavités osseuses, prolongées par des
capillaires le plus souvent situés dans la corticale osseuse et qui se
transforment en sinusoïdes lorsqu’ils pénètrent à nouveau dans la moelle.
Ces
capillaires sont fréquemment anastomosés dans la région de l’endoste avec
des capillaires issus du réseau périosté et traversant obliquement la corticale
par les canaux de Havers.
Ainsi, une partie du sang artériel irriguant la moelle
a préalablement irrigué l’os.
Les sinusoïdes qui prolongent les capillaires
(diamètres de 50-75 ím) sont d’abord contournés et présentent de multiples
divisions et anastomoses.
Ils sont collectés dans les sinusoïdes droits, puis
dans les sinus centraux et dans les veines émergeant de l’os.
Chaque bouquet
de sinusoïdes contournés se jetant dans le même segment de sinusoïde droit
est le lieu privilégié des migrations cellulaires transendothéliales.
Les
lymphatiques sont absents dans la moelle, les sinusoïdes assurant leur
fonction.
Le réseau vasculaire médullaire est doublé d’un réseau nerveux périvasculaire avec des fibres myélinisées et non myélinisées vasomotrices,
capables de transmettre la sensation de douleur lors de l’aspiration du
myélogramme.
B - Unité structurelle médullaire :
La moelle hématopoïétique peut être interprétée comme la juxtaposition
d’unités élémentaires, centrées sur un groupe de sinusoïdes anastomosés,
structurées par un réseau de cellules stromales et disposées de manière
adjacente, en cordons, autour d’une artériole et entourées par des sinus.
Les ponctions-aspirations de la moelle osseuse hématopoïétique
humaine (myélogrammes) montrent ces unités élémentaires sous forme de
grains, amas cellulaires cohésifs correspondant chacun à un groupe de
cellules hématopoïétiques en cours de différenciation, adhérant à un réseau
de cellules du tissu de soutien.
Ces unités structurelles élémentaires restent
plus difficiles à mettre en évidence sur les coupes histologiques, mais
l’analyse morphométrique de coupes de biopsies médullaires montre que la
moelle hématopoïétique humaine a une structure de type fractal, la taille de
chaque unité structurelle élémentaire étant déterminée par la dimension de
l’espace de diffusion locale des facteurs de croissance nécessaires à
l’hématopoïèse.
Dans certaines situations pathologiques, la moelle
hématopoïétique humaine est distribuée de manière plus évidemment
hétérogène, d’où une architecture histologique en damiers par juxtaposition
de zones hématopoïétiques actives et de zones peu actives accentuant la
microstructure discontinue médullaire.
Ainsi, l’organe médullaire apparaît
composé d’unités élémentaires : chaque unité correspond au groupe de
cellules descendant d’une ou plusieurs cellules souches totipotentes, adhérant
à un même réseau de cellules de soutien situé autour du même réseau de
capillaires sinusoïdes anastomosés, sous la même dépendance de facteurs de
croissance diffusés localement et agissant sur les cellules de l’environnement
immédiat par paracrinie.
C - Macrophages médullaires et îlots érythroblastiques :
Les macrophages, bien que faisant partie des cellules du microenvironnement
médullaire, dérivent de la cellule souche hématopoïétique, et non de la cellule
souche stromale.
Ils sont comparables à ceux des autres organes
hématopoïétiques : leur cytoplasme est riche en lysosomes primaires et en
enclaves phagocytaires, avec fréquemment des hématies en voie de lyse, des
amas de ferritine ou d’hémosidérine.
Abondants, souvent disposés à
proximité des sinusoïdes en position adventicielle, ils phagocytent les noyaux
expulsés par les érythroblastes matures et ils peuvent envoyer
des prolongements traversant l’endothélium émergeant dans la
lumière des sinus pour exercer une action phagocytaire, en
particulier sur les globules rouges.
Les macrophages apparaissent nécessaires à la maturation des cellules
hématopoïétiques, en particulier érythroblastiques et lymphoïdes.
Ils
phagocytent les cellules hématopoïétiques avortées et apoptotiques.
Les macrophages médullaires ont des rapports privilégiés avec les
érythroblastes : l’îlot érythroblastique est une structure remarquable de la
moelle osseuse, formée par un macrophage entouré d’érythroblastes à divers
stades de maturation, adhérant très fortement à lui.
L’interaction entre le
macrophage et les cellules érythroblastiques peut commencer dès le stade de
progéniteur érythroïde CFU-E (erythroid-colony forming unit) et BFU-E
(erythroid-burst forming unit).
L’adhésion des érythroblastes au macrophage
stimule la prolifération des érythroblastes et paraît nécessaire à la terminaison
de la maturation érythrocytaire, et en particulier à l’énucléation du noyau.
