La leucémie myéloïde chronique (LMC) est un syndrome myéloprolifératif
avec une hyperplasie du tissu hématopoïétique et en particulier de la lignée
granuleuse.
La prolifération myéloïde est monoclonale et caractérisée par un
marqueur chromosomique spécifique découvert en 1960 par Nowell et
Hungerford et portant le nom de la ville d’origine de cette découverte :
le chromosome Philadelphie.
Dans les années 1970, Rowley a montré que le
chromosome Philadelphie (Ph) est le résultat d’une translocation réciproque
entre le chromosome 9 (q34) et le chromosome 22 (q11), et qu’il est présent
chez 95 %des patients.
Au début des années 1980, la biologie moléculaire
démontre que les points de cassure se situent au niveau des gènes ABL du
chromosome 9 et BCR du chromosome 22.
La partie centromérique 5’ de
BCR est mise en continuité avec la partie C terminale 3’ du proto-oncogène
ABLet le gène résultant de cette fusion code, par l’intermédiaire d’un nouvel
ARNm, une protéine anormale de 210 kDa : P 210.
Cette protéine
possède une activité tyrosine kinase augmentée par rapport à la protéine
normale.
En 1990, il est démontré en utilisant des modèles murins que le gène
anormal BCR-ABL est responsable de la LMC.
Ces dernières années, les
recherches se sont donc focalisées sur le rôle précis de la protéine produite
par le gène BCR-ABL.
Épidémiologie
La LMC représente 7 à 15 % des leucémies chez l’adulte, avec
approximativement dix cas par an pour 1 million d’habitants.
En France, on
estime donc à 600 le nombre de nouveaux cas par an.
La LMC touche
essentiellement le sujet de sexe masculin avec un sex-ratio de 1,4 à 2,2.
L’incidence de cette hémopathie est stable depuis 50 ans.
Elle augmente avec
l’âge, passant d’un cas pour 1 million d’enfants de moins de 10 ans, à plus
de 30 pour 1 million d’individus après 60 ans.
L’âge médian au moment du
diagnostic est variable selon les séries et se situe entre 30 et 60 ans.
Étiologie
:
Dans la majorité des cas, aucune donnée étiologique n’est retrouvée pour
expliquer l’apparition de la maladie.
Il a été rapporté quelques observations
de LMC familiales, mais aucun facteur génétique n’a pu être identifié.
Les
radiations ionisantes ont certainement une responsabilité dans l’apparition de
certaines LMC, ainsi que le benzène et certaines thérapies anticancéreuses.
Une certaine corrélation entre la genèse de certaines LMC et les
antigènes CW3 et CW4 du système HLA a été rapportée.
Physiopathologie :
A - Gènes impliqués dans la LMC :
1-
Gène ABL :
Il a été isolé par Abelson et identifié sous la forme v-ABL dans le génome du
rétrovirus leucémogène murin aigu.
Il est traduit en une protéine
appartenant à la famille des tyrosines kinases.
Cette fonction tyrosine kinase
est activée dans la protéine formée par la séquence gag-ABL et ses propriétés
transformantes et oncogéniques en dépendent.
Chez l’homme, ce gène
est localisé au niveau du chromosome 9 (q34.1), son extrémité 5’ étant
orientée vers le centromère.
Il s’étend sur 230 kb et possède 11 exons : deux
exons alternatifs, Ib et Ia, et 9 exons communs numérotés de 2 à 10.
Les exons Ia et Ib sont séparés par un des plus longs introns connus chez l’homme,
d’environ 200 kb, où se disperse la majeure partie des points de cassure
observés dans la LMC.
L’ensemble des autres exons n’occupe que 30 kb.
Ce
gène est exprimé dans tous les tissus examinés sous la forme de deux
messagers de 6 et 7 kb, contenant soit l’exon Ia (6kb), soit l’exon Ib (7kb).
Les deux types d’ARNm ont une demi-vie très courte.
Les deux protéines
correspondantes ont respectivement 1130 et 1149 acides aminés (AA) et ne
diffèrent que par leur extrémité N-terminale ; la séquence Ib peut s’amarrer à
la membrane, ce qui n’est pas le cas pour Ia.
La structure de ce proto-oncogène cellulaire humain c-ABL est hautement
conservée.
Comme la plupart des protéines qui transmettent le signal
intracellulaire, ABL possède des domaines d’homologies SH semblables à
ceux de l’oncogène SRC (SH = Src homology).
Ces domaines sont situés dans
la moitié N-terminale de la protéine.
Le domaine SH3 (60 AA) est un
régulateur négatif et le domaine SH2 (100 AA) est un régulateur positif de la
fonction tyrosine kinase (SH1) de la protéine ABL.
Dans la partie C-terminale, se trouve une séquence de localisation nucléaire
(nuclear translocation signal, NTS) et un segmentDB(DNAbinding protein)
qui se fixe à l’ADN quand la protéine n’est pas phosphorylée.
La protéine ABL peut donc se diviser en deux parties : une zone NH2
terminale en partie similaire à SRC participant à la machinerie cellulaire de
transmission du signal et une zone C-terminale de liaison (binding) au
cytosquelette ou à l’ADN.
Chez l’homme, on ne connaît pas précisément le rôle d’ABL et les différents
effets rapportés sur l’hématopoïèse sont souvent contradictoires.
De
nombreuses études laissent apparaître que c-ABL nucléaire est impliquée
dans la régulation du cycle cellulaire et de la transcription et que c-ABL
cytoplasmique serait impliquée dans la transduction du signal pour la
croissance et la différenciation.
Il semble que ABL soit
particulièrement impliquée dans la réponse cellulaire relative aux dommages
causés sur l’ADN après radiation ionisante.
Ceci serait dû à son interaction
avec la protéineATM (protéine impliquée dans l’ataxie télangiectasie).
2- Gène BCR :
Le gène BCR a été découvert en clonant une région appelée M-BCR (major
breakpoint cluster region) située sur le chromosome 22.
Le M-BCR se
situe dans la partie centrale du gène BCR, qui s’étend sur plus de 130 kb et
possède 25 exons.
