Hypothermie accidentelle Cours de
réanimation - urgences
Signes cliniques
:
A - Mesure de la température
:
La mesure de la température centrale est un problème
important.
En effet, la déperdition de chaleur n’est pas
homogène et le choix du site de mesure est fondamental.
L’idéal serait de mesurer la température de l’hypothalamus,
ce qui, en pratique, est impossible.
Les sites de mesure de référence sont le tiers inférieur
de l’oesophage et l’artère pulmonaire.
À ce niveau, la
température est proche de celle du cerveau et égale à
celle du coeur.
La membrane tympanique est fréquemment
utilisée en pédiatrie.
La vessie, le rectum, l’aisselle et le nasopharynx n’offrent pas de mesures fiables dans le cadre
d’une hypothermie.
La température doit au minimum
être surveillée sur 2 sites.
Les thermomètres habituels ne mesurent pas les
températures basses et il faut utiliser des thermomètres
hypothermiques allant jusqu’à 15 °C.
Dans les services
de réanimation on utilise des thermomètres électriques, soit à thermistance rapide, soit à thermocouple qui, une
fois en place, permettent une mesure en continu de la
température.
Les systèmes de mesure de température par
thermographie à infrarouges n’ont pas été évalués en
hypothermie.
B - Hypothermie légère (> 32,2 °C)
:
La dépression du système nerveux central est linéaire
avec la diminution de la température. Le patient est
conscient mais présente des phases d’amnésie, d’apathie
et (ou) de dysarthrie.
Il présente des troubles du jugement
et semble mal adapté à la situation présente.
Les réflexes ostéotendineux sont vifs.
La pression artérielle et la
fréquence cardiaque sont élevées.
La vasoconstriction se
traduit par des téguments qui sont froids, pâles avec horripilation.
Le patient est tachypnéique mais l’ampliation
thoracique est diminuée.
L’auscultation met en évidence
un encombrement bronchique, associé ou non à un
bronchospasme.
On observe une polyurie avec une dysurie.
Les frissons sont présents uniquement à ce stade.
C - Hypothermie modérée
(entre 28 et 32,2 °C) :
Les signes neurologiques sont caractérisés par une bradypsychie
avec troubles des fonctions supérieures et
dysarthrie.
Les troubles de la vigilance vont de la simple
obnubilation au coma.
Les réflexes ostéotendineux sont
diminués et il existe une hypertonie musculaire associée
à de fines trémulations diffuses remplaçant les frissons.
Les pupilles commencent à se dilater et le réflexe photomoteur
disparaît.
Les téguments sont glacés, parfois cyanosés.
Il n’y a
jamais de marbrures en l’absence de collapsus cardiovasculaire
associé.
La fréquence cardiaque est constamment
ralentie, rendant la mesure de la pression artérielle
au brassard semi-automatique difficile voire impossible
(intérêt de mesurer la pression artérielle par voie sanglante).
La pression artérielle et la diurèse sont diminuées.
L’électrocardiogramme montre le plus souvent une bradycardie
sinusale avec allongement des espaces PR et QT,
mais des troubles du rythme sont possibles, en particulier
une fibrillation auriculaire.
La morphologie du QRS
peut être modifiée par la présence de l’onde J d’Osborn
située à la jonction entre le ventriculogramme et le segment
ST.
Le risque majeur est la survenue d’une fibrillation
ventriculaire, surtout à partir de 28 °C.
Le volume courant et la fréquence respiratoire sont
diminués.
Les sécrétions trachéo-bronchiques sont
abondantes.
Les troubles de la conscience et la diminution
des réflexes pharyngo-laryngés sont responsables
d’inhalations.
D - Hypothermie sévère (< 28 °C)
:
Le patient est dans le coma.
À partir de 25 °C, il peut
être en apnée.
Les complexes QRS sont larges et le
risque de fibrillation ventriculaire est majeur.
L’hypothermie
sévère est insensible à la cardioversion et à la
lidocaïne tant que la température n’est pas au moins
égale à 28 °C.
Elle est favorisée par les troubles acidobasiques,
l’hypoxémie ou toute stimulation mécanique.
Le cathétérisme central ou cardiaque droit est formellement
contre-indiqué à ce stade d’hypothermie.
En dessous de 20 °C, le patient peut être en état de mort
apparente avec un tracé électroencéphalographique plat,
ce qui ne doit pas modifier la décision de poursuite de la
réanimation.
En effet, des survies sont décrites dans la
littérature médicale et le décès médico-légal par arrêt
cardiorespiratoire doit être déclaré en normothermie.
Prise en charge thérapeutique
:
A - Traitement symptomatique
:
La diminution du métabolisme hépatique et de l’excrétion
rénale ainsi que l’augmentation de la liaison aux protéines
plasmatiques des agents pharmacologiques en
hypothermie favorisent le risque de toxicité.
