Méthémoglobinémies et sulfhémoglobinémies Cours
d'hématologie
Introduction
:
Méthémoglobine et sulfhémoglobine sont deux dérivés de l’hémoglobine, à
la fois responsables de cyanose et impropres au transport de l’oxygène.
Dans
la méthémoglobine, le fer de l’hème est oxydé (Fe3+) ce qui donne à la
molécule une couleur brun chocolat caractéristique.
La méthémoglobinisation peut résulter d’un processus toxique, d’une anomalie
structurale de l’hémoglobine, ou encore d’un déficit du système enzymatique
intervenant dans la protection de l’hémoglobine contre l’oxydation.
Dans la
sulfhémoglobine, un groupe thiol est fixé au noyau tétrapyrrolique dont il
réduit l’un des cycles, formant ainsi une chlorine de teinte verdâtre.
La
sulfhémoglobine est toujours d’origine toxique.
Méthémoglobinémies
:
A - Méthémoglobine
:
1- Structure de l’hème dans la méthémoglobine :
L’hème, groupement prosthétique de l’hémoglobine, est une molécule plane
constituée par un atome de fer situé au centre d’un noyau tétrapyrrolique qui,
par la nature et la disposition de ses groupes latéraux, est défini comme étant
une protoporphyrine de type IX.
Dans la molécule d’hémoglobine, l’hème est
enfoui dans une poche polypeptidique en forme de V constituée par un
repliement de plusieurs hélices alpha.
In vitro, l’hème isolé s’oxyde
spontanément sous forme ferrique (Fe3+).
Dans les érythroblastes,
l’hémoglobine serait synthétisée sous forme oxydée ; l’atome de fer serait
ensuite réduit (Fe2+) par le système enzymatique.
Un des rôles majeurs de la
globine est de maintenir l’hème dans une ambiance réductrice.
C’est sous
cette forme réduite qu’on le trouve dans la désoxyhémoglobine et dans les
formes ligandées (oxyhémoglobine ou carboxyhémoglobine).
Dans la
méthémoglobine il est, à l’inverse, dans une forme oxydée (Fe3+).
2- Propriétés physicochimiques de la méthémoglobine
:
Dans le fer, métal de transition, la distribution des électons sur les orbitales
électroniques les plus externes (qui sont ici de type 3d) varie avec l’ionisation
et la nature des complexes de coordinence formés.
Dans la structure
oxygénée de l’hémoglobine, l’ion ferreux offre six liaisons de coordinence :
quatre interviennent dans la structure de l’hème en se liant à l’azote de chacun des cycles pyrrols, la cinquième amarre directement le fer à une histidine dite
proximale (F8) et la sixième fixe le ligand.
L’oxygène se positionne entre
l’histidine E7, dite distale, et la valine E11.
Cette sixième liaison disparaît
dans la structure désoxygénée où le degré de coordinence du fer n’est plus
que de cinq.
Dans la méthémoglobine, la sixième position de coordinence de
l’ion ferrique est occupée de façon stable par une molécule d’eau à pH acide,
ou par un radical hydroxyl à pH plus alcalin.
Ces formes sont parfois
désignées respectivement sous les termes d’aquaméthémoglobine et
d’hydroxyméthémoglobine.
La répartition des électrons est à l’origine d’un certain nombre de propriétés
physicochimiques comme l’absorption de la lumière ou encore la résonance
paramagnétique électronique (RPE).
Lorsque toutes les orbitales sont
occupées par deux électrons d’état de spin opposé, comme dans
l’oxyhémoglobine, la molécule est dite de spin faible et ne donne pas de signal
en RPE.
Au contraire, lorsque des orbitales contenant des électrons
célibataires existent, comme c’est le cas pour la méthémoglobine à pH acide,
l’état de spin est élevé.
Cela donne des signaux caractéristiques en RPE et en
spectrophotométrie d’absorption. Dans la méthémoglobine à pH
alcalin, la molécule d’eau s’ionise pour former un groupe OH- dont la liaison
à l’atome de fer diminue l’état de spin.
Aux diverses formes d’oxydation ou de ligandation de l’hémoglobine
correspondent donc des spectres d’absorption particuliers.
Dans la bande
de Soret, entre 400 et 450 nm, les diverses formes d’hémoglobines absorbent
toutes très fortement, avec toutefois des différences dans la position du
maximum et dans l’intensité du coefficient d’extinction.
Les différences
spectrales sont plus faciles à explorer dans la zone spectrale située entre 480 et
650 nm.
Dans cette région, le spectre d’absorption de la
méthémoglobine varie considérablement en fonction du pH,
démontrant qu’il est impératif de respecter ce paramètre lors de tout dosage
de méthémoglobinémie.
La forme acide de la méthémoglobine, qui
prédomine au pH intracellulaire, est caractérisée par deux pics d’absorption
situés à 630 et 500 nm.
Dans la méthémoglobine alcaline, les épaulements à
540 et 575 nm du spectre précédent deviennent prépondérants.
La
méthémoglobine fixe avec une très forte affinité les ions cyanures pour se
transformer en cyanméthémoglobine.
Ce composé, de spin bas, donne un
spectre d’absorption, avec un maximum à 540 nm, dont l’allure est proche de
celui de la désoxyhémoglobine.
Il faut distinguer la méthémoglobine vraie, enzymatiquement réductible,
observée dans les intoxications ou les déficits enzymatiques, des formes
particulières, pratiquement irréversibles, caractéristiques des hémoglobines
M.
Il faut également la distinguer des hémichromes, produits d’oxydation
des hémoglobines instables.
Dans ces deux types de molécules, comme nous
le verrons plus loin, des résidus autres que l’histidine proximale interagissent
directement avec le fer de l’hème et sont responsables d’images spectrales
particulières.
3- Potentiel d’oxydoréduction :
In vitro, une solution d’hémoglobine s’oxyde lentement sous l’effet de
l’oxygène atmosphérique.
Cette auto-oxydation, tout comme l’oxydation
provoquée par n’importe quel agent oxydant, est plus marquée pour la
configuration désoxygénée de l’hémoglobine.
