Immunoglobuline E et maladies respiratoires

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Introduction :

Immunoglobuline E et maladies respiratoiresDécouvertes à la fin des années soixante, les immunoglobulines E (IgE) constituent le support immunologique de la réaction d’hypersensibilité immédiate. Les IgE se fixent sur des récepteurs spécifiques, présents à la surface de cellules impliquées dans les phénomènes allergiques, notamment les mastocytes et les polynucléaires basophiles, mais aussi d’autres types cellulaires. La majorité des cellules infiltrant la muqueuse bronchique expriment en effet un ou plusieurs types de récepteurs spécifiques pour les IgE. Lors d’un second contact, l’allergène est reconnu par les IgE déjà présentes sur ces cellules, ce qui induit une dimérisation des récepteurs de haute affinité pour les IgE (Fc∈RI). Il en résulte une activation cellulaire rapide, se traduisant par une dégranulation et la libération de médiateurs induisant des effets délétères sur la muqueuse bronchique, le tissu cutané et les vaisseaux.

Ce schéma résume l’approche anaphylactique des maladies allergiques mais ne peut cependant rendre compte de l’ensemble des mécanismes impliquant les IgE dans les maladies respiratoires. En effet, il existe des arguments épidémiologiques, cliniques et biologiques démontrant que l’isotype E des immunoglobulines joue un rôle prépondérant dans certaines infections virales ou parasitaires, dans divers phénomènes inflammatoires dont certains liés au tabac, ainsi que dans l’asthme intrinsèque considéré comme non allergique. Certaines études suggèrent également un rôle dans l’hyperréactivité bronchique, indépendamment de la sensibilisation aux pneumallergènes. L’objectif de cette revue est de résumer les connaissances biologiques sur les IgE et de situer leur rôle dans les pathologies respiratoires.

Données biologiques récentes :

La réponse IgE :

Structure des IgE :

Les IgE sont des glycoprotéines de 190 kDa de masse moléculaire, composées de 2 chaînes lourdes et 2 chaînes légères. La structure des immunoglobulines E est comparable à celle des autres isotypes d’immunoglobulines. À l’instar des IgM, elles comportent 4 domaines constants, alors que les IgG, les IgA et les IgD n’en possèdent que 3. Les domaines variables (VDJ) confèrent la spécificité antigénique, et les domaines constants sont spécifiques de l’isotype IgE (Cε). Ces domaines forment la partie C-terminale de l’IgE et représentent la région de fixation sur un récepteur spécifique.

Les expériences utilisant des peptides recombinants, des mutagénèses dirigées ou des fragments protéolytiques correspondant à cette région, ont permis de mieux identifier la portion de l’IgE impliquée dans la relation ligand-récepteur. Les IgE se fixent aux récepteurs de haute affinité (FcεRI) et de basse affinité (FcεRII) par leur troisième domaine constant CH3. Les acides aminés de la molécule d’IgE impliqués dans la liaison au récepteur Fc∈?RI sont situés dans 3 boucles du troisième domaine constant et comportent Arg-408, Ser-411, Lys-415, Glu-452, Arg-465, et Met-469. En revanche les acides aminés indispensables à la fixation des IgE sur le récepteur FcεRII n’ont pas été clairement identifiés. Ces zones d’interaction représentent des cibles potentielles pour les traitements destinés à inhiber l’interaction IgE-récepteur.

Production des IgE :

Les cellules B expriment initialement des IgM à leur surface, puis au cours de leur différenciation, peuvent synthétiser et exprimer une autre classe d’immunoglobuline (IgE, IgA, IgG). Ce mécanisme, nommé commutation de classe, est en rapport avec une recombinaison d’ADN génomique permettant, dans le cas particulier des IgE, de joindre des séries de gènes VDJ, à l’origine des domaines variables, aux exons codant pour les domaines constants ε déterminant l’isotype. La synthèse des IgE, assurée par les lymphocytes B différenciés en plasmocytes, requiert deux types de signaux.

D’une part, elle nécessite la présence d’interleukine (IL)-4 et d’IL-13, permettant l’activation de la transcription. La stimulation des lymphocytes B par l’IL-13 serait plus prolongée que celle induite par l’IL-4, pouvant ainsi maintenir dans le temps une synthèse d’IgE exacerbée. L’IL-13 interviendrait directement dans le développement de l’hyperréactivité bronchique et de l’inflammation au cours de la maladie asthmatique. D’autre part, le second signal provient d’une interaction directe entre lymphocyte B et lymphocyte T, induisant les phénomènes de commutation isotypique. Ce contact intercellulaire dépend principalement de l’interaction entre une molécule d’adhésion exprimée par le lymphocyte B, le CD40, et son ligand, nommé CD40-L ou CD154.

Régulation cellulaire de la réponse à IgE :

La réponse à IgE peut être modulée par des facteurs stimulant ou freinant la synthèse de la molécule. Au-delà de l’effet isolé de ces facteurs, deux « systèmes » jouent un rôle fondamental dans la régulation de la réponse. D’une part, la dualité lymphocytaire Th1-Th2 semble primordiale et doit être interprétée comme une des origines de la dysrégulation observée chez le patient allergique. D’autre part, le CD23s, issu de l’autocatalyse du récepteur à basse affinité pour les IgE (FcεRII), constitue un élément de rétrocontrôle direct sur la synthèse d’IgE. En effet, la libération de CD23s est facilitée par l’absence de fixation d’IgE sur le récepteur en question exprimé par le lymphocyte B. Il en résulte une fixation de ce fragment de 37 kDa sur des ligands exprimés à la surface du lymphocyte B (IgE membranaires et CD21), induisant une activation cellulaire avec augmentation de la synthèse d’IgE et détournement du clone B de l’apoptose. En favorisant la synthèse d’IgE, le CD23s freine sa propre production car la saturation des FcεRII par les IgE diminue les possibilités de clivage de la fraction soluble du récepteur.

Interaction IgE – récepteurs :

Les IgE exercent leurs actions biologiques à travers leur fixation sur 2 types de récepteurs spécifiques :

– le récepteur à haute affinité pour les IgE (FcεRI) ;

– le récepteur à basse affinité pour les IgE (FcεRII ou CD23).

