Métabolisme protéique et insuffisance rénale chronique Cours de Néphrologie
Introduction
:
Parmi les différentes conséquences de l’insuffisance rénale chronique
(IRC), l’altération du métabolisme protéique a une importance
particulière, les reins ayant un rôle majeur dans le métabolisme des
protéines :
– par leur fonction d’excrétion des produits du catabolisme
protéique ;
– par leur implication directe dans le métabolisme de certains acides
aminés (AA) ;
– par leur rôle dans l’homéostasie, notamment dans l’équilibre acide-base qui module le catabolisme protéique.
Les thérapeutiques de suppléance de la fonction rénale, qui
permettent la survie prolongée des patients ayant une IRC, ont
toutes un retentissement sur le métabolisme protéique, qu’il s’agisse
de l’hémodialyse, de la dialyse péritonéale, ou de la transplantation
rénale.
Le métabolisme des protéines est modifié au cours de l’IRC.
Les
troubles nutritionnels concernent en effet près de la moitié des
patients à l’initiation du traitement substitutif de l’IRC ; cet état
constitue ainsi une situation d’hypercatabolisme liée soit à un apport
protéique et/ou énergétique insuffisant, soit à une dégradation
protéique excessive.
La réduction spontanée des apports protéinocaloriques et l’altération des mécanismes humoraux
régulateurs liée à la perte progressive de la fonction rénale peuvent
effectivement expliquer cet état de dénutrition protéinoénergétique,
auquel contribuent également les pathologies infectieuses,
inflammatoires et cardiovasculaires, qui sont autant de facteurs de
dégradation protéique fréquemment associés à l’IRC.
Enfin, le
traitement de substitution de la fonction rénale, quelles qu’en soient
les modalités, interfère également avec le métabolisme protéique.
Une connaissance accrue des différentes anomalies du métabolisme
des protéines et des AA observées chez l’IRC doit en permettre un
meilleur contrôle et s’avère primordiale chez ces patients pour
lesquels le statut nutritionnel est un des facteurs prédictifs majeurs
de morbidité et de mortalité.
Métabolisme protéique du sujet
normal :
Chez un sujet adulte de corpulence normale, le poids total des
protéines est de l’ordre de 9 à 10 kg, dont près de la moitié fait partie
des masses musculaires.
La synthèse protéique se fait à partir d’un
pool restreint d’AA libres d’une centaine de grammes alimenté en
partie par les apports alimentaires quotidiens, mais aussi par la
dégradation des protéines (protéolyse).
Des échanges permanents
entre le pool d’AA et la masse protéique aboutissent au
renouvellement quotidien d’environ 300 g de protéines, soit 2 à 3 %
de la masse protéique corporelle totale.
Ces échanges se font selon
un rythme nycthéméral alternant les phases de jeûne et de repas.
Pendant le jeûne, on observe une dégradation protéique concernant
essentiellement les protéines musculaires, libérant des AA destinés
en particulier à la néoglucogénèse hépatique.
En postprandial, les
réserves protéiques sont restaurées, les synthèses protéiques sont
augmentées et surtout la protéolyse est inhibée.
L’alternance
régulière de ces deux phases permet, chez le sujet normal, le
maintien d’une balance azotée équilibrée et d’un état nutritionnel
satisfaisant.
Étude du métabolisme protéique
chez l’IRC :
A -
ESTIMATION DES APPORTS PROTÉIQUES :
Les apports protéiques chez l’IRC peuvent, comme chez le sujet
normal, être évalués par l’enquête diététique réalisée au minimum
sur 3 jours.
L’estimation des apports protéiques est également fréquemment
réalisée à partir de la détermination du taux de catabolisme
protéique à partir de l’élimination de l’urée.
1- Chez les sujets IRC avant le stade terminal
:
Chez les sujets IRC
avant le stade terminal, les apports protéiques peuvent être estimés
par la somme de l’excrétion de l’urée urinaire et de l’azote non
uréique. Maroni et al. ont calculé que l’azote
non uréique représentait 31 mg/kg/j.
La mesure de l’urée urinaire
permet ainsi de calculer les apports protéiques, en faisant
l’hypothèse que les pertes et les apports protéiques sont égaux, et
en sachant que 1 g d’azote = 2 g d’urée = 6,25 g de protéines.
Les apports protéiques sont estimés à partir du nPCR
(normalised protein catabolic rate), c’est-à-dire en g/kg/j.
2- Chez les patients traités par hémodialyse ou dialyse
péritonéale :
Chez les patients traités par hémodialyse ou dialyse péritonéale, la
modélisation de la cinétique de l’urée permet de calculer le nPCR,
et donc d’estimer les apports protéiques.
Des formules pouvant être
utilisées sont indiquées dans les recommandations constituant les
K/DOQI (Kidney Disease/Dialysis Outcome Quality Initiative)
publiées par la National Kidney Foundation aux États-Unis et dans différents
travaux de modélisation.
D’autres
formules du même type ont été développées, notamment par Daugirdas.
Ces formules ont été utilisées pour estimer les apports protéiques
dans de nombreuses études épidémiologiques concernant les IRC,
qu’ils soient ou non au stade terminal.
B - ANTHROPOMÉTRIE. COMPOSITION CORPORELLE
:
Différentes techniques permettent d’apprécier la composition
corporelle, en particulier la masse maigre qui dépend du
métabolisme protéique.
Les mesures anthropométriques
permettent d’estimer la masse maigre, mais elles posent des
problèmes de reproductibilité.
Celle-ci peut être estimée par
différentes méthodes qui pour la plupart sont réservées aux
conditions de recherche clinique : activation neutronique, bioimpédance
électrique, absorptiométrie biphotonique (DEXA).
Seules
ces deux dernières méthodes semblent applicables dans des
conditions relativement simples et reproductibles.