Le premier intron contient deux exons alternatifs mineurs.
Les exons de M-BCR b1 à b4 correspondent aux exons 12 à 15 de BCR.
Le
gène BCR est transcrit en un messager de 6,7 kb, de demi-vie plus longue que
pour ceux du gène ABL ; il apparaît ubiquitaire et est traduit en une protéine
cytoplasmique de 160 kDa et 1270 AA.
La protéine BCR possède
plusieurs domaines importants. Dans sa partie N-terminale, il existe un
domaine 2B avec deux sites de liaison aux domaines SH2 comme celui
d’ABL.
Le domaine 1B constitue une région indispensable à l’activation
d’ABL dans les protéines hybrides.
Cette région permet la tétramérisation de
la protéine de fusion BCR-ABL nécessaire à son effet transformant.
La
partie centrale de BCR présente des homologies avec la protéine Dbl et
présente une zone de facteur d’échanges GTP/GDP.
La partie Cterminale
a une fonction GAP(GTPase activating protein) pour les protéines
Rac et BCR serait un régulateur de l’explosion oxydative par l’intermédiaire
de cette activité GAP pour p21rac2.
En effet, il existe une accumulation
importante de p21rac2 dans les membranes des polynucléaires de souris
mutées bcr-/- comparativement aux souris non mutées.
3- Gène chimérique BCR-ABL :
*
Réarrangement BCR-ABL typique
:
Le gène composite BCR-ABL est la conséquence moléculaire de la
translocation chromosomique entre le chromosome 9 et le chromosome 22.
Les 13 ou 14 premiers exons de BCR, correspondant aux exons b2 ou b3 de
M-BCR, sont mis en continuité avec la plus grande partie 3’ du gène ABL.
En effet, dans la plupart des cas de LMC, les points de cassure pour
BCR ont lieu dans des introns situés entre les exons b2 et b3 ou b3 et b4 de
M-BCR, c’est-à-dire les exons 13 et 14 ou 14 et 15 du gène BCR.
Du côté
d’ABL, les points de cassure ont généralement lieu entre les deux premiers
exons alternatifs Ib et Ia.
Ainsi, le gène ABL est placé sous le contrôle du
promoteur du gène BCR ; le nouveau gène ainsi formé est fonctionnel et est
transcrit après maturation en un ARNm de 8,5 kb qui correspond à la fusion
de l’exon b2 ou b3 de M-BCR avec le deuxième exon d’ABL, a2, l’exon Ia
étant éliminé au cours de l’épissage.
On peut donc avoir soit unARNmde
type b2a2, soit unARNmde type b3a2, ou les deux à la fois par un mécanisme
d’épissage alternatif.
Ces ARN ont une durée de vie égale à celle de BCR et
sont traduits en protéines chimériques de 210 kDa contenant respectivement
2006 ou 2031AA selon que le point de cassure se situe entre b2 et b3 ou b3 et
b4.
La différence entre les deux types d’ARNm correspond donc à 25 AA.
Plusieurs études ont été consacrées à ce sujet, avec de très nombreuses
controverses.
On peut les résumer de la façon suivante :
– 60 % des LMC présentent un transcrit b3a2 ;
– 30 % des LMC présentent un transcrit b2a2 ;
– et 5 à 10%ont un double transcrit (b2a2/b3a2).
Il n’y a aucune corrélation entre les caractéristiques cliniques, l’évolution de
la maladie, la réponse cytogénétique à l’interféron et le type de transcrit.
Par ailleurs, chez les enfants, il semble que la fréquence observée soit
inversée, mais il s’agit de petites séries.
* Réarrangements BCR-ABL variants
:
Les points de cassure peuvent se produire en amont de la région M-BCR.
C’est le cas de la majorité des leucémies aiguës (LA) à chromosome Ph.
Les
points de cassure ont lieu dans le premier intron de BCR entre les exons e1 et
e2.
Le transcrit hybride BCR-ABL est alors de type e1a2 ; il est traduit en une
protéine plus petite de 190 kDa.
Ce type de transcrit peut se rencontrer
exceptionnellement au cours des LMC, mais surtout dans des leucémies
aiguës myéloïdes (LAM) ou encore des formes intermédiaires entre la LMC
et la leucémie myélomonocytaire chronique (LMMC), avec monocytose et
basophilie.
Il a été décrit des cas de LMC avec un point de cassure en aval de M-BCR
situé entre les exons 19 et 20 de BCR (originellement appelés C3 et C4) et
conduisant à un ARNm de type e19a2 codant une protéine plus grande, de
230 kDa.
Il semble que les LMC ayant ce type de transcrit aient un
meilleur pronostic.
Ce type de réarrangement pourrait correspondre à une
forme de LMC avec augmentation de polynucléaires neutrophiles matures et
peu de myélémie.
Cependant, des cas variants avec un transcrit e19a2 se
présentant cliniquement comme une thrombocytémie essentielle ont aussi été
rapportés.
Récemment, il a été aussi décrit un cas de LMC sans chromosome Ph
comportant un réarrangement provenant d’un point de cassure situé dans le
sixième intron de BCR, de type c6a2, codant une protéine de 195 kDa.
D’autres points de cassure dans les introns 8 et 10 ont été décrits.
Il existe aussi des points de cassure variants dans ABL.
La grande majorité
des réarrangements relie BCR à l’exon a2 d’ABL ; cependant, il a été décrit
quelques cas où la jonction se fait avec l’exon suivant a3 (réalisant des
jonctions BCR-a3).
Les exons a3 et a4 sont nécessaires à l’effet transformant,
car ils codent le domaine SH2 d’ABL.
Deux études récentes ont montré que, par épissage alternatif, les points de
cassure de type LMC p210 (b3a2 ou b2a2) et de type LA p190 (e1a2)
pouvaient coexister.
Cependant, il n’y a pas de preuve convaincante
que le transcrit e1a2 soit traduit en protéine et cliniquement il n’y a pas de
différence avec les autres LMC.
En revanche, au cours des crises blastiques,
il est possible de voir apparaître un deuxième transcrit de type e1a2.
