Insuffisance rénale aiguë et grossesse Cours de Néphrologie
Épidémiologie
:
La fréquence des insuffisances rénales aiguës (IRA) de la grossesse
est très différente dans les pays développés et dans ceux en voie de
développement.
Les données de prévalence et de pronostic ne
peuvent être interprétées sans tenir compte du contexte
géographique dans lesquelles elles ont été obtenues.
L’IRA est devenue, en France, une complication exceptionnelle de la
grossesse.
Son incidence a fortement diminué dans les
pays développés depuis la légalisation de l’avortement.
Ainsi,
avant la légalisation de l’avortement en France, la prévalence de
l’IRA était estimée à 1/3 000 naissances, la plupart des insuffisances
rénales gestationnelles étant alors imputables aux complications
septiques des avortements clandestins du 1er trimestre de la
grossesse.
Depuis sa légalisation (1975), cette prévalence est estimée
à 1/20 000.
Ces dernières années, les IRA gestationnelles
surviennent surtout au 3e trimestre dans un contexte le plus souvent
de prééclampsie sévère.
Ces modifications expliquent que les IRA
gestationnelles ne représentent plus qu’un infime pourcentage des
IRA de l’adulte (moins de 1,5 % dans les années 1990-2000, versus
20-50 % dans les années 1950-1970).
La baisse d’incidence de l’IRA gestationnelle est encore plus forte
quand une politique forte visant à faciliter le suivi des grossesses a
été mise en place.
La mise en place d’un suivi strict et obligatoire de
la grossesse permet de cibler les parturientes à haut risque de
complications foetales ou maternelles et d’optimiser leur prise en
charge.
L’incidence de l’IRA gestationnelle et ses principales étiologies
demeurent donc étroitement liées aux politiques et aux moyens
sanitaires de chaque état.
Insuffisance rénale aiguë
du 1er trimestre de la grossesse :
A - INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË FONCTIONNELLE
ASSOCIÉE AUX VOMISSEMENTS GRAVIDIQUES :
Les vomissements incoercibles du 1er trimestre compliquent
environ 0,3 % des grossesses avant la 12e semaine d’aménorrhée
(SA).
Ils peuvent parfois par leur durée, leur intensité et l’intolérance
digestive associée, s’accompagner d’une déshydratation
extracellulaire importante.
Cette hypovolémie plasmatique est
responsable d’une hypoperfusion rénale (baisse du débit sanguin rénal) responsable d’une baisse du débit de filtration glomérulaire
définissant une insuffisance rénale fonctionnelle (aussi appelée
insuffisance prérénale).
1- Diagnostic positif
:
Le diagnostic est généralement évoqué au début du 1er trimestre
chez une patiente jeune (< 20 ans) primipare, présentant depuis
plusieurs jours des vomissements incoercibles.
Les examens biologiques (ionogrammes sanguin et urinaire)
confirment rapidement le diagnostic.
Les ionogrammes sanguin et urinaire montrent :
– une hémoconcentration : protidémie et hématocrite élevées ;
– une alcalose métabolique (perte de HCl + alcalose de contraction) :
augmentation généralement majeure du taux de bicarbonate
plasmatique [HCO3
–] > 30 mmo l l–1);
– une hypokaliémie souvent majeure [K+] < 3mmo l l–1);
– une natrémie normale ou basse (si l’ingestion d’eau demeure
possible);
– une natriurèse basse [Na+] u < 20 mmol l–1 ;
– une fraction excrétée urinaire de Na+ FE·Na+ < 1 % ;
– des urines concentrées : [urée] u [urée] p > 10,
[créatinine]u/[créatinine]u > 40, sans protéinurie, sans hématurie à
la bandelette urinaire. Une cétonurie de jeûne est possible sans
glycosurie ni hyperglycémie.
Une discrète cytolyse hépatique (< 5-10 N) et une augmentation
de la bilirubine peuvent être observées (20 % des cas).
2- Stratégie thérapeutique
:
Le traitement symptomatique comprend, en cas d’insuffisance
rénale, une réhydratation par voie parentérale en milieu hospitalier.