Fc ε RI :

Le récepteur à haute affinité est un tétramère (αβγ2), comportant une longue chaîne α avec 2 domaines appartenant à la superfamille des immunoglobulines, une chaîne β 4 fois transmembranaire et 2 chaînes courtes γ.

Le fragment Fc de l’IgE se fixe à la chaîne α de Fc∈RI. La chaîne β n’est pas toujours exprimée in vivo et aurait un rôle amplificateur du signal. Dans cette optique, le gène de cette chaîne β a été proposé comme un des gènes candidats de l’atopie. Les chaînes γ sont impliquées dans la signalisation. Le Fc∈RI est exprimé sur la membrane cellulaire des mastocytes et des polynucléaires basophiles, mais aussi à la surface des cellules présentatrices d’antigène (CPA), telles que les monocytes, les cellules de Langerhans, et les cellules dendritiques circulantes. Chez l’homme, la concentration de FcεRI sur les polynucléaires basophiles est corrélée aux taux sériques d’IgE, car la liaison IgE/FcεRI stabilise le récepteur à la surface cellulaire. De plus, les cellules de Langerhans de la peau expriment toutes les chaînes constituant le FcεRI chez le sujet normal et, de façon significativement plus importante, chez le malade souffrant d’allergie cutanée. Des résultats similaires ont été retrouvés au niveau des cellules dendritiques des voies aériennes. L’expression du FcεRI a été également rapportée sur les polynucléaires éosinophiles. Chez les malades asthmatiques, des travaux montrent que les éosinophiles tissulaires bronchiques sont susceptibles d’exprimer ce récepteur pendant la phase retardée d’une provocation allergénique.

Fc∈RII/CD23 :

Le récepteur à basse affinité pour les IgE possède une structure lectinique de type calcium-dépendant (type C), avec un domaine C-terminal extra-membranaire susceptible de fixer les molécules d’IgE, le récepteur CR2 du complément et d’autres structures de type intégrine. Les variants de l’extrémité N-terminale permettent de différencier 2 isoformes, dont la distribution cellulaire et le mode d’expression (inductible ou constitutionnel) sont différents. Ce récepteur se caractérise par différents sites de clivage dont l’autocatalyse se fait lorsque le récepteur est libre d’IgE, conduisant à la libération d’une fraction soluble (CD-23s) de 25 à 37 kDa en fonction du site de clivage.

Un grand nombre de cellules impliquées dans la réaction inflammatoire expriment FcεRII : polynucléaires éosinophiles, macrophages, plaquettes, cellules dendritiques. En outre, sa fonction biologique dépasse le cadre de la réponse à IgE. Outre le rôle de sa fraction clivable dans la modulation de la synthèse d’IgE, le CD23 intervient dans les mécanismes d’adhésion intercellulaire, la multiplication des lymphocytes B, la prolifération des précurseurs médullaires, la présentation antigénique, l’activation macrophagique.

Mécanismes de transduction :

Dans le cas des interactions par l’intermédiaire d’un récepteur, les IgE peuvent jouer un rôle en présence de l’antigène spécifique et il en résulte, la plupart du temps, une activation cellulaire et, dans certains cas, une internalisation de l’IgE spécifique. La 1re étape de l’activation cellulaire par l’intermédiaire de Fc εRI est une dimérisation du récepteur, suivi d’une phosphorylation rapide de résidus tyrosine localisés sur les chaînes β et γ de FcεRI. Cette phosphorylation se fait au niveau des motifs ITAM (immunoreceptor tyrosine-based activation motif), séquences intra-cytoplasmiques de 15 ou 16 acides aminés, constituées de résidus tyrosine (Y) et leucine (L) espacés de façon régulière (YXXL-Xn-YXXL). La phosphorylation des motifs ITAM des chaînes β est sous la dépendance de la protéine tyrosine kinase lyn. La liaison de la protéine tyrosine kinase syk aux ITAM des chaînes γ déclenche une succession de phosphorylations intra-cytoplasmiques pour de nombreux substrats, tels que tyrosine kinases (focal adhesion kinase et Bruton tyrosine kinase), inositol phosphatases (SHP1, SHP2, SHIP) phospholipases (PLC γ1 et PLC γ2), et protéine kinase C (PKC). Il a été montré que le taux sanguin de syk est indétectable lorsque les basophiles ne dégranulent pas, malgré la liaison IgE/Fc εRI.

Par ailleurs, cette cascade de signalisation dépendante de syk et lyn est contrebalancée par un système de tyrosine phosphatases. Les mécanismes de transduction du FcεRII sont moins bien documentés. Il semble néanmoins que l’isoforme a du Fc∈RII, exprimée par les lymphocytes B, utilise des signaux de transduction comparables à ceux du récepteur à haute affinité et, en en particulier, la voie de la phospholipase C. L’activation de l’isoforme b du FcεRII conduirait à une augmentation de l’AMPc. Enfin, l’IgE membranaire à la surface du lymphocyte B possède, comme les autres Ig membranaires, un complexe de transduction mettant en jeu les tyrosines kinases et la phosphatidylinositol 3-OH kinase. Des résultats obtenus avec des macrophages montrent l’engagement du facteur de transcription NF kappa B et l’induction de NO synthase.

Interactions récepteurs à IgE – récepteurs à IgG :

Outre les récepteurs pour les IgE, l’activation des cellules cibles des manifestations aiguës de l’allergie, telles que les mastocytes et les basophiles, est sous le contrôle des récepteurs aux autres isotypes d’immunoglobulines. En effet, l’inactivation du gène du récepteur de faible affinité pour les IgG, Fc γ RIIb, entraîne une augmentation des réactions de type anaphylactique chez la souris, indiquant que l’engagement de ce récepteur induit un signal d’inhibition de la dégranulation.

