Ischémie aiguë des membres inférieurs Cours
de cardiologie
Étiologie
:
On distingue trois grands groupes de causes : les embolies,
les thromboses athéromateuses, et les autres causes.
A - Embolies :
Elles représentent 40 % des ischémies des membres.
Il
sagit généralement dun thrombus fibrino-cruorique, plus
rarement dun embol septique ou tumoral.
Le point de départ peut être :
1- Cardiaque (80 % des cas) :
Les principales causes sont : les troubles du rythme : fibrillation
auriculaire paroxystique ou permanente, autre
trouble du rythme ; les cardiopathies ischémiques : infarctus
aigu du myocarde, séquelles dinfarctus avec plaque akinétique ou anévrisme ventriculaire gauche ; les valvulopathies
: rétrécissement mitral ou pathologie de lanneau
aortique ; les myocardiopathies dilatées ; plus rarement le
myxome de loreillette, lendocardite dOsler ou de
Libman-Sacks.
2- Artériel (10 % des cas) :
Il peut sagir : dun anévrisme ou de plaques ulcérées athéromateuses
de siège aortique (crosse, aorte thoracique descendante
ou abdominale), fémoral, iliaque ou poplité.
3- Veineux :
Très rares, les embolies paradoxales compliquent une phlébite
avec une embolie pulmonaire lorsque le foramen ovale
est perméable.
Dans près de 10 % des cas, la source de lembolie nest pas
retrouvée.
B - Thromboses athéromateuses
:
Elles représentent 60 % des causes dischémie aiguë .
Il sagit dune poussée évolutive dune artérite souvent
favorisée par un bas débit, cardiogénique, hypovolémique
ou plus rarement septique.
Les anévrismes aortiques ou poplités peuvent se thromboser
de façon brutale, surtout en cas de mauvais lit
daval.
Les pontages artériels peuvent se thromboser en raison
dune sténose danastomose, dun faux anévrisme, dune
dégradation du lit artériel en amont ou en aval, dun bas
débit central ou dun état dhypercoagulabilité.
C - Autres causes :
1- Traumatismes :
Il peut sagir de traumatismes pénétrants (plaie par arme
blanche ou arme à feu), de traumatisme iatrogénique
(cathétérisme, ponction artérielle) ou de traumatismes
non pénétrants (écrasement de membre, fracture).
Lischémie peut survenir au moment du traumatisme,ou
de façon retardée.
2- Dissections :
La porte dentrée siège le plus souvent sur laorte thoracique.
Lischémie provient du faux chenal thrombosé
occlusif ou dembolies.
3- Causes plus rares :
Artère poplitée piégée : il sagit dune anomalie
embryologique du trajet de lartère poplitée qui traverse
ou contourne le jumeau interne.
Le traumatisme artériel
répété entre le muscle et le condyle entraîne une sténose
ou un anévrisme qui peuvent se thromboser brutalement
et (ou) emboliser.
Kystes adventitiels : très rares, ils sont constitués dune
substance colloïde qui saccumule entre ladventice et la
média.
La lumière artérielle, réduite par le kyste, peut
socclure.
Compressions par les exostoses ou tumeur osseuse.
Maladies systémiques : telle la périartérite noueuse.
Artériopathies compliquant la radiothérapie pour cancer
de lappareil génito-urinaire (utérus, testicules) ou
hémopathies malignes (Hodgkin).
Troubles de la coagulation : les déficits en antithrombine III, protéine C, protéine S, et le syndrome des antiphospholipides
donnent des thromboses plus souvent
veineuses quartérielles.
Polyglobulies et hyperplaquettoses peuvent donner des ischémies
distales par thrombose des petites artères.
Syndromes paranéoplasiques
Lergotisme ou la prise doestroprogestatif peuvent
donner des ischémies très sévères.
La thrombopénie immunoallergique à lhéparine .
Son pronostic est particulièrement grave surtout si le
diagnostic est méconnu.
Elle survient après 8 à 10 jours
de traitement par lhéparine standard ou plus précocement
en cas de réintroduction. La présence dune thrombopénie
et dun thrombus blanc sont très évocatrices et
doivent faire arrêter lhéparine.
Les phlébites peuvent se compliquer dischémie par
deux mécanismes, bas débit central chez des patients
ayant une cardiopathie ou une déshydratation et hyperpression
tissulaire par obstruction du retour veineux.