C - MARQUEURS SÉRIQUES
:
Les marqueurs sériques sont utilisés pour évaluer l’état nutritionnel,
en particulier les protéines.
Les deux protéines les plus utiles à
l’évaluation de l’état nutritionnel sont l’albumine et la préalbumine.
L’albumine est la principale protéine plasmatique, avec une
concentration de 42 ± 2 g/l (dosage de référence par la technique au bromocrésol), pour une quantité totale de 5 g/kg de poids dont 40 %
dans le secteur vasculaire.
Sa demi-vie relativement longue de
20 jours fait qu’elle n’est pas bien adaptée au suivi des modifications
rapides du métabolisme protéique, notamment pour les phases de renutrition.
La préalbumine est synthétisée par le foie et métabolisée par le rein,
sa concentration normale est de 300 mg/l. Sa demi-vie courte de
2 jours est un des facteurs contribuant à son grand intérêt dans le
suivi de l’état nutritionnel protéique.
Marqueurs nutritionnels protéiques
chez l’IRC :
A -
PATIENTS TRAITÉS PAR HÉMODIALYSE ET DIALYSE
PÉRITONÉALE :
Les premières études qui ont montré la forte prévalence de la
dénutrition protéinoénergétique chez les IRC ont été réalisées chez
des patients traités par hémodialyse ou dialyse péritonéale.
1- Marqueurs sériques
:
Les marqueurs sériques reflétant le métabolisme protéique sont
fréquemment altérés, et leur diminution est prédictive de la
mortalité.
Dans une étude américaine portant sur plus de 13 000 patients
hémodialysés suivis pendant 18 mois, l’albuminémie était inférieure
à 40 g/l dans 60 % des cas.
Le risque
relatif de mortalité était de 1,48 pour les patients dont
l’albuminémie était entre 35 et 39 g/l, et de 3,13 pour une
albuminémie entre 30 et 34 g/l.
Plusieurs autres
études réalisées aux États-Unis et en Europe ont également montré la
fréquence de la diminution de l’albuminémie et son importance
pronostique.
Dans une étude réalisée en France en
1996 chez plus de 7 000 patients hémodialysés, l’albuminémie était
inférieure à 35 g/l chez 20 % d’entre eux.
Dans une cohorte de
plus de 1 600 de ces patients suivis pendant deux ans et demi, le
risque relatif de mortalité diminuait de 5 % environ par g/l
d’albuminémie supplémentaire.
D’autres marqueurs du métabolisme protéique ont une importance
pronostique majeure, notamment la préalbumine.
La demi-vie courte
de cette protéine la rend plus sensible aux altérations du
métabolisme protéique, ce qui explique peut-être son intérêt
pronostique probablement supérieur à celui de l’albumine, qu’il
s’agisse d’études nord-américaines ou européennes.
2- Autres marqueurs
:
Les marqueurs anthropométriques reflétant l’état des stocks
protéiques ont été étudiés dans des cohortes moins importantes du
fait de la difficulté de leur utilisation.
Néanmoins, les données des
différentes études sont concordantes avec les grandes études
épidémiologiques.
Les paramètres anthropométriques, notamment ceux reflétant les
masses protéiques comme le périmètre médiobrachial, sont
fréquemment altérés chez les hémodialysés.
L’estimation du pool azoté par activation neutronique montre une
valeur inférieure au 80e percentile dans près d’un tiers des cas, avec
une mortalité plus importante chez les patients ayant des stocks
protéiques bas.
La masse maigre estimée par DEXA ou par bio-impédance électrique
est inférieure aux valeurs normales de référence, dans une fraction
importante de la population des patients hémodialysés dans
plusieurs études.
De même, la masse maigre estimée d’après la génération de créatinine
était inférieure au 90e percentile chez plus de 60 % des patients de la
cohorte française, la diminution de la masse maigre ayant un
impact pronostique en analyse univariée.
Dans les études qui ont mesuré l’impact de l’instauration du
traitement par l’hémodialyse sur la composition corporelle, la
variation des masses protéiques est en règle mineure.
Au total, quels que soient les marqueurs utilisés, tous démontrent la
fréquence de la dénutrition protéique chez les patients traités par
hémodialyse.
L’altération de ces paramètres est fortement prédictive
du risque de mortalité de ces patients, ainsi que des événements
reflétant la morbidité comme les hospitalisations.
B - PATIENTS INSUFFISANTS RÉNAUX CHRONIQUES
AVANT LE STADE TERMINAL
:
Les IRC avant le stade terminal ont été beaucoup moins étudiés que
les patients traités par hémodialyse ou dialyse péritonéale, alors
qu’il est bien établi que la qualité du suivi clinique avant le stade
terminal conditionne le pronostic de ces patients une fois traités par
hémodialyse. Ikizler et al. ont montré que différents paramètres étaient altérés
parallèlement au degré de l’IRC, avec une diminution de l’excrétion
urinaire de la créatinine (donc une diminution probable de la masse
maigre), une diminution de la transferrine.
Les marqueurs
biologiques nutritionnels tels que l’albumine et la préalbumine
s’améliorent dès les premiers mois qui suivent la mise en dialyse et
persistent au cours de la première année.
Cependant,
aucune étude n’a mis en évidence une augmentation de la masse
maigre chez les patients après la mise en dialyse.
La prévalence de la dénutrition protéinoénergétique est importante
chez l’IRC, que ce soit avant le stade terminal ou avec les différents
traitements de suppléance.
Elle a un impact majeur sur le devenir
de ces patients.
C - TRANSPLANTÉS RÉNAUX
:
Peu d’auteurs se sont intéressés à l’évolution du statut nutritionnel
des patients transplantés, chez lesquels les facteurs d’agression sont
pourtant multiples : l’acte chirurgical, l’utilisation des corticoïdes à
forte dose, la survenue d’infections opportunistes sont autant de
causes potentielles de catabolisme protéique.