L’expansion volumique par cristalloïdes (sérum physiologique NaCl
0,9 %) permet de corriger la déplétion sodée ainsi que l’alcalose
métabolique.
Le déficit potassique doit systématiquement être
compensé.
Le recours exceptionnel et transitoire à la dialyse peut
se révéler nécessaire en cas de nécrose tubulaire aiguë secondaire à
une déshydratation intense et/ou prolongée.
Le traitement symptomatique des vomissements fera appel aux
antiémétiques (métoclopramide ou doxylamine) ou, dans des formes
incoercibles, à la chlorpromazine ou prométhazine.
3- Pronostic
:
En cas de traitement précoce, la fonction rénale récupère ad integrum.
B - INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË DANS UN CONTEXTE
SEPTIQUE : AVORTEMENT SEPTIQUE
:
Les avortements clandestins dans des conditions ne respectant pas
les conditions d’asepsie peuvent se compliquer d’infection utérine,
de perforation utérine et de choc septique.
1- Diagnostic positif
:
Le diagnostic doit être évoqué de principe chez une femme en âge
de procréer dans un contexte de sepsis à point de départ
gynécologique.
La grossesse n’est pas toujours déclarée et ce,
d’autant que l’accouchement a été « clandestin ».
L’examen clinique
permet d’orienter le diagnostic devant des plaies vulvaires, des
métrorragies, des leucorrhées et une douleur au toucher vaginal.
Une contracture abdominale fait redouter une perforation utérine
ou une pelvipéritonite.
L’examen clinique et les examens complémentaires recherchent des
signes de défaillance multiviscérale : oedème pulmonaire lésionnel
(polypnée, hypoxie, hypocapnie), une hépatite cytolytique, une
coagulation intravasculaire disséminée (taux de prothrombine [TP],
fibrinogène bas, temps de céphaline kaolin [TCK] allongé, produit
de dégradation de la fibrine [PDF] (+), D-dimères [DD] (+),
thrombopénie), une insuffisance rénale.
2- Stratégie thérapeutique et pronostic néphrologique
:
– acide clavulanique + aminoside + métronidazole) associée à une
laparotomie exploratrice en cas de péritonite ou de suspicion de
perforation utérine ;
– symptomatique :suppléance hémodynamique et des autres
défaillances viscérales.
3- Pronostic
:
Le pronostic vital peut être compromis en cas de défaillance multiviscérale (taux de décès maternels de 15 %).
Si le cap aigu est passé, le risque d’insuffisance rénale chronique par
nécrose corticale demeure non négligeable (8 %).
Le diagnostic
est suspecté en cas d’absence de reprise de la diurèse et
d’insuffisance rénale persistante après 3 semaines de prise en charge
symptomatique efficace.
L’angio-imagerie par résonance magnétique
(angio-IRM) peut établir le diagnostic en montrant l’absence de
vascularisation corticale totale ou partielle.
En l’absence d’angio-IRM ou d’angioscanner, l’artériographie conventionnelle confirme
le diagnostic en montrant un aspect en arbre mort bilatéral.
Une
récupération est possible en cas de nécrose partielle, au prix souvent
d’une HTA et d’une insuffisance rénale séquellaire.
La plupart des
patientes demeurent malheureusement en dialyse chronique.
Insuffisance rénale aiguë
du 3e trimestre de la grossesse :
A - INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË DANS UN CONTEXTE
DE PRÉÉCLAMPSIE :
L’insuffisance rénale est une complication rare de la prééclampsie.
La prééclampsie est caractérisée par une activation des cellules
endothéliales responsable, au niveau des capillaires et des artérioles,
d’une activation de l’agrégation plaquettaire (thrombose des petites
artérioles, thrombopénie), d’une hémolyse, d’un syndrome de fuite
capillaire (oedème interstitiel, voire oedème pulmonaire lésionnel) et
d’une vasoconstriction aggravant l’ischémie tissulaire (HTA et
hypoperfusion placentaire).
Le syndrome de fuite
capillaire et la vasoconstriction entraînent une hypovolémie
plasmatique responsable d’une aggravation fonctionnelle de
néphropathie organique.