Cet effet négatif de l’action du Fc γ RIIb a été confirmé par des expériences sur des mastocytes et des polynucléaires basophiles. L’activation simultanée par l’antigène des FcεRI et des Fc γ RIIb, via les immunoglobulines E et G fixées à la surface des cellules, inhibe les signaux obtenus par l’engagement des FcεRI seuls. La dissection des mécanismes mis en jeu au niveau moléculaire a permis de montrer que les signaux positifs induits par FcεRI étaient dus aux motifs ITAM des chaînes γ. De façon symétrique, des motifs inhibiteurs de 13 acides aminés, appelés ITIM (immunoreceptor tyrosine-based inhibition motif ), ont été mis en évidence dans la région intra-cytoplasmique de FcγRIIb. La fonction biologique de FcγRIIb ne se limite pas à l’inhibition de l’activation des mastocytes via FcεRI. De façon récente, Il a été montré, dans des modèles animaux, que FcγRIIb est impliqué dans l’inhibition de la prolifération des mastocytes.

IgE, présentation antigénique et différenciation TH2 :

Présentation de l’antigène :

Lorsqu’un antigène pénètre dans l’organisme et qu’est induite une réaction inflammatoire spécifique de cet antigène, celui-ci va être présenté à un lymphocyte T par l’intermédiaire d’une cellule présentatrice de l’antigène (CPA). Dans le cas particulier d’une réaction immuno-allergique, l’antigène est un allergène et l’hôte est un allergique. La CPA peut être une cellule dendritique (DC), un monocyte, un macrophage, mais aussi un lymphocyte B, un éosinophile ou toute cellule capable d’exprimer à sa surface les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). S’il s’agit de molécules de classe I, la présentation se fera à un lymphocyte T CD8 +. S’il s’agit de molécules de classe II, ce seront des lymphocytes T CD4 + qui reconnaîtront le couple CMHantigène. La présence des récepteurs de haute affinité pour les IgE à la surface des DC, et des monocytes activés chez les sujets atopiques facilite la présentation, en permettant à ces cellules de capter l’antigène reconnu par les IgE fixées sur leur récepteur. C’est au cours de cette présentation de l’antigène qu’aura lieu la différenciation TH2 des lymphocytes T.

Action des cytokines :

Il est probable que tous les acteurs de la présentation de l’antigène prennent une part dans cette différenciation TH2 : le type de CPA, l’haplotype du CMH, l’antigène, le récepteur T, l’engagement de co-récepteurs entre la cellule T et la cellule présentatrice, et les cytokines déjà présentes au lieu de la présentation. Parmi celles-ci, l’IL-12 et l’IL-4 jouent un rôle primordial dans les différenciations TH1 et TH2 respectivement. L’IL-12 est produite par de nombreuses CPA, comme les macrophages, les cellules dendritiques et les monocytes activés. Elle agit sur un récepteur spécifique, dont il a été montré que la chaîne β n’était pas exprimée par les lymphocytes TH2. Ainsi, ces lymphocytes ne répondent pas à l’IL-12. Il reste à savoir si cette perte d’expression de la chaîne β du récepteur à l’IL-12 est une cause ou une conséquence de la différenciation TH2.

Il a récemment été montré que si la production d’IL-12 par les DC était effectivement fortement inductrice d’une différenciation TH1, la production d’IL-10 par ces cellules orientait la réponse dans un sens TH2. C’est ainsi que l’on parle de cellules DC1 et DC2 de façon parallèle aux lymphocytes TH1 et TH2. La production de médiateurs immunosuppresseurs par les DC, tels que l’IL-10 encore mais aussi le TGF- β indique qu’une troisième voie de différentiation des DC est possible, aboutissant à l’induction d’un troisième type de lymphocytes, immunorégulateurs, appelés Treg. Ces Treg induiraient une régulation négative des lymphocytes TH2 notamment en induisant la production par les CPA d’indoleamine 2, 3 dioxygènase (IDO), une enzyme impliquée dans le métabolisme du tryptophane, inhibitrice de l’activation des cellules T.

L’IL-4 est nécessaire à la différenciation TH2 des lymphocytes T. Des cellules effectrices de la réaction allergique, telles que les mastocytes, les basophiles ou les éosinophiles qui la synthétisent et/ou la stockent dans leurs granules pourraient induire cette différenciation. Par ailleurs, de petites populations lymphocytaires T très réactives et déjà commutées pourraient, en réponse à des antigènes endogènes, entraîner cette différenciation. Ainsi, dans certains cas, les lymphocytes T γδ, ou les lymphocytes T dits « naturels », dont le récepteur T reconnaît CD1d, une molécule endogène apparentée aux molécules de classe I, capable de présenter certains antigènes lipidiques, pourraient être impliqués. La présence de 1 % de cellules T circulantes exprimant de façon constitutive CCR3 (CC chemokine receptor 3), le récepteur de plusieurs chimiokines pro-éosinophiliques, étaye cette hypothèse du rôle de populations lymphocytaires T minoritaires dans l’organisation initiale de la réponse Th2.

L’IL-13 pourrait chez l’homme jouer un rôle proche de celui de l’IL-4. Ces deux cytokines partagent une sousunité commune de leurs récepteurs respectifs et, à l’intérieur de la cellule, utilisent la même voie de transduction, passant par la mise en jeu de la phosphorylation du facteur de transcription STAT 6.

Action des co-récepteurs :

Nous avons vu l’importance de certains récepteurs de cytokines (IL-12, IL-4, IL-13) et de chimiokines (CCR3) à la surface des lymphocytes T. D’autres récepteurs, présents à la surface des lymphocytes T ou à la surface des CPA, et dont les ligands sont présents respectivement à la surface des CPA ou des lymphocytes T, interviennent dans l’engagement dans la voie TH2.

CD28 et CTLA-4 sont exprimés sur les cellules T. Les 2 molécules peuvent se lier à B7-1 (CD 80) et B7-2 (CD86) présents sur les CPA. Selon les systèmes expérimentaux, ces deux couples de récepteurs ont des actions différentes sur l’orientation TH1 ou TH2. La mise en jeu de B7-2 favoriserait l’orientation TH2 de la réponse immune.