Notre équipe a
montré, dans une cohorte de 44 patients transplantés rénaux, une
augmentation de la masse maigre (et de la masse grasse)
uniquement chez les femmes.
Cette augmentation de la masse
maigre était d’autant plus importante que l’utilisation des
corticoïdes avait été faible.
Apports protéinoénergétiques et IRC
:
A -
INSUFFISANCE DES APPORTS PROTÉIQUES
ET ÉNERGÉTIQUES CHEZ LES IRC :
1- Insuffisance rénale chronique avant le stade terminal
:
Les apports protéiques spontanés décroissent régulièrement avec la
progression de l’insuffisance rénale, dès lors que la clairance de la
créatinine devient inférieure à 50 ml/min.
Au cours de la
visite d’inclusion de l’étude nord-américaine
Modification of Diet in
Renal Disease, il a été constaté que l’apport protéique, qui était de
1,07 g/kg/j chez les patients présentant un débit de filtration
glomérulaire de 70 m/min, baissait régulièrement avec la
diminution de la fonction rénale pour n’être que de 0,8 g/kg/j chez
ceux dont le débit de filtration glomérulaire (DFG) n’excédait pas
9 ml/min.
Cette réduction de l’apport protéique était associée à une
diminution simultanée de l’apport énergétique.
Ces données ont
confirmé celles d’études précédentes.
Ainsi, il a été calculé que
l’apport protéique alimentaire était réduit de 0,06 g/kg/j pour
chaque baisse de 10 ml/min de la clairance de la créatinine.
Bien qu’au cours de l’IRC la dépense énergétique soit identique à
celle observée chez les sujets normaux, la réduction des apports
énergétiques, fréquemment associée à celle des apports protéiques,
ne peut que potentialiser le risque nutritionnel.
En effet, si l’apport
calorique a peu d’incidence sur la balance azotée lorsque l’apport
protidique est dans les limites de la normale, son importance devient
déterminante sur le maintien de la balance azotée lorsque l’apport
protidique est réduit.
C’est ainsi que chez des patients IRC au
stade prédialytique, dont l’apport protidique est réduit à 0,6 g/kg/j,
il a été calculé qu’un apport énergétique voisin de 35 kcal/kg/j était
nécessaire pour le maintien d’une balance azotée équilibrée.
En
fait, à ce stade évolutif de l’IRC, l’apport énergétique spontané de
ces patients n’excède habituellement pas 25 à 30 kcal/kg/j, ce qui
favorise le catabolisme protéique.
Toute prescription de régime
restreint en protéines chez l’IRC impose de s’assurer que les apports
caloriques soient suffisants, condition impérative pour le maintien
de l’état nutritionnel.
En résumé, les apports protéiques et énergétiques spontanés
diminuent proportionnellement au déclin de la fonction rénale, avec
des conséquences délétères sur la balance azotée des patients IRC.
2- Insuffisance rénale chronique au stade terminal
:
Plusieurs études ont montré que les apports protéiques et
énergétiques étaient insuffisants chez les patients traités par
hémodialyse : ainsi, chez les 1 000 premiers patients inclus dans l’étude HEMO réalisée aux États-Unis, l’apport protéique était de
0,93 ± 0,36 g/kg/j, avec un apport énergétique très insuffisant de
22,9 ± 8,4 kcal/kg/j, avec comme corollaire une albuminémie
basse de 36,5 ± 3,8 g/l.
Il est notable que dans cette étude, les
apports protéiques et énergétiques étaient fortement corrélés
(r = 0,74, p < 0,0001).
Des données du même type ont été obtenues
chez les patients traités par dialyse péritonéale. Cependant, les
résultats américains ne sont pas nécessairement transposables à
l’Europe.
Ainsi, dans l’étude multicentrique française, les apports
protéiques estimés par le nPCR étaient nettement supérieurs à
1,13 ± 0,32 g/kg/j.
En résumé, chez les patients hémodialysés et dialysés péritonéaux,
les apports protéiques et énergétiques sont fréquemment inférieurs
aux recommandations de respectivement 1,2 g/kg/j et
35 kcal/kg/j.
B - MÉCANISMES DE L’ANOREXIE
CHEZ LES INSUFFISANTS RÉNAUX
:
La faiblesse des apports protéiques et énergétiques chez les IRC est
expliquée en grande partie par une anorexie fréquente chez ces
patients.
Plusieurs facteurs ont été avancés pour l’expliquer.
Certaines molécules de taille moyenne, se situant entre 1 000 et
10 000 Da, normalement présentes dans les urines sont retrouvées
dans le plasma des patients IRC ; lorsque après extraction et
purification, elles sont injectées chez l’animal, elles induisent une
anorexie dose-dépendante portant sur les glucides et les protides.
La responsabilité de la leptine, dont la concentration est augmentée au
cours de l’IRC, a été également avancée mais n’a pas été clairement
démontrée. En effet, la leptine, produit du gène ob chez la souris,
est une molécule qui a des effets anorexigènes.
Elle est fréquemment
élevée chez l’IRC, mais de manière inconstante et très liée à la
composition corporelle, les taux les plus élevés de leptine étant
observés chez les IRC obèses.
Ceci est donc en contradiction avec
un rôle déterminant de la leptine dans la genèse de l’anorexie des
IRC.
D’autres molécules anorexigènes sont à des concentrations élevées,
comme la cholécystokinine, le glucagon ou la sérotonine, toutes
molécules faisant partie des molécules de poids moléculaire
intermédiaire.
Les cytokines pro-inflammatoires doivent également
avoir un effet suppresseur de l’appétit chez l’IRC, mais sans que la
responsabilité de l’une d’entre elles ait été formellement
démontrée.
L’altération du goût et de l’odorat, la consommation souvent excessive
de médicaments, les problèmes socioéconomiques et psychologiques
fréquemment retrouvés en particulier chez les patients âgés,
contribuent à rendre ces patients anorexiques.
