Prise en charge d’un hyphéma post-traumatique
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
L’hyphéma, qui se définit par la présence de sang en chambre
antérieure, peut survenir après un traumatisme oculaire postcontusif
ou perforant, ou dans les suites d’une chirurgie oculaire.
L’hyphéma peut également survenir spontanément dans
certaines conditions telles qu’une rubéose irienne (par exemple
associée à une rétinopathie diabétique, une occlusion de la veine
centrale de la rétine,
une maladie occlusive de la carotide ou un
décollement chronique de la rétine), des boucles vasculaires du
rebord pupillaire, un xanthogranulome juvénile, un mélanome de
l’iris, une maladie de Steinert, une kérato-uvéite le plus souvent
zostérienne, une leucémie, une hémophilie, une thrombocytopénie
ou une maladie de Willebrand.
L’hyphéma peut également survenir en association avec des
substances altérant la coagulation au niveau des fonctions
plaquettaires ou de la formation de la thrombine, comme l’alcool,
l’aspirine ou les anti-vitamines K (warfarine).
Dans cet article, nous nous intéressons uniquement à la prise en
charge des hyphémas survenant après un traumatisme oculaire à
globe fermé.
Bien que la littérature sur le sujet soit abondante, il
n’existe pas de consensus concernant la prise en charge des hyphémas post-traumatiques, qui reste controversée.
Les difficultés auxquelles sont confrontés les médecins qui traitent
un patient présentant un hyphéma sont : le choix du traitement
(cycloplégiques, corticoïdes systémiques ou topiques, agents
fibrinolytiques, traitements hypotonisants) ; le repos du patient ;
l’utilisation d’un pansement ou d’une coque oculaire ; l’évaluation
des critères pour préférer une prise en charge ambulatoire ou une
hospitalisation (âge, présence d’une maladie générale associée,
hypertonie oculaire, lésions oculaires associées et observance du
patient) ; un traitement purement médical ou chirurgical ; la prise
en charge particulière des patients présentant une drépanocytose ou
une hémophilie dans le cadre de leur hyphéma.
Un élément
important de la prise en charge des hyphémas post-traumatiques
est de ne pas méconnaître d’éventuelles lésions oculaires associées
et de les traiter, d’autant plus que la présence d’un hyphéma traduit
un traumatisme oculaire sévère.
Chez la plupart des patients, la
mauvaise acuité visuelle après la résolution de l’hyphéma est le plus
souvent due aux lésions associées et non pas à l’hyphéma luimême.
Nous allons développer chacun de ces différents points de la prise
en charge en se rapportant à la littérature afin de formuler des
recommandations pertinentes.
Mécanismes de l’hémorragie
et de la résorption sanguine :
Dans les centres hospitaliers régionaux, environ deux tiers des hyphémas post-traumatiques surviennent dans les suites d’un
traumatisme oculaire postcontusif et un tiers dans les suites d’un
traumatisme perforant.
La contusion oculaire est associée à la fois à une compression
antéropostérieure du globe oculaire et à une expansion équatoriale
de celui-ci.
L’expansion équatoriale est à l’origine de tensions sur
les structures de l’angle iridocornéen, qui peuvent conduire à des
ruptures du stroma irien et/ou à des lésions des vaisseaux du corps
ciliaire ayant pour conséquence une hémorragie.
L’hémorragie
secondaire ou resaignement, encore appelée « chute d’escarre », peut
être causée par la lyse du caillot et la rétraction des vaisseaux lésés.
Un traumatisme perforant peut également être associé à des lésions
directes des vaisseaux sanguins et à une hypotonie, qui toutes deux
peuvent favoriser la survenue d’un hyphéma.
L’hyphéma qui
survient après une chirurgie oculaire peut être dû à un tissu
cicatriciel des berges de l’incision ou à un traumatisme peropératoire
des tissus de l’uvée (traumatisme chirurgical dû aux instruments ou
traumatisme causé par la mise en place de l’implant).
Ce mécanisme
doit être pris en compte devant tout patient ayant subi une
intervention oculaire et qui se présente avec un hyphéma d’aspect
post-traumatique.