Elle est donc favorisée par les
ligands allostériques tels que les phosphates organiques et les anions qui
déplacent l’équilibre entre formes ligandées (R) et non ligandées (T) vers la
structure T.
Le potentiel d’oxydoréduction du couple méthémoglobinehémoglobine
se situe à + 0,14 V ce qui permet son oxydation par les ions
peroxydes et superoxydes, et sa réduction par le bleu de méthylène ou l’acide
ascorbique.
Dans le globule rouge, de nombreux facteurs favorisent l’oxydation
(phosphates, chlorures [Cl-], désoxygénation partielle, température, pH) mais
ils sont efficacement contrebalancés par les systèmes enzymatiques
réducteurs (superoxyde dismutase, catalase, glutathion peroxydase,
cytochrome b5 réductase).
4- Méthémoglobine et transport d’oxygène
:
L’oxydation du fer de l’hème perturbe de plusieurs façons le transport
d’oxygène.
La première, évidente, est l’occupation du site du ligand par une molécule
d’eau.
Lorsque les quatre sous-unités d’un même tétramère d’hémoglobine
sont oxydées, ce tétramère est tout simplement exclu de la fonction
oxyphorique.
Dans les tétramères hybrides, où toutes les sous-unités ne sont
pas oxydées, la situation est différente : la capacité de transport en oxygène
d’un sang méthémoglobinisé est en réalité moindre que ne le voudrait le taux
de méthémoglobine.
Cela peut être expliqué par le fait que la configuration
spatiale d’une sous-unité oxydée est de type r (ou relâchée) tout comme si elle
avait fixé de l’oxygène.
Il en résulte, en accord avec le modèle allostérique,
que la transition vers la structure oxygénée est facilitée pour tout tétramère
qui contient une sous-unité méthémoglobinisée.
Cette molécule se
comporte donc comme une hémoglobine hyperaffine pour l’oxygène.
Sa
courbe d’oxygénation est déplacée vers la gauche.
Dans les globules rouges
d’un patient souffrant de méthémoglobinémie, il existe simultanément huit
types de molécules incluant toutes les formes hybrides résultant d’une
distribution statistique des sous-unités dans les tétramères.
Certains de ces
hybrides peuvent être mis en évidence par focalisation isoélectrique : les
hybrides de valence alpha2
2+ bêta2
3+ et alpha2
3+ bêta2
2+ focalisent respectivement à un
point isoélectrique de 7,07 et 7,10 alors que l’Hb A focalise à 6,96 et la
méthémoglobine à 7,20
Les images électrophorétiques observées sont
donc loin de refléter la complexité de la réalité intraérythrocytaire.
De plus,
dans un sang méthémoglobinisé, l’hétérogénéité cellulaire intervient
également : les possibilités de réduction enzymatique d’un érythrocyte
varient en effet considérablement avec l’âge du patient (immaturité du
système enzymatique chez le nouveau-né) et l’âge du globule (perte
progressive de l’activité enzymatique).
5- Mécanismes physiologiques de réduction de la méthémoglobine
:
Alors que physiologiquement environ 3 % de l’hémoglobine se transforme
chaque jour, en méthémoglobine, une enzyme particulièrement active, la
méthémoglobine réductase (NADH-cytochrome b5 réductase), maintient en
permanence son taux à moins de 0,50 % dans le sang circulant.
On dit qu’il existe une méthémoglobinémie lorsque le taux de
méthémoglobine est supérieur à 1 %.
Cette augmentation peut être
consécutive à un excès d’agents oxydants ou à une insuffisance du mécanisme
réducteur (immaturité enzymatique de la période néonatale, déficit
enzymatique héréditaire, hémoglobine anormale, etc).
6- Voies accessoires de réduction de la méthémoglobine :
À côté de ce mécanisme physiologique de réduction de la méthémoglobine
existent plusieurs voies accessoires.
Elles ont plus un intérêt thérapeutique
que physiologique.
La voie de la NADPH-réductase (NADPH-diaphorase ou
flavine réductase) fonctionne physiologiquement par l’intermédiaire du FMN
(flavine mononucléotide) et réduit environ 5 %de la méthémoglobine formée.
Elle peut être activée en remplaçant le FMN par un apport extérieur de bleu
de méthylène.
La voie de la glutathion réductase agit sur le glutathion
puis sur un couple oxydoréducteur intermédiaire, tel que l’acide ascorbique,
pour finalement réduire la méthémoglobine.
La première de ces voies est
surtout utilisée dans le traitement des accidents toxiques et la seconde pour
les méthémoglobinémies congénitales récessives.
B - NADH-cytochrome b5 réductase
:
1- Protéine soluble et protéine membranaire : structure et localisation
La NADH-cytochrome b5 réductase (EC 1.6.2.2), appelée autrefois NADHdiaphorase,
est une flavoprotéine monomérique, qui transfère deux électrons
du NADH vers deux molécules de cytochrome b5, son substrat naturel.
Ce
transfert d’électrons se fait par l’intermédiaire du groupe prosthétique de
l’enzyme, le flavine adénine dinucléotide (FAD).
Le cytochrome b5
réduit ensuite directement, de façon non enzymatique, plusieurs accepteurs
d’électrons appartenant à différents systèmes oxydoréducteurs de la cellule.
La cytochrome b5 réductase des mammifères existe sous deux formes : l’une
membranaire, l’autre soluble.
Dans l’érythrocyte humain, la forme soluble est
majoritaire et seuls 20 à 35 % de l’activité enzymatique sont localisés au
niveau de la membrane érythrocytaire.
Le pourcentage relatif de ces deux
formes varie considérablement selon les espèces : chez le rat, la forme
membranaire ne rend compte que de 2 % de l’activité alors que dans les
érythrocytes nucléés des oiseaux, des reptiles et des poissons elle représente
près de 100 %.
La cytochrome b5 réductase de la membrane des érythrocytes
humains intervient physiologiquement dans le recyclage enzymatique de la
vitamine E.
