Les manifestations d’hypersensibilité peuvent revêtir
tous les degrés de gravité, depuis le simple désagrément
(prurit ou éternuements) jusqu’au décès par collapsus.
L’antigène déclenchant est fréquemment une molécule
dénuée de tout pouvoir pathogène, comme un pollen, un
médicament ou un aliment.
Dans ce contexte, l’antigène
est appelé allergène.
Sur la base chronologique de survenue
des manifestations par rapport au contact avec
l’allergène, on distingue classiquement 3 types d’hypersensibilité
: immédiate, intermédiaire et retardée.
Selon
des critères physiopathologiques, la classification de Gell et Coombs en dénombre 4.
Le type I relève d’un
mécanisme médié par l’IgE, les types II et III d’anticorps
non IgE et le type IV d’une réaction à médiation cellulaire.
Si les IgE sont en principe exclusivement impliquées
dans les manifestations d’hypersensibilité immédiate
de type I, les intrications entre ces mécanismes sont
fréquentes, associant, par exemple, une composante IgE
à une réponse cellulaire dans l’eczéma.
IgE
:
Les réagines décrites par Coca et Grove en 1921 étaient
responsables du transfert des manifestations cliniques
d’un sujet allergique à un sujet sain par la technique de
Prausnitz et Küstner.
Les IgE, supports de cette activité,
n’ont été découvertes qu’en 1967, bien après les IgM,
IgD, IgG et IgA.
Leur concentration, très faible dans les
liquides extracellulaires et en particulier dans le plasma,
n’avait pas permis d’en soupçonner l’existence.
La
protéine monoclonale ND à l’origine de l’identification
par Johanson de cette nouvelle classe d’anticorps a
permis d’en étudier la séquence, d’en extrapoler les
propriétés fonctionnelles et surtout de produire des anticorps
spécifiques permettant le dosage des IgE totales et
spécifiques, point de départ de l’essor de l’exploration
de l’hypersensibilité médiée par les IgE.
Les antigènes reconnus par ces IgE font partie pour la
plupart de notre environnement quotidien, comme les
pneumallergènes ou allergènes aéroportés, les trophallergènes
de l’alimentation, mais aussi les médicaments
et bien d’autres, y compris des auto-antigènes.
A - Structure des IgE :
Comme toutes les immunoglobulines, les IgE sont
constituées de 2 chaînes protéiques : 2 lourdes (H) e et
2 légères (L) k ou l, organisées en domaines d’environ
110 acides aminés chacun.
Cette organisation est retrouvée
dans d’autres molécules appartenant à la « superfamille
des Ig », (cytokines, récepteurs, etc.).
La chaîne lourde e
comporte 5 domaines : 1 domaine variable (VH) différent
d’une molécule à l’autre et 4 domaines constants (CH)
conservés, soit un de plus que la molécule de référence :
l’IgG.
Elle ne possède pas de région charnière à proprement
parler, ce qui peut être à l’origine d’une certaine rigidité,
et sa teneur élevée en sucres est voisine de 12 %.
Les
séquences d’acides aminés spécifiques reconnues par
des anticorps monoclonaux qui servent à l’identification
et au dosage de cette classe d’immunoglobuline sont
localisées sur les domaines constants de la chaîne lourde e.
Les IgE ne fixent pas le complément et ne traversent pas
le placenta.
Elles exercent leurs effets biologiques grâce
à la liaison d’une courte séquence de leur domaine CHe2
et CHe3 avec des récepteurs cellulaires membranaires
spécifiques : les Fce-R.
L’interaction IgE-allergène-FceR entraîne dans certaines conditions l’activation des
cellules, génératrices alors des effets caractéristiques de
l’hypersensibilité.
L’IgE, beaucoup plus sensible que les IgG à la dégradation
par les enzymes protéolytiques, perd sa capacité à se lier
à son récepteur spécifique par simple chauffage à 56 °C.
