Lymphomes cutanés épidermotropes Cours
d'hématologie
Introduction
:
Les lymphomes cutanés T épidermotropes (LCTE) sont les plus
fréquents des lymphomes cutanés primitifs.
Le mycosis fongoïde et
le syndrome de Sézary sont les deux formes prédominantes.
Ce sont des affections du sujet adulte.
Leur évolution est lente.
Le diagnostic est clinique, confirmé par l’histologie,
l’immunophénotypage lymphocytaire et la biologie moléculaire.
Définition :
Les LCTE sont des proliférations cutanées malignes à tropisme
principalement épidermique et développées à partir des
lymphocytes T.
Les lymphomes B épidermotropes sont extrêmement
rares et ne seront pas abordés ici.
Les LCTE sont représentés en majorité par le mycosis fongoïde et le
syndrome de Sézary.
La particularité de ces lymphomes est la coexistence d’une
population lymphocytaire T tumorale et d’une population
lymphocytaire T réactionnelle, dont l’équilibre repose sur des
phénomènes immunomodulateurs complexes.
Cette particularité
histologique explique en partie la lenteur de leur évolution en
comparaison de celle des lymphomes hématologiques.
Leur prise
en charge thérapeutique est par conséquent différente.
Épidémiologie
:
Les LCTE représentent 70 % des lymphomes cutanés.
Le mycosis
fongoïde et le syndrome de Sézary sont les plus fréquents des LCTE
puisqu’ils représentent 52,2 % de l’ensemble des lymphomes cutanés
primitifs.
Cette étude reposait sur les données de l’Organisation
européenne de recherche sur le traitement du cancer (OERTC) et
colligeait donc des données européennes.
Plus récemment, une
étude portant sur les données de trois centres américains retrouvait
une fréquence pour les mycosis fongoïdes plus les syndromes de Sézary de 82,3 % par rapport à l’ensemble des lymphomes cutanés
primitifs.
Le mycosis fongoïde est le plus fréquent avec une incidence estimée
à 0,4 cas pour 100 000 habitants et par an aux États-Unis dans une
étude réalisée en 1984.
Ces chiffres semblent stables puisqu’une
autre étude publiée en 1999 retrouvait une incidence de 0,36 cas
pour 100 000 habitants et par an également aux États-Unis.
Le mycosis fongoïde représente 44 % des lymphomes cutanés.
Le syndrome de Sézary représente seulement 5 % des lymphomes
cutanés soit une incidence de 30 à 40 nouveaux cas par an aux États-Unis, mais les données épidémiologiques sont limitées en raison de
la faible prévalence.
Le rapport homme/femme montre une prédominance masculine.
Ce sont des affections de l’adulte avec une moyenne d’âge de
survenue autour de 50 ans.
Des cas de mycosis fongoïde chez
l’enfant ont été rapportés, l’évolution étant plus lente.
Les formes familiales restent exceptionnelles et font suspecter le rôle
d’une participation génétique.
De même, le rôle de facteurs toxiques
dans l’environnement a été suspecté, mais n’a jamais pu être
confirmé par les différentes études.
Classification histopronostique :
L’histoire naturelle des lymphomes cutanés primitifs, différente de
celle des lymphomes hématologiques, a amené les dermatologues à
proposer une nouvelle classification basée essentiellement sur la
clinique.
Elle a été élaborée par des dermatologues et des
pathologistes du groupe de l’OERTC.
Cette nouvelle classification
remplace, pour les lymphomes cutanés, les classifications
hématologiques des lymphomes uniquement basées sur l’aspect
morphologique des cellules (classification de Kiel et REAL
classification).
La classification de l’OERTC (1997) ne s’applique qu’aux lymphomes
cutanés primitifs à l’exclusion des localisations secondaires des
lymphomes viscéraux.
C’est une classification fondée sur le
pronostic évolutif, séparant les lymphomes dits indolents des
lymphomes agressifs et d’entités de pronostic incertain.
Elle repose
sur des critères à la fois cliniques, histologiques et immunohistochimiques.
Dans cette classification, les LCTE trouvent leur place parmi les
lymphomes indolents pour le mycosis fongoïde avec ou sans
mucinose et le lymphome pagétoïde et parmi les lymphomes
agressifs pour le syndrome de Sézary.
La chalazodermie
granulomateuse est une entité très rare, classée parmi les formes
indolentes de lymphome cutané épidermotrope de phénotype T.