Diagnostic :
A - Diagnostic dischémie :
Il est facile lorsque sassocient une douleur de survenue
brutale, une impotence fonctionnelle plus ou moins
absolue, une pâleur du membre avec disparition des
pouls, et labsence de retour veineux et de pouls capillaire.
Le diagnostic est plus difficile lorsque lischémie
est bien tolérée ou de constitution progressive.
Lanalyse des antécédents et des circonstances cliniques
peuvent aider
Lexamen doppler retrouve des flux diminués ou
absents ; lartériographie, lorsquelle est réalisée,
montre locclusion artérielle.
Doivent être éliminées : les thromboses veineuses profondes
et les douleurs dautre origine (rhumatologique,
neurologique ou infectieuse).
B - Diagnostic de gravité :
Il guide lurgence de la thérapeutique : lischémie est
irréversible lorsque le membre est froid, paralysé, rigide
et insensible ; elle est sévère lorsque lon retrouve des
parésies avec hypoesthésie et des douleurs à la pression
des masses musculaires ; elle est moins grave lorsque les
signes se résument à lapparition ou à laggravation
dune claudication et (ou) la froideur accrue dun
membre.
Au doppler, dans lischémie irréversible, aucun signal
artériel ou veineux nest retrouvé ; dans lischémie sévère,
le flux artériel est démodulé ; dans lischémie peu
sévère, un flux pulsé est toujours perçu bien quamorti.
C - Diagnostic topographique :
Lexamen clinique permet bien souvent de déterminer le
niveau de locclusion artérielle : labolition des 2 pouls
fémoraux traduit une obstruction du carrefour aortique
ou des 2 artères iliaques ; labolition dun pouls fémoral
est en faveur dune obstruction dune artère iliaque ou
de la fémorale commune ; labolition dun pouls poplité
témoigne de locclusion de lartère fémorale et superficielle
ou de lartère poplitée.
Labolition des artères de
cheville témoigne dune obstruction des artères de
jambes.
Lechodoppler et lartériographie permettent de
détecter des thrombi partiellement obstructifsméconnus
par lexamen clinique seul..
D - Diagnostic étiologique
:
Il peut être posé sur les arguments cliniques mais il
nécessite souvent des examens complémentaires.
1- Arguments cliniques :
En faveur de lembolie : le début brutal, une ischémie
sévère, une cause emboligène, une embolie dans un
autre territoire (cérébral, membre supérieur, membre
controlatéral, artères viscérales).
En faveur dune thrombose : les antécédents artériels,
un début plus progressif, une ischémie parfois bien tolérée,
labsence de cause emboligène, un facteur favorisant,
un bas débit.
En faveur des autres causes : le contexte clinique peut
orienter, sinon des examens complémentaires sont
nécessaires.
2- Examens complémentaires vasculaires :
Lécho-doppler précise outre le siège des occlusions
artérielles, létat du lit artériel aortique et des membres,
et peut retrouver un anévrisme aortique ou poplité.
Lartériographie : sous réserve de ne pas retarder le traitement,
elle est effectuée en cas de doute diagnostique ou
au titre du bilan préthérapeutique éventuellement en salle
dopération ou de radiologie interventionnelle.
En cas
dembolie, elle montre un arrêt net en cupule, labsence de
circulation collatérale et un arbre artériel sain.
En cas de
thrombose athéromateuse, elle montre des lésions artérielles
étagées, et la circulation collatérale.
Les anévrismes
sont rarement identifiés par lartériographie en raison du
thrombus, mais la présence dune artériomégalie ou dun
anévrisme sur un autre segment artériel (poplité, aortique)
est un argument indirect.
Pour les causes plus rares, lartériographie peut montrer
le faux chenal dune dissection, la déviation de trajet
dune artère poplitée piégée, la réduction de calibre de
lartère dun kyste adventitiel.
Autres examens complémentaires : le étiologique cardiaque et des gros vaisseaux nécessite une échographie transthoracique ou rétro-oesophagienne et un examen
Holter; un scanner abdominal et thoracique peut être
utile pour identifier un anévrisme abdominal ou thoracique
ou une dissection.Les examens biologiques :
numération formule sanguine , plaquettes, bilan dhémostase,
anticorps anti-phospholipides.
Conduite thérapeutique :
A - Dans tous les cas :
En dehors de lallergie à lhéparine, toute ischémie
aiguë doit être traitée par héparine à la seringue électrique autopousseuscomperenant un bolus de 50 UI/kg
suivi de 400 UI/kg/24 h est perfusé.