B - Biosynthèse des IgE :
Le sujet atopique ne semble pas présenter un répertoire
anticorps particulier.
En effet, l’ADN de chaque précurseur
de lymphocyte B subit un premier réarrangement
génique associant strictement au hasard un gène VH à
un gène DH et à un gène JH.
La juxtaposition VDJ,
résultant de cet arrangement génique code l’extrémité N
terminale de la future chaîne lourde e qui s’associe au
produit du réarrangement VJ de la chaîne légère, pour
former le site anticorps.
Après une courte phase de
maturation par accumulation de mutations améliorant la
spécificité vis-à-vis de l’antigène, ce bloc d’ADN réarrangé
se transmettra inchangé à toutes les cellules filles
qui exprimeront la même spécificité anticorps.
Les
seules modifications ultérieures possibles seront le
changement de partie constante, c’est-à-dire d’isotype.
Dans un premier temps, le bloc VDJ est associé à la
partie constante d’une IgM, anticorps dit de réponse
primaire, exprimé à la membrane du lymphocyte B.
L’interaction de cette immunoglobuline avec l’épitope
de l’antigène va, en coopération avec des lymphocytes T
CD4, initier une réponse immune spécifique. Une
majorité des lymphocytes B impliqués se divisera et se
différenciera en plasmocytes producteurs de l’anticorps
IgM retrouvé dans les liquides extracellulaires.
Une
minorité donnera des cellules mémoires, perpétuant la
possibilité de développer une réponse spécifique rapide
et amplifiée à l’occasion d’une nouvelle rencontre avec
l’antigène.
Ces cellules mémoires vont produire une
molécule de même activité anticorps, mais avec une
partie constante différente : c’est le phénomène de
commutation ou switch, caractéristique de la réponse
secondaire.
À une IgM succédera le plus souvent une
IgG, parfois une IgE à l’origine d’une hypersensibilité.
La commutation peut aussi se produire d’une IgG vers
une IgE.
L’atopie serait l’aptitude à la commutation vers
l’IgE et non à générer des activités anticorps spécifiques
d’allergènes.
C - Mécanismes de la commutation IgE :
Trois types d’interactions moléculaires et cellulaires au
moins gouvernent la commutation IgE : l’action des
interleukines IL-4 et IL-13, l’interaction CD40/CD40L,
et CD23/CD21.
1- IL-4 et IL-13
:
Le rôle initiateur de l’IL-4 dans la commutation IgE est
primordial mais insuffisant à lui seul.
L’IL-4, en se liant
à son récepteur spécifique l’IL-4R sur les lymphocytes
B, induit la transduction d’un signal impliquant les JAK
kinases et aboutissant à la translocation nucléaire d’une
molécule STAT6 qui se lie à son tour au promoteur de Ie
en amont de la zone CeH.
La synthèse de ce transcrit Ie non traduit est une étape importante dans la commutation IgE.
L’IL-4 provient de l’environnement immédiat :
lymphocytes CD4/Th2, mais aussi mastocytes, basophiles,
éosinophiles et cellules NK qui en relarguent
dans leur environnement.
Pour les lymphocytes T CD4
se pose le problème du déséquilibre de la balance
Th1/Th2 en faveur des Th2 dans l’atopie et pour les
autres cellules productrices d’IL-4 du phénomène d’autoentretien
et d’amplification d’une réponse IgE déjà
installée.
Les mastocytes et certains éosinophiles peuvent
de plus jouer le rôle de cellules présentatrices d’antigène
(CPA) et coopérer avec des lymphocytes B à la place des
T CD4 pour leur délivrer les signaux orientant la réponse
vers l’isotype IgE.
L’IL-4 induit également l’expression
du récepteur de faible affinité pour les IgE (CD23)
qui joue lui aussi un rôle dans la régulation de l’expression
des IgE.
Chez l’homme, l’IL-13 a des effets superposables à
ceux de l’IL-4.