* Conséquences pour la structure de la protéine
:
La plus petite protéine, de type p190, contient le motif de tétramérisation, le
site de liaison à la protéine GRB2 représenté par la tyrosine 177, le domaine
riche en phosphosérine/thréonine et les sites de fixation au domaine SH2 ; ces
quatre régions essentielles sont codées par le premier exon de BCR et
semblent suffisantes pour activer la tyrosine kinase d’ABL dans les
progéniteurs lymphoïdes et peut-être monocytaires.
La protéine classique type p210 contient en plus un domaine important : le
domaine Dbl-like d’échange GDP/GTP, ce qui pourrait expliquer certaines
différences cliniques.
La plus grande protéine, p230, décrite récemment, contient pratiquement tout
le domaine BCR avec les deux tiers du domaine C-terminal GAP pour p21rac
et il est possible que la jonction GAP soit conservée.
Ceci pourrait expliquer
le respect de maturation granulocytaire dans ces formes particulières de LMC,
le métabolisme oxydatif étant intact, les deux copies de cette fonction du gène
seraient respectées.
Cette fonction pourrait cependant être conservée dans les protéines
éventuelles issues des transcrits réciproques du réarrangement sur le
chromosome 9.
* Transcrits réciproques :
Les messagers réciproques ABL-BCR, produits des séquences 5’abl et
3’BCR, soudées sur le chromosome 9, peuvent être amplifiés par
amplification génique avec la transcriptase inverse (RT-PCR) dans les cellules
de LMC.
Soixante-dix pour cent des LMC testées montrent une
amplificationABL-BCR, essentiellement des fonctions Ib-BCR (Ib-b4, Ib-b3
et Ib-b4/Ib-b3) mais aussi Ia-BCR (Ia-b4, Ia-b3).
Soixante-dix-neuf pour cent
des jonctions ABL-BCR sont exactement réciproques des jonctions BCRABL.
Une phase ouverte de lecture permet de prévoir les nombres d’AA
suivants : 414AApour Ib-b3 ; 395AApour Ia-b3 ; 389AApour Ib-b4 ; 370 AApour Ia-b4.
Il est intéressant de remarquer que le domaine GAP pour p21rac est absent de
la protéine chimérique BCR-ABL, mais est impliqué au niveau des transcrits
réciproques.
Il a été montré aussi qu’il existe des transcrits réciproques dans les LA à
chromosome Ph de type Ib-e2 et que la zone d’échange GDP-GTP, analogue
aux oncogènes Dbl et vav et au gène cdc24 de la levure, est présente sur les
transcrits réciproques.
* Le gène BCR-ABL peut-il être silencieux ?
Certaines colonies de CFU-GM issues de patients atteints de LMC seraient
positives pour le chromosome Ph et négatives pour l’ARNm BCR-ABL par
RT-PCR.
Des progéniteurs Ph+ seraient donc silencieux et la transcription
du gène BCR-ABL augmenterait au cours de la différenciation.
Il semble
que des transcrits BCR-ABL, ABL-BCR, ABL et BCR soient toujours
exprimés dans des CFU-GM de patients atteints deLMC.
Les progéniteurs
Ph-positifs et BCR-ABL-négatifs sont probablement extrêmement rares,
voire inexistants, dans le sang périphérique des patients atteints de LMC.
B - Mécanismes d’action du gène BCR-ABL :
1-
Conséquences moléculaires : les voies d’activation possibles
en aval de la protéine p210BCR-ABL
Les progrès récents dans le domaine de la transmission du signal par les
cytokines ont permis d’isoler de nouvelles protéines dont une grande partie
se trouve activée par BCR-ABL directement ou indirectement.
Tout se passe comme si BCR-ABL réorganisait à son profit la machinerie de
la transduction du signal tout en conservant les mécanismes de compensation
ou d’activation par d’autres signaux fonctionnels.
Actuellement, pour simplifier les choses, on peut dire qu’il existe deux
grandes voies d’activation par lesquelles se fait la transmission du signal : la
voie RAS et la voie JAK.
Cependant, les interconnexions sont nombreuses
rendant la compréhension à l’échelon moléculaire difficile :
– c’est un système non figé qui se trouve en permanence en mouvement ;
– d’autres protéines, qui n’appartiennent ni à la voie RAS ni à la voie JAK/STAT, sont impliquées dans la transmission du signal.
* Voie RAS
:
L’activation de RAS par les récepteurs de type tyrosine kinase se fait par
l’intermédiaire de deux protéines majeures, GRB-2 et SOS.
Ces protéines ont
été isolées initialement chez la levure (Caenorhabditis elegans) et forment un
tandem activateur des protéines G.
GRB-2 est une protéine raccord
(adaptator en anglais) qui possède deux domaines SH3 et un domaine SH2.
Le domaine SH2 se lie directement avec la tyrosine 177 de BCR quand cette
dernière est phosphorylée.
Par l’intermédiaire des deux domaines SH3,
GRB-2 raccorde BCR-ABL à RAS via la protéine SOS qui est un facteur
d’échange de GDP/GTP.
Ainsi, RAS peut passer de la forme inactive liée au GDPà la forme active liée au GTP.
On a pu penser que cette voie d’activation
passant par RAS était essentielle à l’effet de transformation de BCR-ABL.
Cependant, des voies alternatives d’activation de RAS sont possibles ; en
particulier, les mutants BCR-ABL, sur la tyrosine 177 du BCR, peuvent être
raccordés à la voie RAS par l’intermédiaire d’une autre protéine SHC.
Le
système est donc redondant et il existe plusieurs connexions possibles entre BCR-ABL et RAS.
Cette redondance serait peut-être due aux propriétés
du domaine SH2 et vient renforcer l’idée de plasticité du système.
En effet, le
mode d’action de BCR-ABL est similaire à celui des récepteurs tyrosines
kinases.
D’abord, il active une voie très étudiée qui achemine le signal de
l’extérieur de la cellule jusqu’au noyau.
Puis, il se tétramérise pour activer la
tyrosine kinase et stimuler la voie RAS via les protéines raccords
(SH2-GRB-2).