On
a suspecté dans cette interaction diverses molécules :
– la fibronectine ;
– une protéine de 30 kDa isolée à partir de la membrane cytoplasmique des
macrophages et des érythroblastes ;
– la molécule VCAM-1 dont le récepteur homologue, l’alpha-intégrine
VLA-4, est exprimé par les érythroblastes, mais non par les réticulocytes et
les globules rouges.
Les anticorps monoclonaux contre VLA-4 et contre
VCAM-1 dissocient les îlots érythroblastiques cultivés en présence
d’érythropoïétine : ces intégrines paraissent donc jouer un rôle dans la
formation des îlots érythroblastiques.
D - Compartiments histologiques médullaires :
Les cellules myéloïdes sont juxtaposées dans les territoires extravasculaires
situés entre les vaisseaux et l’endoste, au contact des adipocytes et des autres
cellules du stroma médullaire.
Sur les coupes histologiques de moelle
osseuse, les cellules des diverses lignées hématopoïétiques ne sont pas tout à
fait mélangées au hasard : suivant leur type, elles ont des liens de proximité
avec certaines structures médullaires.
1- Compartiment prolifératif myéloïde endostal et périendothélial
:
Les régions endostales, juxtatrabéculaires, apparaissent plus riches que la
moelle centrale des os en précurseurs hématopoïétiques, en cellules souches
et en cellules stromales stimulant l’hématopoïèse.
Après ablation
mécanique de la moelle par curetage chez l’animal, la régénération du tissu stromal se développe à partir des zones endostales et précède la réapparition
des cellules hématopoïétiques.
Les ostéoblastes des surfaces endostales
stimulent la prolifération des progéniteurs hématopoïétiques, et de même
les cellules endothéliales stimulent l’hématopoïèse en synthétisant des
facteurs de croissance capables d’entretenir la granulopoïèse et la
mégacaryocytopoïèse.
Les cellules réticulaires adventitielles des
sinusoïdes stimulent aussi l’hématopoïèse.
Au cours des régénérations
médullaires, les cellules prolifératives sont donc préférentiellement localisées
non seulement dans les régions proches de l’endoste, mais aussi dans celles
proches de l’endothélium, alors que les autres zones médullaires
correspondent plutôt à un compartiment de maturation.
En
pathologie humaine, dans les syndromes myélodysplasiques, une
lésion décrite sous le
nom d’ALIP (abnormal localization of immature precursors) correspond à la
localisation inhabituelle de précurseurs en foyers de plusieurs cellules
(myéloblastes, promyélocytes) dans des zones éloignées des capillaires
sinusoïdaux et de l’endoste, et correspondant normalement à des zones de
maturation dépourvues de cellules immatures.
La mise en évidence immunohistologique des cellules souches CD34+ et des cellules proliférantes
à l’aide des anticorps Ki-67 ou anti-PCNA (proliferating cell-nuclear
antigen) (PC10) permet de mieux repérer les compartiments
prolifératifs myéloïdes médullaires.
2- Compartiments lymphoïdes :
L’hématopoïèse lymphoïde peut aussi se distribuer sous forme de
compartiments.
Chez la souris, l’étude de la lymphopoïèse B in situ après
injection intraveineuse d’un anticorps anti-B permet de reconnaître une
distribution en plusieurs compartiments : amas de précurseurs lymphoïdes B
à proximité de l’endoste en association étroite avec les prolongements des
cellules réticulaires stromales, puis localisation au contact des macrophages
phagocytant les cellules lymphoïdes apoptotiques, enfin concentration dans
la lumière de certains sinusoïdes.
Dans la moelle osseuse humaine
normale, on observe aussi un compartiment lymphoïde périartériolaire sous
forme de nodules lymphoïdes de morphologie assez constante : diamètre
moyen de 300 nm, squelette de fibres argyrophiles plus marqué que celui de
la moelle adjacente, prédominance de petits lymphocytes avec de rares
mastocytes et plasmocytes, présence d’une petite artériole centrale
excentrique.
En pathologie humaine, les localisations médullaires des
lymphomes malins et des syndromes lymphoprolifératifs s’effectuent
préférentiellement dans certains de ces compartiments : juxtatrabéculaire, au
contact de l’endoste des travées de l’os spongieux (fréquemment observé pour
les localisations médullaires des lymphomes folliculaires), nodulaire,
réalisant des amas plus ou moins volumineux de cellules lymphoïdes,
interstitiel, par envahissement des zones d’hématopoïèse myéloïde,
intravasculaire à l’intérieur des lumières des vaisseaux sanguins.
Stroma ou tissu de soutien médullaire
:
A - Caractéristiques communes des cellules stromales :
Les cellules stromales délimitant et structurant les logettes hématopoïétiques
sont de plusieurs types : cellules réticulaires fibroblastiques, adipocytes,
cellules endothéliales, ostéoblastes.
