Critères d’imputabilité des accidents d’origine médicamenteuse
Cours de Médecine Légal
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Attribuer ou non la survenue d’une maladie, d’un symptôme
ou d’un accident à un médicament est une
démarche parfois complexe du fait que les effets indésirables
sont rarement spécifiques d’un médicament
donné et correspondent donc à des entités cliniques ou
biologiques dont les causes peuvent être multiples.
La démarche d’imputabilité (ou imputation) consiste à
déterminer le degré de plausibilité qu’un médicament
soit, ou ait été, la cause d’un événement indésirable chez
un patient donné.
Il s’agit donc, par essence, d’une évaluation
individuelle, différente de l’analyse de causalité
épidémiologique (un médicament A peut être connu
pour pouvoir entraîner l’événement B sans qu’il soit
forcément la cause de tous les cas de B identifiés chez
des malades traités par A).
Pour respecter l’usage et les recommandations internationales,
nous utiliserons le terme général d’événement
(event en anglais) indésirable, le terme d’effet (effect ou
reaction en anglais) indésirable n’étant approprié que
quand la responsabilité du médicament a été établie ou
est au moins fortement suspectée.
Événement peut
recouvrir des entités extrêmement diverses, tant par leur
type (symptôme, maladie), leur mode évolutif (aigu,
chronique, etc.), que leur gravité.
Démarche d’imputabilité :
Le problème du diagnostic étiologique d’un événement
indésirable peut se poser à des niveaux très divers :
essais cliniques : déterminer si un (ou plusieurs) cas
d’événements indésirables est (sont) ou non attribuable(s)
au médicament à l’étude, ce qui peut être d’importance
majeure si ces événements sont graves ; surveillance
après mise sur le marché : validation de cas identifiés
lors d’études épidémiologiques ou par notification
spontanée ; diagnostic d’un effet indésirable chez un
malade traité par un ou plusieurs médicaments.
Selon son degré de formalisation, on distingue 3 grands
types d’analyses d’imputabilité : le jugement d’expert,
les méthodes algorithmiques, les méthodes probabilistes.
• Le jugement d’expert est une évaluation, généralement
non standardisée, dans laquelle un expert, compétent
vis-à-vis de la pathologie concernée, exprime, après
avoir pris en compte l’ensemble des éléments disponibles,
un jugement sur le degré de responsabilité d’un
médicament pris par un malade dans la survenue d’un
événement indésirable.
La démarche est superposable à celle du diagnostic
clinique en général et, de ce fait, souffre des mêmes
limites, subjectivité et variabilité du jugement interet
intra-observateurs.
• Les méthodes algorithmiques proposent un canevas
d’analyse constitué d’une série de critères formalisés
sous forme de questions en chaîne auxquelles l’expert
doit répondre.
La combinaison des réponses (par une
table à plusieurs entrées, un arbre de décision, une
sommation de points, etc.) permet d’obtenir un score
d’imputabilité utilisant des degrés chiffrés (ex. : 0, 1, 2, 3, 4)
ou des qualificatifs (ex. : exclu, douteux, possible, probable,
certain).
Une vingtaine de méthodes de ce type ont été publiées.
Parmi elles, la « méthode française d’imputabilité »
est, depuis 1978, l’une des plus utilisées.
Elle repose sur
l’évaluation successive des 7 critères détaillés au
chapitre suivant pour obtenir un score allant de 0 (exclu)
à 4 (très vraisemblable).
Elle est systématiquement
utilisée pour évaluer les cas d’effets indésirables
(environ 30 000 par an) notifiés au système français de
pharmacovigilance (centres régionaux de pharmacovigilance
et laboratoires fabricants).
L’intérêt des méthodes d’imputabilité est de réduire la
variabilité inter-observateurs et la reproductibilité des
évaluations.
Leur limite principale est que les scores
obtenus dépendent avant tout du poids accordé par les
auteurs de la méthode aux différents critères et qu’elles
ne sauraient donc quantifier la probabilité « exacte » de
responsabilité d’un médicament dans la survenue de
l’effet indésirable étudié.
• Les méthodes probabilistes contrairement aux précédentes
estiment, en fin d’analyse, une probabilité
pouvant varier de manière continue entre 0 et 1 (ou 0 et
100 %).