* Voie JAK-STAT :
Récemment, une deuxième grande voie d’activation a été montrée comme
essentielle à la transmission du signal pour de nombreux récepteurs de
cytokines hématopoïétiques.
Cette voie implique des kinases particulières, les
Janus kinases ou JAK, et des protéines capables d’induire à la fois la
transduction du signal et l’activation de la transcription que l’on appelle STAT
(signal transducer and activator of transcription).
Les protéines JAK sont des tyrosines kinases de 130 kDa et sont
phosphorylées et activées en réponse à la stimulation par une cytokine.
L’activation de JAK entraîne la phosphorylation des protéines STAT qui, une
fois dimérisées, migrent vers le noyau et se lient aux éléments promoteurs
spécifiques régulant l’expression des gènes.
Cette voie apparaît distincte et indépendante de la voie RAS.
Les protéines
STAT semblent jouer un rôle important dans les mécanismes de mitose, de
survie ou de différenciation cellulaire et l’hypothèse selon laquelle BCRABL
pourrait interférer et activer cette nouvelle voie a été proposée.
Récemment, une équipe française a montré que STAT5 est constitutivement
activée dans des lignées cellulaires dépendantes de facteurs de croissance,
rendues autonomes après transfection par BCR-ABL.
Il existe cependant
quelques discordances sur le niveau d’activation par BCR-ABL de la voie
JAK/STAT.
L’infection de cellules de moelle osseuse par un vecteur rétroviral
exprimant BCR-ABLprovoque l’activation des protéines STAT5.
Pour les
récepteurs des cytokines, la spécificité apparaît être déterminée par la relation
entre protéine STAT et récepteur plutôt que JAK.
Au total, il semble que la voie RAS soit surtout nécessaire à l’effet
transformant tumorigène de BCR-ABL, alors que la voie JAK/STAT semble
plus impliquée dans les effets qui consistent à mimer ceux des cytokines
(prolifération, différenciation, inhibition de l’apoptose).
* Autres protéines substrats :
Il existe de très nombreuses protéines susceptibles d’être activées et phosphorylées par BCR-ABL. Nous insisterons sur celles qui nous paraissent
les plus importantes.
+ Phosphatidyl-inositol-3-kinase (PI3-kinase) :
Il a été démontré que BCR-ABL active une enzyme membranaire qui joue
aussi un rôle important dans la transmission du signal : la phosphatidylinositol-
3-kinase.
Il s’agit d’une protéine hétérodimérique qui possède
une sous-unité régulatrice de 85 kDa (p85) avec un domaine SH3 et deux
domaines SH2 et une sous-unité catalytique de 110 kDa (p110).
La tyrosine kinase de BCR-ABLactive l’enzyme PI3-kinase mais une liaison
directe entre les deux enzymes n’est pas nécessaire.
L’activité PI3-kinase
semble nécessaire à l’effet transformant de BCR-ABL.
Lorsque l’on inhibe
l’activité PI3-kinase, la croissance cellulaire des cellules de LMC est
diminuée et non celle des cellules normales.
Cette enzyme se lie par
ailleurs aux protéines raccord de p21ras, SHC et GRB-2, dans les cellules
transformées par BCR-ABL.
La p120CBL, coprécipite aussi la sous-unité p85
de PI3-kinase, formant un complexe lipidique à activité kinase dans lequel on
retrouve la protéine CRKL.
+ CBL (« casites B lineage lymphoma »)
:
La p120CBL est phosphorylée par BCR-ABL ; il s’agit de l’équivalent
cellulaire de l’oncogène v-CBL responsable de leucémies myéloïdes et
lymphoïdes chez la souris.
Cette protéine est essentielle et relie BCRABL/
ABL à la PI3-kinase avec d’autres partenaires.
+ CRKL, un médiateur essentiel
:
Plusieurs groupes ont montré en 1994 que CRKL est un candidat très
important à la médiation des effets biologiques de p210BCR–ABL.
CRKL
est aussi une protéine raccord possédant un domaine SH2 et deux domaines
SH3 ; elle est apparentée à l’oncogène CRK du virus du sarcome.
Elle est phosphorylée en priorité chez les patients en phase chronique, mais sa
fonction exacte reste inconnue.
La protéine est largement répandue dans
les différentes cellules hématopoïétiques, mais elle est phosphorylée
uniquement après activation par p210BCR–ABL.
Elle se lie à la sous-unité
p85 de la PI3-kinase et, après phosphorylation, elle est délocalisée sous forme
de complexe avec p210BCR–ABL au niveau du cytosquelette dont les structures
jouent un rôle important dans l’adhésion.
CRKL peut aussi se fixer à d’autres
protéines d’adhésion comme la paxilline.
Par ailleurs, BCR-ABL induirait la formation de complexes multimériques
contenant des protéines participant à la transmission du signal.
Ces complexes
seraient formés de p120CBL, PI3-kinase, CRKL, c-ABL et BCR-ABL
lui-même.
En ce qui concerne l’effet transformant de BCR-ABL dans les cellules
hématopoïétiques, l’association directe entre BCR-ABL et CRKL n’est pas
nécessaire.
Ainsi, la protéine CRKL joue un rôle essentiel et établit des ponts entre les
différentes molécules.
Le domaine SH3 peut se fixer à c-ABL, BCR-ABL et
C3G. Le domaine SH2 peut se fixer aux tyrosines phosphorylées de la
paxilline de p120CBL, p130CAS et une protéine de 62 kDa.
La p130CAS est une
protéine cytoplasmique qui est phosphorylée au cours de l’adhésion cellulaire
médiée par les intégrines.
Le domaine SH2 de CRKL peut aussi se fixer à une protéine : la paxilline.
Cette dernière possède trois tyrosines ayant le motif de fixation de type
« tyrosine-X-X-proline » dont deux sont fonctionnelles.
La paxilline est
une protéine d’adhésion focale de 68 kDa qui est phosphorylée par BCRABL
et peut être co-immunoprécipitée avec de nombreuses protéines :
p125FAK (FAK : focal adhesion kinase), taline, tensine.