Elles dérivent d’une cellule souche
différente de la cellule souche totipotente hématopoïétique.
Il s’y associe des
molécules de la matrice extracellulaire (collagène, laminine, fibronectine,
protéoglycanes, etc), et des cytokines ancrées sur les membranes cellulaires
et la matrice extracellulaire.
Les processus de multiplication et de
différenciation cellulaires exigés par l’hématopoïèse nécessitent un contact
étroit entre les cellules du tissu de soutien et les cellules souches
hématopoïétiques.
L’interaction des cellules stromales avec les progéniteurs
hématopoïétiques les plus primitifs, capables de reconstituer toutes les lignées
hématologiques chez un hôte irradié, et avec les progéniteurs plus différenciés
de chaque lignée, a été très étudiée : les cellules stromales régulent
l’hématopoïèse soit en réagissant directement (contacts de cellule à cellule)
avec les cellules hématopoïétiques, soit en sécrétant des molécules
régulatrices qui modulent l’hématopoïèse de manière positive ou négative.
Les cellules du stroma, en plus de leur rôle dans l’hématopoïèse, sont aussi
responsables de l’adipogenèse médullaire et de l’ostéogenèse.
Les pathologies hématologiques myéloïdes humaines permettent d’illustrer
la différence d’origine entre les cellules hématopoïétiques et stromales
médullaires.
Au cours des myélofibroses associées aux hémopathies
myéloïdes, les fibroblastes ne dérivent pas des cellules du clone myéloïde.
La greffe de cellules souches allogéniques chez l’homme ne s’accompagne
pas de greffe du composant fibroblastique du stroma médullaire.
Il est
toujours bien confirmé que le caryotype, ou le génotype, des fibroblastes
médullaires des sujets receveurs de greffe de moelle allogénique est celui du
receveur, à l’inverse des lignées hématopoïétiques qui proviennent du
donneur.
Les intégrines de type alpha-4 bêta-1 et les molécules d’adhésion vasculaire
de type 1, jouent un rôle important dans les interactions entre les cellules
stromales et les cellules hématopoïétiques.
Les molécules d’adhérence
VCAM-1 sur les cellules stromales, et les récepteurs homologues VLA-4
jouent un rôle dans l’adhérence des cellules hématopoïétiques, myéloïdes et
lymphoïdes, au réseau de cellules stromales médullaires.
Dans le tissu
myéloïde de la souris, les cellules stromales VCAM-1 positives forment des
amas irréguliers plus abondants dans les régions subostéales,
paratrabéculaires, où les cellules hématopoïétiques blastiques apparaissent
VLA-4 positives.
Le nombre de ces cellules augmente après
irradiation, détruisant les cellules hématopoïétiques.
Les anticorps dirigés
contre VLA-4 et VCAM-1 inhibent l’interaction entre les cellules blastiques
formant des colonies in vitro et les cellules du stroma.
Les molécules
VLA-4 et VLA-5 des cellules hématopoïétiques peuvent aussi reconnaître la fibronectine des cellules stromales.
La molécule endoglin peut être utilisée
par les proérythroblastes (à l’exclusion d’autres cellules de l’hématopoïèse)
pour une interaction avec les intégrines des cellules stromales.
Des
modifications des intégrines à la surface des cellules stromales médullaires
peuvent expliquer certaines anomalies de l’hématopoïèse : à la suite des
transplantations de moelle osseuse chez l’homme, une réduction de
l’expression des molécules d’adhérence cellulaire (VCAM-1) pourrait être
responsable du trouble de la lymphopoïèse et du retard dans la reconstitution
d’une fonction immunitaire correcte.
B - Cellules réticulaires fibroblastiques de la moelle
hématopoïétique :
Les fibroblastes médullaires, bien que jouant un rôle majeur dans
l’hématopoïèse, ne sont pas facilement observables sur les coupes
histologiques de la moelle normale.
Ces cellules, désignées par des
appellations diverses (fibroblastes, myofibroblastes, cellules réticulaires
stromales, cellules adventitielles, cellules interstitielles médullaires, etc) sont
allongées, avec des prolongements cytoplasmiques de faible épaisseur
seulement observables avec des techniques spéciales.
La microscopie
électronique les met en évidence sous forme de bandes cytoplasmiques
rubanées et étroites, s’insinuant entre les cellules hématopoïétiques avec un
réticulum granulaire assez développé, du glycogène et des microfibrilles
. Des jonctions cellulaires de type gap junction ont été observées entre
leurs prolongements cellulaires.
Les immunomarquages à l’aide d’anticorps
monoclonaux dirigés contre le récepteur du facteur de croissance nerveuse
(nerve growth factor receptor) permettent de marquer ces cellules, sur coupes
à congélation ou en paraffine, ou sur frottis de moelle et de mieux préciser
leur morphologie : leur noyau est ovale, leur cytoplasme est peu abondant
avec de longs dendrites s’insinuant entre les cellules hématopoïétiques,
longeant la face non luminale des cellules endothéliales, formant la
trame sur laquelle adhèrent les cellules hématopoïétiques.