L’altération organique rénale est
caractérisée par une endothéliose glomérulaire (turgescence des
cellules endothéliales du flocculus glomérulaire) associée
inconstamment à des dépôts sous-endothéliaux d’immunoglobuline
M (IgM) et de fraction C3 du complément.
Ces deux lésions
élémentaires entraînent une diminution de la lumière des capillaires
glomérulaires.
Sur le plan fonctionnel, ces lésions sont associées à
une protéinurie de débit variable, plus rarement à une insuffisance
rénale.
1- Diagnostic positif
:
La prévalence de l’IRA au cours de la prééclampsie
sévère est estimée entre 0,8-7,4 %, voire entre 8 à 31 % en cas de syndrome HELLP (hemolysis, elevated liver enzyme, low platelet).
Le syndrome HELLP, dans sa forme complète, complique
25 % des prééclampsies sévères.
Le diagnostic est évoqué après 21 SA chez une parturiente
présentant une hypertension artérielle (HTA) de découverte récente
associée à une protéinurie de novo.
Dans ce contexte, l’insuffisance
rénale de sévérité variable est associée à une protéinurie
généralement de fort débit (syndrome néphrotique), une inflation
hydrosodée souvent marquée (oedème déclive, ascite, épanchement
pleural) sans habituellement d’hématurie.
L’insuffisance rénale s’inscrit souvent dans le cadre d’une atteinte multiviscérale :
Une atteinte hépatique (50 % des cas) peut survenir, dont
l’expression peut être une douleur en barre sus-épigastrique associée
à une cytolyse hépatique, rarement à un ictère.
Plus
exceptionnellement, l’atteinte hépatique peut se compliquer d’un
hématome ou d’une rupture hépatique.
Une atteinte hématologique est caractérisée par une hémolyse
« mécanique » (augmentation des lactodéshydrogénase (LDH) et de
la bilirubine conjuguée, baisse de l’haptoglobine, présence de
schizocytes) et une thrombopénie.
En cas d’insuffisance rénale, des
stigmates biologiques de coagulation intravasculaire disséminée
(CIVD) sont souvent constatés (84 %).
L’association hémolyse, cytolyse hépatique et thrombopénie définit
le syndrome HELLP (33-50 %).
Une atteinte neurologique (47 %) est d’expression très diverse :
céphalées inhabituelles, troubles du comportement, convulsions
(définissant l’éclampsie), déficits focaux, cécité corticale.
Un hématome rétroplacentaire (32-40 %) est souvent, dans ce cas,
associé à une CIVD.
2- Traitement
:
La stratégie thérapeutique est guidée par la sévérité du tableau
maternel (défaillance viscérale unique ou multiple), la présence ou
non d’un hématome rétroplacentaire, l’existence ou non d’une
souffrance foetale et le terme de la grossesse.
* Interruption rapide de la grossesse
:
L’interruption rapide de la grossesse s’impose d’emblée :
– pour raison foetale : en cas de souffrance foetale aiguë lorsque le
terme est supérieur à 24-26 SA ;
– pour raison maternelle : en cas d’éclampsie, d’hématome ou de
rupture hépatique, de détresse respiratoire, d’hématome rétroplacentaire.
Les modalités d’interruption de la grossesse seront discutées plus
loin.
* Interruption programmée de la grossesse
:
Si le terme est supérieur à 34 SA, il est inopportun de poursuivre la
grossesse compte tenu des risques maternofoetaux encourus.
Le
travail est déclenché par voie basse sauf contre-indication.
Pendant
la durée du travail, les complications maternelles et la viabilité
foetale sont régulièrement évaluées.
La surveillance maternelle
rigoureuse est maintenue pendant au moins 48 heures en postpartum
compte tenu d’une aggravation possible des atteintes
viscérales liées à la prééclampsie pendant cette période.
* Temporiser sous strict contrôle materno-foetal
:
Cette attitude ne se conçoit que lorsque la structure sanitaire prenant
en charge la femme enceinte dispose de moyens de surveillance
continue clinique et biologique de la mère, et qu’elle a la possibilité
d’effectuer un monitorage foetal au minimum biquotidien et dispose
en son sein d’une unité de réanimation néonatale (en France,
maternité de niveau III disposant par ailleurs d’une réanimation
adulte).