La cytochrome b5 réductase des autres cellules de l’organisme est
majoritairement sous la forme membranaire.
Cette enzyme est
essentiellement localisée au niveau de la face externe du réticulum
endoplasmique où elle fait partie d’un complexe de transfert d’électrons
aboutissant à la désaturation des acides gras.
La forme membranaire est aussi
présente dans les membranes externes des mitochondries, et des peroxysomes ainsi que dans l’appareil de Golgi.
La forme soluble de la
cytochrome b5 réductase est, en revanche, minoritaire dans ces cellules et son
rôle physiologique est encore mal connu.
D’un point de vue structural, ces deux formes, membranaire ubiquitaire (ou
microsomale) et soluble érythrocytaire, se différencient par leur partie NH2-
terminale.
La protéine membranaire comporte, outre le domaine catalytique
hydrophile de 275 résidus d’acides aminés commun aux deux isoformes, une
séquence N-terminale supplémentaire de 25 résidus.
Cette séquence forme le
domaine membranaire hydrophobe où l’on reconnaît la séquence consensus Met-Gly-X-X-X-Ser/Thr de myristylation.
Cette modification posttraductionnelle
permet l’amarrage de la protéine aux groupes polaires des
phospholipides de la membrane.
2- Acides ribonucléiques messagers (ARNm)
de la cytochrome b5 réductase
:
La taille de l’ARNm mature produit par le gène de la cytochrome b5 réductase
est d’environ 2,0 kb aussi bien chez l’homme que chez le rat.
Dans ces deux
espèces, la caractérisation récente des extrémités 5’ des transcrits spécifiques
des tissus érythroïdes et non érythroïdes a permis d’expliquer les mécanismes
moléculaires à l’origine des formes soluble et membranaire de l’enzyme.
Chez le rat, quatre acides désoxyribonucléiques complémentaires (ADNc)
différents (ARNm-L, -R, -X, -Y) ont été isolés : ils se différencient par leur
premier exon (exon-1L, -1R, -1X et -1Y) qui est tissu spécifique.
Il a ainsi été
observé que l’ARNm-R est spécifique des tissus érythroïdes où il est
fortement exprimé, et que lesARNm-L, -X et -Ysont ubiquitaires et exprimés
à des taux variables.
Ces résultats suggéraient donc que le gène de la
cytochrome b5 réductase de rat possède quatre régions promotrices (Pr-L, -R,
-X et -Y), dont l’une est érythroïde spécifique (Pr-R).
De plus, la régulation
traductionnelle par utilisation des différentsAUG initiateurs a été démontrée
pour les quatre transcrits de la cytochrome b5 réductase.
Chez l’homme, quatre formes différentes d’ADNc ont également été mises
en évidence.
Elles se différencient par la présence d’un exon alternatif A, B
ou C structuralement différents des exons 1 (exon-1L, - 1R, -1X et -1Y) du
rat.
Aucune de ces formes ne semble être érythroïde spécifique (Leroux,
résultats personnels).
Les mécanismes conduisant à la production des deux
formes érythrocytaires de l’enzyme ne sont pas encore élucidés.
3- Gène de la cytochrome b5 réductase :
Chez l’homme, le gène de la cytochrome b5 réductase est localisé sur le
chromosome 22 (locus DIA-1 ; q 13.31-qter). Son clonage et son
séquençage ont été réalisés dès 1989.
Ce gène s’étend sur 31 kb et
comporte 12 exons, les neuf initialement décrits (exon 1L, et exons 2 à 9) et
les trois exons récemment identifiés (Leroux, résultats personnels).
De
nombreuses séquences répétées de type Alu sont présentes, surtout au niveau
des deux premiers introns.
Le site fort d’initiation de la traduction a été trouvé
dans l’exon 1.
L’exon 2 code pour la jonction entre le domaine hydrophobe
membranaire et le domaine catalytique de l’enzyme.
La partie 5’ du gène (en
amont de l’exon 1) présente les caractéristiques typiques d’un promoteur à transription ubiquitaire.
Ce promoteur est dépourvu d’éléments TATA et CCAAT, mais possède des séquences susceptibles de fixer des facteurs de
transcription de la famille Sp1 (boîtes GC/consensus GGGCGG).
Chez
l’homme, la région d’ADN génomique qui entoure l’exon 1 présente cinq
boîtes GC à -90, - 108, -121, -126, -185-pb en amont de l’ATG de l’exon et
deux boîtes en aval situées à + 85 et + 146-pb.
Récemment, une étude par
mutagenèse et délétion des séquences a montré que trois des cinq boîtes GC
(-90, -108, -185-pb) sont fonctionnellement actives et qu’elles participent à
l’activation de la transcription d’une façon plutôt additionnelle que
synergique.
Malgré l’utilisation d’un mécanisme commun de transcription multiple de ce
gène chez l’homme et le rat, certains promoteurs semblent être non
homologues entre les deux espèces, en particulier le promoteur spécifique des
tissus érythroïdes de la cytochrome b5 réductase de rat.
C - Diagnostic biologique de méthémoglobinémie
:
1- Diagnostic positif :
La présence de méthémoglobine dans les globules rouges est mise en
évidence par l’étude spectroscopique effectuée sur un hémolysat.
Celui-ci
doit être préparé immédiatement après le prélèvement de sang pour ne pas
laisser aux globules rouges le temps d’amorcer in vitro une réduction
enzymatique de la méthémoglobine.
Le diagnostic positif passe par deux
étapes :
– l’identification de la méthémoglobine, qui repose sur l’existence d’un pic
d’absorption à 630 nm disparaissant après addition de KCN, puisque la
méthémoglobine est transformée en cyanméthémoglobine ;
– le dosage, qui peut être effectué : soit en mesurant l’absorption à 630 nm
avant et après addition de KCN (méthode d’Evelyn et Malloy), soit en
mesurant le rapport d’absorption photométrique à deux longueurs d’onde,
l’une correspondant à un point caractéristique du spectre de
l’oxyhémoglobine et l’autre correspondant à un point isobestique où oxy- et
méthémoglobine ont le même coefficient d’absorption.