Aspects cliniques
:
A - MYCOSIS FONGOÏDE :
Le mycosis fongoïde est défini actuellement comme une dermatose
évoluant en trois phases cliniques caractéristiques ; c’est la forme
typique décrite par Alibert et Bazin, avec l’érythème prémycosique,
le stade des plaques infiltrées et le stade tumoral.
1- Érythème prémycosique :
La phase initiale est appelée érythème prémycosique.
Elle est
caractérisée par des plaques de grande taille, bien limitées,
érythémateuses, finement squameuses disposées de manière le plus
souvent symétrique sur les faces latérales du thorax, les flancs, et la
racine des membres.
Ces lésions sont prurigineuses. Parfois,
leur aspect est plus atypique eczématiforme ou pytiriasiforme.
Les formes atypiques sont peu fréquentes ; ont été décrites des
formes avec une plaque unique, des formes à type de capillarite purpurique et pigmentaire, des formes hypopigmentées et des
kératodermies palmoplantaires isolées.
L’aspect clinique de l’érythème prémycosique, très proche de celui
du parapsoriasis en grandes plaques, pose le problème de
l’appartenance du parapsoriasis en grandes plaques aux états
lymphomateux.
Certains auteurs le classent dans les états prélymphomateux, tandis que d’autres l’assimilent à un mycosis
fongoïde débutant.
Le diagnostic à ce stade n’est pas toujours facile ;
l’histologie n’est pas toujours contributive.
Aucun marqueur
immunologique ne permet de les distinguer.
Ces lésions peuvent persister pendant plusieurs années.
Elles
peuvent parfois régresser spontanément avant de réapparaître.
Il
existe une hyperpigmentation cutanée résiduelle.
2- Plaques infiltrées
:
Les plaques s’infiltrent en périphérie, formant des lésions circinées
brun cuivré, fermes, asymétriques, situées principalement sur le
tronc et la racine des membres.
Dans certains cas, on retrouve
une atteinte du visage.
L’atteinte du cuir chevelu peut être
responsable d’une alopécie localisée.
Il peut exister une atteinte palmoplantaire à type de kératodermie.
À ce stade, il n’y a pas d’altération de l’état général.
3- Stade tumoral :
Au stade tumoral apparaissent des lésions franchement nodulaires
soit sur les plaques préexistantes infiltrées ou non, soit en peau saine.
La taille de ces lésions est variable.
Elles prédominent dans
les plis de flexion des membres et au visage. Ces lésions peuvent
s’ulcérer. Il peut, à ce stade, exister des signes d’altération de l’état
général.
À partir de ce stade, la maladie s’accélère et un envahissement extracutané peut apparaître, sous forme de localisation
ganglionnaire, hépatique, splénique ou pulmonaire.
L’envahissement médullaire est rare et tardif.
B - SYNDROME DE SÉZARY :
Le syndrome de Sézary est une forme agressive de lymphome
cutané T épidermotrope.
C’est la forme leucémique du mycosis
fongoïde ; il peut lui succéder ou survenir de novo.
Il est défini par
l’association d’une érythrodermie prurigineuse sèche ou
oedémateuse, d’adénomégalies superficielles et de cellules de Sézary
circulantes.
L’érythrodermie du syndrome de Sézary est évocatrice par ses gros
plis infiltrés ; elle s’associe volontiers à une kératodermie
palmoplantaire sèche et fissuraire et à une alopécie squameuse.
Une onychodystrophie et un ectropion peuvent faire partie du tableau
clinique.
Le prurit est un signe constant, il est décrit comme féroce ;
c’est le principal retentissement fonctionnel de la maladie.
Il peut
précéder l’atteinte cutanée.
Il s’y associe des adénopathies mobiles
et volumineuses présentes dans toutes les aires ganglionnaires.
Comme pour le mycosis fongoïde, l’hyperpigmentation cutanée fait
partie de l’évolution des lésions.
L’atteinte ganglionnaire, viscérale et médullaire, est plus fréquente
et plus précoce que dans le mycosis fongoïde.
C - AUTRES LYMPHOMES CUTANÉS T ÉPIDERMOTROPES :
1- Mycosis fongoïde avec mucinose folliculaire
:
Cette variante du mycosis fongoïde est caractérisée par la
topographie pilotrope de l’infiltrat lymphoïde au niveau du derme.
L’épiderme n’est pas envahi. Les follicules pileux peuvent être le
siège d’une dégénérescence mucineuse associée à l’infiltrat.
Cliniquement, le mycosis fongoïde avec mucinose folliculaire se
distingue par la fréquence de l’atteinte céphalique.
La mucinose se
traduit par des papules folliculaires avec chute des poils et des
cheveux.