Sans ces conditions, il paraît dangereux et illicite de
proposer une attitude attentiste compte tenu du risque de
complications vitales maternelles ou foetales pouvant survenir à tout
moment.
L’objectif visé par cette attitude attentiste discutée entre 26-32 SA est
d’obtenir une maturation foetale, notamment pulmonaire.
En
pratique, l’objectif est de retarder l’accouchement jusqu’au terme de
32 SA afin de limiter les complications à court et à long terme des
maladies liées à la prématurité : maladie des membranes hyalines,
hémorragies cérébrales, etc.
Les moyens thérapeutiques disponibles et les objectifs à atteindre
chez la patiente ayant une prééclampsie et une insuffisance rénale
sont les suivants.
– Optimiser la volémie plasmatique.
Ces patientes présentent toutes une hypovolémie plasmatique et, à
un degré variable, un syndrome de fuite capillaire.
On entreprend
une expansion volumique prudente (cristalloïde ou albumine
humaine) sous contrôle strict de la tolérance pulmonaire (fréquence
respiratoire, oxymétrie de pouls, et auscultation pulmonaire
régulière).
Certains auteurs proposent d’effectuer cette expansion
sous contrôle des mesures obtenues par cathétérisme droit : le
remplissage étant modulé en fonction de la pression capillaire
pulmonaire (objectifs Pcap 10-15 cmH2O).
Le risque principal est un
oedème pulmonaire lésionnel et/ou un épanchement pleural massif
entraînant une hypoxie potentiellement délétère pour le foetus.
En
cas d’hypoxie, l’arrêt de l’expansion volumique, l’oxygénothérapie
et la ventilation non invasive permettent généralement de passer le
cap.
– Contrôle de la pression artérielle.
La pression artérielle (PA) doit être abaissée si la pression artérielle
diastolique (PAD) excède 110 mmHg (objectif : PAD : 100-110
mmHg), mais son contrôle doit être progressif et modéré.
Toute
baisse brutale et/ou excessive de la PA entraînerait une aggravation
de l’ischémie placentaire dont l’expression la plus dramatique serait
la mort in utero.
Le labétalol est le produit le plus anciennement
utilisé et son innocuité à long terme a pu être établie chez le foetus.
Cependant, ce produit est de plus en plus remplacé par la nicardipine, à laquelle on attribue par ailleurs une action
tocolytique.
– Corticothérapie.
Compte tenu du risque d’accouchement prématuré, une cure brève
de corticoïdes est administrée pendant 24 à 48 heures
afin d’accélérer la maturation pulmonaire foetale, diminuer la
mortalité néonatale, ainsi que les risques de détresse respiratoire
néonatale et d’hémorragie intraventriculaire du nouveau-né.
On
utilise habituellement la bétaméthasone à raison de deux injections
de 12 mg par voie intramusculaire à 12 heures d’intervalle.
En se
fondant sur des séries de cas ou des études rétrospectives castémoins, plusieurs
équipes notent un bénéfice des corticoïdes en termes de contrôle de
la symptomatologie maternelle : stabilisation, voire correction de
la thrombopénie et de la cytolyse hépatique.
Cependant, aucune étude n’a démontré un bénéfice pour le
foetus ou pour la prolongation de la durée de gestation.
– Sulfate de magnésium.
Dans les pays anglo-saxons et sur la base d’études prospectives
récentes confirmant l’opportunité de ces pratiques, le sulfate
de magnésium administré par voie intraveineuse (dose de charge
2-4 g, entretien 1-3 mg h–1) permet de diminuer le risque de
convulsions et peut-être de retarder la date de l’accouchement.
Son
utilisation en association avec les inhibiteurs calciques est
déconseillée en raison d’un risque accru de complications liées au sulfate de magnésium (hypoventilation alvéolaire).
Son intérêt chez
la parturiente ayant une insuffisance rénale n’est pas démontré.