Cette interaction
de BCR-ABL avec la paxilline n’est pas surprenante.
BCR-ABL se localise
ponctuellement dans des structures cytosquelettiques contenant la paxilline
et la vinculine, deux protéines caractéristiques des adhésions focales.
La paxilline pourrait être une protéine raccord multifonctionnelle dans le
cytosquelette, constitutivement associée à la vinculine mais aussi à p125FAK,
exprimée largement dans les plaques d’adhésion focales des cellules et
impliquée dans le signal transmis par les intégrines à la taline et à la
tensine.
Le complexe CRKL-BCR-ABL et paxilline pourrait interférer dans le signal
normalement induit par l’activation des intégrines.
Des études de liaison ont
aussi montré que CRKL pouvait aussi fixer des facteurs d’échanges
nucléotiques tels que SOS et C3G.
Récemment, deux nouvelles protéines,
RIN1 et p62DOK ont été identifiées comme étant essentielles dans la régulation
de BCR-ABL.
2- Conséquences cellulaires :
Si le rôle précis de BCR-ABL est difficile à définir, on peut essayer de
regrouper ses effets.
Au niveau cellulaire, BCR-ABL a les conséquences
suivantes : des modifications de la régulation par les cytokines, des
modifications des relations avec le stroma et le microenvironnement
médullaire, une résistance à l’apoptose, des modifications du cycle cellulaire
et des altérations secondaires du génome.
* Modifications de la régulation par les cytokines :
L’indépendance vis-à-vis des facteurs de croissance tels que l’IL-3 et le GMCSF
est l’une des caractéristiques des lignées cellulaires murines et humaines
transformées par BCR-ABL.
Si certains effets moléculaires et cellulaires entraînés par BCR-ABL peuvent
mimer ceux de l’IL-3, en culture primaire, on ne trouve pas de véritable
autonomie de croissance par rapport à l’IL-3 et la régulation de
l’hématopoïèse leucémique par les cytokines persiste.
D’autres
indépendances ont été décrites, notamment vis-à-vis de l’érythropoïétine
(EPO) : des BFU-E de LMC en présence de stem cell factor (SCF) poussent
spontanément ; ce phénomène est réversible si BCR-ABL est inhibée.
Certains blastes provenant de LMC en accélération produisent de l’IL-1b qui
entraîne la synthèse, par le stroma environnant, de facteurs de croissance
stimulant à leur tour les cellules leucémiques.
Ce phénomène est inhibé
par IL-4.
Les cellules souches de LMC seraient différentes des cellules souches
normales par leur insensibilité à un inhibiteur de prolifération, le MIP-1alpha,
facteur de croissance qui permet aux cellules souches normales de rester
quiescentes.
Au contraire, récemment, il a été montré que les cellules
CD34+ de LMC seraient particulièrement sensibles à l’effet prolifératif du
SCF.
* Modifications des relations avec le stroma et le microenvironnement
:
Pour les cellules Ph-positives, il existe une modification de l’adhésion et de la
réponse au stroma médullaire.
En 1987, Gordon et al ont montré que les
conditions de culture à long terme des moelles osseuses de LMC sont
particulières.
En effet, les cellules de LMC poussent indifféremment en
présence ou en l’absence de méthylprednisolone.
Il existe un défaut
d’adhésion des cellules souches hématopoïétiques de LMC au stroma
médullaire. L’action de la phospholipase C phosphatidyl-inositol spécifique
mime ce défaut sur des moelles osseuses normales.
Par conséquent, des
déficiences ou des modifications de protéines de la surface cellulaire (ancrées
à celle-ci) par une liaison phosphatidyl-inositol (PI) ou du cytosquelette,
pourraient être à la base de ces anomalies.
Il existerait peut-être un déficit
en LFA3, mais cela n’a pas été confirmé.
Les progéniteurs deLMCont
donc une relation avec le stroma, différente des progéniteurs normaux.
En
effet, les cellules Ph-positives, contrairement aux cellules normales,
n’adhèrent pas à la couche stromale, en particulier à la fibronectine, mais
adhèrent au collagène de type IV et à la laminine.
Les récepteurs à la fibronectine, les intégrines alpha4b1 et alpha5b1 (VLA4 et VLA5) sont exprimés au cours de la myélopoïèse et sont responsables de l’adhérence des cellules
CD34+ à la fibronectine.
Ces récepteurs sont exprimés de façon
comparable sur les progéniteurs normaux et Ph+, mais il semble que ces
molécules ne soient pas fonctionnelles sur les progéniteurs de LMC.
En
revanche, une partie des progéniteurs de LMC peut exprimer les récepteurs à
la laminine et au collagène (les intégrines alpha6bêta1 et alpha2bêta1), alors que ces
récepteurs sont absents sur les cellules normales.
D’autres molécules
d’adhésion pourraient être anormales.
L’expression de L-sélectine est
diminuée sur les cellules CD34+ provenant de patients atteints de LMC.
Le CD44 et le CD56 (N-CAM) seraient eux aussi exprimés anormalement.
Le CD16, qui correspond au récepteur Fc de faible affinité des
immunoglobulines IgG (FcçRIII), a une expression diminuée sur les cellules
granuleuses de LMC.
Par ailleurs, la fonction d’adhésion des progéniteurs est modulée au cours de
la différenciation hématopoïétique.
Cette régulation est donc anormale dans
la LMC et pourrait être corrigée par l’interféron alpha (IFN-a).
* Résistance à l’apoptose et effets sur le cycle cellulaire
:
Plusieurs études ont montré que les protéines ABL et BCR-ABL jouent un
rôle dans les mécanismes d’inhibition de l’apoptose.
L’activation d’un mutant
thermosensible de v-ABL supprime l’apoptose dans des lignées
hématopoïétiques.
La lignée HL60 devient résistante à l’apoptose après
transfection par le gène de fusion.
BCR-ABL rend aussi la lignée Ba/F3
résistante à la mort cellulaire en l’absence d’IL-3.
Ce mécanisme pourrait
dépendre de BCL 2 : la viabilité de Ba/F3 BCR–ABL n’est pas affectée en
l’absence d’IL-3, mais les cellules transfectées avec un antisens anti-BCL 2
redeviennent dépendantes de l’IL-3 comme les Ba/F3 initiales.