Facteurs d’altération du métabolisme
protéique au cours de l’IRC :
Comme chez les sujets à fonction rénale normale, les synthèses
protéiques de l’insuffisant rénal dépendent des apports
protéinoénergétiques et des mécanismes régulateurs qui contrôlent
le métabolisme intermédiaire.
Les facteurs de catabolisme protéique
sont multiples au cours de l’IRC, mais ne lui sont pas spécifiques.
A - INFLUENCE DES APPORTS PROTÉINOÉNERGÉTIQUES
SUR LE STATUT NUTRITIONNEL DES IRC :
1- Patients IRC avant le stade terminal
:
Quels qu’en soient les mécanismes, la seule réduction des apports
protéiques et énergétiques ne saurait expliquer la prévalence élevée
de la malnutrition protéinoénergétique au cours de l’IRC.
En effet,
en l’absence de situation d’hypercatabolisme, un apport protéique
quotidien de 0,6 g/kg suffit pour assurer un bilan azoté équilibré
aussi bien chez les sujets normaux que chez les patients IRC (à la
condition que les apports caloriques soient suffisants), les
mécanismes d’adaptation de l’organisme à la réduction des apports
protéiques étant conservés au cours de l’IRC.
Ces mécanismes
consistent dans un premier temps en une réduction de l’oxydation
des AA, assurant une disponibilité des AA pour les synthèses
protéiques. Dans un second temps, on observe une réduction de la
dégradation protéique qui est équilibrée par rapport aux synthèses
protéiques, permettant au sujet de garder une balance azotée
équilibrée.
Lorsque l’apport protéique quotidien devient inférieur
à 0,6 g/kg, les mécanismes d’adaptation deviennent insuffisants, la
balance azotée se négative, à moins que le patient ne reçoive une supplémentation en AA essentiels ou en leurs dérivés
cétoanalogues, condition nécessaire pour maintenir un état
nutritionnel satisfaisant chez les patients auxquels une restriction
protéique plus importante est prescrite, notamment pour ralentir la
progression de l’IRC.
En résumé, chez les patients IRC avant le stade terminal, des apports
protéiques de 0,6 à 0,8 g/kg/j permettent d’assurer un bilan azoté
équilibré, à condition que les apports caloriques soient supérieurs
ou égaux à 35 kcal/kg/j.
2- Patients IRC traités par hémodialyse ou dialyse
péritonéale
:
Chez ces patients, les apports protéiques doivent être supérieurs à
1,2 g/kg/j et les apports énergétiques supérieurs à 35 kcal/kg/j
(30 kcal/kg/j chez les sujets âgés de plus de 60 ans) pour assurer la
stabilité de la balance azotée.
En effet, différents mécanismes
secondaires à l’IRC et surtout aux comorbidités qui lui sont
associées, ainsi qu’aux effets des techniques mises en oeuvre,
nécessitent ces apports plus élevés que ceux de sujets normaux.
Comme indiqué
plus haut, de tels apports sont constatés chez un nombre limité de
patients, qu’il s’agisse d’études européennes
ou américaines ; l’insuffisance d’apports est donc un facteur
majeur de dénutrition protéinoénergétique chez ces patients.
B - ANOMALIES DU MÉTABOLISME DES AA
AU COURS DE L’IRC :
À la réduction des apports protéinocaloriques viennent s’ajouter des
anomalies du métabolisme des AA, dont la répartition et la structure
sont altérées au cours de l’IRC.
Ces anomalies s’aggravent
parallèlement à la sévérité de l’IRC et contribuent à altérer les
synthèses protéiques.
Les anomalies de répartition des AA sont illustrées par les aminogrammes plasmatiques et cellulaires, obtenus par biopsie
musculaire, et s’expliquent par les perturbations métaboliques que
l’on retrouve en particulier aux niveaux rénal, musculaire et
hépatosplanchnique.
Le rein joue un rôle important dans le métabolisme des AA.
Il est le
siège de l’extraction de la glutamine utilisée à des fins
d’ammoniogenèse et de néoglucogenèse, de la proline, de la
citrulline et de la phénylalanine.
Il joue également un rôle dans la
production de taurine, thréonine, ornithine, lysine, arginine, sérine
et tyrosine, ces deux dernières résultant respectivement de la
conversion de la glycine et de l’hydroxylation de la phénylalanine.
L’altération du fonctionnement rénal explique ainsi certaines
anomalies des aminogrammes, dont les plus remarquables sont
l’augmentation des taux de proline et de citrulline cependant que
les taux de sérine et de tyrosine sont abaissés, contrastant avec les
taux normaux ou élevés de glycine et de phénylalanine.
L’accumulation de certains AA comme l’hydroxyproline ou la
3-méthyl-histidine est directement liée à une diminution de leur
élimination rénale.
Au niveau musculaire, les altérations les plus évidentes sont
observées en phase de jeûne.
Pendant cette phase, si la libération
des AA et en particulier de la glutamine est normale, en revanche,
celle des AA ramifiés : leucine, isoleucine et valine est réduite, du
fait de leur moindre concentration intracellulaire.
Au niveau hépatosplanchnique, le pourcentage d’AA capté par le foie
est réduit de 50 %.
L’augmentation de la quantité totale d’AA libérés après un repas synthétique concerne préférentiellement les AA non
essentiels, alors que les AA essentiels, notamment la leucine,
fondamentale pour les synthèses protéiques, ont des taux
abaissés.
Ces modifications de l’aminogramme plasmatique rappellent celles
qui sont observées dans les états de malnutrition.
C’est le cas en
particulier de la baisse du rapport AA essentiels/AA non essentiels,
à laquelle viennent s’ajouter des anomalies plus spécifiques de
l’insuffisance rénale.
Les modifications de l’aminogramme intracellulaire sont très
voisines de celles observées dans le plasma.