Si l’IL-4 peut se lier au récepteur de
l’IL-13 par la chaîne IL-4Ra qu’ils partagent, l’inverse
n’est pas possible.
Les souris ne possédant pas sur leurs
lymphocytes T ce récepteur, il n’est pas possible d’extrapoler
à l’homme les résultats obtenus in vivo chez cet
animal.
L’invalidation du gène de la molécule de transduction
du signal STAT6 abolit la production d’IgE et
confirme le rôle capital de la voie de l’IL-4R et de l’IL-4
dans la commutation IgE.
In vitro, l’effet de l’IL-4 peut
être antagonisé par les interférons g et a ainsi que par les
prostaglandines E2.
2- Couple CD40/CD40L
:
Le marqueur CD40 est exprimé de façon constitutive à
la membrane des lymphocytes B et son ligand CD40L
inductible sur les lymphocytes T CD4 comme sur les
mastocytes.
L’interaction CD40/CD40L active les
lymphocytes B, lui permettant d’exprimer des isotypes
autres que l’IgM.
Les anomalies de l’un ou l’autre de
ces partenaires ou des voies de signalisation que leur
interaction induit dans les lymphocytes B sont responsables
du syndrome hyper-IgM et donc de l’impossibilité
d’une commutation en un autre isotype.
L’interaction
CD40/CD40L au cours du processus de coopération
cellulaire entre lymphocyte B et T CD4 est nécessaire
mais non spécifique pour l’expression des IgE.
3- Couple CD23/CD21
:
Le récepteur de faible affinité pour les domaines Ce3
et Ce4 des IgE-FceRII est identique au CD23, décrit
initialement comme une protéine induite par le virus
Epstein-Barr (EBV) infestant les lymphocytes B.
Il est
présent sous forme d’un homotrimère membranaire à la
surface des lymphocytes B et T, des cellules présentatrices,
des éosinophiles et de bien d’autres cellules.
Il joue un
rôle en amont dans la production des IgE et en aval dans
la génération de médiateurs de l’inflammation, par les
éosinophiles en particulier.
L’IL-4 induit l’expression de
CD23 qui concourt à l’activation du lymphocyte B par
sa liaison avec le CD21, lui-même lié à CD19 associé au
récepteur B. Un pontage peut aussi avoir lieu entre le CD23 membranaire d’un T CD4 et l’IgE de membrane
d’un lymphocyte B aboutissant au même effet activateur.
La présence dans l’environnement cellulaire de formes
solubles de CD23 et d’IgE peut interférer avec ces interactions
membranaires et moduler la réponse IgE.
La
manipulation génétique d’animaux et l’utilisation d’anticorps
anti-CD23 devrait permettre une meilleure compréhension
du rôle encore mal connu de CD23.
Alors
que la description initiale rapportait une augmentation
nette de la production des IgE, des modèles récents de
souris invalidées pour le gène de CD23 ont fourni des
résultats discordants, probablement en raison de fonds
génétiques différents.
Des animaux transgéniques surexprimant
la forme membranaire de CD23 au niveau de
leurs lymphocytes T et B, et n’exprimant pas la forme
soluble, ont une diminution très nette de la production
des IgE.
C’est dire que le rôle exact de CD23 reste
encore à démontrer.
Génération des manifestations
cliniques médiées par les récepteurs
des IgE :
Les IgE ne peuvent jouer un rôle dans l’hypersensibilité
que par leur capacité à entraîner l’activation des mastocytes,
des basophiles et des éosinophiles et peut-être
d’autres cellules.
C’est le type de récepteur FceRI et
FceRII et la nature des cellules qui conditionneront les
effets pathogènes.
A - FceRI :
Le FceRI ou récepteur de haute affinité (constante de
dissociation de 10-9 à 10-10 M) est fait de 3 variétés de
chaînes : 1 chaîne a, 1 b, et 2 g. La chaîne a lie l’IgE par
la zone située entre les deux domaines a1 et a2 extramembranaires.