Le prurit est fréquent.
Ces lésions caractéristiques
sont associées aux lésions classiques du mycosis fongoïde : soit des
plaques infiltrées, soit des lésions tumorales.
2- Lymphome pagétoïde :
Le lymphome pagétoïde (anciennes réticuloses pagétoïdes) est un
lymphome cutané T ayant la particularité histologique d’infiltrer
presque exclusivement l’épiderme.
Cliniquement, on distingue deux
formes : la forme localisée, hyperkératosique, unique, souvent sur
un membre et d’évolution très lente (forme de Woringer-Kolopp) et
la forme multiple diffuse, d’évolution plus rapide avec
envahissement ganglionnaire (forme de Ketron-Goodman).
3- Chalazodermie granulomateuse :
La chalazodermie granulomateuse est une entité très rare.
On
l’appelle aussi dermohypodermite atrophique granulomateuse.
Elle
touche principalement l’homme jeune et se caractérise cliniquement
par une atteinte des plis axillaires et inguinaux.
La lésion initiale est
une plaque atrophique violacée s’étendant progressivement pour
donner une peau flasque caractéristique.
Histologiquement, il existe
un infiltrat granulomateux dermohypodermique associé à un
épidermotropisme fait d’éléments isolés ou groupés en amas.
Le phénotypage est le même que celui du mycosis fongoïde.
L’étude
du réarrangement de gène du TCR montre une population T
monoclonale.
Évolution et pronostic :
A - PRONOSTIC
:
L’évolution des lymphomes cutanés épidermotropes est lente ; elle
s’étend sur plusieurs années avec un taux de survie à 5 ans de
87 %.
L’évolution est plus rapide dans le syndrome de Sézary avec des
délais de survie estimés entre 2 et 5 ans selon les séries, soit un taux
de survie de seulement 11 % à 5 ans.
Le pronostic est dominé par l’intensité de la masse tumorale,
l’existence d’un envahissement extracutané, mais également par le
terrain du patient.
La principale cause de morbidité et mortalité
est la surinfection à point de départ cutané.
L’immunodépression
induite par les traitements utilisés au long cours et l’âge souvent
élevé des patients contribuent à aggraver les surinfections.
La transformation en lymphome à grandes cellules survient chez
8 à 55% des patients selon les séries, et en moyenne 6,5 ans
après le diagnostic du mycosis fongoïde.
Cliniquement, on suspecte
une transformation devant l’apparition de lésions nodulaires sur des
lésions de lymphome cutané T épidermotrope.
Histologiquement, elle est définie par la présence de plus de 25 %
de grandes cellules dans l’infiltrat sur une biopsie d’une lésion de
mycosis fongoïde.
Ces cellules peuvent être de phénotype CD30+ ou
CD30-.
Lorsqu’elles sont de phénotype CD30+, il n’est pas toujours
aisé de différencier une transformation d’un mycosis fongoïde d’une
simple lymphoprolifération CD30+ associée au mycosis fongoïde.
Le
pronostic d’un mycosis fongoïde transformé est sensiblement le
même que celui des lymphomes à grandes cellules pléomorphes
CD30-.
B - ATTEINTES EXTRACUTANÉES DES LYMPHOMES
ÉPIDERMOTROPES :
Les atteintes extracutanées sont peu fréquentes et surviennent
tardivement dans l’évolution des lymphomes épidermotropes.
Les
atteintes le plus souvent retrouvées sont ganglionnaires, médullaires,
hépatiques, spléniques et pulmonaires.
Rares dans le mycosis
fongoïde, elles surviennent souvent après plusieurs années
d’évolution dans le syndrome de Sézary.
Cependant, il existe des
formes avec envahissement ganglionnaire ou viscéral d’emblée ou
survenant précocement.
Ces atteintes extracutanées sont dépistées par l’échographie
abdominopelvienne et le scanner thoraco-abdominal sur le plan
morphologique et par biopsie ganglionnaire ou médullaire sur le
plan histologique.
En pratique, le bilan d’extension de départ est nécessaire pour les
mycosis fongoïdes évolués et pour les syndromes de Sézary ;
ensuite, il sera répété annuellement.
La biopsie ostéomédullaire est faite au départ pour les syndromes
de Sézary et les mycosis fongoïdes évolués.
Elle ne sera recontrôlée
ensuite uniquement en cas d’anomalie hématologique.
La biopsie ganglionnaire est justifiée devant une adénopathie dure
et fixée dans les syndromes de Sézary et plus largement devant toute
adénopathie supracentimétrique dans le mycosis fongoïde.