Leur formalisation, plus complexe, fait généralement
appel aux probabilités bayésiennes.
L’expert
fixe, avant analyse, une probabilité de départ (probabilité
a priori) qui est ensuite modifiée (à la hausse ou à la
baisse) par une série de coefficients dits de vraisemblance
qui ne sont en fait que la mise en forme probabiliste des
critères évoqués ci-dessous.
Beaucoup plus satisfaisantes que les précédentes d’un
point de vue théorique, elles souffrent cependant de la
complexité de formulation des différents paramètres.
Leur utilisation demeure de ce fait limitée à des cas bien
particuliers.
Critères d’imputabilité :
Que ce soit de manière implicite (jugement d’expert) ou
formalisée (méthodes algorithmiques ou probabilistes),
l’analyse du lien de causalité entre la prise d’un médicament
et la survenue d’un événement indésirable fait
appel à 3 grands types de critères : critères chronologiques,
critères cliniques et biologiques, critère de
notoriété.
A - Critères chronologiques
:
Ils analysent la relation temporelle entre la prise du médicament
et la survenue de l’événement et reposent sur la
logique classique : un facteur (ici le médicament) peut
être considéré comme causal s’il était présent au moment
de l’apparition de l’événement, si sa suppression entraîne
la disparition de ce dernier et si sa réintroduction entraîne
une rechute.
On distingue donc 3 critères chronologiques.
1- Délai d’apparition :
Son évaluation consiste à s’assurer que la prise du
médicament était bien antérieure à l’apparition des
premiers symptômes de l’événement indésirable (ce qui
n’est pas toujours facile pour les pathologies d’installation
progressive et insidieuse), et à interpréter le caractère
suggestif de ce délai à la lumière du mécanisme physiopathologique
supposé.
Par exemple, même si la condition
est remplie, on exclura la responsabilité du médicament
dans l’apparition d’une tumeur maligne découverte
2 semaines après le début du traitement !
De même, la
responsabilité d’un médicament est a priori extrêmement
douteuse vis-à-vis d’un choc anaphylactique survenant
12 heures après la prise unique d’un comprimé.
Si cette relation chronologique s’impose parfois (arrêt
cardiaque survenant au cours de l’injection intraveineuse
directe d’un médicament), l’interprétation du caractère
évocateur d’un délai d’apparition est souvent sujette à
subjectivité même si l’expérience a permis d’identifier
des délais évocateurs (par exemple, la quasi-totalité des
toxidermies bulleuses surviennent entre 7 et 21 jours
après le début du traitement en cause).
C’est la raison
pour laquelle beaucoup de méthodes d’imputabilité se
contentent de juger la compatibilité.
Un cas particulier est représenté par le rebond et le syndrome
de sevrage (exemple : convulsions à l’arrêt brutal
d’un traitement prolongé par de fortes doses de benzodiazépines).
Ici, c’est l’arrêt du traitement qui peut être
en cause et la logique est inversée.
Il convient de s’assurer
que l’arrêt du traitement a bien précédé l’apparition des
symptômes et l’intervalle libre est, par sa durée, évocateur
(délai d’élimination du médicament suspect ou de
son métabolite, estimés en fonction de leur demi-vie
d’élimination).
Ce critère s’interprète généralement selon 4 possibilités :
délai incompatible, délai compatible, délai évocateur,
critère ininterprétable (absence d’information précise
sur la chronologie).
2- Évolution à l’arrêt du traitement :
Ce critère repose sur une logique simple : la suppression
de la cause doit entraîner une régression ou une disparition
des symptômes.
Il est cependant, par définition, ininterprétable
chaque fois que l’événement est irréversible
(décès, surdité, etc.) ou que sa régression éventuelle peut
être spontanée (convulsions, choc, etc.) ou non influençable
par l’arrêt du traitement (accident vasculaire cérébral,
etc.) ou obtenue par un traitement symptomatique
correcteur (ulcère gastrique, etc.).
Dans les autres cas (heureusement nombreux), et comme pour le critère
précédent, l’analyse procède en 2 étapes : l’arrêt du
traitement a-t-il entraîné une amélioration ou une
régression des symptômes ?
Si oui, le délai de régression
peut-il être jugé évocateur ?
