Inhibiteurs calciques, dérivés nitrés Cours
de cardiologie
Inhibiteurs calciques
:
La classe des inhibiteurs calciques regroupe des molécules
différentes qui possèdent en commun la propriété
de se fixer sur des canaux membranaires calciques voltage-dépendants, empêchant leur ouverture et ainsi la
pénétration intracellulaire du calcium.
Malgré ce mécanisme
daction commun,
il sagit dune classe pharmacologique
hétérogène. Les inhibiteurs calciques appartiennent
à 3 familles chimiques : les dihydropyridines,
famille la plus représentée avec comme chef de file la nifédipine, les phénylalkylamines, dont le chef de file
est le vérapamil, et les benzothiazépines, dont lunique
représentant est le diltiazem.
Ces différentes
familles diffèrent par leur tropisme vasculaire et (ou)
myocardique et par conséquence par leurs propriétés
pharmacodynamiques et leur indications thérapeutiques.
A - Mécanisme daction
:
Le calcium est un messager intracellulaire impliqué
dans de nombreux processus tels que lactivation des
protéines contractiles cardiaques ou musculaires lisses
vasculaires.
La concentration de calcium libre intracellulaire
est basse (10-7M), 10 000 fois plus basse que la
concentration extracellulaire, à lorigine dun gradient
de potentiel électrochimique.
Ce gradient est maintenu
parce que la membrane cellulaire au repos est relativement
imperméable à lion calcium et parce que la cellule
est équipée de systèmes permettant la régulation des
mouvements de calcium à travers la membrane cellulaire
et à lintérieur de la cellule.
Parmi ces différents
systèmes, les canaux calciques membranaires voltage-dépendants régulent la pénétration intracellulaire
de calcium.
Lors de la dépolarisation membranaire, le canal passe de létat fermé à létat ouvert, permettant la
pénétration intracellulaire du calcium.
Les inhibiteurs
calciques agissent en bloquant louverture de canaux
calciques voltage-dépendants de type L, en se fixant sur
ces canaux.
Les canaux L sont ubiquitaires, mais ils sont
largement majoritaires dans le coeur où ils ont 2 rôles
essentiels : un rôle électrogène et un rôle dans le contrôle
de la contraction.
Dans les vaisseaux, les canaux L sont
impliqués dans le développement et le maintien du
tonus contractile.
En empêchant louverture de ces
canaux, les inhibiteurs calciques entraînent une relaxation
du muscle lisse vasculaire et une diminution des
résistances vasculaires.
Les inhibiteurs calciques se fixent sur des sites récepteurs
distincts du canal calcique et ont une affinité différente
pour le canal calcique en fonction de son état dactivation.
Les dihydropyridines ont une affinité plus
importante pour le canal calcique dans son état inactivé.
Cela explique leur effet particulièrement marqué sur les
cellules musculaires lisses, lesquelles présentent un
grand nombre de canaux inactivés en raison de leur
dépolarisation prolongée.
En revanche, le diltiazem et le
vérapamil se fixent avec une plus grande affinité sur les
canaux activés et lintensité du blocage quils entraînent
est dautant plus importante que la fréquence de dépolarisation des cellules concernées augmente,
expliquant leur activité sur le myocarde et le
tissu de conduction.
Ces particularités expliquent
les différences pharmacodynamiques
qui existent entre les inhibiteurs calciques :
effet vasculaire prédominant pour les dihydropyridines,
effets à la fois vasculaire et
cardiaque pour le diltiazem et le vérapamil.
B - Effets cardiovasculaires :
Les effets vasculaires et cardiaques des inhibiteurs
calciques diffèrent selon le tropisme vasculaire
et (ou) myocardique des différents
agents.
Les dihydropyridines se
comportent comme de puissants vasodilatateurs
artériels périphériques et coronaires
dont les faibles effets inotropes négatifs sont
contrebalancés par un réflexe sympathique lié
à la mise en jeu du baroréflexe.
En revanche,
le vérapamil et le diltiazem exercent à la fois
des effets vasculaires et cardiaques.
Ils diminuent
la fréquence cardiaque et ralentissent la
conduction auriculoventriculaire en bloquant
les canaux calciques L du noeud sinusal et du
noeud auriculoventriculaire.
Ces 2 inhibiteurs
calciques appartiennent à la classe des antiarythmiques
de classe IV.
En plus de ses effets électrophysiologiques, le vérapamil a un effet
inotrope négatif.