Elles expriment
aussi des molécules de la matrice extracellulaire comme la laminine, la
fibronectine, les protéoglycanes.
Elles sont dépourvues d’antigènes
hématopoïétiques et n’expriment pas les antigènes macrophagiques.
À la
différence des cellules endothéliales, elles n’expriment pas le facteur VIII ni
aucun autre marqueur endothélial.
Elles expriment aussi la molécule CD44
(récepteur des hyaluronates), les récepteurs d’adhésion de surface de la
membrane cellulaire comme les bêta-1 intégrines VLA-1 et VLA-5.
Finalement, grâce à leurs caractéristiques morphologiques et moléculaires,
elles forment un réseau à mailles larges de cellules connectées procurant les
cytokines et les protéines de la matrice extracellulaire nécessaires à la
production, à la prolifération et à la maturation des cellules hématopoïétiques.
Certaines cellules réticulaires fibroblastiques médullaires présentent une
différenciation musculaire lisse.
Elles sont dotées d’un système de microfilaments contractiles de 6 à 9 nm de diamètre visibles en microscopie
électronique.
Diverses molécules contractiles les caractérisent : actine alpha-SM, chaînes lourdes de myosine musculaire lisse, etc, ce qui les apparente
aux cellules musculaires lisses, en particulier de l’intima artérielle sousendothéliale.
Des cellules actine positives sont observées sur les coupes de biopsie médullaire chez l’homme : ce sont surtout des cellules péricytaires
des capillaires, des cellules adventitielles des sinus, certaines cellules
stromales des logettes, des cellules bordant l’endoste, toutes cellules
paraissant avoir des contacts préférentiels avec la série granulocytaire.
Les
propriétés contractiles des cellules réticulaires stromales adventitielles leur
permettraient de couvrir et découvrir la surface externe de l’endothélium en
fonction des besoins de l’hématopoïèse : elles pourraient dégager plus
largement la surface endothéliale en cas d’augmentation de la production
myéloïde.
Chez le rat, la proportion de surface de l’endothélium couverte par
les cellules adventitielles baisse rapidement de 65 à 24 %après une injection
d’endotoxine, provoquant une sécrétion de facteurs de croissance
granulocytaires et une hyperleucocytose rapide ; de même après injection
d’érythropoïétine, la surface recouverte passe de 30 à 3 %.
C - Adipocytes
:
Inversement proportionnelles à la cellularité myéloïde, ces structures de
remplissage permettent à la moelle de s’adapter aux besoins : leur apparition
est rapide lorsque l’activité hématopoïétique diminue, et à l’inverse leur
résorption est rapide lorsque la cellularité myéloïde augmente.
Il existe des
différences entre les adipocytes de la moelle et ceux du reste de l’organisme
(graisse périrénale par exemple) : les adipocytes médullaires sont plus petits
et plus riches en acides gras insaturés, ce qui indique une moindre fonction de
réserve lipidique.
En cas d’hyperplasie myéloïde, la lipolyse médullaire reste
localisée à la moelle et ne s’accompagne pas d’une lyse de la graisse périrénale.
La différenciation des adipocytes médullaires a surtout été étudiée
grâce aux lignées de cellules stromales : les adipocytes médullaires dérivent
de préadipocytes, variété de cellule stromale ayant une morphologie de
fibroblaste.
La composition en acides gras des adipocytes varie avec les
lignées étudiées, en particulier du point de vue du pourcentage d’acides gras
insaturés, suggérant une hétérogénéité des préadipocytes médullaires.
La
transformation adipeuse est un processus de maturation qui s’accompagne de
l’accumulation de lipides, de triglycérides et d’esters de cholestérol, ainsi que
de l’apparition d’une activité enzymatique de type lipoprotéine lipase.
Elle
est stimulée par l’hydrocortisone, la méthylisobutylxanthine, l’indométacine
et l’insuline, et s’accompagne d’une diminution de la sécrétion de M-CSF
(macrophage-colony stimulating factor) par les cellules stromales.
L’inhibition de l’adipogenèse et la stimulation de la lipolyse en culture avec
réduction du nombre des adipocytes sont obtenues par l’action de
l’interleukine (IL)1-bêta ou de l’IL11, facteur de croissance d’origine
stromale médullaire stimulant l’hématopoïèse.
D - Endothélium et barrière médullosanguine :
1-
Cellules endothéliales
:
Les cellules endothéliales des capillaires sinusoïdes médullaires régulent le
trafic des cellules souches et progénitrices hématopoïétiques et la sortie des
cellules sanguines matures.