Dans certaines conditions particulières, comme une rubéose irienne
(associée à une rétinopathie diabétique proliférante, une occlusion
de la veine centrale de la rétine, une sténose carotidienne ou un
décollement chronique de la rétine), un xanthogranulome juvénile,
un mélanome de l’iris, un léiomyosarcome de l’iris, une maladie de
Steinert ou des boucles vasculaires iriennes, une fragilité vasculaire
de l’iris peut favoriser la survenue d’un hyphéma.
Dans de telles circonstances, il suffit d’un traumatisme
minime pour provoquer un hyphéma.
Un hyphéma spontané peut également survenir chez les personnes
qui utilisent certaines substances pouvant altérer la fonction
plaquettaire ou la formation de la thrombine (par exemple,
l’aspirine, l’alcool, les antivitamines K) et chez les patients
présentant un trouble de la crase sanguine.
Quelques patients présentant des uvéites (surtout zostériennes)
peuvent également présenter des hyphémas spontanés.
Par
exemple, nous avons vu des patients avec une nécrose rétinienne
aiguë développer un hyphéma.
Chez les enfants qui ne
rapportent pas la notion de traumatisme, et s’il n’y a pas de cause
favorisante comme une maladie oculaire, systémique ou la prise de
médicaments anticoagulants, il faut penser à évoquer la possibilité
de sévices.
Duke-Elder a proposé que la réabsorption de l’hyphéma
puisse se produire à travers la surface antérieure de l’iris.
Plusieurs auteurs ont démontré que les érythrocytes quittent la
chambre antérieure en empruntant le trabéculum, sous la forme de
cellules relativement intactes et sans dommage.
Un hyphéma non compliqué se nettoie le plus souvent en l’espace de
1 semaine.
Épidémiologie
:
L’incidence annuelle moyenne des hyphémas est d’environ
17/100 000 habitants.
Dans une étude, l’incidence moyenne
annuelle pour les hommes et les femmes est respectivement de 20 et
4 pour 100 000 habitants.
L’incidence maximale est située dans
un intervalle d’âge allant de 10 à 20 ans.
L’âge moyen des patients est inférieur à 25 ans. La majorité (environ 80 %) des patients présentant un hyphéma
sont des hommes parce que la plupart des cas surviennent après un
traumatisme.
Dans une étude,
44 % des hyphémas post-traumatiques survenaient dans la rue (suite à des agressions), et 12 % au travail ou durant une activité
sportive. Les mêmes constatations ont été faites par d’autres
auteurs mais pas par tous, reflétant
ainsi les habitudes locales et l’environnement propre à chaque
établissement de soins.
On peut supposer qu’il est possible de
diminuer l’incidence observée au travail ou lors d’activités sportives
grâce à des mesures de protection adaptées.
Mais la prévention des
autres circonstances est beaucoup plus difficile, notamment dans les
accidents de voiture avec les hyphémas causés par le déploiement
de l’airbag.
Les lésions par projectiles sont plus fréquentes dans
les hyphémas post-traumatiques des enfants que chez l’adulte et les
contusions oculaires sont à l’origine d’un plus grand nombre
d’hyphémas post-traumatiques chez l’adulte que chez l’enfant.
Il y a probablement des différences liées à l’origine ethnique du
patient dans la survenue d’une hémorragie secondaire.
En effet, les
séries scandinaves rapportent des incidences significativement plus
basses de resaignement après la survenue d’un hyphéma posttraumatique
par comparaison à celles rapportées par les équipes
anglo-saxonnes (la plupart du temps des centres urbains) des États-Unis ou de Grande-Bretagne.
Spoor et al ont trouvé
que le taux de survenue d’une hémorragie secondaire était
significativement plus élevé chez les patients afro-américains que
chez les patients caucasiens.
D’autres études ont confirmé ces
résultats mais pas toutes.
Quelques auteurs suggèrent le fait que cette incidence plus
élevée chez les afro-américains puisse être due aux plus nombreux
cas de drépanocytose, mais d’autres auteurs n’ont pas retrouvé ces
résultats.
Dans un article sur les patients
iraniens, le taux de resaignement rapporté était de 26 %, tout à
fait semblable à celui observé chez les populations urbaines nordaméricaines.