L’interaction de CD40 sur les CPA avec son ligand (CD40L) sur les cellules T semble impliquée dans la production d’IL-12 par les CPA et l’orientation TH1 de la réponse. Les lymphocytes B peuvent également intervenir dans la réaction immuno-allergique en tant que CPA. Ils expriment B7-1 et B7-2 et sont donc capables d’agir sur l’orientation de la réponse par l’intermédiaire de CD28 ou CTLA4. Il a été montré que les lymphocytes B circulant de sujets présentant un asthme allergique ont une expression accrue de B7-2 à leur surface par rapport à des sujets témoins, alors que B7-1 n’est pas différemment exprimé.

Un autre corécepteur présent sur les cellules T appelé ICOS est impliqué dans la différenciation de la réponse T, de façon variable selon son niveau d’expression. ICOS n’est exprimé que par les cellules activées et se trouve impliqué notamment dans l’activation des cellules Th2. Cependant, selon le degré d’expression d’ICOS, son engagement à la surface des cellules T peut résulter en une activation Th1 (production d’IFN- γ) lorsqu’il est faiblement exprimé, en une activation Th2 lorsqu’il est exprimé de façon intermédiaire (production d’IL-4) ou en une activation régulatrice (production d’IL-10) lorsqu’il est fortement exprimé. Son ligand, appelé B7RP-1 est présent à la surface des DC notamment.

Action des IgE sur la présentation antigénique :

L’expression par les CPA des récepteurs aux IgE, et donc l’implication des IgE dans les circonstances de la présentation, suggère que les IgE jouent un rôle dans la régulation initiale de la réponse allergique en modulant l’action des CPA et donc la différenciation T. Récemment, un travail du groupe de Bieber est venu éclairer cette action, au cours de la rhinite allergique. Les auteurs ont étudié trois groupes de patients : des patients atopiques asymptomatiques (AA), atopiques symptomatiques (AS) lors de l’exposition aux pollens de bouleau et/ou de graminées, et des sujets non atopiques. Ils montrent que l’augmentation d’expression de FcεRI sur les monocytes et des taux circulants d’IgE spécifiques est plus élevée chez les AA que chez les AS pendant la saison pollinique. De plus, ils montrent que les concentrations d’IDO et d’IL-10 varient parallèlement à ces paramètres. Ils proposent ainsi que l’activation des FcεRI à la surface des monocytes puisse entraîner la production d’IL-10, la différentiation de Treg et la production d’IDO par les CPA, rendant compte ainsi de l’absence de symptômes chez les AA. Ce rôle anti-inflammatoire de l’action des IgE à la surface des CPA reste cependant à être démontré.

IgE, muscle lisse bronchique et hyperréactivité bronchique :

L’hyperréactivité bronchique est un élément fondamental de la maladie asthmatique. In vitro, la technique de sensibilisation passive consistant à incuber une bronche humaine isolée dans du sérum de malade asthmatique riche en IgE permet de reproduire une hyperréactivité bronchique spécifique et non spécifique. Différents groupes ont ainsi démontré qu’il existe une relation étroite entre les IgE et la genèse d’une hyperréactivité bronchique non spécifique se traduisant par une modification de la réponse contractile à différents types d’agonistes tels que l’histamine, chlorure de potassium et tachykinines (substance P et neurokinine A).

In vivo chez l’homme, le support de l’hypersensibilité immédiate est représenté par les IgE se fixant sur des récepteurs spécifiques.

L’un des mécanismes cellulaires impliqués dans la sensibilisation passive dépend spécifiquement des IgE et fait probablement intervenir les mastocytes pulmonaires. Plus récemment, il a été montré que l’infiltration du muscle lisse bronchique par les mastocytes est corrélée avec la présence de trouble ventilatoire obstructif chez l’asthmatique. Ces expérimentations valident in vivo le concept d’interaction étroite entre IgE, mastocytes et cellules musculaires lisses des voies aériennes.

La cellule musculaire lisse bronchique est donc impliquée dans la physiopathologie de l’inflammation des voies aériennes et représente l’effecteur principal de la réponse contractile bronchique. Certains travaux suggèrent que les cellules musculaires lisses bronchiques elles-mêmes pourraient faire l’objet d’une fixation directe des IgE. Une équipe a en effet montré que le récepteur à basse affinité pour les IgE FcεRII serait exprimé sur les cellules musculaires lisses bronchiques humaines et de lapin. En outre, la sensibilisation passive serait susceptible d’augmenter l’expression de ce récepteur. Ces données n’ont pas été cependant confirmées à ce jour et les nombreux travaux évaluant la fixation des IgE au niveau des cellules de la paroi bronchique n’ont jamais rapporté cette observation.

Asthme dit intrinsèque :

Certaines formes cliniques de maladie asthmatique ne sont pas associées à un diagnostic d’atopie. Ces asthmes, dits « intrinsèques », se caractérisent par un âge de survenue tardif, une prédominance féminine et une réponse moindre à la corticothérapie inhalée.

Le rôle potentiel des IgE dans la physiopathologie de l’asthme « intrinsèque » n’est pas exclu. Les travaux d’Humbert et coll. révèlent que les acteurs biologiques impliqués dans la réponse aux IgE sont exprimés au sein de la muqueuse bronchique de ces sujets : FcεRI, IL-4 et IL-13, dont la production est augmentée à l’instar de l’asthme atopique. L’expression d’IL-4 est corrélée avec les concentrations sériques d’IgE, mais n’est pas liée aux signes cliniques témoignant de l’activité de la maladie asthmatique. L’ensemble de ces travaux montrent qu’il n’existe pas de différence majeure entre les asthmes « intrinsèques » et « extrinsèques », en terme de mécanisme physiopathologique. Ils tendent également à démontrer que les cytokines de type TH2 intervenant dans la réponse IgE participent à l’inflammation des voies aériennes, mais ne sont probablement pas les seules en cause.

Données épidémiologiques :

Les marqueurs de la réponse à IgE :

Le dosage des IgE sériques totales :

L’étude de la réponse globale à IgE peut être facilement étudiée en dosant la concentration totale de cette immunoglobuline dans le sérum. La concentration sérique des IgE circulantes étant infime (de l’ordre de 0,4 mg/l), le dosage sérique doit faire appel à des techniques sensibles et reproductibles.