Elles sont plus facilement observables sur les
coupes en paraffine que les cellules réticulaires fibroblastiques : les anticorps antifacteur VIII, BNH9, ou anti-CD31, couramment utilisés en
immunohistologie, facilitent leur identification sur les coupes en paraffine de
moelle humaine.
Les cellules endothéliales de la moelle osseuse humaine sont
aussi marquées par la lectine Ulex europaeus agglutinine-1 (UEA-1).
Elles
n’expriment pas la glycoprotéine endoglin, à la différence de l’endothélium
vasculaire de tous les autres tissus.
Elles sont isolables et cultivables à
partir d’aspirations de moelle osseuse humaine après sélection positive
utilisant en particulier la lectine UEA-1.
Ainsi isolées, elles sont étudiables
plus facilement que in situ : elles restent positives en immunofluorescence
pour le facteur Willebrand et conservent leur marqueur cytoplasmique
morphologique caractéristique, les corps de Weibel-Palade montrés par la
microscopie électronique.
Elles expriment aussi les molécules ICAM-1
(intercellular adhesion molecule), VCAM-1, selectine E, BMA120.
Elles expriment la molécule CD34, en particulier dans la moelle osseuse du
foetus.
Elles contribuent aussi à la stimulation de l’hématopoïèse par
l’élaboration de facteur de croissance : IL6, ligand de c-kit (stem cell factor),
G-CSF (granulocyte-colony stimulating factor), GM-CSF (granulocyte
macrophage-colony stimulating factor).
La microscopie électronique montre que les cellules endothéliales forment
une barrière endothéliale continue, mince de 2 à 3 nm d’épaisseur, excepté
dans les régions périnucléaires où le cytoplasme plus volumineux est riche en
organites (appareil de Golgi) et fait saillie dans la lumière du sinusoïde.
Elles sont étroitement jointives à leurs extrémités, avec un recouvrement
partiel sans ménager d’orifice intercellulaire.
La basale des
sinus n’a pas la structure d’une basale normale : discontinue (souvent absente
sur de larges surfaces de l’endothélium), non fibrillaire, elle a l’aspect d’une
condensation irrégulière d’aspect floconneux.
L’endothélium est traversé par
les cellules souches hématopoïétiques passant du sang dans les niches
d’hématopoïèse extravasculaire (homing) et par les cellules sanguines
matures passant sélectivement de la moelle dans le sang (diabase) par des
orifices transendothéliaux faisant communiquer les territoires
extravasculaires et la lumière du vaisseau.
L’absence de basale continue
et la dispersion des cellules adventitielles favorisent le passage des cellules
myéloïdes matures de la moelle vers le sang.
Les orifices de migration sont
situés dans une zone particulière du cytoplasme endothélial, à proximité des
jonctions interendothéliales (à 1,5 nm environ de l’extrémité de la cellule
endothéliale).
Des fenêtres à diaphragme, zones d’amincissement
localisées du cytoplasme endothélial, semblent représenter peut-être la
première étape de constitution de ces orifices.
2- Migration transendothéliale, diabase et « homing »
:
Une fois l’ouverture constituée, elle garde un diamètre bien inférieur à celui
de la cellule qui migre.
Pour les polynucléaires, le diamètre de l’orifice atteint
son maximum (2,3 nm en moyenne) lorsque le deuxième tiers de la cellule le
traverse ; pour les réticulocytes, l’ouverture maximale (1,6 nm en moyenne)
est atteinte lors du passage du premier tiers du globule rouge.
Ces différences de dimensions d’ouverture sont probablement en relation avec des différences
dans la déformabilité des cellules en fonction de la présence ou de l’absence
du noyau.
Pour traverser ces orifices, les cellules qui migrent doivent ainsi
présenter une déformabilité suffisante.
Dans le cas des globules rouges,
l’expulsion préalable du noyau trop rigide est indispensable : celle-ci se ferait
en moyenne 12 heures avant la migration, cependant l’expulsion du noyau en
cours de traversée du sinus est parfois possible.
Les noyaux des
polynucléaires, monocytes et lymphocytes sont suffisamment déformables
pour permettre leur migration transendothéliale.
On a pu étudier in
vitro les conditions physiques de ce passage à l’aide de micro-orifices (filtres
micropores, micropipettes) précisant la déformabilité des polynucléaires et
des réticulocytes.
Le cas des mégacaryocytes est particulier : la région du
cytoplasme située à proximité des sinus émet des pseudopodes (et parfois de
longs prolongements dépassant 120 nm) traversant la paroi des sinus (I’orifice
de traversée restant de petit diamètre, comparable à celui du passage des
autres cellules).
Ces prolongements, qui ont une mobilité
amiboïde, se fragmentent ensuite dans la lumière des sinus pour libérer les
plaquettes.
Certains mégacaryocytes pourraient traverser en totalité
l’endothélium.