Il faut donc
réduire les interventions pharmacologiques au strict
nécessaire.
Tout collapsus cardiovasculaire doit bénéficier d’un
remplissage vasculaire modéré avec des cristalloïdes.
Si
la pression artérielle n’est pas rapidement restaurée, de
faibles doses de dopamine (3 à 5µg/kg/min) peuvent être
utilisées.
Un remplissage vasculaire excessif risque
d’être mal toléré par un myocarde dont la fonction inotrope est altérée.
La dobutamine est plus arythmogène
que la dopamine. La fibrillation auriculaire ne nécessite
pas d’intervention thérapeutique.
Les troubles de la conscience et l’hypoxémie peuvent
justifier une intubation endotrachéale et une ventilation
mécanique.
Elle n’augmente pas l’incidence de fibrillation
ventriculaire dans les hypothermies sévères.
Celle-ci
doit être adaptée à l’aide de gaz du sang artériel fréquents.
L’hyperglycémie initiale par diminution de la sécrétion
d’insuline et glycogénolyse ne doit pas être traitée car le
risque d’hypoglycémie secondaire est important.
B - Sur les lieux de l’accident
:
Le traitement le plus efficace est le traitement préventif.
Les sujets à risque d’hypothermie doivent se munir
d’équipement de survie isolants et observer les règles de
sécurité.
La qualité de la prise en charge préhospitalière est primordiale.
Les premières mesures doivent limiter
les déperditions caloriques en soustrayant le patient
d’un environnement froid et en enlevant tous les vêtements
mouillés.
Ensuite, il est enveloppé dans une
couverture chaude ou isothermique.
L’oxygénothérapie
est systématique, soit par voie nasale, soit après
intubation endotrachéale si l’état de conscience est
altéré.
Elle peut permettre un réchauffement des gaz
inhalés par un parachute thermique sur les lieux de
l’accident.
Le malade doit rapidement être surveillé par
un électrocardioscope.
S’il est en arrêt cardiorespiratoire,
la réanimation doit être entreprise immédiatement et
poursuivie longtemps. La voie d’abord veineuse est si
possible périphérique.
Elle permet d’administrer des
solutés cristalloïdes réchauffés. Cette expansion volémique
doit être prudente car la défaillance myocardique
est souvent déjà présente à ce stade.
Le malade sera
ensuite transféré vers un centre hospitalier disposant
d’un service de réanimation pouvant mettre en oeuvre
une circulation extracorporelle.
C - En centre hospitalier
:
Au centre hospitalier, le réchauffement du patient est la
première urgence. En cas de lésions associées, l’urgence
vitale est de rétablir rapidement une normothermie afin
de les traiter dans de bonnes conditions.
Il existe 3 types de réchauffement : externe passif,
externe actif et interne actif.
Quelle que soit la
méthode utilisée, la surveillance du patient doit être
optimale car le réchauffement est souvent accompagné
de complications à type de troubles du rythme, de collapsus
cardiovasculaire par vasodilatation périphérique
et d’aggravation secondaire de l’hypothermie par le
mécanisme de l’afterdrop (aggravation de l’hypothermie
après le début du réchauffement).
1- Le réchauffement externe passif
:
C’est la méthode de choix pour les patients atteints
d’hypothermie légère sans antécédents particuliers.
Ils
sont placés dans un environnement chaud afin de limiter
toute nouvelle perte de chaleur par radiation, conduction,
convection et évaporation. Le réchauffement se fait
par la thermogenèse propre des patients.
Cette méthode
n’induit qu’un réchauffement lent, la température centrale
n’augmente que de 0,5 à 1 °C par heure mais elle a
l’avantage de ne pas induire d’hypotension artérielle.
2- Le réchauffement externe actif
:
Il assure un transfert de chaleur par convection à partir
d’une source d’énergie (matelas et couvertures chauffantes,
lampes radiantes) vers la peau du patient.
Cette
méthode induit un réchauffement plus rapide permettant
d’augmenter la température centrale de 1 à 2 °C par
heure.
En revanche, elle est potentiellement plus dangereuse.
Outre le risque de brûlures, elle s’accompagne
d’une vasodilatation cutanée responsable d’une diminution
de la pression artérielle et des résistances artérielles
systémiques qui doit être corrigée.
On peut observer, à la phase initiale du réchauffement, une diminution de la
température centrale liée à la redistribution du sang du
compartiment périphérique hypotherme vers le noyau
central (afterdrop).
Ce phénomène s’accompagne d’une
diminution de la température cardiaque favorisant les
troubles du rythme.
Il peut être diminué lorsqu’on limite
le réchauffement actif externe au tronc.
Cette méthode ne
doit être appliquée que prudemment, sous surveillance
étroite, en complément de la première si l’état hémodynamique
est instable, si la température est inférieure à 32 °C
ou si les mécanismes de régulation de l’homéothermie
risquent d’être inefficaces.