De
plus, l’utilisation du sulfate de magnésium doit être évitée en cas
d’insuffisance rénale sévère, compte tenu d’un risque accru de
surdosage (hypoventilation alvéolaire).
– Correction des troubles de l’hémostase.
Les transfusions plaquettaires ne sont envisagées qu’en cas de
saignement ou de césarienne si le taux de plaquettes est inférieur à
30 000 ml–1.42
Dans les cas de CIVD associée à une hémorragie de
la délivrance (hématome rétroplacentaire), il peut être nécessaire de
transfuser, outre des culots globulaires, des culots de fibrinogène et
de l’antithrombine III.
– Déclenchement de l’accouchement.
Sous strict contrôle foetal et maternel, en cas de souffrance foetale
aiguë (SFA), d’inflation hydrosodée incontrôlable (oedème
pulmonaire, épanchement pleural), de détresse respiratoire, d’IRA
oligoanurique, de majoration de la thrombopénie (< 50 000/Ml), de
cytolyse hépatique ou d’hématome hépatique, ou d’aggravation de
l’état neurologique, il faut, sans état d’âme, déclencher
l’accouchement, quel que soit le terme.
Cette stratégie thérapeutique, lourde en termes de surveillance,
permet de retarder de 7 à 10 jours en moyenne la date de
l’accouchement, délai dont le bénéfice est de diminuer le risque de
détresse respiratoire néonatale et d’hémorragie intraventriculaire du
nouveau-né.
L’accouchement a lieu dans plus de 50 % des cas par
césarienne soit pour des raisons foetales (terme < 32, SFA)
soit plus rarement pour des raisons maternelles (hématome
hépatique, convulsions, détresse respiratoire).
Cette stratégie permet
d’obtenir un terme à la naissance de 30-32 SA.
* Indications de la dialyse
:
Le recours à la dialyse s’envisage en cas d’insuffisance rénale oligoanurique persistante ou de troubles hydroélectrolytiques
menaçant le pronostic vital après extraction foetale.
Moins de 10 %
des patientes nécessitent une prise en charge en épuration extrarénale.
3- Indications de la biopsie rénale
:
Si l’insuffisance rénale s’inscrit dans un cadre nosologique clair de prééclampsie sévère, la biopsie rénale ne saurait se justifier pour
confirmer le diagnostic.
En revanche, en cas de doute diagnostique
avec d’autres entités nosologiques, l’intérêt d’un tel examen doit être
discuté en concertation avec le néphrologue.
En cas de persistance de l’insuffisance rénale au-delà de 3 semaines,
on redoute une nécrose corticale.
Le diagnostic peut être confirmé
par une angio-IRM ou à défaut par l’artériographie.
4- Pronostic
:
* Pronostic maternel
:
– Pronostic vital.
Les décès sont heureusement exceptionnels (0-13 %).
Les facteurs péjoratifs sont l’association IRA, CIVD, hématomes rétroplacentaires (HRP), hématome
intrahépatique rompu indépendamment du terme.
Habituellement, en quelques jours, en post-partum, les défaillances
viscérales s’estompent.
Les complications vitales secondaires à
la prééclampsie demeurent cependant la 2e cause de mortalité
obstétricale directe en France.
La récidive au cours des grossesses
ultérieures n’est pas la règle.
– Pronostic rénal.
Dans la plupart des cas, la fonction rénale est récupérée ad integrum
(97-100 %), même si une épuration extrarénale a été
initialement nécessaire (0-31 % des patientes ont requis la dialyse).
Plus rarement (< 1 %), surtout en cas d’hématome rétroplacentaire
et/ou de CIVD, une insuffisance rénale chronique peut persister.
Elle
est parfois suffisamment sévère pour justifier la poursuite de la
dialyse. Dans la plupart de ces cas, les investigations
morphologiques (artériographie, angio-IRM, angioscanner) ou
histologiques montrent alors une nécrose corticale.
En cas
d’intense syndrome néphrotique, il a été décrit, en sus des lésions
glomérulaires de prééclampsie, une hyalinose segmentaire et
focale.
Dans ces cas, le pronostic néphrologique est
généralement favorable : la protéinurie disparaît en quelques
semaines ou mois sans récidive lors des grossesses ultérieures.