Des mouvements des cellules endothéliales favorisent le passage des
cellules : l’observation in vivo des sinusoïdes montre des dilatations
rythmiques de ces vaisseaux spécialement en cas d’intense activité
médullaire.
Les cellules endothéliales des sinusoïdes peuvent glisser l’une par
rapport à l’autre (l’absence de jonctions serrées favorisant leurs glissements
réciproques).
Ces dilatations paraissent favoriser le passage des cellules
de la moelle dans la lumière des sinusoïdes.
Dans son enveloppe
osseuse rigide, la moelle a un volume fixe : l’augmentation du volume de la
lumière des sinusoïdes n’est possible qu’avec la libération d’un nombre de
cellules myéloïdes représentant un volume équivalent.
Les sinus sont
entourés de cellules matures et l’augmentation périodique de leur volume
entraîne donc le passage dans la circulation des cellules localisées à leur
périphérie.
Les orifices ne sont pas permanents et semblent provoqués par le
contact des cellules matures.
Le stade initial du passage est un amincissement
localisé du cytogel endothélial au contact de la cellule qui amorce sa
migration : la membrane de la cellule endothéliale est déprimée et vient
fusionner avec la membrane endothéliale homologue située du côté
vasculaire, d’où formation de l’orifice de migration.
Cette migration transendothéliale implique donc des phénomènes membranaires particuliers.
Ainsi, dans le cas du homing (passage de cellules progénitrices du sang vers
la moelle), la première étape est l’adhésion des cellules progénitrices aux
cellules endothéliales de la moelle qui ont une affinité spécifique pour les
progéniteurs hématopoïétiques CD34+.
Deux molécules d’adhésion, sélectine E et VCAM-1, seraient en particulier impliquées dans cette fixation.
Chez l’homme, ces molécules sont exclusivement exprimées sur
l’endothélium des organes hématopoïétiques de l’adulte et du foetus,
l’anticorps antisélectine E inhibant cette fixation.
Il a été montré chez
les primates qu’un traitement par un anticorps monoclonal anti-intégrine
VLA-4, homologue deVCAM-1 sur les cellules hématopoïétiques, mobilisait
sélectivement dans la circulation sanguine les progéniteurs
hématopoïétiques.
La molécule PECAM-1 (platelet endothelial celladhesion
molecule-1) [CD31] pourrait également intervenir dans ce
processus.
Le passage massif de progéniteurs à travers l’endothélium lors
des transplantations médullaires, après transfusion intraveineuse de cellules
souches, pourrait être en plus favorisé par le conditionnement par irradiation
créant des lésions des cellules endothéliales et donc des interruptions de la
barrière vasculaire médullaire.
Les cellules endothéliales peuvent aussi
présenter des sites d’adhésion pour les cellules cancéreuses métastatiques.
L’expression d’intégrines alpha-4 bêta-1 par les cellules tumorales peut
induire leur passage dans la moelle, probablement par interaction avec
VCAM-1 exprimé par les cellules endothéliales.
Le passage en sens
inverse suppose des phénomènes membranaires du même type, permettant le
passage de cellules sanguines matures, mais aussi de cellules immatures
malignes (leucémiques, lymphomateuses, carcinomateuses) libérées à partir
de la moelle.
E - Matrice extracellulaire médullaire
:
1- Collagène et réticuline :
La matrice extracellulaire est formée par un réseau complexe de molécules
synthétisées par les cellules stromales.
Les fibres de collagène mature de type
I avec leurs affinités tinctoriales typiques et leur ultrastructure caractéristique
(striations transversales de 65 nm) sont rares, nettement moins abondantes
dans la moelle osseuse que dans les autres organes hématopoïétiques et
presque exclusivement situées dans les zones périvasculaires des gros
vaisseaux.
Elles ne deviennent abondantes qu’à la suite d’une activation des
fibroblastes médullaires dans les myélofibroses.
Le réseau de fibres dites de
réticuline, révélées par les colorations argentiques, est aussi moins abondant
dans la moelle que dans les autres organes hématopoïétiques : correspondant
à des glycoprotéines associées aux fibrilles de collagène, il forme un
réseau de fibres grillagées renfermant dans ses mailles les cellules
hématopoïétiques, bordant les sinus et cerclant les adipocytes.
Ce réseau
correspond à des structures variées riches en glycoprotéines : basales
vasculaires, microfibrilles de collagène surtout de type III, prolongements
cytoplasmiques des cellules réticulaires fibroblastiques.
Le collagène de type
IV, synthétisé par les cellules endothéliales, est le composant majeur des
membranes basales bordant la face externe de l’endothélium des cellules
endothéliales.
2- Composants non fibrillaires de la matrice extracellulaire
:
De nombreux composants matriciels non fibrillaires ont été identifiés à partir
de la fraction adhérente des cultures de moelle à long terme : glycosaminoglycanes, héparanes sulfates, etc.