3- Le réchauffement interne actif
:
Il consiste à réchauffer en premier le noyau. Une multitude
de moyens de réchauffement ont été utilisés.
• L’insufflation d’air ou d’oxygène, humidifiés et
réchauffés, est une méthode modérément efficace
(1 à 2 °C par heure) mais non invasive et simple lorsque
le patient a bénéficié d’une intubation endotrachéale
pour hypoxémie ou trouble de la conscience.
Elle permet de limiter les pertes de chaleur supplémentaires
par les voies aériennes et doit s’associer aux autres
techniques de réchauffement.
• L’administration de solutés réchauffés nécessite des
volumes importants pour être efficace.
Ce n’est donc pas
la technique de réchauffement interne actif à utiliser car
la défaillance myocardique est constante dans les hypothermies
sévères. Elle est intéressante lorsque l’état
hémodynamique du patient nécessite un remplissage
vasculaire.
• La dialyse péritonéale par des solutés cristalloïdes
réchauffés entre 40 à 45 °C est une méthode efficace.
Elle permet un réchauffement de la température centrale
de 2 à 4 °C par heure.
Elle est facilitée par la mise en
place de 2 cathéters, l’un pour les entrées et l’autre pour
les sorties.
Le débit de soluté est de l’ordre de 4 à 6 L/h.
Cette technique offre l’avantage, en ajustant les bains de
dialyse, de corriger les désordres hydroélectrolytiques.
Le réchauffement direct du foie facilite la reprise du
métabolisme hépatique et limite le risque de désordres
métaboliques en phase de réchauffement.
• L’irrigation pleurale à thorax fermé par du sérum
réchauffé entre 40 et 42 °C est une technique efficace
mais dont le risque iatrogénique est important.
Les
techniques d’irrigations gastriques, coliques ou oesophagiennes
sont peu efficaces car les surfaces d’échanges
thermiques ne sont pas suffisamment étendues.
• Les circulations extracorporelles (hémodialyse,
oxygénation extracorporelle) sont les méthodes de
réchauffement actif interne qui induisent le réchauffement
le plus rapide lors des hypothermies sévères.
Bien qu’il n’y ait pas d’étude affirmant sa supériorité,
l’oxygénation extracorporelle permet de réchauffer le
compartiment central de 3 à 5 °C toutes les 5 min pour
un débit fémoral de 2 à 3 L/min.
Le débit peut être
augmenté jusqu’à 6 à 7 L/min.
La vitesse de correction
de l’hypothermie sévère n’est pas consensuelle, une
durée de 2 h paraît raisonnable. Sous circulation extracorporelle,
le réchauffement de la température centrale
jusqu’à ce que la fibrillation ventriculaire redevienne
sensible à la défibrillation est sans risque pour le patient.
Elle permet d’optimiser le niveau d’oxygénation. Le
risque principal est d’ordre hémorragique, car les
risques liés à l’héparinothérapie nécessaire à la circulation
extracorporelle s’ajoutent à la thrombopénie et à la
coagulopathie induite par l’hypothermie.
La voie
d’abord est la thoracotomie car la sternotomie s’accompagne
d’un risque important de décompensation cardiaque
et de fibrillation ventriculaire.
Cette technique
peut être utilisée sur des patients en arrêt cardiorespiratoire.
Dans ce cas, le réchauffement extracorporel veino-veineux
ou artério-veineux peut être indiqué.
Pronostic
:
La mortalité globale des hypothermies accidentelles est
de 60 à 90 %.
Peu d’indicateurs cliniques, biologiques
ou évolutifs peuvent servir de facteur pronostique.
Ce
dernier dépend essentiellement de l’origine des hypothermies
et du terrain des patients.
Lorsque la régulation
de l’homéothermie est conservée, la mortalité est de 7%
alors qu’elle est de 75 % lorsqu’elle est altérée.
Les
hypothermies entrant dans le cadre des intoxications ont
un bon pronostic.
Ce dernier dépend aussi de la profondeur
de l’hypothermie, il s’effondre lorsque la température
centrale est inférieure à 26 °C.
Cette pathologie est semée de pièges diagnostiques.
La
persistance d’une tachycardie disproportionnée par
rapport à la température centrale doit faire rechercher
une hypovolémie, une hypoglycémie ou une ingestion
de toxique. Un coma persistant malgré la correction de
l’hypothermie peut être révélateur d’une origine infectieuse,
traumatique, neurologique ou toxique.
Une
dyspnée persistante doit faire rechercher une acidose
métabolique ou une cause neurologique, alors qu’une
aréflexie persistante peut correspondre à une lésion
médullaire.
Enfin, un électroencéphalogramme plat non
en rapport avec la profondeur de l’hypothermie est
évocateur d’une prise de toxique.