À la différence des autres immunoglobulines, les dosages d’IgE totales sont exprimés en unités internationales (1 UI = 2,4 ng), par rapport à un étalon préparé par l’OMS. Les limites de détection varient entre 0,1 et 2 kUI/l. La concentration sérique des IgE totales est influencée par l’âge, l’ethnie, la saison, la consommation tabagique ou le statut immunitaire. De très nombreuses pathologies peuvent être responsables d’une élévation parfois très importante des IgE totales, ce qui diminue leur valeur prédictive comme dépistage des maladies allergiques chez un sujet donné. Par ailleurs, il est probable que la fraction circulante des IgE ne reflète pas suffisamment l’ensemble des immunoglobulines fixées, pour la plupart, à la surface des récepteurs de haute affinité.

Les tests cutanés :

L’étude de la réponse spécifique à IgE, in vivo ou in vitro, semble être un meilleur moyen d’étudier l’allergie dans les populations. Sur le plan pratique, deux méthodes sont utilisables : les tests cutanés et le dosage d’IgE spécifiques. Les tests cutanés permettent de reproduire localement la réponse à IgE et mettent en jeu les IgE fixées sur les cellules.

En effet, la liaison de l’allergène avec les IgE spécifiques induit une dégranulation des mastocytes cutanés et la libération des médiateurs qui s’en suit est responsable des phénomènes inflammatoires. Les prick-tests représentent la technique la plus utilisée en pratique courante : fiables et reproductibles, ils permettent d’obtenir des résultats sensibles et spécifiques. Ces tests cutanés consistent en l’application d’une goutte de solution d’extraits allergéniques à la surface de la peau, suivie d’une piqûre à l’aiguille fine. La lecture de la réaction cutanée (induration, érythème) s’effectue à 15-20 minutes. Cette méthode est simple, fiable mais pose le problème des critères de positivité qui sont variables d’une étude à l’autre. D’une manière générale, on considère que le test est positif à la 15e minute, lorsque le diamètre de la papule est supérieur à 3 mm et supérieur à 50 % du témoin positif.

Le dosage des IgE sériques spécifiques :

La mesure de la concentration en IgE spécifique de tel ou tel allergène est plus coûteuse et serait moins sensible, mais pose moins de problème de standardisation. Les techniques actuelles de dosage des IgE sont des techniques d’immunoanalyse de type extraction-saturation (sandwich) ou immunoprécipitation (particules de latex recouvertes d’anticorps). Pour les techniques de type extraction-saturation, la phase solide, support physique des réactions, est revêtue d’anticorps anti-IgE pour le dosage des IgE totales et couplée aux différents extraits allergéniques pour les dosages d’IgE spécifiques.

Données épidémiologiques dans la population générale :

En France et en Europe, peu de travaux épidémiologiques ont été rapportés dans la littérature concernant la distribution des IgE sériques totales et spécifiques en population générale. Les résultats les plus récents ont été obtenus grâce aux données de l’« European Community Health Respiratory Survey » (ECHRS), enquête menée dans 11 pays européens, dont la France ainsi que dans quelques pays d’autres continents.

Les objectifs principaux de cette étude multicentrique sont d’évaluer la prévalence de l’asthme et de l’hyperréactivité bronchique, les facteurs de risque d’asthme et les variations dans le traitement de l’asthme. Les données recueillies sont issues de questionnaires standardisés, tests cutanés, explorations fonctionnelles respiratoires, test à la métacholine et prélèvements sanguins et urinaires. Les IgE spécifiques étudiées sont dirigées contre Dermatophagoides pteronyssinus, les pollens, chat, Cladosporidium herbarum et un allergène local. Le calcul des taux de prévalence est ajusté selon l’âge et le sexe.

La prévalence d’une réponse positive à un taux d’IgE spécifique, qui définit l’atopie, varie entre 16 % à Albacete (Espagne) et 45 % à Christchurch (Nouvelle Zélande). La moyenne du taux sérique d’IgE totales varie entre 13,2 kU/L à Reykjavik (Islande) et 62,5 kU/L à Bordeaux (France). La concentration d’IgE totales sériques diminue progressivement avec l’âge. De plus, quel que soit l’âge, les femmes ont un taux sérique d’IgE totales diminué de 26 % par rapport aux hommes. En outre, il n’existe pas d’association entre la prévalence de l’atopie et la moyenne des concentrations d’IgE sériques totales. L’analyse en fonction de chaque allergène spécifique montre l’absence de corrélation entre la sensibilisation spécifique à un allergène et le taux d’IgE totales, à l’exception de D. pteronyssinus et P. judaica.

Cette étude de grande ampleur présente un intérêt essentiellement descriptif, en démontrant notamment les variations considérables de prévalence d’atopie selon les régions étudiées. Cette enquête permet également de confirmer le fait que la concentration IgE totale sérique ne constitue pas un marqueur fiable de l’atopie en population générale, comme cela avait pu être évoqué antérieurement.

De plus, les centres dans lesquels les taux de prévalence de maladie atopique sont les plus élevés sont les pays anglo-saxons. Cette distribution géographique est cohérente avec la répartition des symptômes d’asthme rapportés dans un travail issu de cette même enquête ECHRS. Cette corrélation entre atopie et symptomatologie d’asthme est intéressante, dans le sens où elle permet de valider les études épidémiologiques et fondamentales antérieures.

IgE et Maladies respiratoires :

Concentration sérique d’IgE et asthme :

Alors que les IgE totales ne constituent pas un marqueur sensible et spécifique de l’allergie, il existe une relation pertinente avec certains paramètres épidémiologiques de la maladie asthmatique. Il s’agit en fait d’une variable dont la distribution n’est pas normale et dont les valeurs doivent être transformées en logarithme pour être interprétables. Néanmoins, après transformation et ajustement selon l’âge et le sexe, les concentrations d’IgE totales semblent corrélées à la fréquence des symptômes d’asthme, indépendamment de la positivité des tests cutanés allergologiques, et au niveau d’hyperréactivité bronchique chez l’adulte et chez l’enfant.