C - Caractéristiques pharmacocinétiques
:
Les inhibiteurs calciques sont bien résorbés après administration
orale, mais leur biodisponibilité est faible en raison
dun phénomène de premier passage hépatique.
Leur
demi-vie est généralement courte (3 à 8 h), à lexception
de celle de lamlodipine.
Des formes à libération prolongée
ont été développées afin de permettre leur administration
en une seule prise par jour.
Le métabolisme des dihydropyridines est essentiellement hépatique, entraînant
la formation de métabolites inactifs à élimination rénale.
Pour le vérapamil et le diltiazem, leur métabolisme hépatique
conduit à la formation de métabolites actifs.
D - Indications thérapeutiques :
Les deux indications thérapeutiques majeures des inhibiteurs
calciques sont lhypertension artérielle et linsuffisance
coronaire.
1- Traitement de fond de lhypertension
artérielle essentielle :
Le principal mécanisme daction des inhibiteurs calciques
dans cette indication est une vasodilatation artériolaire
entraînant une chute des résistances artérielles périphériques et une baisse de la pression artérielle.
Contrairement aux vasodilatateurs directs, les inhibiteurs
calciques naugmentent pas lactivité rénine plasmatique,
nentraînent pas de rétention hydrosodée et
nactivent pas (pour le vérapamil et le diltiazem) ou peu
(pour les dihydropyridines à longue durée daction) le
système sympathique en administration chronique.
Les inhibiteurs calciques à longue durée daction
(inhibiteur calcique à demi-vie longue ou à forme
galénique à libération prolongée) peuvent être choisis
comme traitement de première intention de lhypertension
artérielle.
Ils peuvent être prescrits en monothérapie
ou en association avec dautres classes dantihypertenseurs
en cas déchec de la monothérapie :
inhibiteurs calciques de la classe des dihydropyridines
et b-bloquants, ou inhibiteurs calciques et inhibiteurs de
lenzyme de conversion.
2- Insuffisance coronaire :
Leffet bénéfique des inhibiteurs calciques dans linsuffisance
coronaire résulte de plusieurs actions : diminution
de la post-charge liée à un abaissement des résistances
artérielles périphériques, effets vasodilatateur et
antispasmodique coronaire, effet inotrope négatif et (ou)
bradycardie responsable dune diminution de la
consommation myocardique en oxygène.
Angor spastique : lefficacité des inhibiteurs calciques
est remarquable avec une efficacité de lordre de
85 %, comparable avec les différents inhibiteurs calciques
ayant cette indication thérapeutique (nifédipine,
amlodipine, vérapamil, diltiazem).
Angor deffort : les inhibiteurs calciques ayant cette
indication thérapeutique sont le vérapamil, le diltiazem,
et lamlodipine. Ils représentent une alternative possible
à la prescription des b-bloquants.
Il faut noter quaucun inhibiteur calcique na actuellement
dindication thérapeutique dans langor instable et
linfarctus du myocarde à la phase aiguë.
3- Autres indications thérapeutiques :
Troubles du rythme supraventriculaires : le vérapamil
et le diltiazem, administrés par voie intraveineuse,
peuvent être utilisés dans le traitement de la crise de
tachycardie jonctionnelle.
Syndrome de Raynaud : la nifédipine a démontré son
efficacité dans le traitement symptomatique de cette
affection.
Hémorragie méningée : la nimodipine a montré son
efficacité dans le traitement préventif et curatif des déficits
neurologiques ischémiques consécutifs à une
hémorragie méningée par rupture danévrisme cérébral.
E - Effets indésirables, contre-indications,
précautions demploi et tolérance
:
Les effets indésirables des inhibiteurs calciques sont liés
à leur tropisme, vasculaire et (ou) myocardique.
Les dihydropyridines sont associées avec la plus grande
incidence deffets indésirables, liés à leur action vasodilatatrice
périphérique.
Il sagit de flushs de la face, de
céphalées, doedèmes des membres inférieurs.
Le vérapamil
et le diltiazem peuvent entraîner des troubles
conductifs auriculoventriculaires ou sino-auriculaires
responsables de blocs auriculoventriculaires ou de
dysfonctions sinusales.
Ils sont donc contre-indiqués en
cas de dysfonction sinusale ou de blocs auriculoventriculaires
de degrés II et III non appareillés.
Ils sont
aussi contre-indiqués en cas dinsuffisance cardiaque
non contrôlée, particulièrement le vérapamil, fortement
inotrope négatif.
Leffet indésirable le plus fréquemment
rapporté avec le vérapamil est la constipation, liée à sa
fixation sur le muscle lisse intestinal.