Cela fait évidemment à
nouveau référence au mécanisme physiopathologique
connu ou supposé de l’effet indésirable (la régression
d’un rash érythémateux est attendue au bout de quelques
jours tandis que la régression d’une neuropathie périphérique
peut nécessiter plusieurs mois) et à la vitesse
d’élimination du médicament de l’organisme (la régression
d’une dysthyroïdie induite par l’amiodarone pouvant
nécessiter des mois du fait de la demi-vie d’élimination
extrêmement longue de ce médicament).
La logique est, comme précédemment, inversée dans le
cas du rebond et du syndrome de sevrage pour lesquels
c’est la reprise du traitement qui est attendue entraîner
une régression.
Ce critère s’évalue généralement selon 4 possibilités :
absence de régression à l’arrêt, régression sans délai
particulièrement évocateur, régression dans un délai
évocateur, régression ininterprétable (lésion irréversible,
traitement correcteur, absence d’information, etc.).
3- Évolution à la reprise du traitement :
Il s’agit de savoir si la reprise (volontaire ou accidentelle)
du médicament a entraîné une réapparition des symptômes
(si ceux avaient disparu lors de l’arrêt) ou leur
aggravation, dans l’absolu (OUI/NON) et dans un délai
évocateur.
On parle de réintroduction positive si tel est le cas et de
réintroduction négative dans le cas contraire.
Pour plusieurs types d’effets (en particulier ceux médiés
par un mécanisme immuno-allergique), le délai d’apparition
est attendu être nettement plus court en cas de
reprise du traitement.
La reprise à titre diagnostique d’un médicament soupçonné
d’avoir précédemment induit une symptomatologie,
a fortiori grave, pose d’évidents problèmes éthiques à
moins que le traitement soit indispensable au malade, et
que toutes les précautions nécessaires aient été prises.
En pratique (données de la pharmacovigilance française),
on peut estimer qu’une réintroduction n’est faite (volontairement
ou non) que dans moins de 5% des observations
d’effets indésirables.
Ce critère est de plus sans objet si la
lésion initiale est irréversible et si les conditions ont changé
(reprise du traitement à une dose plus faible, association à
un traitement protecteur ou un antidote, suppression
d’un facteur de risque existant initialement, etc.).
Dans les rares cas où il peut être interprété, ce critère est
extrêmement fort puisqu’il est a priori très improbable
qu’un événement survienne plusieurs fois de suite par
hasard lors de l’instauration d’un traitement.
Comme précédemment, en cas de rebond ou de syndrome
de sevrage, c’est le nouvel arrêt du traitement qui est
considéré.
Ce critère s’évalue donc selon 3 possibilités : réintroduction
négative, réintroduction positive, réintroduction non
faite ou ininterprétable.
B - Critères cliniques et biologiques :
1- Élimination d’une autre cause :
La quasi-totalité des effets indésirables médicamenteux
reproduisent des symptômes ou des maladies aux causes
souvent multiples (insuffisance rénale aiguë, hépatite
aiguë, agranulocytose, infarctus du myocarde, lupus,
accident vasculaire cérébral, etc.).
Seules quelques
maladies, à défaut d’être absolument spécifiques d’une
cause médicamenteuse, l’évoquent très fortement (syndrome
de Lyell, érythème pigmenté fixe).
Il est donc particulièrement important de savoir si les
principales étiologies alternatives ont été recherchées et
éliminées au moyen d’un bilan approprié et suffisamment
complet.
Pour plusieurs types de maladies assez fréquemment
iatrogéniques (atteintes hépatiques, cutanées,
etc.), des réunions de consensus d’experts ont permis de
proposer une démarche type pour l’élimination des
principales causes alternatives.
Le critère « autre explication » s’évalue généralement
selon 3 possibilités : pas de recherche d’une autre explication
ou recherche non appropriée, absence d’une autre
explication patente après bilan approprié et possibilité
d’une autre explication.
2- Caractère évocateur de la symptomatologie :
Dans un nombre réduit de cas (v. supra), la symptomatologie
clinique et (ou) biologique est fortement évocatrice
d’une origine médicamenteuse.
Ce critère, pour ne pas
être redondant, doit être interprété d’une manière très
restrictive, ce qui le rend rarement déterminant. En effet,
il ne s’agit nullement de juger du caractère évocateur de
la chronologie d’apparition ou de régression, ni de qualifier
d’évocateurs des symptômes pour lesquels aucune autre
explication n’a été retrouvée.