Les chaînes b et g servent à la transduction
du signal.
La partie extérieure de la chaîne a est composée
de 2 domaines Ig-like de 85 acides aminés chacun qui
contrastent avec la taille habituelle de 110 acides aminés
de la plupart des domaines des molécules de la superfamille
des immunoglobulines.
Onze acides aminés du
domaine a1 et 17 du domaine a2 délimitent une sorte de
cavité qui lie le domaine Ce3 de l’IgE.
Deux tryptophanes
au moins jouent un rôle capital dans cette liaison.
De même, 7 positions glycosylées situées à distance de
la zone d’interaction sont capitales pour empêcher
l’agrégation spontanée de 2 récepteurs voisins qui
entraînerait l’activation cellulaire.
La liaison de l’IgE à
son récepteur constitue une entité stable à vie longue à la
surface de la cellule.
Comme les récepteurs ont fixé les IgE au hasard de leur disponibilité dans leur environnement
cellulaire, chaque mastocyte porte à sa surface
des milliers de molécules IgE différentes représentant le
spectre des spécificités produites par l’individu.
Chaque FceRI lie une seule molécule d’IgE, ce qui, contrairement
à la plupart des récepteurs, ne suffit pas à entraîner
l’activation cellulaire.
Pour ce faire, les séquences ITAMs (Immunoreceptors tyrosin-based activation motifs) de la
partie intracytoplasmique des chaînes b et g doivent se
rapprocher et se maintenir côte à côte.
Le pontage par un
allergène entre 2 IgE proches fixées à leur récepteur
assure cette contrainte physique.
Les séquences ITAM
sont alors phosphorylées et la cascade d’activation
intracellulaire se poursuit, entraînant l’augmentation du
calcium intracytoplasmique et la translocation nucléaire
de facteurs activateurs de gènes.
Les effets de cette activation des basophiles et des
mastocytes sont bien connus.
Ils sont la conséquence de
la libération de médiateurs préformés qui survient dès
les premières minutes après le stimulus et de médiateurs
néoformés libérés plus tardivement.
Les principaux
médiateurs préformés sont : l’histamine, les protéoglycanes,
les protéases (tryptase, carboxypeptidase,
chymase) et des peptides chimiotactiques.
À l’instar de
l’histamine qui agit via les récepteurs H1 et H2 sur les
cellules musculaires lisses ou les cellules sécrétoires, ils
entraînent des manifestations assez stéréotypées quel
que soit l’allergène déclenchant le processus.
La phase
secondaire dont les effets peuvent perdurer plusieurs
heures est essentiellement due à la synthèse de prostaglandines
et surtout de leucotriènes dérivés de l’acide
arachidonique, ainsi que du PAF (platelet activating
factor)-acéther.
L’activation du mastocyte est également
responsable de la synthèse et de l’excrétion de nombreuses
cytokines dont en particulier l’IL-4, l’IL-5 et l’IL-6 qui
amplifient et entretiennent la réponse IgE, ainsi que le
recrutement des éosinophiles.
L’activation cellulaire peut aussi résulter d’un pontage
par un anticorps anti-IgE ou directement par un antirécepteur,
en absence de tout allergène.
B - FceRII :
Il est radicalement différent du FceRI et de la plupart
des autres récepteurs impliqués en immunologie.
Il
appartient à la famille des lectines de type C et aux
protéines membranaires de type II.
La liaison avec l’IgE
a lieu au niveau de son extrémité la plus externe grâce
à une séquence peptidique DGR complémentaire de la
séquence d’adhésion type fibronectine RGD.
Il est
présent essentiellement sur les éosinophiles, mais aussi
les macrophages alvéolaires, les plaquettes.
Les interactions FceRII/IgE sont trop faibles pour assurer la
stabilité d’un complexe unitaire IgE-récepteur.