Ces macromolécules forment,
par leurs charges polyanioniques, des agrégats jouant un rôle dans les
mouvements de l’eau, régulant les phénomènes de diffusion interstitielle,
stabilisant les fibres de collagène, intervenant dans l’adhérence des
précurseurs hématopoïétiques au tissu de soutien et pouvant se lier aux
facteurs de croissance pour faciliter leur action in situ.
De nombreuses autres
molécules participent à la constitution des niches adhésives médullaires, intégrines en particulier.
Les glycosaminoglycanes sont donc des composants
importants de cette matrice intercellulaire, influençant la prolifération
hématopoïétique, pouvant se fixer aux autres molécules de la matrice
extracellulaire, comme la fibronectine, et aux facteurs de croissance
hématopoïétiques, comme le GM-CSF, l’IL3.
Dans la moelle murine, la
microscopie électronique de balayage a révélé des différences majeures dans
la topographie du dépôt de ces molécules : dans l’hématopoïèse myéloïde,
une matrice fibreuse riche en glycosaminoglycanes couvre la couche
cellulaire, tandis que dans l’hématopoïèse lymphoïde, cette couche est
dispersée.
Les héparane sulfates de la surface cellulaire jouent un rôle dans
les interactions entre cellules du tissu de soutien et cellules hématopoïétiques :
l’adhérence des cellules progénitrices aux cellules du stroma est abolie par le
traitement avec l’héparitinase.
Le perlecan est un protéoglycane de type
héparane sulfate impliqué dans les interactions entre les cellules
hématopoïétiques et leur microenvironnement médullaire : cette molécule est
antiadhésive pour les cellules hématopoïétiques, mais adhésive pour les
fibroblastes.
Pouvant aussi fixer des facteurs de croissance, en particulier le GM-CSF, le perlecan pourrait jouer un rôle dans la sectorisation de la moelle
en compartiments fonctionnels.
La fibronectine est un autre composant
majeur de la matrice extracellulaire, procurant des sites d’adhésion pour les
cellules hématopoïétiques.
Les fibroblastes médullaires synthétisent une
variante de fibronectine possédant le domaine EDa et dépourvue du domaine
EDb, de manière similaire aux cellules musculaires lisses vasculaires.
L’adhésion des cellules progénitrices hématopoïétiques au tissu de soutien
médullaire par l’intermédiaire des récepteurs de la fibronectine (domaine
fixant l’héparine de la fibronectine) inhibe leur prolifération.
L’hémonectine est une autre protéine de la matrice, proche parente de la
fétuine (alpha-2HS-glycoprotéine), procurant des sites d’adhésion pour les
cellules des lignées granuleuses.
La laminine est une glycoprotéine
présente surtout dans les membranes basales, jouant un rôle dans le passage
des macromolécules.
Exploration anatomique et histologique
médullaire :
Les différents moyens d’imagerie (scintigraphie, IRM) et les méthodes
histologiques permettent de mieux préciser les modifications des principaux
compartiments cellulaires de la moelle hématopoïétique humaine
pathologique.
A - Scintigraphie médullaire
:
La scintigraphie permet de visualiser la moelle de tout le squelette grâce à des
isotopes radioactifs fixés sur une catégorie de cellules médullaires :
macrophages avec les colloïdes de technétium 99, érythroblastes avec le fer
52 ou la transferrine marquée à l’indium 111.
Elle précise la localisation de la
moelle active dans les pièces du squelette.
Elle peut aussi visualiser certains
envahissements métastatiques médullaires.
La scintigraphie médullaire peut
aussi être réalisée à l’aide d’anticorps antigranulocytes, technique plus
compliquée mais plus sensible pour la détection des lésions cancéreuses :
métastases de cancers du sein, de la prostate, des bronches, etc, myélome et
lymphomes malins.
Enfin, la scintigraphie érythroblastique au fer 52
reste recommandée pour l’exploration du tissu myéloïde et sa réduction dans
les aplasies médullaires.
La scintigraphie utilisant des anticorps
spécifiques anticellules tumorales est potentiellement utile dans les bilans
d’extension des tumeurs malignes.
B - Imagerie par résonance magnétique nucléaire :
L’IRM est beaucoup plus performante que les autres moyens d’imagerie pour
visualiser la moelle osseuse normale et anormale.
Elle montre avec un
excellent contraste les principaux constituants structuraux médullaires :
cellules hématopoïétiques (moelle rouge), cellules adipeuses (moelle jaune),
structures vasculaires, fibrose, surcharges de type hémosidérose ou
dyslipoïdose.
Une application maintenant bien connue de l’IRM est la
visualisation de la moelle inactive adipeuse par rapport à la moelle active
rouge grâce à l’étude de la conversion adipeuse de certaines pièces osseuses
avec l’âge (rapport graisse/eau).