C - CLASSIFICATION TNM ET STADE ÉVOLUTIF
:
Il existe plusieurs classifications du stade évolutif des LCTE.
La
dernière classification utilisée est la classification TNM proposée en
1979 par le MF Cooperative Group.
Elle tient compte de la taille
et de l’aspect des lésions cutanées, de l’existence d’adénopathie
clinique avec ou sans preuves histologique et de l’atteinte viscérale.
Cette classification s’adapte mal au syndrome de Sézary bien qu’elle
ait été élargie au nombre de cellules de Sézary circulantes
(classification TNMB).
De cette classification découle un staging
allant des stades I à IV.
Diagnostic du lymphome cutané épidermotrope :
Le diagnostic de LCTE repose sur l’examen clinique.
Il va ensuite
devoir être confirmé par un faisceau d’arguments histologiques, immunohistochimiques et génotypiques.
A - HISTOLOGIE CUTANÉE :
Les LCTE ont tous le même aspect avec un infiltrat lymphoïde T
caractérisé par la topographie dermique, mais surtout épidermique
qui le caractérise.
Selon la forme clinique et le stade évolutif de la
maladie, l’aspect histologique peut varier ; il peut être même
totalement aspécifique.
Dans le mycosis fongoïde, l’histologie met en évidence un infiltrat
lymphocytaire T situé à la fois dans le derme et dans l’épiderme.
Dans le derme, l’infiltrat est de type lichenoïde, dense, en bande
continue juste sous la jonction dermoépidermique. C’est un infiltrat
très superficiel.
L’épidermotropisme est constitué de lymphocytes
en exocytose, soit isolés, soit groupés en thèques entourés d’un halo
clair, appelés microabcès de Pautrier.
Ces lymphocytes
tumoraux composant l’infiltrat sont de petite taille avec un noyau hyperchromatique et cérébriforme.
Cet infiltrat s’accompagne de
cellules de Langerhans et de cellules interdigitées.
Cet aspect est le plus classique.
Malheureusement, il peut manquer
et l’aspect peut être celui de n’importe quelle dermatose
inflammatoire : infiltrat lymphocytaire périfolliculaire sans spongiose, aspect psoriasiforme ou lichenoïde, juxtaposition
d’hyperplasie et d’atrophie épidermique, hyperkératose ortho- ou
parakératosique, rendant la confrontation anatomoclinique
nécessaire.
Dans les formes précoces, au stade d’érythème prémycosique, mais
aussi dans les formes érythrodermique, notamment dans le
syndrome de Sézary, l’épidermotropisme peut manquer.
Dans les formes tumorales, l’épidermotropisme disparaît, l’infiltrat
devient plus dense et plus monomorphe.
Les cellules deviennent de
plus en plus atypiques et augmentent de taille.
Lorsque ces cellules
atypiques, de grande taille, à noyau dystrophique deviennent
prépondérantes au sein de l’infiltrat, on parle de mycosis fongoïde
transformé en lymphome à grandes cellules.
Les lymphomes pagétoïdes ont la particularité histologique d’avoir
un infiltrat lymphoïde presque exclusivement épidermique.
Il s’y
associe une acanthose basale.
Les lymphomes annexotropes ont la particularité histologique de ne
pas avoir d’épidermotropisme mais un tropisme pilotrope dans la
mucinose folliculaire.
Dans les lymphomes syringotropes, l’infiltrat
lymphoïde envahit les glandes sudorales eccrines.
Le mycosis granulomateux est une forme histologique différente
avec une présentation clinique similaire à celle d’un mycosis
fongoïde classique.
L’histologie retrouve un infiltrat dermique granulomateux mais sans destruction des fibres élastiques
contrairement à la chalazodermie granulomateuse.
B - HISTOLOGIE GANGLIONNAIRE :
L’aspect histologique des adénopathies révèle, soit un
envahissement tumoral spécifique (de pronostic défavorable)
retrouvé essentiellement dans le syndrome de Sézary ou au stade
tardif du mycosis fongoïdes, soit un infiltrat réactionnel (ganglion
dermatopathique).
Dans la lymphadénopathie dermatopathique,
l’aspect architectural du ganglion est conservé mais il existe une
hyperplasie de la zone corticale avec présence de cellules
interdigitées, d’histiocytes associés à quelques lymphocytes
atypiques en nombre variable mais par définition inférieur à 6.
Sausville et al ont montré l’intérêt histopronostique d’une
classification basée sur le nombre de lymphocytes atypiques et
l’atteinte de l’architecture du ganglion (LN1 à LN4).