* Pronostic foetal
:
De 15 à 38 % des prééclampsies
associées à une IRA sont compliquées de mort périnatale surtout en cas de CIVD et
d’hématome rétroplacentaire associés, versus 5 % en cas de
prééclampsie sévère simple avec ou sans syndrome HELLP.
Le
pronostic foetal est avant tout lié au terme à la date de
l’accouchement ; il est d’autant plus péjoratif que le terme est
précoce et le RCIU important.
L’enfant né d’une mère en
insuffisance rénale présente un taux d’urée et de créatinine à la
naissance comparable à celui de sa mère.
Ces désordres
métaboliques chez un enfant ayant une fonction rénale normale
peuvent entraîner, les premiers jours de vie, une polyurie osmotique.
Une prise en charge « raisonnée » doit permettre d’obtenir une
mortalité maternelle nulle et une mortalité périnatale ne
dépassant pas 15-20 %.
5- Diagnostics différentiels
:
En pratique, le diagnostic d’IRA liée à une prééclampsie sévère ne
pose guère de problème et, en cas de survenue d’une IRA au-delà
de 21 SA, l’évolution est rapidement favorable en post-partum en
2-7 jours.
Mais en cas de survenue plus précoce (< 21 SA), en cas de
persistance de l’anémie hémolytique et de la thrombopénie, ou
d’aggravation clinique au-delà de 1 semaine post-partum se discute
une microangiopathie indépendante de la prééclampsie
(syndrome urémique et hémolytique).
Dans ces formes, une enquête
étiologique approfondie doit être réalisée à la recherche d’une
pathologie infectieuse (diarrhée invasive, à Escherichia coli, à
shigelles, à Campylobacter, à salmonelle), d’une pathologie
dysimmunitaire (notamment syndrome primaire des
antiphospholipides), d’une cause médicamenteuse, etc.
Une prise en charge thérapeutique incluant échanges
plasmatiques et transfusion de plasma frais congelé peut se discuter
en sus du traitement symptomatique (contrôle strict de la PA,
épuration extrarénale, etc.).
B - STÉATOSE AIGUË GRAVIDIQUE
:
Si une insuffisance hépatique domine le tableau, le diagnostic
évoqué est celui d’une stéatose hépatique aiguë gravidique (SHAG).
1- Diagnostic positif
:
Devant une IRA apparaissant au 3e trimestre, le diagnostic de
stéatose aiguë gravidique est évoqué devant l’association de
douleurs abdominales, vomissements, ictère, HTA modérée et
syndrome polyuropolydypsique.
Les examens biologiques montrent une augmentation du taux de
bilirubine libre, une cytolyse souvent modérée (< 10 N), une
insuffisance hépatique (baisse du taux de prothrombine,
hypoglycémie, etc.), une baisse du fibrinogène et des stigmates biologiques de CIVD.
La présence d’un foie « brillant » en
échographie est, dans ce contexte, évocateur du diagnostic de SHAG.
L’importance de l’insuffisance hépatique, la discrétion de la cytolyse
et la présence d’un foie brillant à l’échographie permettent de porter
le diagnostic de stéatose aiguë gravidique et d’écarter le diagnostic
de syndrome HELLP.
2- Stratégie thérapeutique
:
L’arrêt de la grossesse permet d’interrompre le processus
pathologique.
Cependant, en cas de terme inférieur à 32 SA, en l’absence de SFA,
en l’absence de signe de gravité (absence d’insuffisance hépatique,
d’encéphalopathie, d’IRA sévère, de CIVD) et dans le cadre d’une
stricte surveillance maternofoetale (maternité de niveau III en
France) une attitude attentiste peut être proposée.
Ce délai est
mis à profit pour administrer des corticoïdes afin d’accélérer la
maturité pulmonaire foetale.
Cette attitude devra être remise en
question rapidement en cas d’aggravation maternelle
(encéphalopathie, Tp < 50 %) ou de SFA.
3- Pronostic maternel
:
Actuellement, sous conditions de diagnostic et de prise en charge
précoce, la mortalité maternelle est inférieure à 10 %.