Les mécanismes précoces de l’apoptose, tels que la redistribution
membranaire des phosphatidyl sérines, révélée par la fixation de l’annexine
V, peuvent être inhibés par l’hyperexpression de BCL2 et d’ABL.
On sait
aussi que l’apoptose induite par le système Fas pourrait être mise en évidence
en diminuant l’expression de BCR-ABL.
Il a été aussi montré que la
protéine PI3-kinase pouvait avoir une fonction régulatrice de l’apoptose.
Les relations et les propriétés de BCR-ABL et d’ABL avec les protéines
impliquées dans la régulation de l’apoptose, comme BCL 2 et aussi p53,
permettent de penser, comme cela a déjà été montré dans d’autres systèmes,
qu’il existe un lien indirect avec les mécanismes de réparation de l’ADN.
Bedi
et al ont rapporté que BCR-ABLinduit une résistance aux agents cytotoxiques
par inhibition de l’apoptose des cellules.
Cette inhibition a lieu au cours du
cycle cellulaire au niveau de points particuliers (checkpoints) connus pour
être des temps de réparation de l’ADN.
Ceci pourrait expliquer à la fois la
résistance des cellules leucémiques, mais aussi leur susceptibilité
mutationnelle et donc l’apparition d’événements secondaires responsables de
la genèse des transformations blastiques.
Ceci a été confirmé par les travaux
de Laneuville montrant que les lignées 32D tranfectées par le gène BCRABL
deviennent génétiquement instables ; elles sont résistantes à l’apoptose
et ont aussi un défaut du point de vérification du cycle cellulaire G1/S.
Les effets décrits ci-dessus apportent des arguments supplémentaires pour
affirmer que des modifications importantes dans les mécanismes de régulation
du cycle cellulaire sont induites par BCR-ABL.
Nous avons déjà évoqué
l’effet inhibiteur d’ABLsur le cycle cellulaire.
Quand ABL est réarrangé avec
BCR, il doit perdre son effet inhibiteur ou au moins une partie. L’activation
de BCR-ABL serait médiée par la cycline D1.
Un mutant défectif de BCRABLretrouve
son effet transformant par hyperexpression de l’oncogène Myc
ou encore de la cycline D1.
Description clinique de la phase
chronique de la maladie :
La LMC évolue habituellement en trois phases : après une phase chronique
ou stable de 36 mois environ, les malades présentent une phase accélérée, puis
une crise blastique à partir de laquelle la médiane de survie n’est plus que de
3 mois.
A - Circonstances de découverte
:
La maladie s’installe de façon insidieuse.
Elle est habituellement paucisymptomatique. L’incidence des cas asymptomatiques a augmenté ces
10 dernières années en passant de 15 à environ 40 % des cas de LMC.
La
découverte d’une LMC résulte habituellement d’une numération formule
sanguine (NFS) de routine.
Ailleurs, c’est une altération de l’état général ou
une lourdeur au niveau de l’hypocondre gauche qui conduisent à
l’hémogramme et au diagnostic.
Les signes fonctionnels et généraux les plus
fréquents sont : asthénie, anorexie, amaigrissement, fièvre modérée
chronique, sueurs nocturnes et sensation de pesanteur épigastrique et de
l’hypocondre gauche.
Plus rarement, lorsque le compte de leucocytes est
supérieur à 500 × 109/L, le diagnostic est porté à l’occasion de manifestations
vasculaires : priapisme, baisse de l’acuité visuelle avec une hémorragie
rétinienne, accident vasculaire cérébral.
De rares cas de LMC sont
découverts à la suite d’un diabète insipide, de crises de goutte ou lithiase
urinaire par mobilisation d’urates, de complications hémorragiques et
thrombotiques et, enfin, devant des localisations extramédullaires de la
métaplasie myéloïde au niveau cutané ou osseux.
B - Examen clinique
:
Le signe essentiel de la maladie est la splénomégalie, mais elle est de moins
en moins fréquente car le diagnostic est plus précoce.
Son incidence varie en
fonction des séries : elle est de 70 % dans les anciennes séries et de moins de
50 % dans les séries récentes.
Cette splénomégalie est plus ou moins
volumineuse, ferme, indolore ou à peine sensible.
Elle peut dans certains cas
être énorme, dépassant l’ombilic et atteignant la fosse iliaque gauche, ou au
contraire modérée, parfois difficilement palpable.
C’est l’échographie
abdominale qui permet dans ce cas de mettre en évidence cette splénomégalie
modérée.
Une hépatomégalie est associée dans 10 à 40 % des cas.
C - Examens complémentaires
:
1- Hémogramme :
Il suffit le plus souvent au diagnostic.
Il existe habituellement une
hyperleucocytose importante dépassant 25 x 109/L et atteignant souvent
100 × 109/L, voire 500 × 109/L.
Chez certains patients, une évolution
cyclique de la leucocytose avec une périodicité de 50 à 70 jours peut être
observée.
Cette hyperleucocytose est constituée avant tout d’une polynucléose vraie en valeur absolue, d’une augmentation inconstante des
éosinophiles et des basophiles et surtout d’une myélémie (présence de cellules
médullaires dans le sang).
Cette myélémie comporte principalement les
précurseurs les plus différenciés (myélocytes et métamyélocytes), alors que
les éléments les plus immatures sont rares (promyélocytes et myéloblastes).
Le nombre de lymphocytes en valeur absolue est parfois augmenté, surtout
celui des lymphocytesT.
Une anémie modérée, normocytaire, normochrome,
peu régénérative est parfois observée au diagnostic. Plus évocatrice est
l’hyperplaquettose supérieure à 500 × 109/L.
La thrombopénie est possible
bien qu’exceptionnelle au moment du diagnostic.
Elle signe habituellement
une accélération de la maladie.
La lecture du frottis sanguin au microscope optique, après une coloration au May-Grünwald-Giemsa, ne montre pas d’anomalie morphologique des
granuleux.
La fonction des neutrophiles est habituellement normale.