C - IMMUNOPHÉNOTYPAGE LYMPHOCYTAIRE
:
L’immunophénotypage permet de typer l’infiltrat lymphoïde ; il
peut être réalisé soit sur coupe déparaffinée, soit sur coupe congelée
(technique plus sensible et plus d’anticorps disponibles).
L’immunomarquage confirme la nature T mature de l’infiltrat par
l’expression des marqueurs pan-T : CD2+, CD3+, CD5+, CD7+.
Le
plus souvent il s’agit de lymphocytes auxiliaires de type mémoire ;
on retrouve ainsi un phénotype CD4+, CDw29+, CD45RO+,
CD45RA-.
La molécule responsable du phénomène de « homing
cutané », le CLA est également exprimée, de même que le CD25
(récepteur à l’interleukine [IL]2).
Dans de rares cas, le phénotype lymphocytaire T est de type CD8+
prédominant.
L’évolution sévère de ces mycosis fongoïdes CD8+ est
encore discutée.
Certains décrivent un pronostic sévère à court
terme, d’autres auteurs relatent une évolution indolente sans
différence par rapport au mycosis fongoïde classique.
Les autres anomalies phénotypiques observées sont la perte du CD7,
notée dans deux tiers des cas de LCTE.
Le caractère pronostique de
cette perte d’expression du CD7 est un sujet encore soumis à
controverse.
La perte d’expression d’un ou plusieurs autres
marqueurs des lymphocytes T matures, CD2, CD3, CD5 (trou
phénotypique), est un facteur péjoratif, notamment la perte du CD5
qui survient dans les stades tardifs de LCTE susceptibles de
transformation.
Il a par ailleurs été montré que l’infiltrat lymphocytaire tumoral
exprimait My7 (CD13), marqueur habituel de la lignée myélomonocytaire, permettant de le différencier de l’infiltrat
réactionnel.
De plus, au niveau des cellules basales de l’épiderme,
l’expression habituellement normale du CD13 disparaît dans les LCTE.
Cela est lié à la production par les cellules tumorales d’un
facteur soluble actuellement non identifié.
L’immunomarquage lymphocytaire permet donc une autre approche
diagnostique quand l’histologie n’est pas contributive devant une
suspicion clinique de LCTE.
D - BIOLOGIE MOLÉCULAIRE
:
Les techniques de biologie moléculaire permettent de conforter le
diagnostic et peut-être plus tard le pronostic des LCTE.
La recherche
d’une population monoclonale par l’étude du réarrangement du TCR (récepteur T à l’antigène) peut être effectuée sur une biopsie
cutanée, sur le sang (lymphocytes circulants), sur une biopsie
ganglionnaire ou médullaire.
Initialement basées sur le Southern
Blot, la mise en évidence d’un réarrangement monoclonal du TCR
était peu sensible.
Depuis que l’étude du réarrangement du TCR
des lymphocytes est faite par polymerase chain reaction, la sensibilité
s’est nettement améliorée et apporte une aide précieuse au stade
d’érythème prémycosique.
Elle permet de détecter une population
clonale dès lors qu’elle représente au moins 0,1 % de l’infiltrat.
La présence d’un réarrangement monoclonal ne signifie pas qu’il
s’agisse forcément d’un lymphome, mais c’est un argument de plus
dans la démarche diagnostique.
Murphy et al ont montré que la
présence d’un réarrangement monoclonal dans la peau était d’autant
plus fréquente que le stade du LCTE était évolué.
Plusieurs
études mettent par ailleurs en évidence la présence d’un
réarrangement monoclonal dans le sang dans les mycosis fongoïdes
débutants.
L’aide apportée par cette technique quant au
pronostic des LCTE ou à leur risque de récidive mérite d’être encore
approfondie par les études actuellement en cours.
E - AUTRES EXAMENS :
Les autres examens réalisés dans le cadre du bilan des LCTE, sont,
outre une numération-formule sanguine, une étude de la fonction
hépatique et rénale, un dosage de la calcémie et la phosphorémie, le
taux de lactidodéshydrogénase (LDH), le dosage de l’alpha2 microglobuline, l’électrophorèse des protéines plasmatiques, l’étude
des sous-populations lymphocytaires sanguines, la sérologie HTLV1.
Diagnostic différentiel
:
Le problème du diagnostic différentiel se pose dans trois principaux
cas de figure.
Au stade débutant, entre un érythème prémycosique et une
dermatose inflammatoire bénigne.