Hormis les 2 cités au paragraphe
précédent, très peu d’exemples peuvent être proposés.
Un cas particulier est représenté par les réactions au
point d’application (eczéma de contact, nécrose ou lipodystrophie
au point d’injection, etc.) qui ont évidemment
une valeur évocatrice très forte.
Ce critère se juge généralement selon 2 possibilités :
absence de symptômes évocateurs et symptomatologie
évocatrice de la responsabilité du médicament étudié.
3- Résultat d’un examen complémentaire
spécifique
:
Ici encore, il s’agit d’un critère à interpréter de manière
restrictive pour ne considérer que les examens complémentaires
qui sont des indicateurs fortement spécifiques
(faible taux de faux positifs) de la responsabilité du
médicament dans la survenue de l’événement.
Cela
exclut tous les examens qui affirment la réalité ou le
type de l’effet indésirable (électromyogramme, mesure
de l’activité des transaminases hépatiques, biopsie médullaire,
etc.) mais nullement son caractère iatrogénique.
Parmi les rares exemples rencontrés en pratique, on peut
citer la mesure d’une concentration plasmatique excessive
d’un médicament dans le cadre d’un tableau évoquant
un surdosage ou une toxicité (surdité aux aminosides, troubles de l’équilibre sous anticonvulsivants, etc.) et
certains examens pratiqués dans le cadre d’un tableau
rattaché à un mécanisme immuno-allergique et signant
la sensibilisation au médicament suspect (patch-test,
prick-tests, anticorps spécifiques, etc.).
Dans les rares cas où un tel examen est disponible, il est
évident que son résultat (positif ou négatif) pèse fortement
sur le niveau d’imputabilité.
Le critère « examen complémentaire spécifique » s’évalue
généralement selon 3 possibilités : pas d’examen complémentaire
spécifique (n’existant pas ou non fait),
examen complémentaire positif (ou très en faveur) et
examen complémentaire négatif (ou très en défaveur).
4- Présence d’un facteur de risque bien validé
:
Comme pour les 2 critères précédents, il ne s’agit que de
facteurs pour lesquels une association avec une origine
médicamenteuse a été démontrée et non de facteurs de
risque de la maladie elle-même.
En clair, la présence de
ce facteur doit clairement orienter vers la responsabilité
du médicament.
On peut citer l’insuffisance rénale visà-
vis de l’ototoxicité des aminosides (majoration des
concentrations plasmatiques), la prise concomitante
d’une substance inhibant le métabolisme d’un médicament
suspecté dans le cadre d’une manifestation a priori
dose-dépendante, etc.
Le critère « facteur de risque » s’évalue généralement
selon 2 possibilités : absence de facteur de risque bien
validé, et présence d’un facteur de risque bien validé.
Notoriété de l’effet indésirable
:
Selon les méthodes d’imputabilité ou le contexte de la
démarche, ce critère est ou non retenu.
Par exemple, la
méthode française d’imputabilité évoquée précédemment
ne le prend pas en compte dans l’algorithme car
elle a été conçue pour privilégier une option de sensibilité
(d’alerte) : ne pas rejeter une association médicament/
événement jusque-là non connue.
La méthode française sépare donc l’imputabilité dite
intrinsèque, restreinte aux seuls éléments tirés du cas
analysé, de l’imputabilité dite extrinsèque (notoriété,
nombre de publications similaires, etc.) sous la forme
d’un score séparé, purement indicatif, à 4 degrés :
3 (effet notoire), 2 (quelques publications similaires ou
effet notoire pour des médicaments proches), 1 (effet
non décrit dans les ouvrages de référence) et 0 (aucune
mention de cet effet, même après recherche approfondie).
D’un point de vue probabiliste, il n’en est pas moins
évident que l’on conclura plus facilement que le
médicament A a entraîné l’événement B si B est un effet notoire de A.
Le problème principal réside dans le poids
que l’on accorde au critère de notoriété dans l’imputabilité
finale, un poids excessif revenant à ne diagnostiquer que
des effets indésirables déjà décrits.
Enfin, dans bon
nombre de cas, ce critère ne peut être considéré du fait
d’un manque de données (médicament récent ou non
commercialisé dans les principaux pays pourvoyeurs de
publications, etc.).