De nombreuses études épidémiologiques montrent une association étroite entre la concentration sérique d’IgE, le risque de survenue d’un asthme et la prévalence d’une hyperréactivité bronchique. Par exemple, Peat et coll. ont montré que des adultes jeunes sensibilisés à des allergènes courants ont un risque augmenté de développer une hyperréactivité bronchique, même en l’absence de symptomatologie. De plus, des études longitudinales montrent que l’augmentation du taux d’IgE sériques est en rapport avec l’aggravation du déficit fonctionnel ventilatoire de sujets nonfumeurs, ex-fumeurs, ou fumeurs actifs. Ces travaux formulent l’hypothèse selon laquelle un taux élevé d’IgE sérique est un facteur de risque de maladie obstructive bronchique.

Cette liaison statistique ne repose pas sur un concept physiopathologique avéré, et doit donc être interprété avec prudence. Par ailleurs, l’absence de relation entre sensibilisation spécifique et fonction respiratoire est documentée dans la littérature. Cependant, une relation dose-réponse entre la concentration d’IgE anti-acariens et la diminution de la fonction ventilatoire a été mise en évidence chez l’adulte. De même, il semble exister, pour un nombre limité d’allergènes, une corrélation entre la concentration sérique d’IgE spécifiques et l’hyperréactivité bronchique chez l’adulte jeune. L’ensemble de ces données épidémiologiques confirme que les marqueurs biologiques de la réponse à IgE sont associés à certains phénotypes de la maladie asthmatique, sans que cette relation soit encore étayée par un mécanisme biologique confirmé.

Concentration d’IgE et tabagisme :

En moyenne, la concentration d’IgE totales chez le fumeur est supérieure à celle retrouvée chez le sujet nonfumeur. Concernant les IgE spécifiques, les résultats doivent être nuancés, dans le sens où il existe un effet sur la sensibilisation aux trophallergènes et aux allergènes professionnels. En revanche, les conséquences du tabagisme actif sur la réponse aux pneumallergènes sont variables en fonction des individus.

En effet, la plupart de ces réponses sont diminuées, hormis le cas de la sensibilisation aux acariens, qui est chez les fumeurs, soit inchangée, soit majorée, par rapport aux non-fumeurs. D’une manière plus générale, l’inhalation de fumée de cigarettes augmente l’hyperréactivité bronchique non spécifique et est un facteur de risque de pathologie respiratoire avec sifflements thoraciques. Néanmoins, il n’est pas démontré formellement que le tabagisme actif soit un facteur de risque de survenue d’asthme allergique. Les effets du tabagisme passif chez l’enfant ont fait l’objet de plusieurs études, dont les résultats sont contradictoires.

Selon Magnusson et coll, le tabagisme maternel induit une augmentation de la concentration d’IgE dans le sang du cordon et représente un facteur de risque modéré de développer des manifestations atopiques après l’âge de 18 mois. Ces observations n’ont pas été confirmées ultérieurement. S’il est avéré que les enfants nés de mère fumeuse sont à risque de développer une pathologie respiratoire pendant les premiers mois de la vie, cet effet diminue après l’âge de 3 ans et ne semble pas interférer avec la sensibilisation aux pneumallergènes. Les résultats de la récente étude de cohorte MAS (Multicenter Allergy Study) montrent en revanche que l’exposition pré- et postnatale au tabac est un facteur de risque de sensibilisation aux allergènes alimentaires. Au total, l’ensemble de ces données soulignent le fait que le tabagisme passif est associé à la survenue de pathologies respiratoires, notamment chez le nourrisson, mais n’augmente pas l’incidence des maladies atopiques.

Rôle des IgE dans les pathologies respiratoires :

Il est important de souligner que la sensibilisation à un allergène par le biais des IgE n’est pas synonyme de maladie allergique. De nombreux individus ont des tests positifs pour un allergène, sans exprimer des manifestations cliniques significatives en leur présence. Il est néanmoins probable que ces sujets développeront plus facilement une maladie allergique que les sujets non sensibilisés. Le marqueur potentiel d’une allergie devient alors le témoin d’un facteur de risque.

Rôle de l’exposition aux pneumallergènes et modulation de la sensibilisation IgE dépendante :

Effet aggravant de l’exposition allergénique :

Une fois le terrain atopique acquis, quels sont les effets de l’exposition allergénique dans la modulation de la sensibilisation IgE dépendante vis-à-vis de pneumallergènes ? Les données sont reproductibles tant dans les études transversales que prospectives pour les acariens dans lesquelles l’exposition allergénique a été comparée chez les sensibilisés et les témoins. Il existe une relation positive entre exposition et sensibilisation chez les enfants de la naissance à l’âge de trois ans, de cinq à douze ans et chez les adolescents de douze à quatorze ans. Cependant, le seuil de risque à 2 μg de Der p 1/g de poussière proposé par Kuehr n’est pas toujours vérifié.

En effet, dans son étude prospective, Wahn et coll. montrent que 3 % des enfants de familles d’atopiques développent une sensibilisation vis des acariens pour des taux d’allergènes du groupe 1 inférieurs à 2 μg/g de poussière. D’autres études plus anciennes se sont intéressées à l’évolution de biomarqueurs tels que les IgE ou les taux d’Eosinophil Cationic Protein (ECP) chez des mêmes patients allergiques exposés et non exposés aux acariens. Ainsi, des enfants allergiques aux acariens voyaient leurs taux d’IgE diminuer après 6 semaines passées à Briançon ou Misurina. Pour ce qui concerne les blattes, plusieurs études transversales ont souligné les liens entre exposition et sensibilisation. Des seuils de sensibilisation ont été proposés : 0,32 μg de Bla g 2/g ou 4 U de Bla g 1/g de poussière.

En ce qui concerne les allergènes de chat, les
données sont plus contradictoires. En effet, des liens entre les niveaux de concentration en Fel d 1 et la fréquence de sensibilisation sont retrouvés dans la seule étude prospective disponible actuellement. Cependant, dans de nombreuses études transversales, chez des enfants et des adolescents, cette relation n’est pas retrouvée.