Au stade érythrodermique, entre syndrome de Sézary et
érythrodermie inflammatoire chronique où l’histologie est souvent
prise en défaut et un taux transitoirement élevé de cellules de Sézary
peut être observé.
En effet les cellules de Sézary sont difficiles à
différencier de lymphocytes activés circulants pouvant être présents
dans une dermatose inflammatoire étendue très aiguë.
Le taux
significatif varie suivant les auteurs de 5 à 20% des lymphocytes
circulants ; pour certains il doit être supérieur à 1 000/mm3. Les
grosses cellules de Sézary sont très souvent en rapport avec un
véritable syndrome de Sézary ; lorsqu’elles sont de petite taille, leur
caractère tumoral est plus difficile à affirmer.
Pour certains auteurs,
la perte de l’expression du CD7 et du CD26 sur ces cellules est très
en faveur de leur origine tumorale.
Le dernier problème de diagnostic différentiel est celui des pseudolymphomes médicamenteux.
C’est probablement le plus difficile
à résoudre.
La question est soulevée plus volontiers devant un LCTE
d’emblée nodulaire ou tumoral, mais des pseudolymphomes T
mimant un mycosis fongoïde débutant ont également été décrits.
L’histologie, l’immunophénotypage lymphocytaire et même la
biologie moléculaire peuvent être pris en défaut.
Les arguments
reposent sur le recensement strict de toutes les prises
médicamenteuses et sur l’évolution de la maladie.
Pathogénie des lymphomes cutanés T épidermoptropes :
Le LCTE est la résultante de la prolifération dans l’épiderme et le
derme de lymphocytes T matures CD4+ de type mémoire exprimant
le « homing antigène » CLA.
Cette prolifération dans la peau de lymphocytes CD4 matures est
vraisemblablement liée à une stimulation antigénique chronique in
situ, mais à ce jour l’antigène responsable demeure inconnu.
Des
virus sont suspectés, notamment l’human T-cell lymphoma virus
(HTLV) 1 et le virus d’Epstein-Barr (EBV) mais aucune preuve
formelle de leur rôle n’a pu être apportée.
Aucun facteur chimique
ne peut être non plus retenu à ce jour.
Par ailleurs, des facteurs cutanés produits in situ entretiennent cette
prolifération lymphocytaire cutané T dans la peau et plus
particulièrement dans l’épiderme, notamment la production de
cytokines par les kératinocytes tels que IL15, l’IL7 et l’interféron
(INF) gamma.
Le rôle des cellules de Langerhans dans le
développement et le maintien de la stimulation antigénique
chronique demeure inconnu.
Au cours de l’évolution, la stimulation antigénique chronique
aboutit au développement d’un clone tumoral qui s’associe à une
évolution clinique agressive du LCTE avec perte
d’épidermotropisme.
Si des clones T cytotoxiques spécifiques de
lignées tumorales autologues ont été identifiés, les travaux de
recherche actuels n’ont toujours pas permis d’identifier un antigène
spécifique du LCTE ce qui rend toujours sa distinction avec le
lymphocyte CD4 réactionnel difficile.
Prise en charge thérapeutique :
La prise en charge des LCTE a évolué vers une nette diminution de
l’utilisation des traitements agressifs.
On s’oriente actuellement plus
vers les traitements immunomodulateurs que vers les
polychimiothérapies.
Il est néanmoins nécessaire d’expliquer au patient qu’il s’agit de
maladies chroniques, d’évolution prolongée sans véritable guérison
dans la majorité des cas, notamment dans le syndrome de Sézary ;
l’objectif du traitement est donc d’obtenir une rémission clinique.
Ils
doivent être d’emblée informés du risque non négligeable de
rechute, nécessitant une surveillance clinique prolongée.
Il faut
cependant relativiser le caractère « péjoratif » de la maladie surtout
dans le mycosis fongoïde où la survie peut être très prolongée et les
traitements peu agressifs.
A - TRAITEMENTS LOCAUX
:
1- Chimiothérapies locales :
La chimiothérapie locale la plus utilisée dans les LCTE est la
chlorméthine (Caryolysinet) diluée dans 50 mL d’eau du robinet,
appliquée uniquement sur les lésions ou sur tout le corps trois à
cinq fois par semaine.
Elle permet d’obtenir des taux de rémission
de 30 à 60 % selon les séries.
Les meilleurs résultats sont obtenus
aux stades débutants sur des lésions non tumorales.
Le principal
effet secondaire est une intolérance cutanée, soit simple dermite
d’irritation, permettant de réintroduire la chlorméthine à plus faible
dilution, soit véritable eczéma de contact ne permettant plus son
utilisation.