4- Pronostic néphrologique
:
Le recours à l’épuration rénale est rarement nécessaire.
Lorsqu’une
épuration extrarénale s’impose, après l’extraction foetale,
l’hémofiltration ou l’hémodiafiltration veinoveineuse continue est
préférée à une hémodialyse séquentielle.
En cas d’encéphalopathie
hépatique, elle évite en effet les variations brutales de pression
intracrânienne à l’origine de certains décès.
La fonction rénale récupère habituellement ad integrum à distance
de l’épisode aigu.
C - INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË OBSTRUCTIVE
:
L’obstruction des voies urinaires par l’utérus gravidique demeure
une cause exceptionnelle d’insuffisance rénale.
Ce diagnostic
d’élimination est confirmé a posteriori par la normalisation rapide
de la fonction rénale après évacuation utérine.
1- Diagnostic positif
:
Le diagnostic est généralement évoqué devant une IRA apparaissant
à l’approche du terme chez une parturiente ayant une grossesse
jusque-là non compliquée.
Hydramnios et grossesse gémellaire ont
pu être considérés comme des facteurs aggravants par le biais d’une
compression mécanique des uretères.
À l’échographie, bassinets et
uretères apparaissent dilatés en amont du promontoire sacré, sans
que cette image puisse être considérée comme pathognomonique.
2- Stratégie thérapeutique et pronostic néphrologique
:
L’accouchement permet une normalisation de la fonction rénale en
quelques jours habituellement sans séquelle, permettant de
confirmer rétrospectivement le diagnostic.
Insuffisance rénale aiguë :
autres étiologies
A - GLOMÉRULONÉPHRITE AIGUË/MALADIES DE SYSTÈME
:
La survenue d’une insuffisance rénale rapidement progressive
associée à une protéinurie de débit variable et d’une hématurie doit
faire discuter une glomérulonéphrite.
Ce diagnostic est
exceptionnellement discuté au 3e trimestre, compte tenu de
l’incidence beaucoup plus élevée des atteintes rénales liées à la prééclampsie.
Cependant une présentation clinicobiologique
atypique au 3e trimestre, la présence de signes extranéphrologiques,
ou leur survenue précoce (< 21 SA) doivent donner lieu à une
analyse multidisciplinaire (obstétricien, néphrologue, interniste) afin
d’orienter rapidement la démarche diagnostique.
Une biopsie
rénale doit parfois être pratiquée pour affirmer avec certitude le
diagnostic de la néphropathie et pour définir au mieux la prise en
charge thérapeutique.
Sa réalisation ne se discute pendant la
grossesse qu’avant 32 SA.
B - MALADIES SYSTÉMIQUES
:
La grossesse peut s’accompagner d’une poussée lupique chez les
femmes présentant une maladie dont le contrôle n’avait pas pu être
obtenu avant le début de la grossesse. Les poussées avec atteinte
rénale surviennent plus volontiers au 3e trimestre ou en postpartum.
Plus exceptionnellement, le diagnostic de lupus peut être
porté au cours de la grossesse devant une insuffisance rénale aiguë
de profil glomérulaire : insuffisance rénale rapidement évolutive,
protéinurie de débit variable, hématurie associée à une PA normale
ou peu élevée.
L’association de signes extranéphrologiques oriente
le diagnostic : polyarthrite, syndrome de Raynaud, vespertilio, etc.
La recherche d’anticorps antinucléaires et d’anticorps antiacide
désoxyribonucléique (ADN), la baisse du complément permettent
de guider le diagnostic biologique.
La biopsie rénale se discute
avant 32 SA afin de définir au mieux la stratégie thérapeutique
(traitement immunosuppresseur éventuel).
Une IRA au cours de la grossesse peut aussi être révélatrice d’autres
maladies systémiques : polyangéite microscopique, granulomatose
de Wegener, périartérite noueuse, purpura rhumatoïde, etc.).
C - INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË LIÉE AUX
THÉRAPEUTIQUES EMPLOYÉES PENDANT
LA GROSSESSE : INDOMÉTACINE
Exceptionnellement l’indométacine utilisée jadis lors des menaces
d’accouchement prématuré a pu se compliquer d’IRA comme chez
l’adulte non gravide.
D - INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË/PYÉLONÉPHRITE
:
Les pyélonéphrites se compliquent exceptionnellement d’IRA pendant la grossesse, sauf en cas de diagnostic tardif.
En dehors du
contexte de choc septique, une évolution défavorable de la fonction
rénale en 24-72 heures, malgré la correction des désordres hydroélectrolytiques et une antibiothérapie adaptée peut amener à
proposer la montée de sonde en double J.
En effet, une uropathie
obstructive ne peut pas toujours être formellement éliminée, compte
tenu de la dilatation physiologique des cavités pyélocalicielles et des
uretères durant la grossesse.
E - INSUFFISANCE RÉNALE/TOXICOMANIE
:
Comme chez tout adulte toxicomane, la cocaïne consommée
pendant la grossesse peut entraîner une IRA.
Modalités d’accouchement/anesthésie
:
A - INDICATIONS DE L’ACCOUCHEMENT PAR VOIE BASSE
:
En cas de terme supérieur à 32 SA, en l’absence de SFA, d’hématome
rétroplacentaire ou de défaillance viscérale maternelle « majeure »,
l’accouchement par voie basse est préféré.
B - INDICATIONS DE LA CÉSARIENNE
:
La césarienne est indiquée en cas de SFA, d’hématome
rétroplacentaire et, pour de nombreuses équipes, en cas de terme
inférieur à 32 SA.
L’insuffisance rénale, l’éclampsie, la thrombopénie et la cytolyse
hépatique ne sont pas, à elles seules, des situations imposant une
césarienne.
C - MODALITÉS D’ANESTHÉSIE : ANESTHÉSIE
LOCORÉGIONALE OU GÉNÉRALE ?
L’anesthésie péridurale (APD) est l’anesthésie de choix en cas de prééclampsie y compris en cas de césarienne.
Elle offre de nombreux
avantages maternels : une analgésie stable permet d’éviter les
à-coups hémodynamiques liés aux stimulations nociceptives, et
foetaux, en améliorant le débit sanguin utéroplacentaire.
La contre-indication principale à l’APD reste les troubles de
l’hémostase.
Malgré la faible incidence de l’hématome périmédullaire, un temps de saignement selon la méthode d’Ivy est
nécessaire quand le chiffre des plaquettes est inférieur à
120 000/mm3, car la thrombopénie est souvent associée à une
dysfonction plaquettaire.
L’APD peut être pratiquée lorsque le
temps de saignement, le temps de Quick, le temps de céphaline
activé et le fibrinogène sont normaux sur un bilan prélevé moins de
2 heures avant la ponction.
L’anesthésie générale présente de nombreux inconvénients surtout au
moment de l’induction anesthésique : poussées hypertensives
responsables de défaillance ventriculaire gauche avec oedème
pulmonaire et/ou hémorragie cérébrale.
L’induction anesthésique
doit être précédée de l’ingestion d’un antiacide et d’une expansion
volumique (500 ml de cristalloïde).
L’utilisation des morphinomimétiques est fortement préconisée (alfentanyl 8 à 10 µg
kg-1).
Le traitement des poussées hypertensives fait appel aux
antihypertenseurs d’action rapide et de durée brève (nicardipine et
le labétalol).
Conclusion
:
L’IRA doit demeurer une complication exceptionnelle de la grossesse.
La légalisation de l’avortement permet d’éviter les IRA liées aux
complications septiques des avortements clandestins.
La prise en charge
précoce des vomissements incoercibles du 1er trimestre doit éviter leurs
complications métaboliques.
Au 3e trimestre, le dépistage précoce des
femmes présentant une prééclampsie sévère doit permettre une prise en
charge rapide et adaptée aux signes de souffrance foetale et maternelle.
Enfin, les femmes présentant une défaillance rénale gestationnelle
doivent, dans les pays qui en ont la possibilité, être traitées dans des
centres associant des compétences obstétricales, pédiatriques,
néphrologiques et de réanimation.