Les inhibiteurs calciques sont contre-indiqués chez la
femme enceinte et allaitante.
Il faut souligner leur bonne
tolérance métabolique, avec labsence deffets délétères
sur les métabolismes lipidique et glucidique.
F - Interactions médicamenteuses :
Pour les inhibiteurs calciques à tropisme vasculaire
prédominant (dihydropyridines) : leur point dimpact
vasculaire explique que leur association avec les dérivés
nitrés et les antihypertenseurs vasodilatateurs doit être
prudente en raison de majoration de leffet vasodilatateur
avec risque dhypotension, notamment orthostatique.
La nicardipine peut augmenter les concentrations
plasmatiques de certains immunosuppresseurs
(ciclosporine, tacrolimus), nécessitant une diminution
de leur posologie.
Les inducteurs enzymatiques peuvent
diminuer les concentrations plasmatiques des dihydropyridines,
imposant une adaptation de leur posologie.
Pour les inhibiteurs calciques à tropisme vasculaire et
cardiaque : leur association aux b-bloquants ou aux antiarythmiques
de classes I et III impose une surveillance
étroite car elle expose aux risques de dépression de la
contractilité et de troubles conductifs sino-auriculaires ou
auriculoventriculaires.
Les effets indésirables qui en
découlent (décompensation cardiaque, dysfonction
sinusale ou bloc auriculoventriculaire) surviennent sur
un terrain cardiaque sous-jacent favorisant.
Lassociation de tous les inhibiteurs calciques au dantrolène
(myorelaxant) est contre-indiquée en raison de fibrillations
ventriculaires mortelles rapportées chez lanimal.
Dérivés nitrés
:
Les dérivés nitrés sont utilisés depuis plus dun siècle
dans le traitement de langine de poitrine.
La découverte
du rôle essentiel de lendothélium vasculaire dans la
régulation du tonus vasculaire, avec la production dun
facteur endothélial de relaxation très puissant, le
monoxyde dazote (NO) a permis de comprendre les
mécanismes daction des dérivés nitrés et favorisé le
développement dune nouvelle classe de médicaments
appelés donneurs de monoxyde dazote, représentée par
la molsidomine, qui partage les indications thérapeutiques
des dérivés nitrés.
A - Mécanisme daction :
Les dérivés nitrés exercent leurs effets biologiques par la
production de monoxyde dazote, ou de dérivés proches
du monoxyde dazote, comme les nitrosothiols (R-SNO),
formés lors de leur biotransformation dans la cellule
musculaire lisse vasculaire.
Pour la molsidomine, le
monoxyde dazote est libéré par le SIN-1 (lindisomine),
métabolite actif de la molsidomine.
Le monoxyde
dazote active la guanylate cyclase soluble de la cellule
musculaire lisse, conduisant à la formation dun nucléotide
cyclique, le GMPc, à partir du GTP.
B - Propriétés pharmacodynamiques :
Elles résultent de leffet relaxant du muscle lisse vasculaire
des dérivés nitrés et de la molsidomine, lié à la
production de monoxyde dazote.
1- Effets sur la circulation systémique :
Aux faibles concentrations thérapeutiques, une vasodilatation
essentiellement veineuse, diminuant la pression
de remplissage, la précharge, conduit à une diminution
des besoins métaboliques cardiaques et donc de la
consommation myocardique en oxygène (MVO2).
Aux plus fortes concentrations, une vasodilatation
artérielle systémique et artériolaire, avec une baisse de la
pression artérielle et de la résistance périphérique totale,
et ainsi une baisse de la post-charge, contribue à la diminution
du travail cardiaque et donc de la MVO2.
2- Effets sur la circulation coronaire :
Ces effets sont représentés par une vasodilatation directe
des artères coronaires de résistance, conduisant à une
augmentation du débit coronaire ; et par un effet vasodilatateur
indirect, lié à la diminution de la pression télédiastolique
du ventricule gauche, favorisant la perfusion
des zones sous-endocardiques, les plus touchées durant
lischémie.
Cet effet contribue de façon importante aux
effets bénéfiques des dérivés nitrés en cas dischémie
myocardique.
C - Caractéristiques pharmacocinétiques
:
La pharmacocinétique des dérivés nitrés est complexe,
dépendant à la fois du dérivé nitré considéré, de la voie
dadministration et de la forme galénique.