Il n’y a pas d’effet secondaire systémique.
Il faut
connaître son risque carcinogène pour surveiller l’apparition
d’éventuels carcinomes cutanés.
Le BCNU (Carmustinet) est également une moutarde azotée utilisée
par voie cutanée (après dilution à 0,2 % dans l’alcool absolu) dans
les lymphomes cutanés.
On l’applique uniquement sur les lésions
en raison de son passage transcutané atteignant 15 à 30 % en peau
lésée.
Elle peut être responsable d’intolérance cutanée, sans allergie
croisée avec la chlorméthine, et d’effets cytopéniants modérés.
Elle
est le plus souvent utilisée en seconde ligne après la chlorméthine.
2- PUVAthérapie :
La PUVAthérapie consiste à exposer le patient aux ultraviolets
(UV) A après l’ingestion de psoralènes photosensibilisants (8-
méthoxypsoralène).
La fréquence est de trois séances par semaine
jusqu’à obtention d’une rémission complète, puis le nombre de
séances est progressivement diminué.
Le taux de rémission varie de
65 à 90%.
Elle est utilisée principalement dans les mycosis
débutants aux stades Ia, Ib, voire IIa.
Son efficacité diminue avec
l’aggravation du stade clinique associée à une augmentation de la
fréquence des rechutes.
Elle peut être utilisée en association avec les rétinoïdes ou avec
l’INF-a surtout dans le syndrome de Sézary.
Les UVB à spectre étroit (TL01) n’ont pas fait la preuve de leur
efficacité dans le mycosis fongoïde débutant.
Ils auraient l’avantage
d’être moins carcinogènes.
3- Radiothérapie
:
Deux types de radiothérapie peuvent être utilisées dans le traitement
des LCTE : l’électronthérapie corporelle totale et la cobaltothérapie.
L’électronthérapie corporelle totale est utilisée dans le mycosis
fongoïde surtout au stade de plaques infiltrées ou de tumeurs.
Sa
toxicité est surtout cutanée, à type de lésions bulleuses, érosives et
desquamatives.
Le taux de réponse varie suivant les séries de 35 à
95 % en fonction du stade clinique.
La radiothérapie localisée type cobaltothérapie peut être utilisée sur
des lésions tumorales focales à des doses de 20 à 40 Gy.
B - TRAITEMENTS GÉNÉRAUX
:
1- Photophorèse ou photochimiothérapie extracorporelle
:
La photophorèse consiste à irradier par des UVA ex vivo les
lymphocytes du patients obtenus par leucaphérèse après prise de
photosensibilisants (8-MOP).
Les lymphocytes endommagés par les
UV, réinjectés au patient sont reconnus comme anormaux et
stimulent le système immunitaire antitumoral.
Ce traitement est
indiqué uniquement dans le syndrome de Sézary.
Les taux de
réponse sont de 15 à 75 %.
Les rémissions sont plus fréquentes dans
le syndrome de Sézary débutants et ayant un rapport CD4/CD8 élevés.
Ce traitement n’est pas disponible dans tous les centres. Son
association à l’interféron en augmenterait l’efficacité.
2- Interféron alpha :
L’INF-a peut être utilisé seul ou en association dans le traitement
des LCTE.
Il agit par ses propriétés immunomodulatrices et
antiprolifératives.
Le taux de réponse est de l’ordre de 60 % avec
20 % de réponses complètes et est directement lié au stade de la
maladie. Il est utilisé à des doses de 3 à 9 millions d’unités par
semaine.
Ses principaux effets secondaires sont un syndrome pseudogrippal après les injections, un amaigrissement, une cytolyse
hépatique.
Il peut être utilisé avec la PUVAthérapie, notamment
dans le syndrome de Sézary.
Il peut être associé aux rétinoïdes et à
la PUVAthérapie, cette dernière association paraissant la plus
efficace, notamment dans le syndrome de Sézary.
3- Rétinoïdes :
Les rétinoïdes, étrétinate (Tigasont) et l’acitrétine (Soriatanet) sont
utilisés depuis 1980 dans les LCTE avec la même efficacité.
La
posologie utilisée est de 0,5 mg/kg/j. S’ils sont utilisés seuls, le taux
de réponse est faible ; l’effet est surtout suspensif.
De ce fait, on les
utilise le plus souvent en association avec la PUVAthérapie ou
l’INF.
Le Targretint est un nouveau rétinoïde qui semble
démontrer une bonne efficacité, notamment dans le syndrome de
Sézary.