La première méthode, très spécifique, fournit la concentration de
méthémoglobine circulante ; la seconde, seulement applicable si la présence
de méthémoglobine a été authentifiée, fournit directement la fraction
d’hémoglobine oxydée par rapport à l’hémoglobine totale, avec une
approximation suffisante pour les taux supérieurs à 5 %.
Rappelons enfin que la méthémoglobine et les hybrides de valence sont
visibles en focalisation isoélectrique à condition, bien entendu, de pratiquer
cet examen en l’absence de cyanure.
2- Diagnostic différentiel
:
Seule la sulfhémoglobine risque d’être confondue, car elle s’observe souvent
dans les mêmes circonstances (intoxication), donne une cyanose, un sang de
couleur brunâtre et un spectre anormal.
Chez un sujet non anémique, une sulfhémoglobinémie de 3 % produit le même degré de cyanose qu’une
méthémoglobinémie de 10 %.
On distingue la sulfhémoglobine par ses
particularités spectrales (absorption à 620 nm insensible à l’addition de KCN), et par sa séparation en isoélectrophorèse sous la forme d’une bande
verte très caractéristique.
Ces propriétés seront détaillées.
D - Méthémoglobinémies toxiques
:
1- Physiopathologie des méthémoglobinémies d’origine toxique :
Les agents toxiques responsables de méthémoglobinémie peuvent être classés
en trois groupes selon leur mécanisme d’action.
Le premier groupe concerne des produits agissant directement sur
l’hémoglobine car pourvus d’un potentiel d’oxydoréduction plus élevé.
Le
plus classique est le couple ferricyanure-ferrocyanure, utilisé en laboratoire
pour transformer stoechiométriquement l’hémoglobine en méthémoglobine.
Dans ce groupe figurent de nombreux composés dont les dérivés de
l’hydrazine, les chlorates utilisés dans les explosifs, les quinones et certains
colorants.
Le second groupe est constitué d’agents réducteurs agissant sur l’oxygène
pour former des ions superoxydes (O2
-) ou des peroxydes (H2O2) qui vont
dans un deuxième temps oxyder l’hémoglobine.
Dans cette catégorie se
classent les nitrites et le glutathion.
Les nitrites agissent par une réaction autocatalytique au cours de laquelle se forment des anions superoxydes.
Les produits du troisième groupe (exemple : aniline, arylamides, dapsone,
phénacétine, sulfanilamide, etc) nécessitent une transformation métabolique
préalable en un agent directement actif sur l’hémoglobine.
L’aniline, colorant
autrefois responsable de la majorité des méthémoglobinémies toxiques,
illustre parfaitement ce mécanisme.
L’aniline n’a aucun effet direct sur
l’hémoglobine mais se transforme dans les microsomes hépatiques en phénylhydroxylamine.
Ce composé, libéré dans la circulation, oxyde
l’hémoglobine en méthémoglobine et se transforme en nitrosobenzène.
Sous
l’action d’une enzyme érythrocytaire, la NADPH-flavine réductase ou
NADPH-méthémoglobine réductase, le nitrosobenzène est à nouveau
transformé en phénylhydroxylamine.
La molécule toxique est ainsi intégrée
dans une chaîne d’oxydoréduction à l’origine d’un grand nombre de
molécules de méthémoglobine.
Ces agents toxiques peuvent également être classés selon leur effet méthémoglobinisant.
Les produits agissant directement, classés du plus méthémoglobinisant au moins, sont le p-dinitrobenzène, l’o-dinitrobenzène,
le cuivre équivalent aux nitrites, les chlorites et enfin les chlorates.
Ce même
type de classement chez ceux qui interviennent par une réaction métabolique
donne : alpha-naphthol, p-nitroaniline, m-nitroaniline, o-nitroaniline, pnitrotoluène
= aniline, m-nitrotoluène = o-nitrotoluène.
Aujourd’hui, les méthémoglobinémies toxiques sont essentiellement
provoquées par les nitrites, les nitrates, les chlorates ou certains médicaments.
Les nitrites, utilisés comme engrais sont à l’origine d’intoxications en milieu
agricole ; on les retrouve également dans les eaux souillées et
l’alimentation. Les nitrates, provenant d’engrais, contenus dans certains
légumes (exemples : carottes, épinards) sont transformés par la flore
intestinale en nitrites, surtout en cas d’infection.
Chez les nourrissons, des
méthémoglobinémies peuvent apparaître au cours de diarrhées par infection entérale où sont impliquées des bactéries nitritogènes.
Les nitrites, autrefois utilisés comme vasodilatateurs en cardiologie, sont
aujourd’hui détournés : utilisés sous forme de poppers par les homosexuels
comme dilatateur anal et prolongateur d’orgasme, ou encore à des fins
toxicomanogènes, ils ont été rendus responsables de méthémoglobinémies
sévères lors d’ingestion.
Les médicaments aujourd’hui le plus souvent
responsables de méthémoglobinémies sont les anesthésiques locaux
(benzocaïne) et des sulfamides comme la dapsone, autrefois limitée aux
traitements contre la lèpre, mais aujourd’hui administrée pour d’autres
indications chez des sujets immunodéprimés. Nombre d’autres agents
pharmacologiques ont été rendus responsables de méthémoglobinémie.
Des préparations de
parapharmacie mal contrôlées ont également été responsables
d’accidents.
Les méthémoglobinémies toxiques étaient autrefois fréquentes chez le
nouveau-né et le nourrisson.
Elles sont en rapport avec la faible activité de la
cytochrome b5 réductase existant en bas âge.
Un meilleur contrôle des risques
toxiques (nitrates de l’alimentation, linges marqués avec des colorants à
l’aniline) a permis la prévention efficace de ces accidents.
En cas d’intoxication aiguë ou chez des sujets prédisposés, les médicaments
contenant des amines aromatiques, ou des dérivés nitrés (exemples :
acétanilide, dérivés de l’aniline, phénacétine, sous-nitrate de bismuth, nitrite
d’amyle, nitrate d’argent, sulfamides, etc) sont à l’origine de
méthémoglobinémie.