Il faut la
sommation de liaisons unitairement faibles entre plusieurs IgE et plusieurs récepteurs pour que le rapprochement
qui en résulte ait une durée de vie suffisante
et entraîne l’activation de la cellule.
La condition est
remplie lorsque des IgE solubles se complexent directement
à l’allergène et du fait de leur multivalence peuvent
alors se fixer sur la cellule ou lorsque que des épitopes
sont nombreux et proches par exemple à la surface d’un
parasite.
L’activation des éosinophiles entraîne de puissants
effets cytotoxiques et inflammatoires particulièrement
efficaces pour la destruction des Helminthes.
Les plus
connus de ces médiateurs sont : la protéine cationique des éosinophiles (ECP), la neurotoxine dérivée des
éosinophiles (EDN), la protéine basique majeure (MBP)
et la peroxydase de l’éosinophile (EPO).
Rôle des IgE dans l’hypersensibilité
:
A - L’IgE joue le rôle d’anticorps
:
Deux situations peuvent être rencontrées : l’antigène est
étranger à l’organisme (pollen, aliment, médicament, en
d’autres termes un allergène banal) ou, plus rarement et
moins classique, l’antigène est un auto-antigène.
Les IgE anti-allergènes génèrent des réactions d’hypersensibilité
en initiant l’activation des basophiles, mastocytes
et éosinophiles via leurs récepteurs spécifiques.
L’IgE libre dans l’espace extracellulaire se lie de façon
stable au récepteur de forte affinité FceRI des basophiles,
des mastocytes et de certains éosinophiles.
Ainsi
revêtues d’IgE, ces cellules sont à la merci d’une rencontre
avec l’allergène natif ou ses métabolites.
L’agrégation
de récepteurs consécutive à l’établissement d’une liaison antigène-anticorps entre l’IgE et l’allergène n’est possible
que si ce dernier est au minimum divalent.
En d’autres
termes, il doit exprimer au moins 2 épitopes, identiques
ou différents pour lier 2 molécules d’IgE.
Cette
contrainte est facilement réalisée lorsque l’allergène est
une grosse molécule native ou partiellement dégradée.
Par contre, lorsqu’il s’agit d’une petite molécule comme
un médicament, jouant le rôle d’haptène monovalent, la
condition n’est plus remplie et l’activation peut même
être inhibée.
Mais en réalité, elle peut avoir lieu si cet
haptène ou plusieurs haptènes différents se fixent sur
une même molécule porteuse qui deviendra le maillon
physique indispensable au rapprochement et à l’agrégation
de plusieurs récepteurs.
La seule présence d’IgE
spécifiques ne suffit donc pas pour générer des manifestations
cliniques.
La conformation moléculaire, entre
autres de l’allergène, conditionne l’activation cellulaire.
De plus, les effets des médiateurs libérés sont soumis à
leur biodisponibilité.
L’IgE membranaire peut aussi initier l’internalisation
de l’allergène dans un processus de présentation à un
lymphocyte T CD4. Le mastocyte et même l’éosinophile
ont cette capacité.
En produisant de l’IL-4, ils orienteront
la réponse lymphocytaire vers le pôle T CD4 Th2 et
contribueront ainsi à l’auto-entretien et à l’amplification
d’une réponse de type IgE.
De même les lymphocytes B
exprimant des IgE de membrane pourront lier l’allergène,
l’internaliser et jouer à la fois le rôle de cellule
présentatrice à un lymphocyte T CD4 qui induira leur
prolifération et leur différenciation en plasmocytes
producteurs de cette même IgE.
L’IgE ne peut que
favoriser et entretenir l’hypersensibilité.
Mais à côté des IgE anti-allergènes, des IgE autoanticorps
présentant une réaction croisée avec des antigènes
d’origine végétale animale ou bactérienne ont été
décrites dans l’eczéma atopique et dans la pemphigoïde
bulleuse.