La dose est ensuite
adaptée en fonction des résultats du temps de céphaline
activé (TCA : entre 2 et 2,5 fois le témoin) et de lhéparinémie
(entre 0,3 et 0,5).
Des vasodilatateurs peuvent y
être associés bien quaucune étude nait démontré leur
efficacité.
Les zones dappui sont protégées, notamment le talon et
le mollet. Les conséquences du syndrome de reperfusion
sont prévenues par une hyperhydratation et une
alcalinisation (bicarbonates).
B - Revascularisation :
Elle fait appel aux techniques interventionnelles ou chirurgicales
ou à lassociation des deux.
La thrombolyse in situ consiste à mettre en place dans
le thrombus sous contrôle radioscopique, un cathéter multi-perforé permettant dinjecter à la seringue autopousseuse
un thrombolytique : lurokinase ou le rt-PA.
Lurokinase est perfusée à la dose de 4 000 U/min jusquà
obtenir la lyse du caillot.
Une héparinothérapie
efficace peut être associée.
Le traitement est conduit en
unité de soins intensifs avec une surveillance du point de
ponction et du fibrinogène.
Pour accroître la rapidité de
leffet du thrombolytique, la technique du pulse spray
(injection sous pression durokinase) peut être utilisée.
La fibrinolyse se complique dhémorragie dans 5 à 8 %
des cas.
La thrombo-aspiration par ponction percutanée permet
daspirer un thrombus frais. Elle est surtout efficace
dans les artères de moyen calibre (< 6 mm).
Langioplastie transluminale est effectuée après
thrombolyse ou thrombo-aspiration.
Lorsquil sagit
dune thrombose athéromateuse ou dune embolie sur
artère pathologique après ablation du thrombus, les sténoses
athéromateuses sont mises en évidence sur lartériographie de contrôle.
Celles-ci doivent être traitées
pour éviter une réocclusion. Un stent peut être mis en
place en cas de résultat insuffisant après angioplastie ou
de dissection limitée.
Lembolectomie chirurgicale est réalisée au cathéter
de Fogarty éventuellement sous anesthésie locale, après
une courte incision du Scarpa.
Cette technique
peu
recommandée en cas de lésions athéromateuses
est
source de traumatisme de la paroi artérielle.
Néanmoins,
en cas dobstruction haute [aorto-iliaque et (ou) fémorale
superficielle] chez des patients ayant une embolie sur
artère saine, les résultats sont excellents.
Les revascularisations par pontage aorto-fémoral,
inter-fémoral, axillo-fémoral, ou fémoro-poplité sont
destinées à court-circuiter des axes artériels occlus de
longue date ou siège de lésions chroniques anciennes.
C - Autres traitements
:
Les aponévrotomies de décharge : en cas doedème
majeur après revascularisation, linvasion des aponévroses
permet de limiter leffet garrot, qui aggrave lischémie.
La prise de pression dans les loges peut éventuellement
aider à poser lindication.
l
Lamputation est parfois la seule possibilité thérapeutique.
Elle peut être effectuée demblée en cas dischémie
majeure et irréversible, ou secondairement après
échec partiel ou total des revascularisations.
D - Stratégie thérapeutique et indications :
Le choix entre ces différentes méthodes est souvent le
fait de préférence personnelle.
Schématiquement,en phase aigüe
- pour les ischémies réversibles les obstructions emboliques
hautes sont traitées par cathéter de Fogarty, les
thromboses de pontage par thrombolyse, les thromboses
athéromateuses ou embolies sur artères pathologiques
par thrombolyse ou thrombo-aspiration.
Après levée de
lischémie, langioplastie transluminale ou les pontages
sont réservés aux sténoses résiduelles significatives. Les
anévrismes nécessitent un traitement chirurgical secondaire;
- pour les ischémies irreversibles selon le terrain abstention
ou amputation demblée;
- pou les ischémies peu sévères, on prescrit de lhéparine
seul pendant la phase aiguë
Ultérieurement, en cas dembolie, des antivitamines K
au long cours sont institués pour prévenir les récidives
(22 % des cas sans traitement).
Dans les autres causes, on prescrit des antiagrégeants
plaquetaires pour les sténoses athéromateuses ou un
traitement spécifique pour les autres causes.