Les leucocytes, en libérant des radicaux libres, peuvent
également provoquer des phénomènes oxydatifs.
Ainsi, en cas de leucémie,
la méthémoglobinémie est augmentée significativement.
De même, in vitro,
l’incubation d’hématies normales en présence de cellules leucémiques donne
lieu à une formation de méthémoglobine directement proportionnelle à la
quantité de granulocytes présents et à la durée de l’incubation.
2- Diagnostic clinique des méthémoglobinémies d’origine toxique
:
Les signes cliniques se manifestent lorsque le taux de méthémoglobine est
supérieur à 10 % (1,5 g/dL).
La cyanose cutanéomuqueuse est le symptôme
dominant, surtout visible aux doigts, orteils et lèvres.
En fonction de
l’importance de la méthémoglobinémie, des signes cardiovasculaires
(tachycardie, collapsus), des signes pulmonaires (dyspnée, voire arrêt
respiratoire) et des signes neurologiques (asthénie, vertiges, somnolence,
coma, etc) peuvent s’associer.
3- Diagnostic biologique des méthémoglobinémies d’origine toxique
:
Le diagnostic de méthémoglobinémie est réalisé par l’étude spectrophotométrique de l’hémolysat.
Rappelons que le spectre d’absorption
de la méthémoglobine présente plusieurs pics dont l’un, très spécifique, a son
maximum situé à 630 nm.
Le taux de méthémoglobine correspond au
pourcentage d’hémoglobine oxydé.
Lorsque la méthémoglobine s’associe à
la sulfhémoglobine, il est impossible, à moins d’une étude spectrophotométrique
complexe, de faire une mesure précise de chaque forme en
présence.
4- Traitement des méthémoglobinémies toxiques :
Si la cyanose est légère et le taux de méthémoglobine inférieur à 20 % de
l’hémoglobine totale, la simple suppression du toxique suffit à entraîner la
guérison grâce à l’activité normale de la cytochrome b5 réductase
érythrocytaire.
Dans les intoxications sévères, le médicament de choix est le bleu de
méthylène qui ouvre la voie accessoire de réduction de la méthémoglobine
par la NADPH-diaphorase, normalement non fonctionnelle in vivo.
Son action spectaculaire s’explique par la grande activité de l’enzyme qui
fabrique très vite du bleu de méthylène réduit (ou leucodérivé).
Ce dernier est
le véritable agent réducteur agissant sur la méthémoglobine sans
intermédiaire.
Le traitement héroïque est l’injection intraveineuse lente d’une
solution de bleu de méthylène à 1 % à la dose de 1 mg/kg.
Cette posologie
peut être doublée chez le nourrisson.
Si la cyanose persiste encore après
1 heure, on peut encore réinjecter une nouvelle dose de 2 mg/kg.
Il ne faut pas
dépasser une dose totale de 7 mg/kg car le bleu de méthylène n’est pas exempt
de toxicité.
Celle-ci se manifeste par une dyspnée, une agitation, une
exagération paradoxale de la cyanose, voire une hémolyse.
Ces deux
dernières manifestations sont dues à une oxydation directe de l’hémoglobine
par le bleu de méthylène qui, à forte dose, est méthémoglobinisant.
Dans les
formes d’intoxication gravissime, rebelles au bleu de méthylène,
l’exsanguinotransfusion apparaît comme le seul recours.
Les formes mineures bénéficieront du bleu de méthylène administré par voie
orale à la dose de 3 à 5 mg/kg/j.
L’acide ascorbique réduit directement la méthémoglobine par un mécanisme
non enzymatique.
Il peut être utilisé comme traitement d’appoint en injection
intraveineuse.
On évitera les doses massives, car l’oxydation de l’acide
ascorbique par l’oxygène moléculaire libère de l’eau oxygénée.
E - Méthémoglobinémies congénitales récessives (MCR)
:
Scott et Griffith ont montré, en 1959, que le déficit congénital enzymatique
en NADH-cytochrome b5 réductase dans les érythrocytes était à l’origine
d’une maladie génétique rare, la méthémoglobinémie congénitale à
transmission autosomique récessive ou MCR.
Initialement observée dans des
populations d’Esquimaux et d’Indiens d’Alaska, elle a été ensuite signalée
dans d’autres populations.
Leroux et al, en 1975, ont décrit une forme
sévère de MCR où le déficit enzymatique était généralisé à tous les tissus de
l’organisme.
Depuis, le type sévère de la MCR a été détecté dans le monde
entier, avec une fréquence plus marquée dans les populations à forte
consanguinité.
Deux formes biologiques et cliniques de MCR, de pronostics
très différents, sont donc à distinguer : les MCR de type I et de type II.
1- MCR de type I
:
Il s’agit d’une forme bénigne où la maladie se résume à une cyanose méthémoglobinémique chronique bien tolérée, la cyanose étant
particulièrement visible au niveau des doigts, des orteils et des lèvres.
Dans
cette forme, le déficit enzymatique est strictement érythrocytaire.
Le degré
de méthémoglobinémie est variable, pouvant atteindre 20 à 40 %.
Les porteurs hétérozygotes du déficit en cytochrome b5 réductase ont un taux
de méthémoglobine normal ou légèrement augmenté, mais présentent une
activité enzymatique réduite de moitié.
L’activité de l’allèle normal est
suffisante pour protéger de la méthémoglobinémie.
Les porteurs
hétérozygotes et surtout les sujets atteints de la MCR de type-I peuvent avoir
une hypersensibilité vis-à-vis d’agents toxiques méthémoglobinisants.
2- MCR de type II :
Dans cette forme sévère, la méthémoglobinémie est associée à une
encéphalopathie progressive avec arriération mentale profonde et athétose
bilatérale.
Les malades présentent un déficit enzymatique généralisé de la
cytochrome b5 réductase, affectant à la fois les globules rouges et tous les
autres tissus (cerveau, foie, muscles, leucocytes, plaquettes).