Effet protecteur de l’exposition allergénique :

Dans une étude transversale portant sur 226 adolescents de 12-14 ans dont 47 étaient asthmatiques, Platts-Mills et coll. ne retrouvent pas de lien entre l’exposition à Fel d 1 et les taux d’Ig E anti-Fel d 1. Ils concluent que l’exposition à des concentrations croissantes d’allergènes de chat de 23 à 3 840 μg conduirait à l’apparition d’une réponse « Th2 dérivée » se manifestant par une synthèse d’IgG anti-Fel d 1 sans élévation des IgE. Contrairement aux allergènes d’acariens, l’exposition à de fortes doses d’allergènes de chat entraînerait uniquement une augmentation des IgG et pas des IgE. Il s’agirait d’IgG4, puisqu’une corrélation entre les taux d’IgG anti-Fel d 1 et les Ig G4 anti Fel d 1 a été retrouvée (r : 0,7) chez les patients. Il existerait une relation inverse entre la sensibilisation aux allergènes de chat et la présence de l’animal chez les enfants de moins de 7 ans (OR : 0,41, IC : 0,26-0,65) et entre 7 et 11 ans (OR : 0,44, IC : 0,31-0,61).

Rôle des cofacteurs :

Un certain nombre de cofacteurs pourraient intervenir. Ainsi, le tabagisme passif augmenterait le risque de sensibilisation vis-à-vis des acariens chez des adolescents atopiques. De même, l’exposition au formaldéhyde à domicile favoriserait la polysensibilisation. Le risque de sensibilisation serait multiplié par près de vingt chez des sujets sensibilisés au chat si, en plus de l’exposition à l’animal, s’ajoutent le tabagisme passif et la présence de double vitrage.

Au total, toutes les études semblent démontrer un lien entre exposition aux acariens et aux blattes et sensibilisation. Pour ce qui concerne les allergènes de chat, même si certaines études transversales semblent montrer un effet protecteur, la qualité de l’étude prospective berlinoise conduit à penser que l’exposition aux pneumallergènes de chat joue également un rôle aggravant dans la modulation des IgE spécifiques.

Relation exposition et symptômes :

La grande majorité des études s’intéressant au lien entre exposition aux pneumallergènes et symptômes a trait à l’asthme et, par conséquent, à l’effet des allergènes sur l’hyperréactivité bronchique, les symptômes d’asthme et la sévérité de la maladie. Concernant la rhinite, un nombre très limité d’études a été publié. Les premiers arguments en faveur de cette relation ont été rapportés par Altounyan et coll. qui ont montré, chez des sujets allergiques aux pollens, une augmentation de l’hyperréactivité bronchique non spécifique (HRBNS) lors de tests à l’histamine réalisés en période pollinique. Par la suite, Cockcroft et coll. ont confirmé ces résultats retrouvant une augmentation de l’HRBNS après des tests d’inhalation d’allergènes d’acariens, de chats ou de graminées, uniquement chez les sujets présentant une réponse bronchique tardive.

L’HRBNS varie selon le pneumallergène en cause : ainsi, le risque d’apparition de celle-ci sera multiplié par 4,8 en cas de sensibilisation et d’exposition aux pollens de bétulacées, par 7,2 pour les acariens, et par 11,7 pour le chat. À côté de ces études appréciant le risque de développement d’une HRBNS lors de l’exposition à des aéroallergènes, certaines enquêtes épidémiologiques ont montré le risque existant entre exposition allergénique et symptômes d’asthme.

Ainsi, Reid et coll. ont objectivé une corrélation entre l’hospitalisation aux urgences pour crise d’asthme et la saison de pollinisation des herbacées. Ces données sont corroborées par l’étude de O’Hollaren et coll. qui ont retrouvé que la moisissure Alternaria était responsable d’asthme grave, et que l’exposition à cet allergène augmentait de 200 fois le risque d’arrêt respiratoire par asthme.

Il en est de même pour les pneumallergènes de l’environnement intérieur. En effet, les études transversales et prospectives ont souligné la nécessité d’une sensibilisation préalable associée à une exposition pour l’apparition de symptômes.

Si la survenue de symptômes lors d’une exposition allergénique chez des sujets sensibilisés semble claire, la définition du seuil de déclenchement des manifestations cliniques est controversée. Cette valeur dépendra des méthodes de mesure de l’exposition allergénique qui variera en fonction de l’allergène considéré. En effet, les concentrations d’allergènes d’acariens retrouvés dans la poussière de maison ne correspondent pas à celles pénétrant réellement dans les voies aériennes. Ainsi, la quantité d’allergène nécessaire pour induire une réaction clinique avec les acariens serait différente de celle nécessaire avec les allergènes de chat.

Il existerait également des variations interindividuelles importantes pour les niveaux d’allergènes supposés provoquer des symptômes. Pour les acariens de la poussière domestique, les premières études qui ont suggéré le rôle de l’exposition allergénique sur les symptômes ont montré une amélioration de la symptomatologie d’asthme après éviction des allergènes lors de séjours dans des lieux appauvris en acariens.

La première publication est celle de Platts-Mills et coll. qui a montré, chez 9 sujets allergiques aux acariens, une amélioration des signes cliniques et une diminution de l’hyperréactivité bronchique de plus de deux doses doublantes en moyenne, après un séjour de deux mois dans un milieu hospitalier sans acariens. Ces constatations ont été confirmées par les études de Boner et coll. et de Peroni et coll. réalisées auprès d’enfants asthmatiques séjournant à 1 756 mètres d’altitude. Un aspect intéressant de ces dernières études est l’existence d’une récidive des symptômes et de l’aggravation de l’HRBNS lorsque les enfants séjournaient de nouveau dans leur domicile originel, riche en allergènes d’acariens, traduisant le rôle probable de ceux- ci dans la responsabilité de la symptomatologie d’asthme.