La
fonction plaquettaire est perturbée, contribuant aux complications
hémorragiques observées chez 15 % des patients.
2- Myélogramme
:
Le myélogramme, par ponction sternale ou iliaque, montre un os de dureté
normale et une augmentation de la densité cellulaire.
Entre 80 et 90 % des
éléments appartiennent à la lignée granuleuse et le rapport
granulocytes/érythroblastes, voisin de 2 à 5 à l’état normal, est de 10 à 30.
Les myélocytes, les métamyélocytes et les polynucléaires sont les éléments
dominants dans la moelle.
Les promyélocytes/myéloblastes et blastes ne
représentent pas plus de 10 %de ces cellules.
Une composante éosinophile et
basophile est parfois observée.
Les mégacaryocytes sont nombreux et parfois
dystrophiques.
3- Biopsie médullaire :
Elle confirme le diagnostic de syndrome myéloprolifératif caractérisé par
l’hyperplasie myéloïde avec une densité cellulaire très augmentée et la
raréfaction ou disparition des adipocytes.
L’hyperplasie mégacaryocytaire est
bien mise en évidence.
Une fibrose et/ou une densification du réseau réticulinique peuvent être observées au début de la maladie et elles
s’aggravent avec le temps au cours de l’évolution de la maladie.
4- Autres examens biologiques :
L’hyperuricémie, l’hyperuraturie, l’hyperhistaminémie sont habituelles et les
LDH sont souvent élevées.
Les anomalies de l’hémostase sont modestes à la phase chronique.
On peut
rencontrer des défauts plaquettaires intrinsèques qui rendent compte des
anomalies des fonctions plaquettaires, en particulier de l’adhésion et de
l’agrégation.
Des troubles de la coagulation divers ont été notés, le plus
classique étant une diminution du facteur V.
Les phosphatases alcalines leucocytaires (PAL) sont effondrées en phase
chronique de la maladie.
Ces enzymes sont normalement présentes dans les
éléments myéloïdes. Pendant longtemps, ce dosage a été considéré comme
un argument utile pour le diagnostic.
Cette réaction cytochimique effectuée
sur frottis sanguin est simple ; elle n’est cependant pas spécifique.
Elle
augmente au cours des infections, du stress et parfois lors de la rémission de
la maladie sous traitement.
Ce test n’est donc plus utilisé.
Le dosage de la vitamine B12 dans le sang montre un taux anormalement
élevé, lié à une augmentation de la transcobalamine I d’origine
granulocytaire, en rapport avec l’augmentation du pool des granulocytes.
Cette hypervitaminose B12 n’est pas spécifique de la LMC.
Elle est observée
dans la polyglobulie de Vaquez et dans les polynucléoses infectieuses.
5- Techniques de détection du chromosome Ph et/ou de son équivalent
moléculaire le gène BCR-ABL :
Le diagnostic est habituellement confirmé par la mise en évidence du
chromosome Ph ou de son équivalent moléculaire : le réarrangement BCRABL.
Nous avons à notre disposition plusieurs techniques dont l’utilisation
varie en fonction de la sensibilité recherchée et du laboratoire.
* Caryotype :
C’est l’examen essentiel qui permet de confirmer le diagnostic.
Il montre dans
95 % des cas, la translocation réciproque t (9 ; 22) (q34.1 ; q11.2).
Cette
anomalie est retrouvée dans les précurseurs granuleux, les mégacaryocytes,
les érythroblastes, les monocytes.
Les lymphocytes T et B qui proviennent de
la moelle osseuse sont eux aussi atteints.
Le caryotype médullaire est
essentiel, car il peut montrer des anomalies additionnelles, c’est-à-dire celles
associées au chromosome Ph.
Toutes ces anomalies signent une évolution
clonale et une accélération de la maladie.
Dans moins de 5 %des cas de LMC,
les chromosomes 9 et 22 apparaissent normaux.
La translocation existe, mais
n’est détectable qu’au niveau des gènes.
L’étude moléculaire permet alors de
prouver qu’il y a réarrangement entre BCR et ABL.
Le caryotype demeure la technique de référence, car c’est la seule qui
permette aujourd’hui de prendre des décisions thérapeutiques.
Les résultats
qu’il apporte ont permis de définir par exemple des critères de réponse
cytogénétique à l’IFN-a.
* Études moléculaires :
+ Southern-blot :
Il permet de mettre en évidence les différents points de cassure dans la région
M-BCR.
Il analyse l’ensemble des cellules en cycle et en interphase.
C’est
une technique utile uniquement pour les cas de LMC où le caryotype paraît
normal.
Cependant, en fonction des sondes utilisées, on peut passer à côté
d’un réarrangement moléculaire particulier ; de plus, il s’agit d’une technique
peu sensible (5 %).
Enfin, elle ne permet pas de voir d’autres anomalies
clonales, en particulier les anomalies chromosomiques additionnelles.
Elle est
de moins en moins utilisée à cause de sa lourdeur et de sa faible sensibilité.
+ Amplification génique ou PCR :
La réaction en chaîne de la polymérase ou PCR (polymerase chain reaction)
est rapide, très sensible et amplifie le gène chimérique BCR-ABL.
À cause de
la variabilité très importante des points de cassure sur l’ADN génomique, elle
est réalisée à partir d’ARN et nécessite donc une étape de transcription inverse
(RT-PCR).
Elle permet de détecter dans des conditions raisonnables 1 cellule
sur 106, mais comporte un risque non négligeable de faux positifs.
Elle a
l’avantage de pouvoir se faire sur le sang périphérique.
Pour simplifier, en
dehors des recherches cliniques, la PCR est très utile pour tous les diagnostics
différentiels de LMC.
La PCR permet aussi d’évaluer la maladie résiduelle, c’est-à-dire d’apprécier
le degré de rémission complète quand l’étude par cytogénétique classique
n’est plus assez sensible.
+ PCR quantitative
:
Il s’agit d’une adaptation de la PCR pour obtenir un résultat quantifiable.
C’est une technique lourde, difficile à standardiser.