Elles ont
potentiellement plus de conséquences puisque les cellules,
notamment les cellules musculaires, constituent le réservoir majeur
des AA.
On retrouve des concentrations basses en AA ramifiés mais
également en taurine, thréonine, lysine et histidine, cette dernière
étant de ce fait considérée comme un AA essentiel au cours de l’IRC.
À ces anomalies de répartition viennent s’ajouter des modifications
biochimiques des AA et des protéines.
C’est le cas, en particulier, du
stress oxydatif et du phénomène de carbamylation.
Ce dernier
consiste en la liaison de l’acide isocyanique, dérivé de l’urée, avec
les AA, les protéines et les lipides ; son importance croît donc avec
la progression de l’insuffisance rénale.
Les modifications
moléculaires qui résultent de cette liaison sont a priori susceptibles
d’altérer la synthèse et les fonctions de certaines protéines tant
plasmatiques que tissulaires.
Ces anomalies quantitatives et qualitatives ont un effet négatif sur
les réserves cellulaires et sur les synthèses protéiques.
Elles
retentissent de ce fait sur l’état nutritionnel, comme le confirment
les corrélations entre les concentrations plasmatiques et/ou
musculaires de certains AA essentiels, ramifiés en particulier, avec
les marqueurs nutritionnels.
C - SPÉCIFICITÉS DU CATABOLISME PROTÉIQUE
CHEZ L’IRC :
L’IRC est souvent présentée, en faisant référence aux observations
faites dans différents modèles d’IRC expérimentale, comme étant
associée à une dégradation protéique excessive.
Pourtant, malgré les
concentrations élevées de nombreuses substances catabolisantes,
hormone parathyroïdienne, glucagon, cortisol, catécholamines, il ne
semble pas qu’en l’absence d’acidose ou de pathologie intercurrente,
le catabolisme de ces patients soit augmenté.
De nombreuses études
ont montré que les patients présentant une IRC évoluée sont
capables de maintenir une balance azotée neutre ou positive malgré
la réduction des apports protéiques alimentaires.
La différence des concentrations sanguines au niveau d’un membre cathétérisé en artériel et en veineux qui permet d’apprécier le
relargage musculaire en AA, dont l’importance croît avec la
protéolyse, est identique chez l’IRC et chez les sujets à fonction
rénale normale.
Après étude des flux de phénylalanine marquée
au niveau du membre supérieur (qui permet d’apprécier les taux de
synthèse et de dégradation protéique), Garibotto et al. ont confirmé
l’absence de protéolyse excessive d’origine musculaire chez les
patients IRC stables.
L’absence d’anomalie du catabolisme protéique au cours de l’IRC a
été confirmée par l’introduction de leucine ou de glycine marquée
dans le pool des AA, qui permet de mesurer les taux de dégradation
et de synthèse protéiques ainsi que d’oxydation des AA.
La mesure
de ces différents paramètres ne montre pas de différence significative
entre les sujets-contrôles et les patients présentant une insuffisance
rénale évoluée, quel que soit l’apport protidique, et que les sujets
soient en état de jeûne ou nourris. V. Lim et al. ont confirmé, en
utilisant la même technique d’apport d’isotopes stables, que, chez le
patient IRC, il n’y avait pas d’augmentation du catabolisme et que
le turnover protéique était au contraire ralenti.
En résumé, l’IRC par elle-même ne constitue pas une cause de
catabolisme protéique excessif.
D - HORMONES INFLUENÇANT LE MÉTABOLISME
PROTÉIQUE
:
À la réduction des apports protéinocaloriques et aux modifications
biochimiques des AA et des protéines, viennent s’ajouter des
perturbations des mécanismes hormonaux qui contrôlent le
métabolisme intermédiaire des protéines.
La régulation hormonale du métabolisme protéique est le fait
d’hormones soit anabolisantes comme l’insuline ou l’hormone de
croissance, soit catabolisantes comme les glucocorticoïdes.
1- Insuline :
Parmi les différentes anomalies observées au cours de l’IRC, la
résistance périphérique à l’action de l’insuline, bien démontrée dans
le cadre du métabolisme glucidique, est également susceptible
d’affecter le métabolisme protéique.
L’insuline exerce son action à
différents stades du métabolisme protéique : elle favorise le transport
cellulaire des AA aux niveaux hépatique et musculaire et stimule les
synthèses protéiques, mais son rôle essentiel est de réduire la
protéolyse et la néoglucogenèse.
Castellino et al. ont montré, en
étudiant l’effet de l’insuline sur le métabolisme protéique de l’IRC,
que l’action antiprotéolytique de l’insuline était préservée ; en
revanche, les synthèses protéiques en réponse à une perfusion d’AA,
en présence d’insuline, étaient réduites d’environ 30 %, le défaut
paraissant se situer au-delà du récepteur membranaire de
l’insuline.
Toutefois, dans un travail récent, les synthèses
protéiques en présence de perfusions combinées d’insuline et d’AA
ont été retrouvées normalement stimulées chez les patients
insuffisants rénaux.
En résumé, l’action anabolisante sur le métabolisme protéique de
l’insuline semble diminuée chez l’IRC, du fait de l’état
d’insulinorésistance périphérique observé au cours de l’IRC.
2- Hormone de croissance et IGF-1
:
Les anomalies de l’axe hormone de croissance-insulin-like growth
factor-1 (IGF-1) participent également aux altérations du
métabolisme protéique.
Le taux d’hormone de croissance élevé du
fait d’un défaut de métabolisme rénal ne compense pas la résistance
vis-à-vis de l’hormone observée au niveau cellulaire, et la supplémentation en hormone de croissance potentialise chez les
patients dénutris les effets anabolisants des supplémentations
protéiques perdialytiques.