En revanche, pour l’allergène de chat, des données plus contradictoires sont publiées. En effet, la présence d’un chat dans les premières années de vie aurait un effet protecteur dans l’apparition de l’asthme à l’âge de 12-13 ans, même après exclusion des personnes qui s’étaient débarrassées de l’animal en raison de l’allergie de leur enfant (3,3 contre 8,5 %, p = 0,008). Enfin, il convient d’ajouter que le suivi de la cohorte de 939 enfants à Berlin a permis de démontrer le lien indirect entre l’exposition allergénique et l’asthme allergique par la modulation de la sensibilisation IgE dépendante. Ainsi, l’exposition à l’allergène lorsque le sujet est sensibilisé à cet allergène est un facteur de risque d’asthme. Les résultats de Roost et coll. montrent que chez les patients présentant un taux sérique d’IgE > 0,7 kU/L, le risque était augmenté pour l’asthme avec un OR de 2,49 (IC95 %, 1,29-4,82).

Aspergillose broncho-pulmonaire allergique :

L’aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA) est une maladie inflammatoire de diagnostic difficile, aucun signe clinique ou biologique n’étant spécifique de la maladie. Le principal mécanisme physiopathologique en cause est une réponse immunologique humorale polymorphe vis-à-vis d’Aspergillus fumigatus, localisé au niveau de l’arbre bronchique. L’augmentation de la concentration sérique d’IgE totales appartient aux critères diagnostiques de cette pathologie et l’existence d’une réponse IgE spécifique doit être recherchée.

La positivité des tests cutanés pour Aspergillus fumigatus est un critère nécessaire, mais non suffisant, pour le diagnostic d’ABPA. En effet, 25 % des patients asthmatiques ont des tests cutanés positifs pour Aspergillus fumigatus. La réponse à IgE totales est un marqueur utile pour évaluer l’activité de la maladie lors des phases aiguës et des phases d’exacerbations.

La valeur seuil est 417 kU/L (1 000 ng/mL) pour les sujets asthmatiques, et 1 000 kU/L pour les patients affectés de mucoviscidose. De plus, les IgE spécifiques anti-Aspergillus fumigatus (RAST) des patients affectés d’ABPA en phase d’exacerbation sont significativement plus élevées que celle des patients en phase de rémission.

À l’opposé des IgE totales, une augmentation du taux sérique d’IgE anti-Aspergillus fumigatus peut persister plusieurs mois après un infiltrat pulmonaire. Après traitement par itraconazole et à côté de l’amélioration clinique observée, la réponse à IgE semble diminuée de manière significative par comparaison avec des sujets traités par placebo. Les analyses des liquides de lavage bronchiolo-alvéolaire dans l’ABPA ont démontré, d’une part, le caractère polymorphe de la réaction humorale, et, d’autre part, une augmentation de la concentration d’IgE sériques, contrairement aux IgE totales.

IgE, cible thérapeutique :

Par analogie avec la vaccination, la désensibilisation, ou immunothérapie spécifique, consiste en l’administration d’extraits allergéniques à posologie croissante, par voie souscutanée ou sublinguale. Les mécanismes impliqués dans l’induction de cette réaction immunologique de tolérance demeurent encore largement inconnus. Néanmoins, il est démontré qu’il existe, au cours de la désensibilisation, une diminution de la production d’IgE spécifiques et une augmentation de la production d’IgG4.

Ce concept de théorie humorale repose également sur des travaux expérimentaux

En effet, la modification de la balance IgE/IgG4 pourrait être à l’origine d’une moindre dégranulation des mastocytes, la diminution de concentration des IgE à la surface membranaire diminuant la probabilité de coagrégation des Fc εRI, et donc de dégranulation. Par ailleurs, la réorientation des lymphocytes T auxiliaires vers une réponse Th1 contribue probablement à expliquer l’évolution de la réponse à IgE.

Les anti-IgE constituent une nouvelle classe médicamenteuse, dont le premier représentant, l’omalizumab (Xolair®), sera mis sur le marché en Europe dans un futur proche. Ce produit est disponible en France par autorisation temporaire d’utilisation (ATU), alors qu’il est commercialisé en Australie depuis 2002 et aux Etats-Unis depuis 2003 pour les asthmes persistants modérés à sévères.

Il s’agit d’un anticorps monoclonal, recombinant, humanisé, avec 95 % de séquences humaines et 5 % de séquences murines, permettant la reconnaissance des IgE humaines. L’anticorps se lie aux IgE circulantes et membranaires et mais ne reconnaît pas les IgE fixées sur leurs récepteurs spécifiques puisqu’il est dirigé contre le site de fixation des IgE sur les récepteurs Fc ∈. La formation d’un complexe avec les IgE permet d’inhiber leur fixation sur leur récepteur spécifique à la surface et l’activation cellulaire qui en découle. L’administration s’effectue par voie sous-cutanée selon un rythme mensuel ou bimensuel.

Les données cliniques dont on dispose concernent essentiellement des patients asthmatiques symptomatiques sous corticothérapie inhalée.

L’omalizumab permet d’obtenir une diminution de la fréquence des exacerbations de la maladie asthmatique, un moindre recours aux soins médicaux en urgence et aux hospitalisations, une diminution de la posologie des corticoïdes systémiques, une amélioration de la qualité de vie. Les données préliminaires de pharmacovigilance confirment que cette molécule est non anaphylactogène et peu immunogène. Des résultats intéressants ont été rapportés dans la rhinite allergique, les allergies alimentaires et les allergies au latex. La majorité de ces données est issue d’essais cliniques standardisés et doit être confirmée sur des études en population générale.

Conclusion :

Les IgE et leur interaction avec Fc∈RI sont au coeur des mécanismes de l’anaphylaxie mais aussi de la maladie asthmatique, peut-être indépendamment de son caractère extrinsèque.

Les IgE semblent également impliquées d’une manière plus générale dans les phénomènes inflammatoires des voies aériennes et la réponse à IgE serait influencée par le statut tabagique. Ces observations nécessitent des travaux de recherche complémentaires pour élucider les mécanismes physiopathologiques impliqués. En effet, l’avènement des thérapeutiques anti-IgE, jusqu’ici ciblées sur l’asthme allergique sévère, conduira à prendre en considérations d’autres indications thérapeutiques nécessitant comme préalable une meilleure compréhension biologique de l’effet des IgE en dehors des phénomènes d’hypersensibilité.

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