Limportant
phénomène de premier passage hépatique et la demi-vie
courte de la trinitrine rendent nécessaire lutilisation de
formes galéniques et de voies dadministration adaptées
à lindication thérapeutique : la voie sublinguale dans le
traitement de la crise (pas de premier passage hépatique,
délai daction rapide), la voie intraveineuse dans langor
instable, la voie transdermique sous forme de patchs
dans la prophylaxie des crises dangine de poitrine
(pas de premier passage hépatique, maintien de concentrations
plasmatiques stables pendant tout le temps
dapplication).
La molsidomine peut être administrée par voie orale et
par voie intraveineuse.
Contrairement aux dérivés nitrés,
la molsidomine ne subit pas de premier passage hépatique.
Elle est transformée dans le foie en un métabolite
actif, le SIN-1 (linsidomine).
D - Tolérance aux dérivés nitrés :
La tolérance aux dérivés nitrés est un phénomène connu.
Il se traduit, chez certains patients, par une perte defficacité
des dérivés nitrés quand leur administration est
continue (patchs transdermiques, formes orales à libération
prolongée).
Les mécanismes en sont complexes et
non encore entièrement élucidés.
Ce phénomène justifie
la prescription discontinue des dérivés nitrés, en respectant
une « fenêtre thérapeutique » quotidienne.
Cet intervalle,
dau moins 8 h, doit être choisi dans la période où
le patient ne présente pas dangor.
Le phénomène de
tolérance nest pas décrit avec la molsidomine.
E - Indications thérapeutiques :
1- Insuffisance coronaire :
Traitement de la crise angineuse : ladministration
de dérivés nitrés par voie sublinguale (comprimé ou
aérosol) est la base du traitement de la crise angineuse.
Le délai dapparition de leffet est court (1 à 3 min),
mais cet effet est de courte durée (20 à 30 min).
Cette
forme de traitement peut aussi être utilisée de manière
préventive, avant toute situation capable de déclencher
une crise.
Lefficacité de la trinitrine en cas de douleur
thoracique de cause imprécise constitue un élément
majeur pour rapporter cette douleur à une ischémie
coronaire.
Traitement prophylactique de langor : dans cette
indication, seuls les dérivés nitrés à longue durée
daction (dispositifs transdermiques ou formes orales
à libération prolongée) doivent être utilisés, afin de couvrir
une grande partie du nycthémère, tout en respectant
une fenêtre thérapeutique.
Les horaires dadministration
du traitement doivent être adaptés à la chronologie
habituelle des symptômes du patient.
La molsidomine
peut être utilisée dans cette indication.
Angor spastique : il sagit dune indication de choix
des dérivés nitrés, en monothérapie ou associés aux
inhibiteurs calciques. Les modalités de prescription
doivent tenir compte de lhoraire souvent nocturne de
langor spastique.
Angor instable et infarctus du myocarde : les dérivés
nitrés ou la molsidomine, administrés par voie intraveineuse,
peuvent être associés à laspirine, lhéparine et
les b-bloquants, avec surveillance hémodynamique en
unité de soins intensifs de cardiologie.
2- Insuffisance cardiaque :
Dans le traitement dune poussée dinsuffisance cardiaque
congestive, ladministration de dérivés nitrés, par
voie sublinguale ou intraveineuse, entraîne une diminution
rapide de la pré- et de la post-charge, et par conséquent
du travail cardiaque.
Les dérivés nitrés, associés
aux diurétiques de lanse, constituent le traitement de première
intention de loedème aigu du poumon.
Leur efficacité reste discutée dans le traitement de linsuffisance
cardiaque chronique.
Compte tenu de lefficacité démontrée de certains traitements, les dérivés
nitrés constituent un traitement de deuxième intention
dans la prise en charge au long cours de linsuffisance
cardiaque chronique.
F - Contre-indications
:
Les contre-indications absolues des dérivés nitrés sont
lhypotension artérielle sévère et les états de choc.
La prescription doit être prudente en cas de cardiomyopathie
obstructive et de rétrécissement aortique
serré en raison du risque de désamorçage de la pompe
cardiaque.
La prudence simpose aussi en cas de glaucome
à angle fermé en raison dune augmentation possible du
tonus oculaire et chez des patients migraineux, en raison
des effets vasodilatateurs.
G - Effets indésirables
:
Ils sont le plus souvent bénins et réversibles.
Ce sont des
céphalées, des bouffées vasomotrices, une hypotension
artérielle avec une hypotension orthostatique.
Afin de
les éviter, il est recommandé daugmenter les posologies
progressivement jusquà atteindre la posologie efficace
et bien tolérée.
Des cas exceptionnels de méthémoglobinémie
ont été rapportés, dans des conditions de surdosage
accidentel ou volontaire.