Chez les patients traités par hémodialyse ou dialyse péritonéale, il
existe une résistance à l’action anabolisante de l’IGF-1 administrée
aux doses pharmacologiques ; l’utilisation de plus fortes
posologies d’IGF-1 se traduit par une positivité nette de la balance
azotée malgré l’absence de modification des doses de dialyse ou des
apports protéinocaloriques.
3- Glucocorticoïdes
:
Chez des rats normaux, les glucocorticoïdes favorisent l’effet
catabolique protéique de l’acidose métabolique, ainsi que celui
d’autres facteurs comme le diabète aigu ou le jeûne prolongé.
Des
résultats similaires ont été obtenus sur des systèmes de cultures
cellulaires qui ont permis de démontrer que les glucocorticoïdes ont
un effet permissif sur la stimulation du système ubiquitineprotéasome
activé par les stimuli comme l’acidose, en favorisant la
transcription des gènes de protéines impliquées dans ce système
ubiquitine-protéasome.
E - ACIDOSE MÉTABOLIQUE
:
L’acidose métabolique est une complication fréquente de l’IRC, liée
essentiellement à la réduction de l’ammoniogenèse rénale.
Expérimentalement, l’induction d’une acidose métabolique
s’accompagne d’un retard de croissance et d’une dégradation
protéique musculaire accrue.
Chez l’IRC, elle représente un facteur
majeur d’altération du métabolisme protéique, elle peut ainsi être
considérée comme une authentique « toxine urémique ».
1- Synthèses protéiques
:
L’acidose a surtout un rôle dans la protéolyse, mais elle a également
une activité inhibitrice vis-à-vis des synthèses protéiques, en
induisant une insulinorésistance et en réduisant l’expression d’IGF-1
et du récepteur de l’hormone de croissance.
2- Catabolisme protéique
:
De nombreux travaux ont étudié le rôle de l’acidose métabolique
sur le métabolisme protéique dans des situations expérimentales.
L’acidose métabolique induit une augmentation de la dégradation
des protéines, en particulier musculaires.
Cette augmentation de la
protéolyse est liée à l’augmentation de l’activité de la voie de
dégradation protéique ubiquitine-protéasome adénosine
triphosphate (ATP)-dépendante.
Après conjugaison initiale des
protéines concernées à l’ubiquitine, en présence d’ATP, le conjugué
ainsi formé est dégradé dans un large complexe protéolytique de
plus de 2 000 kDa, le protéasome.
L’acide ribonucléique messager
(ARNm) codant l’ubiquitine et les différentes sous-unités du
protéasome est augmenté dans les muscles des rats en acidose.
Il est important de mentionner que les corticoïdes participent à cet
effet catabolique de l’acidose.
L’augmentation de la protéolyse est
également liée à l’augmentation de la production de la cétodéshydrogénase des AA ramifiés qui majore l’oxydation et la
transamination de ceux-ci.
Des taux élevés d’ARNm codant les
différents composants de cette enzyme ont également été retrouvés
dans les muscles des rats en acidose.
De nombreuses études ont confirmé l’augmentation de la protéolyse
chez les patients IRC acidotiques. Bergström et al. ont rapporté une
corrélation inverse entre la concentration en bicarbonates
plasmatiques et les taux plasmatiques et musculaires des AA
ramifiés, qui se normalisent après 6 mois d’une supplémentation en
bicarbonates.
Williams et al. ont observé que le rapport 3-méthyl
histidine/créatinine urinaire, témoin de la dégradation des protéines
musculaires, se normalise après apport en bicarbonates chez les
patients présentant une insuffisance rénale évoluée.
D’autres
auteurs ont également constaté une diminution de la dégradation
des AA ramifiés après apport de bicarbonates et une amélioration
de la balance azotée et potassique.
Du fait de son effet stimulant
sur la dégradation protéique et l’oxydation des AA, l’acidose
contrarie les mécanismes d’adaptation à la réduction des apports
protéiques, ce qui implique la nécessité de normaliser le taux
plasmatique des bicarbonates à 25 mmol/l au moins avant de
prescrire un régime restrictif en protides.
La correction de l’acidose métabolique de patients en dialyse
péritonéale par l’apport d’alcalins a permis d’améliorer notablement
leur état nutritionnel.
Les groupes de Mitch et Walls ont montré
que cette augmentation du poids s’accompagnait d’une
augmentation des concentrations plasmatiques des AA ramifiés, et
d’une diminution des taux d’ARNm i.m. d’ubiquitine, et d’une
diminution de la concentration sérique du tumor necrosis factor
(TNF)-alpha.
F - INFLAMMATION CHRONIQUE
:
L’inflammation qui est fréquemment observée au cours de l’IRC
influence également fortement le métabolisme protéique.
Une
élévation des taux sériques des marqueurs de l’inflammation
protéine C-réactive (CRP) et serum-amyloid A protein (SAA) est
retrouvée chez près de 50 % des patients au moment de leur mise
en dialyse, la prévalence étant plus particulièrement élevée chez les
patients les plus âgés.
La synthèse hépatique de ces marqueurs
est stimulée par les cytokines pro-inflammatoires, interleukines 1, 6,
et 8 et TNF-alpha dont les taux sont augmentés chez l’IRC.
Ces
marqueurs positifs de la phase aiguë de l’inflammation sont
négativement corrélés avec les marqueurs de l’état nutritionnel,
albumine et préalbumine en particulier, dont la synthèse hépatique
est réduite.
Cette inflammation chronique a des effets
antagonistes des apports alimentaires sur l’état nutritionnel ; il
est ainsi évident qu’une part des effets prédictifs négatifs de la
dénutrition sur le devenir des patients traités par hémodialyse est
en fait secondaire à l’existence d’une inflammation chronique.
De
plus, elle est très fréquemment associée à une athérosclérose
évolutive, réalisant un syndrome associant malnutrition,
inflammation, et athérosclérose dénommé sous l’acronyme de « MIA
syndrome ».