4- Monochimiothérapies :
Parmi les monochimiothérapies, le chlorambucil (Chloraminophènet)
et le méthotrexate peuvent être administrés per os dans
les formes avancées.
On peut également utiliser l’étoposide.
5- Polychimiothérapies :
Les polychimiothérapies sont utilisées dans les formes tumorales,
transformées ou avec extension viscérale.
Elles associent, selon des
protocoles variables, le cyclophosphamide (Endoxant), les
anthracyclines, la vincristine (Oncovint), la vinblastine (Velbét) et
la prednisone. De nouvelles molécules d’anthracycline liposomale
(Caelyxt) sont actuellement en cours de développement.
6- Autres traitements envisageables
:
Les cytokines, notamment l’IL-2 qui permet une stimulation
immunitaire de type Th1, peuvent être utilisées dans les lymphomes
T cutanés, par voie systémique.
Les effets secondaires et la tolérance
en limitent l’utilisation.
L’IL-2 peut également être utilisée couplée à
une protéine de fusion (DAB IL2) pour augmenter l’affinité de l’IL2
au CD25 (récepteur de l’IL2 sur les lymphocytes).
Les anticorps monoclonaux notamment les anti-CD4 sont en cours
d’évaluation ; les premières études semblent montrer une réponse
partielle dans certains cas.
Les greffes de moelle osseuse sont peu souvent réalisées du fait de
leur morbidité et de leur mortalité.
L’autogreffe a été proposée pour
certains mycosis fongoïdes évolués avec une réponse souvent de
courte durée. L’allogreffe est un traitement peu fréquent dans les LCTE.
Molina et al rapportent un cas de rémission complète obtenu
après allogreffe dans un syndrome de Sézary.
C - STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE :
1- Dans le mycosis fongoïde
:
Aux stades Ia, Ib ou IIa, plusieurs possibilités thérapeutiques sont
envisageables : traitement immunomodulateur par INF-a à la dose
de 6 millions d’unités par jour, traitement par chlorméthine ou
PUVAthérapie, voire électronthérapie corporelle totale.
En cas
d’échec, on peut associer INF-a et PUVAthérapie ou rétinoïdes et
PUVAthérapie.
Au stade de plaques infiltrées (IIb), les mêmes traitements peuvent
être proposés, mais avec un risque de rechute plus élevé.
Le BCNU
reste une alternative thérapeutique en cas d’intolérance à la
chlorméthine pour les sujets dont l’âge et la localisation des lésions
ne permettent pas une PUVAthérapie, ni l’INF-a.
Au stade de tumeurs, la radiothérapie externe est une bonne
alternative en association à un traitement de fond type rétinoïde, ou INF-a.
Les monochimiothérapies peuvent également trouver leur
place en cas d’échec de la radiothérapie.
Dans les stades avec envahissement ganglionnaire isolé (IVa) ou
viscéral (IVb), on utilise l’INF-a ou les mono- ou polychimiothérapies.
2- Dans le syndrome de Sézary :
Le syndrome de Sézary sans envahissement viscéral, ni
transformation en lymphome de haut grade, fait appel en première
intention à l’INF seul ou en association avec la PUVAthérapie ou les
rétinoïdes ou la photophorèse.
En cas d’échec, on peut proposer les monochimiothérapies, l’association chlorambucil et corticothérapie
générale.
La PUVAthérapie et les rétinoïdes ont un intérêt particulier
dans le traitement du prurit et de l’hyperkératose.
Les formes
viscérales ou transformées sont une indication aux polychimiothérapies.
Dans le mycosis fongoïde, et de surcroît dans le syndrome de Sézary,
la principale cause de mortalité est d’origine infectieuse, favorisée
par l’existence de portes d’entrée cutanées multiples et par
l’immunodépression induites par les traitements.
Compte tenu de la
lenteur d’évolution de ces lymphomes cutanés T primitifs, on
s’oriente de plus en plus vers une approche thérapeutique peu
agressive, permettant une rémission même partielle avec un confort
de vie acceptable pour le patient.
Conclusion :
Le diagnostic des LCTE a bénéficié ces dernières années des progrès
faits dans le domaine de l’immunologie et de la biologie moléculaire.
Le
réarrangement de gènes permet un diagnostic plus précoce sans qu’on
sache aujourd’hui exactement son intérêt pronostique.
Sur le plan thérapeutique, l’évolution se fait vers une plus large
utilisation des molécules immunomodulatrices au détriment des
polychimiothérapies dont l’efficacité reste limitée avec des risques
importants liés aux surinfections.
L’origine de ces LCTE enfin reste à ce jour inconnue.