À la
naissance, rien ne distingue les deux formes, mais des signes cliniques non
spécifiques apparaissent dans les jours qui suivent (cris incessants, troubles
de la déglutition, etc).
Les signes neurologiques (troubles du tonus, absence
d’éveil psychomoteur) deviennent patents dès l’âge de 3 mois et le tableau
typique est progressivement constitué entre 3 et 9 mois.
Dans ce
contexte neurologique, où l’atteinte cérébrale semble être la conséquence
d’une perturbation du métabolisme des acides gras insaturés, la cyanose et la
méthémoglobinémie passent au second plan ; les enfants atteignent rarement
l’âge de 10 ans.
En raison de sa gravité, seule la MCR de type
Il justifie un diagnostic
prénatal.
3- Mutations du gène de la cytochrome b5 réductase
:
Le clonage du gène de la cytochrome b5 réductase, et la connaissance de
sa structure, ont permis d’identifier les mutations responsables des formes
bénignes ou sévères de MCR.
La première mutation (Ser127® Pro) a été
décrite en 1990 par séquençage direct des neuf exons du gène, amplifiée par
PCR à partir de l’ADN génomique d’un patient atteint d’une forme sévère de
la maladie.
Neuf d’entre elles ont été
trouvées à l’état homozygote chez des patients d’origines différentes, issus de
familles consanguines : quatre chez des Japonais, deux chez des Algériens, et
deux chez des Italiens.
Quatre autres mutations ont été identifiées chez des
patients hétérozygotes composites, nés de parents d’origines différentes et
non consanguins.
La majorité des mutations décrites sont des mutations faux sens mais d’autres
types d’anomalies ont également été trouvés (non-sens, signaux d’épissage,
délétions).
L’identification de ces mutations permet d’expliquer, au niveau moléculaire,
l’hétérogénéité de la MCR (type I bénin et type II avec encéphalopathie).
Les
trois mutations faux sens détectées pour le type I, touchent la partie 5’ du gène
(exon 1- exon 5), tandis que les six mutations décrites pour le type II sont
localisées dans la région 3’ du gène (exon 5-exon 9).
Ces deux régions
correspondent respectivement au domaine de fixation du cofacteur FADdans
la partie NH2-terminale, et à celui du donneur d’électrons NADH dans la
partie COOH-terminale de la protéine.
Dans la littérature, le domaine de
fixation du cofacteur FAD a été décrit comme une région responsable de la
stabilité de l’enzyme.
Une anomalie de cette région de la protéine se
manifesterait par une instabilité ; elle n’affecterait en fait que les globules
rouges où aucune synthèse de novo ne se produit.
En revanche, les mutations
localisées dans la région 3’du gène modifieraient le site actif de l’enzyme et
empêcheraient son fonctionnement dans tous les tissus de l’organisme.
Le modèle proposé s’appliquerait surtout aux formes homozygotes des
mutations.
Dans le cas d’hétérozygotie composite, la combinaison de deux
mutations alléliques serait responsable du phénotype de la maladie.
Ainsi,
chez un malade la synergie de deux mutations localisées dans la région 5’ du
gène aboutit à une MCR de type II : un allèle présente une mutation non-sens
dans l’exon 2 et donc une absence complète de la protéine, l’autre allèle porte
une mutation faux sens rendant la seule protéine synthétisée instable.
4- Diagnostic des MCR :
Le diagnostic des MCR repose sur deux éléments : l’existence d’une
méthémoglobinemie sans anomalie spectrale et surtout sur une diminution de
l’activité enzymatique de la cytochrome b5 réductase.
La comparaison de
l’activité de la cytochrome b5 réductase dans les érythrocytes et dans un autre
type cellulaire (lymphocytes, fibroblastes ou lignées lymphoblastoïdes)
permet de différencier le déficit du type I, limité aux érythrocytes, de celui du
type II, généralisé à toutes les cellules.
L’activité enzymatique est dosée soit
en utilisant le substrat naturel (cytochrome b5) soit en utilisant le complexe ferrocyanide-méthémoglobine comme substrat.
5- Traitement des MCR :
Le traitement est avant tout préventif, par contre-indication des médicaments
oxydants ; il est efficace seulement sur laMCRde type I.
Il fait appel à l’acide
ascorbique (vitamine C) et à la riboflavine (vitamine B2), par administration
orale quotidienne, et en cas de nécessité, aux injections de bleu de méthylène,
dont l’effet est rapide.
L’acide ascorbique (500 à 1 000 mg/j) peut maintenir
la concentration de méthémoglobine à un niveau acceptable, mais son
administration prolongée est susceptible de provoquer des troubles de la
fonction rénale.
La riboflavine (20 à 60 mg/j) est aussi efficace que la vitamine
C et garde la méthémoglobine à un niveau de 5 %.
Enfin, une simple dose de
bleu de méthylène (1 mg/kg) ramène rapidement la concentration de
méthémoglobine à la normale.
Ce traitement, cependant, peut causer des
irritations du tractus urinaire.
Aucun traitement n’est envisageable pour la forme sévère de la MCR de type
II.
F - Déficit en cytochrome b5 :
Un seul cas de méthémoglobinémie par déficit en cytochrome b5 a été décrit.
Le malade avait un taux de méthémoglobine variant entre 12 et 19 % et une
activité normale en cytochrome b5 réductase.
En revanche, dans ses globules
rouges, la concentration en cytochrome b5 était réduite à 25 %de la normale.
Ce malade présentait de plus un syndrome de pseudohermaphrodisme
masculin.
L’anomalie moléculaire affectait, à l’état homozygote, un site
d’épissage du gène du cytochrome b5 conduisant à la production d’une
protéine tronquée.
G - Hémoglobines M :
Les hémoglobinoses M sont la seconde cause majeure de méthémoglobinémie
congénitale.
1- Historique et définitions
:
Les hémoglobines M, autrefois appelées méthémoglobinémies congénitales
dominantes, ont été les premières hémoglobines anormales décrites.