B - L’IgE pourrait aussi jouer le rôle
d’antigène
:
C’est une autre face cachée de l’hypersensibilité qui
relève aussi de mécanismes auto-immuns et qui serait
susceptible de bénéficier d’une approche thérapeutique
différente.
Des auto-anticorps anti-IgE ont été rapportés
dans la littérature à la fin des années 1980, avec
parfois des fréquences très élevées de l’ordre de 20%
chez les sujets en bonne santé et les asthmatiques, et
de 80 % chez des patients atteints d’eczéma chronique.
Les données récentes rapportent des chiffres beaucoup
plus faibles chez les sujets en bonne santé et dans
la plupart des hypersensibilités, mais avec toujours
l’exception de l’urticaire chronique (ou récidivante) où
l’on observe des fréquences élevées.
Mais, pour des
raisons techniques, il est difficile de faire la part de ce
qui relève de véritables auto-anticorps anti-IgE et
d’anti-FceRIa beaucoup plus fréquents, qui ont les
mêmes effets d’activation cellulaire in vitro et probablement
in vivo.
La mise en évidence de ces anticorps
repose sur des techniques souvent indirectes par
mesure d’un effet d’activation sur des cellules témoins.
La disponibilité d’outils d’investigation performants
serait certainement d’un grand apport diagnostique ne
serait-ce que pour subdiviser ces pathologies en autoimmunes
et allergiques justifiant des thérapeutiques
adaptées.
La présence incontestée, dans ces affections cutanées,
d’une forte contribution auto-immune pose, par analogie,
la question, en pathologie respiratoire, de la subdivision
ancienne de l’asthme en formes extrinsèque et intrinsèque.
Cette dernière, caractérisée par l’absence d’IgE spécifiques
de pneumallergènes, n’a cependant pas de particularités
propres accréditant un statut différent, mais un
mécanisme auto-immun ne peut être écarté.
Enfin, des IgM et des IgG anti-IgE ont été retrouvées
dans le lupus et pourraient être à l’origine de lésions
articulaires et vasculaires.
Contribution génétique
:
Parmi les nombreux gènes candidats impliqués dans
l’atopie et l’hypersensibilité, 3 régions des chromosomes
5, 11 et 12 semblent fortement impliqués
dans la production des taux élevés d’IgE.
Sur le chromosome
5, la liaison est forte avec la région codant en
particulier pour les interleukines IL-4 et IL-13 dont on a
vu l’implication directe dans la production des IgE.
L’hypothèse d’une mutation de la région promotrice
responsable d’une forte expression du gène en aval
pourrait, si elle était démontrée, apporter une contribution
décisive à la compréhension de la physiopathologie
de l’atopie.
En l’absence de moyens d’investigation
pertinents au niveau génique, le rôle des IgE
dans l’atopie et l’hypersensibilité ne peut être abordé
en pratique que par le dosage des IgE totales et des IgE
spécifiques.
Contribution du laboratoire
de routine à la mise en évidence
du rôle des IgE dans l’atopie
et l’hypersensibilité
:
Le taux des IgE totales ainsi que des IgE spécifiques
dépend en partie des sollicitations allergéniques
auquelles est soumis l’organisme avec, pour preuve, les
variations saisonnières montrant chez les individus sensibilisés
à des pollens une élévation des taux des IgE en
période de pic pollinique et une diminution en dehors.
De même, la diminution très significative du niveau
d’exposition à des acariens de poussière de maison,
entraîne des baisses significatives du taux des IgE
spécifiques.
Mais, en pratique, les variations observées
sont peu informatives à l’échelle individuelle. L’intérêt
du dosage des IgE est ailleurs.
Dosage des IgE
:
La demi-vie des IgE libres est de 2,5 j lorsque les taux
circulants sont normaux et sensiblement plus longue
pour des taux élevés.
Pour la forme liée aux cellules, elle
est d’environ 15 j.
Les taux circulants d’IgE libres représentent
environ 30 % du total des IgE et 65 % pour les
taux très élevés comme dans les syndromes d’hyper IgE.