Les cytokines peuvent également interférer avec le
métabolisme protéique en inhibant l’appétit par stimulation directe
de la production de leptine par les adipocytes.
En résumé, bien qu’elle ne soit pas spécifique mais associée à l’IRC,
l’inflammation chronique est responsable pour une grande part des
phénomènes cataboliques protéiques observés au cours de l’IRC.
G - INFLUENCE DE LA PROTÉINURIE
:
Chez les patients ayant un syndrome néphrotique, la protéinurie
représente un facteur de perte supplémentaire, et l’excès
d’apport protéique peut avoir des conséquences délétères sur la
fonction rénale, justifiant une restriction protéique
proportionnelle au degré d’IRC.
Chez ces patients, il a été démontré
qu’un régime apportant 35 kcal/kg/j et 0,8 g/kg/j en protéines plus
1 g protéines/g de protéinurie permet de maintenir une balance
azotée stable, l’adaptation à la restriction des apports protéiques
étant conservée.
Traitements substitutifs de l’IRC
et métabolisme protéique
:
A - HÉMODIALYSE
:
Comme nous l’avons déjà détaillé largement, la malnutrition protéinoénergétique est un facteur de risque majeur de mortalité
chez les patients hémodialysés.
Son incidence élevée peut être le fait
des différentes anomalies liées à l’IRC que nous avons déjà exposées,
mais peut également être due à la procédure de dialyse elle-même.
La séance de dialyse s’accompagne d’une perte d’AA dans le
dialysat (en moyenne 5 à 10 g par séance) pouvant être majorée de
10 à 30 % avec des membranes de haute perméabilité.
Les pertes
en protéines sont négligeables avec des membranes non réutilisées. Ikizler et al. ont confirmé récemment le rôle catabolique que joue la
séance de dialyse.
Chez 11 patients dialysés sur des membranes
biocompatibles à haute perméabilité, on observe une diminution des
taux plasmatiques de 33 % pour les AA essentiels et 38 % pour les
AA non essentiels du début à la fin de la séance.
Les taux
plasmatiques restent inférieurs aux valeurs de base 2 heures après
la fin de la séance.
Pourtant, il existe une diminution de la balance
nette d’AA au niveau des masses musculaires, témoignant d’un relargage tissulaire accru des AA.
Le groupe de Bergström a
montré, lors de dialyses factices réalisées chez des volontaires sains,
que le contact du sang avec une membrane cellulosique entraînait,
vraisemblablement sous l’action des cytokines pro-inflammatoires,
une augmentation de la concentration des AA dans le sang veineux
d’un membre inférieur cathétérisé en artériel et en veineux.
Ainsi,
la diminution des taux circulants d’AA observée chez l’hémodialysé
au cours de la séance malgré une sortie des AA depuis les masses
musculaires témoigne de la non-compensation de la forte perte
d’AA dans le dialysat.
La même équipe a montré, toujours chez des volontaires sains, grâce
à des biopsies musculaires effectuées avant et après dialyse, que la
séance de dialyse s’accompagnait d’une réduction des capacités de
synthèse protéique estimées par le nombre de ribosomes
intramusculaires.
Les données d’Ikizler et al. vont dans le même
sens en montrant que la séance de dialyse est à l’origine d’une
diminution de la synthèse protéique qui, associée à une
augmentation de 10 % de la protéolyse, contribue à la négativation
du bilan protéique net.
Par ailleurs, il n’est pas clairement établi si la dialyse s’accompagne
ou non d’une augmentation de la dépense énergétique.
En effet, si
les premières études n’avaient pas montré d’augmentation de la dépense énergétique chez les patients hémodialysés, des études
plus récentes ont mis en évidence une augmentation de la dépense
énergétique pendant la séance d’hémodialyse mais également les
jours de non-dialyse, où elle serait de l’ordre de 8 à 16 %.
En résumé, la séance de dialyse entraîne une diminution modérée
de la synthèse protéique, une stimulation de la dégradation
protéique musculaire avec relargage d’AA dans le plasma et une
perte de ces AA dans le dialysat.
On estime ainsi que 7 à 8 g de
protéines disparaissent au cours de chaque séance de dialyse,
essentiellement en rapport avec une perte d’AA dans le dialysat.
Alors que la séance de dialyse constitue une situation
d’hypercatabolisme, le suivi longitudinal des patients hémodialysés
montre, à condition que les doses de dialyse soient suffisantes, une
amélioration fréquente des paramètres nutritionnels au moins
pendant les premières années de traitement.
Ces résultats cliniques
sont confirmés par l’étude du turnover protéique avant et après
10 semaines de dialyse. Alors que l’apport protéinocalorique des
patients est demeuré inchangé, V. Lim et al. ont observé une
normalisation du turnover protéique qui était initialement réduit par
rapport à une population contrôle.
Après 10 semaines de dialyse, la
dégradation et les synthèses protéiques sont augmentées, ces
dernières de façon plus prononcée, alors que le taux d’oxydation de
la leucine est réduit par rapport à celui observé chez les sujetscontrôle.
Ces différents résultats confirment l’amélioration au long
cours du métabolisme protéique par l’hémodialyse, et sont en accord
avec l’observation clinique quotidienne.
Différentes thérapeutiques peuvent être envisagées chez les patients
dialysés présentant une malnutrition protéinoénergétique.
Actuellement, de nombreuses équipes ont recours à l’alimentation
parentérale perdialytique qui semble avoir une certaine efficacité
chez les patients dénutris, et son utilisation est relativement
simple en hémodialyse.
L’intérêt de cette nutrition parentérale a été
récemment renforcé par l’étude de Pupim et al.
En effet, ce
traitement induit une augmentation de la synthèse protéique et une
diminution de la protéolyse au cours de la séance de dialyse chez
les sept patients étudiés.