Le principe consiste à coamplifier l’ARN ou l’ADN complémentaire avec un échantillon de
référence en quantité fixe et connue, de manière à comparer le produit de PCR
de l’un par rapport à l’autre.
Pour cela, il est nécessaire de pouvoir
distinguer une fois amplifié le produit de référence à doser (tailles différentes
ou sites de restriction) et de mesurer l’intensité d’amplification.
Cette
technique est lourde et encore difficile à standardiser.
6- Techniques particulières :
* Western-blot :
Actuellement, il existe des anticorps reconnaissant uniquement la protéine
ABL ou la protéine BCR.
Il est donc possible d’utiliser la technique de Western-blot qui, en cas de LMC, met en évidence sur le même transfert les
protéines BCR-ABL et ABL.
C’est une technique difficilement applicable en
routine, mais intéressante car elle permet de visualiser les deux types de
protéines chimériques p190 et p210 et de les comparer par rapport à ABL.
Elle permet aussi de mettre en évidence d’autres types de réarrangements
comme p230 ou TEL-ABL si on utilise un anticorps anti-ABL.
Aujourd’hui,
toute LMC Ph-négative devrait faire l’objet d’une étude parWestern-blot.
* Hybridation in situ ou FISH (« fluorescent in situ hybridization »)
:
C’est une nouvelle technique qui permet, grâce à des sondes spécifiques
marquées, de détecter directement le réarrangement moléculaire BCRABL
.
Elle permet l’analyse de l’ensemble des cellules (noyau en
métaphase et/ou en interphase) et permet une évaluation quantitative des
résultats.
Elle présente donc des avantages sur la PCR, mais des risques non
négligeables de faux positifs dus à la superposition dans l’espace d’ABLet de
BCR quand on étudie les cellules interphasiques.
Il semble que les nouvelles
sondes permettent d’éviter ces problèmes.
Cette technique devrait donc être
de plus en plus utilisée.
7-
Survie et facteurs pronostiques
:
La meilleure prise en charge de la maladie à partir des années 1990 a permis
un allongement de la durée de la survie.
Ainsi, dans les cohortes les plus
récentes, la médiane de survie est de 5 ans, avec 75 à 85 % de survivants à
3 ans.
La médiane de survie n’était, dans les années 1970-1980, que de 3 à
4 ans.
Cette amélioration est notamment le résultat d’une meilleure
indication des différents traitements, en fonction des facteurs de risques
présentés par le patient.
Il faut cependant tenir compte aussi de la plus grande
précocité du diagnostic.
Les premiers facteurs de pronostic étudiés sont des facteurs cliniques et
biologiques présents au diagnostic.
Sokal, en 1984 et 1985, a publié deux
études sur un très grand nombre de patients suivis pour une LMC Ph+, en
phase non blastique.
Lors de sa première étude, l’analyse multivariée de
nombreux critères a fait ressortir, comme facteurs influençant de façon
significative la survie, l’âge, la taille de la rate, le taux de plaquettes, le
pourcentage de blastes sanguins et, à moindre degré, le pourcentage de
basophiles et d’éosinophiles dans le sang, le pourcentage de blastes
médullaires et la présence d’anomalies caryotypiques additionnelles.
Dans sa
deuxième étude, il a voulu définir les groupes à risque, à l’intérieur d’une
population plus jeune, éventuellement candidate à une transplantation
médullaire.
Sur 625 patients ainsi étudiés et traités de façon conventionnelle,
les facteurs de pronostic significatifs sur la survie sont la taille de la rate, le
taux de plaquettes et le pourcentage de blastes périphériques.
Le critère « âge»
a été effacé par la sélection de la population et deux nouveaux critères sont
apparus : le sexe et le taux d’hématocrite.
En établissant un modèle de Cox
avec les cinq variables ainsi dégagées, Sokal a pu répartir les patients en trois
groupes de pronostic significativement différent :
– un groupe de bas risque (correspondant à l’indice < 0,8) regroupant 29 %
des patients et présentant une survie médiane de 67 mois ;
– un groupe de haut risque (indice > 1,2), correspondant à 27 %des malades
dont la médiane de survie est de 35 mois ;
– un groupe de risque intermédiaire (indice de 0,8 à 1,2) regroupant le reste
des patients.
L’« indice de Sokal », ainsi défini pour les sujets de moins de 45 ans, a été
validé sur d’autres études et reste très utilisé jusqu’à ce jour.
Il peut être
calculé grâce à la formule exponentielle :
exp[0,0255 (R-8,14) + 0,0324 (B-
2,22) + 0,1025 ([P/700]2 - 0,627) + 0,0173 (Ht-34,2) + 0,2682 (S-1,4)], dans
laquelle R, B, P, Ht et S sont définis de la façon suivante :
– R : taille du débord de la rate sous le rebord costal, en cm ;
– B : pourcentage de blastes dans le sang ;
– P : taux de plaquettes (N. × 109/L) ;
– Ht : pourcentage d’hématocrite ;
– S : sexe (féminin = 2, masculin = 1).
D’autres classifications ont ensuite été utilisées, notamment après que
l’IFN-alpha fut devenu disponible.
Ainsi, pour Kantarjian et al, les facteurs de
mauvais pronostic sont :
– l’âge >= 60 ans ;
– la rate débordant de 10 cm ou plus du rebord costal ;
– les basophiles >= 7 % dans le sang ou >= 3 % dans la moelle ;
– les plaquettes >= 700 000/mm3 ;
– les signes de phase accélérée : basophiles >= 20 % dans le sang,
plaquettes < 100 000/mm3, blastes >= 15 % dans le sang,
blastes + promyélocytes > 30 % dans le sang, évolution cytogénétique
clonale.
Il est ainsi possible de proposer une répartition en quatre groupes :
– groupe 1 : faible risque = 0 ou 1 facteur de mauvais pronostic ;
– groupe 2 : risque intermédiaire = 2 facteurs de mauvais pronostic ;
– groupe 3 : risque élevé = au moins 3 facteurs de mauvais pronostic ;
– groupe 4 : très haut risque (début de la phase accélérée) = au moins à
1 caractère d’accélération.