Les
descriptions les plus anciennes nous viennent du Japon, où l’on connaissait,
depuis plus de deux siècles, une maladie à « sang noir », endémique dans la
région d’Iwate.
En 1948, Horlein et Weber ont étudié un patient
porteur de ce type de méthémoglobinémie et ont montré qu’il s’agissait d’une
affection à transmission autosomique dominante, provoquée par une
anomalie de la globine conduisant à une oxydation quasi permanente de la
sous-unité anormale.
Les travaux de Gerald et Efron sur des malades
occidentaux et de Hayashi sur les cas japonais ont permis d’identifier cinq
anomalies structurales responsables d’hémoglobinose M.
Elles
correspondent, pour quatre d’entre elles, au remplacement de l’histidine
distale (E7) ou de l’histidine proximale (F8) de la chaîne alpha ou de la chaîne bêta
de l’hémoglobine par une tyrosine.
Le cinquième cas concerne un résidu,
voisin dans l’espace de l’histidine distale de la chaîne bêta.
Ces mêmes
hémoglobines ont fait l’objet de nombreuses descriptions, sous des noms
différents, dans des régions éloignées les unes des autres, témoignant ainsi de
l’ubiquité de leur distribution.
Plus récemment le même type d’anomalie a
été retrouvé pour des hémoglobines foetales anormales, à
l’origine d’une cyanose néonatale disparaissant parallèlement au
remplacement de l’HbF par l’HbA.
2- Propriétés spectrales :
Des caractéristiques spectrales particulières font distinguer les hémoglobines
M d’autres variantes de l’hémoglobine, également responsables de cyanose.
Dans les hémoglobines M, la sixième valence du fer oxydé n’est pas occupée
par une molécule d’eau, comme dans la méthémoglobine habituelle, mais par
l’hydroxyl du groupe phénol de la tyrosine nouvellement introduite.
Il se
forme donc un phénolate stable très difficilement réduit par les mécanismes
enzymatiques physiologiques.
La sous-unité anormale est donc
essentiellement sous forme oxydée alors que les autres sous-unités restent
sous forme réduite.
Dans le cas de l’hémoglobineMMilwaukee, le glutamate
situé à un tour de spire de l’histidine proximale entraînerait les mêmes
perturbations.
Les spectres des hémoglobinesMoxydées sont légèrement différents les uns
des autres en rapport avec des remaniements de l’environnement de l’hème
particulier à chaque cas.
Ils ont comme caractéristique principale un
déplacement vers une plus basse longueur d’onde (entre 600 et 625 nm) du
maximum observé à 630 nm dans la méthémoglobine normale.
Les
anomalies sont parfois difficiles à voir sur l’hémolysat oxygéné puisque
seules sont concernées les sous-unités anormales et que le spectre résulte de
l’addition des propriétés des sous-unités mutées à celles des constituants
normaux.
Elles se résument à une légère surélévation à la base du pic
d’oxyhémoglobine.
Ces anomalies sont mieux mises en évidence sur un hémolysat totalement oxydé par le ferricyanure de potassium où l’on observe
surtout un méplat (voire un pic) remplaçant la décroissance normalement
observée entre 600 et 630 nm.
L’oxydabilité accrue des sous-unités anormales n’est pas spécifique aux
hémoglobines M : elle est également observée avec quelques autres
hémoglobines anormales rares.
Les dérivés obtenus sont cependant
différents : il s’agit soit d’une méthémoglobine spectrophotométriquement
normale et réductible par le système enzymatique (exemple : Hb Tübingen),
soit d’hémichromes, dérivés oxydés instables responsables de corps de Heinz
et d’hémolyse (exemple : Hb Hammersmith).
3- Propriétés fonctionnelles
:
L’homologie structurelle qui existe entre les sous-unités alpha et bêta de
l’hémoglobine pourrait faire supposer des propriétés fonctionnelles similaires
quand un même type de substitution est retrouvé au niveau de résidus
homologues, histidine distale E7, ou histidine proximale F8.
En fait, les
propriétés de fixation de l’oxygène dépendent à la fois de la sous-unité
affectée et de la localisation sur l’une ou l’autre des deux histidines.
Les propriétés fonctionnelles ne sont sans doute pas les mêmes in vitro, sur
l’hémolysat ou l’hémoglobine M purifiée, et in vivo à l’intérieur de
l’érythrocyte.
Les fractions purifiées des deux mutants de la chaîne alpha (M Boston etMIwate)
ont une affinité pour l’oxygène basse et un effet Bohr pratiquement aboli.
La
situation est différente pour les mutants de la chaîne bêta : les hémoglobines M
Saskatoon et M Hyde Park ont une P50 presque normale et un effet Bohr
présent, alors que l’hémoglobine M Milwaukee présente une affinité pour
l’oxygène basse.
Dans tous les cas, la coopérativité est réduite (n = 1,1 à 1,3)
ce qui s’explique puisque seules les deux sous-unités non mutées, sont
fonctionnelles.
Les hémoglobines M, à l’exception de l’hémoglobine M
Saskatoon, ont été cristallisées et leur structure spatiale déterminée par
diffraction de rayons X.
Dans leur forme oxydée, les mutants de la chaîne alpha
ont une structure bloquée, par le phénolate, dans la configuration désoxygénée
T, au lieu d’être sous forme R : cela explique leur basse affinité pour
l’oxygène.
Dans un tétramère, hybride de valence, la structure de type T de la sous-unité anormale se répercute sur les sous-unités normales diminuant ainsi
leur affinité pour l’oxygène.
Dans le cas de l’hémoglobine M Hyde Park, la
transition entre les formes T et R reste possible car la liaison du noyau phénol
au fer de l’hème est beaucoup moins forte que dans le cas des mutants de la chaîne alpha.
Cette hémoglobine tend par ailleurs à perdre spontanément 20 à
30 % de l’hème de ses chaînes anormales et se comporte donc, en plus,
comme un variant instable.