Étant donné ce turn over rapide et le relatif équilibre entre
la phase libre accessible par une ponction veineuse et la
phase liée tissulaire impliquée dans les manifestations
cliniques, un simple dosage sérique est informatif de
l’état actuel d’un individu.
1- IgE totales
:
De très nombreux travaux ont été consacrés à la
définition de valeurs normales chez l’adulte et chez l’enfant
en apparente bonne santé ainsi que dans
différents groupes de malades atopiques et allergiques,
ou atteints de maladies parasitaires, rhumatologiques
et bien d’autres.
Toutes les études soulignent la grande
disparité des valeurs au sein d’un même groupe et le
chevauchement des taux observés d’un groupe à l’autre,
minimisant la portée diagnostique d’un dosage individuel
des IgE totales pour définir un état ou prédire un
risque.
Depuis les années 1980, de nombreuses
recherches ont été effectuées chez le nouveau-né pour
dégager des informations prédictives d’atopie ou
d’hypersensibilité.
Chez le nouveau-né normal, le taux
des IgE totales est inférieur à une unité.
Le mois de
naissance (taux augmentés pour les enfants nés en
automne et hiver), le sexe (taux plus élevés chez
les garçons), l’ethnie, mais plus vraisemblablement
l’environnement et le niveau socio-économique, et bien
d’autres facteurs influencent les taux mesurés à la
naissance.
Compte tenu de tous ces paramètres, des taux
élevés à la naissance sont en faveur d’un terrain atopique et de la survenue ultérieure d’un asthme ou
d’une hypersensibilité alimentaire.
Les taux d’IgE
totales sont régulièrement croissants avec l’âge pour atteindre un maximum vers l’âge de 10 ans et baisser
légèrement ensuite pour se stabiliser à l’âge adulte.
De
façon plus ou moins consensuelle, la limite supérieure
du taux normal des IgE chez l’adulte est de l’ordre
de 130 kU/L.
Des taux supérieurs, en dehors bien
évidemment de certaines parasitoses bien connues pour
entraîner une augmentation importante des IgE, sont en
faveur d’une atopie.
D’ailleurs, comme on l’a déjà dit,
une élévation du taux de ces IgE fait partie de la définition
même de l’atopie. Par contre, il existe d’authentiques
hypersensibilités IgE médiées, chez des patients dont le
taux des IgE totales est strictement normal.
Les IgE
totales ont été également dosées dans différents liquides
biologiques : les sécrétions, la salive y compris la sueur,
les larmes chez le sujet normal et dans différents
contextes pathologiques pour une contribution diagnostique
des plus minimes.
2- IgE spécifiques
:
Leur implication directe dans la genèse des manifestations
d’hypersensibilité de type I fait en principe de leur
dosage un élément clé du diagnostic.
Cependant, il faut
tempérer cette affirmation à la lumière de nombreux cas
où la présence d’IgE spécifiques d’un allergène ne
s’accompagne pas de manifestations cliniques.
On parle
alors de sensibilisation du sujet.
À cela, plusieurs hypothèses,
non biodisponibilité de l’allergène, existence
d’anticorps spécifiques non IgE en compétition avec ces
derniers, génération inefficace des médiateurs ou de
leurs inhibiteurs naturels.
Mais le manque d’informativité
du dosage des IgE spécifiques relève aussi d’une absence
de définition de seuils de positivité pertinents basés sur
des valeurs prédictives positives et négatives, clairement
établis pour chaque allergène.
En effet, quel que soit
l’allergène, le seuil de positivité est de 0,35 kU/L.
Ce
seuil garantit pour certains allergènes une excellente
sensibilité, au détriment d’une spécificité acceptable.
Il
conviendrait de définir des seuils assurant un compromis
acceptable entre ces 2 paramètres.