Comparativement, une séance de dialyse
sans nutrition associée aboutit à un état catabolique, alors que la
nutrition parentérale permet d’obtenir un état d’anabolisme en
termes de métabolisme protéique.
Ceci est d’autant plus intéressant
que cette étude concernait des patients non dénutris et qui avaient
des apports protéiques et caloriques alimentaires adaptés.
B - DIALYSE PÉRITONÉALE
:
En dialyse péritonéale, les pertes quotidiennes en AA sont de l’ordre
de 1 à 2 g, aboutissant à des pertes hebdomadaires voisines de celles
induites par l’hémodialyse.
En revanche, les pertes protéiques sont
beaucoup plus importantes que celles observées en hémodialyse, de
l’ordre de 5 à 15 g/j, avec toutefois de larges variations individuelles.
L’albumine est la protéine majoritairement éliminée mais elle n’est
pas la seule.
On compte 15 % d’immunoglobulines G dans les pertes
protéiques par le dialysat.
Ces pertes peuvent doubler au cours des
épisodes de péritonite et se maintenir alors à des taux élevés
pendant plusieurs semaines.
Dans ces circonstances,
l’augmentation de la fuite protéique peut entraîner une dénutrition
parfois majeure.
Quoiqu’on assiste à une réduction progressive de
la masse cellulaire active chez les patients après plusieurs années de
dialyse péritonéale, la cinétique de la leucine marquée montre
que ces patients sont eux aussi en situation d’anabolisme protéique.
Différents auteurs ont suivi prospectivement l’état nutritionnel des
patients en dialyse péritonéale.
Jager et al. ont étudié 118 patients
mis en dialyse péritonéale, et rapportent une augmentation de
l’albuminémie persistante après 2 ans de traitement.
Cette
amélioration de l’état nutritionnel est plus importante chez les
patients ayant une meilleure épuration (clairance de la
créatinine > 75 l/semaine) et ce, malgré des apports protéiques
inférieurs à 1 g/kg/j.
Actuellement, les apports protéiques
recommandés sont de 1,3 g/kg/j chez les patients en dialyse
péritonéale (DP), légèrement supérieurs à ceux recommandés en
hémodialyse (HD) en raison des pertes protéiques plus importantes
avec cette technique.
Les pertes d’AA peuvent également être en
partie compensées par l’utilisation de poches de dialyse contenant
différents AA qui seront absorbés à travers la membrane péritonéale.
C - TRANSPLANTATION RÉNALE
:
Le métabolisme protéique chez le transplanté rénal diffère selon que
l’on se place dans la période initiale de la transplantation ou plus
tardivement.
En effet, les suites immédiates de la greffe sont
caractérisées par un catabolisme protéique accru, dû non seulement
à la chirurgie qui est associée à une augmentation des besoins
énergétiques et protéiques, mais également à l’utilisation de doses
importantes de corticoïdes.
Il y a quelques années, Hoy et al. ont
étudié le taux de catabolisme protidique chez 50 patients
transplantés, et ont montré que ce taux augmente au cours de la
première semaine suivant la greffe et se stabilise jusqu’au moins la
3e semaine.
Tous ces patients recevaient 60 mg/j de prednisone, et
chez les patients qui ont présenté un rejet aigu ayant alors eu une
majoration de la corticothérapie, ce catabolisme protidique est
significativement augmenté.
Le rôle de la dose de corticoïdes est
confirmé par une seconde étude sur 20 patients, montrant une
augmentation significative du taux de catabolisme protidique chez
les patients recevant 3 mg/kg/j de prednisone versus 1 mg/kg/j.
L’augmentation du catabolisme protidique entraîne fréquemment
une négativation de la balance azotée. Ainsi, notre équipe a trouvé
une diminution de l’albuminémie dans les 15 jours suivant
l’intervention chez 44 patients transplantés rénaux.
Le taux réaugmente par la suite avec la décroissance de la corticothérapie
d’une part, mais également grâce à des apports alimentaires
adéquats.
Des apports en protéines de 1,2 g/kg/j sont nécessaires
pour maintenir une balance azotée positive chez ces patients, mais
ces apports doivent être augmentés dans la période postopératoire
et chez ceux qui reçoivent de fortes doses de corticoïdes.
Dans les
suites tardives de la transplantation, le métabolisme protéique est
moins influencé par le traitement corticoïde, qui est faible ou absent,
que par le degré d’altération de la fonction rénale.
Recommandations
:
Différentes recommandations concernant les apports diététiques des IRC ont été formulées par les sociétés savantes de néphrologie
européenne et américaine.
Toutes insistent également sur la nécessité d’une
correction de l’acidose, et d’une quantité suffisante d’épuration extrarénale.
Ces recommandations ne concernent pas les patients dont l’IRC est
modérée (DFG entre 40 et 25 ml/min), pour lesquels une restriction
protéique modérée (0,8 à 1 g/kg/j) accompagnée d’apports
caloriques suffisants paraît souhaitable.
Conclusion
:
L’IRC n’est pas en elle-même une situation catabolique et, si la
malnutrition protéinoénergétique est fréquente chez les patients IRC, il
convient de rappeler qu’elle épargne toutefois plus de la moitié des
patients.
Il n’y a donc pas de fatalité de la malnutrition pour peu qu’un
certain nombre de règles soient respectées : apports protéique et
énergétique suffisants, maîtrise du syndrome urémique, notamment de
l’acidose métabolique et doses de dialyse suffisantes.
Toutefois, même
lorsque ces consignes sont bien suivies, certains patients demeurent
dénutris, en situation de catabolisme, souvent dans le cadre d’un
syndrome inflammatoire chronique.
L’identification d’une cause curable
à l’inflammation est parfois possible.
À terme, des stratégies
thérapeutiques anti-inflammatoires permettront peut-être d’améliorer le
métabolisme protéique et l’état nutritionnel de ces patients.