Les propriétés fonctionnelles des globules rouges contenant une hémoglobine
M sont moins simples et, pratiquement dans tous les cas cette hémoglobine
est cause d’un déplacement vers la droite de la courbe de fixation de
l’oxygène.
Cela diffère de ce qui est observé dans les méthémoglobinémies
classiques où la courbe d’affinité pour l’oxygène est déplacée vers la gauche.
Une hémoglobine M est donc moins invalidante sur le plan oxyphorique.
Dans la cas des hémoglobines Saskatoon et Milwaukee, à l’intérieur du
globule rouge, une fraction importante de la chaîne anormale (pouvant aller
jusqu’à 50 %) reste sous forme réduite apte au transport de l’oxygène.
Les
chaînes anormales des hémoglobinesMBoston et Iwate sont au contraire en
permanence sous forme oxydée.
Dans tous les cas, il existe un pourcentage
élevé de molécules hybrides relativement stables.
4- Diagnostic cliniques des hémoglobines M :
La cyanose congénitale est habituellement le seul signe clinique.
Ces patients
apparaissent « plus bleus que malades ».
La cyanose cutanéomuqueuse est
difficile à reconnaître dans les populations noires.
Elle existe, dès la naissance,
lorsque la mutation concerne la chaîne alpha et peut alors faire penser à une
cardiopathie cyanogène congénitale, surtout en l’absence d’antécédents
familiaux.
En cas d’atteinte de la chaîne bêta, la cyanose est d’apparition
progressive et plus intense que dans les anomalies de la chaîne alpha.
Cette cyanose passant difficilement inaperçue est sans doute à l’origine des
nombreux cas décrits où une néomutation a été proposée.
5- Diagnostic biologique des hémoglobines M :
Le diagnostic biologique peut parfois déjà être évoqué par la couleur brun
chocolat du sang.
Les examens hématologiques usuels n’ont guère d’intérêt
diagnostique.
La focalisation isoélectrique montre une bande brunâtre de
méthémoglobine, près de la position de l’Hb F.
L’étude spectrophotométrique apporte le diagnostic en révélant un
déplacement caractéristique des pics d’absorption (maximum vers 620 nm au
lieu de 630 nm du spectre de la méthémoglobine).
Un spectre particulier a été
décrit pour chacune des hémoglobines M, mais ils sont en pratique difficiles
à distinguer.
Les techniques ultérieures d’identification précise de la mutation
ne relèvent plus de la biologie clinique mais de la chimie des protéines ou de
la biologie moléculaire.
6- Traitement des hémoglobinoses M
:
Les hémoglobinoses M sont le plus souvent parfaitement bien tolérées et ne
justifient aucun traitement.
On ne sait d’ailleurs pas réduire ce type de
méthémoglobine.
L’hémoglobine Hyde Park, étant une hémoglobine
instable, peut être responsable d’une anémie hémolytique modérée
nécessitant parfois un traitement correctif.
Sulfhémoglobinémies :
A -
Sulfhémoglobine
:
La sulfhémoglobine est l’un des dérivés de l’hémoglobine le plus
anciennement connu, puisqu’elle a été décrite dès 1863 par Hoppe-Seyler, qui
a observé que, sous l’effet de l’hydrogène sulfuré (SH2), l’hémoglobine
prenait une couleur verdâtre.
Ce dérivé reste pourtant assez mal connu sur le
plan structural.
On sait cependant que dans la sulfhémoglobine, le fer de
l’hème est divalent et capable de transporter l’oxygène mais avec une affinité
environ 100 fois moindre que celle de l’hémoglobine.
Il ne participe
donc que de façon insignifiante aux échanges gazeux.
Le spectre de la
sulfhémoglobine, qu’elle soit oxygénée ou désoxygénée, présente une très
forte absorption dans le rouge, autour de 620 nm, avec un coefficient
d’extinction quatre à cinq fois plus élevé que celui de la méthémoglobine à
630 nm.
Berzofsky et ses collaborateurs expliquent la formation de la
sulfhémoglobine par une réaction en deux temps.
En présence de peroxyde
d’hydrogène (H2O2), la méthémoglobine se transforme en un dérivé plus
oxydé, la ferrylhémoglobine (HbFe4+O).
Sous l’action d’un groupe thiol, ce
produit libérerait un ion hydroxyl (OH-) et donnerait alors de la
sulfhémoglobine (HbSFe2+).
La sulfhémoglobine serait donc une molécule
où l’un des cycles pyrroliques de l’hème est modifié par l’introduction d’une
liaison thioester.
Le noyau tétrapyrrolique n’est alors plus celui d’une
protoporphyrine mais celui d’une chlorine.
Plusieurs dérivés sont
possibles selon le cycle pyrrol attaqué par le soufre.
La sulfhémoglobine résulte d’une réaction d’addition irréversible.
Contrairement à la méthémoglobine, elle ne saurait donc, tant in vivo qu’in
vitro, retourner à l’état d’oxy- ou de désoxyhémoglobine.
B - Sulfhémoglobinémie :
La sulfhémoglobinémie est toujours d’origine toxique.
Elle s’observe
donc chez des sujets exposés à des agents oxydants et surtout aux arylamines.
De nombreux cas de sulfhémoglobinémie ont été observés lorsque
l’acétanilide et la phénacétine étaient largement employés comme
analgésiques.
Chez certains sujets traités avec de l’acétaminophène le taux
de sulfhémoglobine pouvait même excéder celui de la méthémoglobine.
La dapsone est également connue pour former méth- et sulfhémoglobine.
Un
tableau associant des problèmes de transit intestinaux, le plus souvent à type
de constipation, et de cyanose a été décrit sous le terme de cyanose entérogène ; il suivait le plus souvent la prise d’un médicament oxydant.
Si
un faible taux de sulfhémoglobine est le plus souvent sans conséquence autre
que la cyanose chez un sujet ayant une hémoglobine normale, il n’en est pas
de même chez un drépanocytaire puisque la présence de sulfhémoglobine
déplace fortement vers la droite la courbe d’oxygénation, favorisant ainsi la falciformation.