Quelques rares études
bien documentées démontrent que, pour chaque allergène,
il faudrait définir un seuil spécifique qui, dans certains
cas, se situe à des valeurs plus de 10 fois supérieures au
seuil universel de 0,35 kU/L.
Le traitement peut-il minimiser
le rôle des IgE ?
En préambule, il faut signaler le paradoxe des traitements
actuels à visée surtout symptomatique par les
glucocorticoïdes et les agonistes b-adrénergiques qui
augmentent le taux circulants d’IgE.
À l’opposé, des
médicaments conventionnels comme le chromoglycate
et le nédocromil de sodium pourraient avoir, entre autres,
un effet bénéfique en diminuant la synthèse des IgE.
En raison de leur relative inefficacité sur la réponse anticorps
et surtout de leurs effets secondaires, les immunosuppresseurs
classiques ne sont pas envisageables.
De
même, comme dans d’autres pathologies, la déviation d’une réponse Th2 vers Th1 ne peut se concevoir dans
sa globalité, les 2 types de réponse étant bénéfiques et
adaptés à des situations et des antigènes particuliers.
Par
contre, coupler l’utilisation de cytokines orientant vers
une réponse Th1, comme l’IL-2 (interleukine) ou l’IFNg
(interféron) avec des stimulations spécifiques d’un allergène
sont envisageables. Dans des contextes pathologiques
suffisamment graves : dermatite atopique sévère,
syndrome d’hyper-IgE, le recours à l’interféron se justifie
mais les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances.
Une diminution significative du niveau de production
des IgE et une amélioration nette de la symptomatologie
sont obtenues mais de façon transitoire. Plus en aval,
l’inhibition de l’IL-4 pourrait se révéler utile.
Plusieurs
approches sont possibles.
La première est d’utiliser une
forme d’IL-4 mutée capable de se lier à son récepteur
avec une forte affinité et incapable d’initier une transduction
du signal.
Chez le singe, cette molécule s’est
montrée efficace dans un modèle d’hyperréactivité
bronchique.
Les autres voies sont l’utilisation de formes
solubles du récepteur pour l’IL-4 ou l’emploi d’anticorps
bloquant soit l’IL-4, soit le récepteur à l’IL-4.
De
tels anticorps bloquants sont efficaces dans des modèles
murins, de même des formes solubles du récepteur de
l’IL-4. Enfin, l’utilisation de SOCS-1 inhibiteur de
STAT-6 pourrait s’avérer utile en thérapeutique.
L’intervention thérapeutique peut concerner directement
les IgE, soit en bloquant leur capacité de liaison aux
récepteurs par une forme recombinante de celui-ci, soit
par l’utilisation d’anti-IgE.
Plusieurs anti-IgE font
l’objet d’essais cliniques.
En ciblant le site de liaison de
l’IgE avec ses récepteurs, ces anticorps empêchent sa
fixation aux cellules inhibant toute activation des cellules effectrices.
Ils ne peuvent réagir avec une IgE
déjà fixée sur une cellule puisque évitant ainsi une
activation cellulaire qui serait particulièrement délétère.
De plus, pour développer une action thérapeutique efficace,
ils doivent si possible lier les IgE de membrane des
lymphocytes B pour entraîner soit leur apoptose, soit
leur mort par cytotoxicité.
De tels anticorps chimériques
ou humanisés ont été produits à partir d’anticorps monoclonaux
de souris.
L’administration d’une simple dose
entraîne un abaissement quasi immédiat des IgE circulantes.
En fait, les taux mesurés sont faussés par la persistance
d’IgE complexées à l’anti-IgE qui en fait sousestimer
la concentration.
Les essais cliniques de phase II
dans la rhinite et l’asthme ont rapporté des effets bénéfiques
significatifs.
Mais l’efficacité dépendant de la dose
ne dure que le temps de l’administration de l’anticorps.
Pour y pallier, des stratégies plus hardies et plus risquées
sont envisagées, comme le déclenchement par l’hôte luimême
d’une réponse anti-IgE.