Chez les patients présentant des maladies
hématologiques, l’IRM peut détecter des différences entre la moelle
graisseuse, fibreuse, aplasique et hypercellulaire, et contribuer à préciser
l’involution adipeuse médullaire dans les aplasies myéloïdes et
l’hypercellularité dans les syndromes myéloprolifératifs, et la fibrose, en
particulier dans le cas des leucémies à tricholeucocytes.
Bien que ne
donnant pas d’image spécifique d’un diagnostic, elle peut être utile pour le
suivi thérapeutique.
Chez les patients traités par G-CSF ou GM-CSF,
l’examen IRM de l’os iliaque montre des modifications significatives
(augmentation du contenu hydrique relatif, extension de l’hématopoïèse,
réduction du tissu adipeux).
Enfin, l’IRM a le grand intérêt de mettre en
évidence des lésions focales médullaires, pouvant guider la réalisation d’une
biopsie, complétant le bilan d’extension médullaire dans les maladies
malignes avec envahissement médullaire focal, lymphomes malins,
métastases des carcinomes.
C - Tomographie d’émission de positons (PET scan)
:
Encore peu utilisée pour explorer la moelle osseuse, elle a déjà permis une
investigation non invasive de mesure du flux sanguin médullaire et de ses
variations topographiques (vertèbres, os iliaque) grâce à l’eau marquée à
l’oxygène 15.
Elle a également permis de montrer des variations du
métabolisme du glucose médullaire, à l’aide du désoxyglucose marqué,
secondairement aux injections thérapeutiques de GM-CSF ou M-CSF.
D - Biopsie ostéomédullaire :
La biopsie ostéomédullaire permet d’analyser la structure de la moelle
pathologique.
Son interprétation bénéficie des progrès de l’immunohistologie
permettant une meilleure identification des principaux types cellulaires de la
moelle humaine, normale et pathologique.
Les méthodes immunohistochimiques utilisant la phosphatase alcaline et le démasquage des
antigènes (protéases, micro-ondes) et d’amplification du marquage sont
recommandées.
Les différentes catégories cellulaires médullaires peuvent
être objectivées par l’immunohistochimie : les érythroblastes par les anticorps antiglycophorine, les cellules granuleuses par les anticorps anti-CD15, les
mégacaryocytes par les anticorps antiglycoprotéine plaquettaire IIIa, les
macrophages grâce à l’anticorps anti-CD68 (KP1).
L’interprétation
cytologique des coupes de tissu myéloïde après décalcification et inclusion
en paraffine est ainsi améliorée grâce à une telle batterie de colorations immunohistochimiques soulignant les principaux types cellulaires
myéloïdes.
Une autre voie d’amélioration consiste à réaliser une inclusion
en résine des biopsies médullaires sans décalcification, puis des colorations à
l’aide des méthodes panoptiques hématologiques montrant directement les
divers types de cellules hématologiques.
Avec ces progrès de
l’exploitation des coupes en paraffine, l’immunohistologie de la moelle sur
coupes à congélation est devenue moins indispensable.
En clinique, la biopsie
médullaire est pratiquée pour compléter le myélogramme, surtout dans les cas
suivants : myélogramme trop pauvre, recherche d’un envahissement focal
non démontré par le myélogramme, biopsie dirigée sur un foyer suspect mis
en évidence par l’imagerie, meilleure évaluation de la cellularité médullaire,
myélofibrose.
La détection histologique des micrométastases médullaires des
cancers est aussi sensibilisée grâce aux anticorps anticytokératine et anti-
EMA.
L’identification des hémopathies lymphoïdes médullaires est plus
précise grâce aux anticorps anti-CD20 (cellules B) et anti-CD3 (cellules T),
celle des leucémies à tricholeucocytes, en particulier grâce à l’anticorps DBA-44, etc.
L’hybridation in situ, et bientôt la polymerase chain reaction (PCR)
in situ, appliquées aux coupes histologiques, permettront dans l’avenir
d’élargir ces possibilités d’identification cellulaire.
Ainsi, les différents moyens d’étude de la structure médullaire permettent,
chacun à leur échelle, de bien mettre en évidence la compartimentation
anatomique et fonctionnelle médullaire.
Cependant, les connaissances sur
l’histophysiologie de la moelle restent encore fragmentaires avec un lien
encore imparfait entre les observations morphologiques et la mosaïque
des données moléculaires.
L’analyse approfondie de la structure
histologique fine du tissu médullaire in situ est encore à développer, car
bien que perfectionnée par les marquages immunologiques et
l’hybridation in situ, elle garde l’inconvénient d’une vision partielle des
phénomènes.
Pourtant, une meilleure compréhension de la structure
tridimensionnelle de la moelle osseuse humaine in situ reste d’actualité :
c’est un préalable à l’amélioration des systèmes de production in vitro de
cellules hématopoïétiques.