Dans un article libanais, on observe un taux équivalent
de 27 %.
Ces observations peuvent s’expliquer par des
différences raciales du contenu en mélanine de l’iris, qui peut jouer
un rôle dans la réabsorption de l’hyphéma.
Lai et al ont mis en
évidence le fait que l’injection de mélanine dans un oeil de lapin
présentant un hyphéma causé par un impact de laser Nd-YAG
pouvait prolonger la résorption du sang et ainsi favoriser un
resaignement.
L’analyse histologique des fibres du trabéculum a
mis en évidence une obstruction mécanique par des macrophages
chargés de grains de mélanine, ce qui pourrait expliquer la présence
prolongée de l’hyphéma.
Il n’y avait pas d’explication histologique
claire pour expliquer le taux élevé de resaignement.
Les auteurs ont
supposé que la mélanine puisse intervenir sur l’inflammation et la
lyse précoce du caillot.
Complications
:
En général, le pronostic visuel et les complications sont sensiblement
plus mauvais dans le cas des hyphémas totaux que dans celui des
hyphémas subtotaux.
Par exemple, la restauration d’une bonne
acuité visuelle (c’est-à-dire supérieure à 20/50) après la résolution
de l’hyphéma est survenue chez 104 patients sur 137 (76 %) dans
une étude.
Tandis que, dans le cas des hyphémas totaux, cette
restauration d’une bonne acuité visuelle (> 20/50) est survenue chez
seulement sept patients sur 20 (35 %).
A - ÉLÉVATION DE LA PRESSION INTRAOCULAIRE :
Environ un tiers des patients ayant un hyphéma présente une
élévation de la pression intraoculaire.
Plusieurs mécanismes
peuvent intervenir pour élever la pression intraoculaire au cours
d’un hyphéma post-traumatique : oblitération des mailles du
trabéculum par un caillot, des cellules inflammatoires ou des débris
érythrocytaires ; blocage pupillaire par un caillot étendu entre la
chambre antérieure et postérieure (en « bouton de col »).
La pression
intraoculaire varie indépendamment de la hauteur de l’hyphéma.
Par exemple, des patients souffrant de drépanocytose peuvent avoir
une pression intraoculaire relativement élevée avec un hyphéma de
faible importance.
Mais ce fait n’est pas toujours observé, et il est
généralement vrai que plus un hyphéma est de volume important et
plus il est susceptible d’induire une hypertonie intraoculaire.
L’hémorragie secondaire est souvent associée avec une élévation de
la pression intraoculaire.
La constatation d’une pression
intraoculaire basse ou normale devant un hyphéma total doit alerter
et faire systématiquement rechercher l’éventualité d’une plaie du
globe.
Cependant, une période initiale d’hypertonie oculaire peut
parfois être suivie par une période normotone, voire hypotone,
même en l’absence de plaie du globe, témoignant ainsi de l’absence
de survenue d’une hémorragie secondaire.
Cette période
transitoire de réduction du tonus oculaire peut être due à une
diminution de la production d’humeur aqueuse et peut jouer un
rôle en favorisant la survenue d’une hémorragie secondaire, surtout
lorsque la lyse du caillot est engagée.
L’incidence d’un glaucome tardif dans les yeux ayant présenté un hyphéma post-traumatique varie de 0 à 20%.
Le
glaucome, qui apparaît quelques jours voire quelques années après
le traumatisme responsable, peut se développer à partir de lésions
de la maille trabéculaire (souvent associées à une récession de
l’angle), une descemétisation et une fibrose du trabéculum, une
sidérose de l’endothélium trabéculaire, ou à partir de la formation
de synéchies périphériques et antérieures conduisant à un glaucome
secondaire par fermeture de l’angle.
L’incidence de la récession
post-traumatique de l’angle s’échelonne de 20 à 94 %.
La possibilité de développer un glaucome sur un oeil présentant
une récession de l’angle semble être liée à son extension ; en effet,
plus la circonférence de la récession est étendue et plus grand est le
risque de développer secondairement un glaucome, surtout si cette
lésion touche plus de 180° de l’angle.
Les synéchies
postérieures et extensives qui peuvent se former en réponse à
l’inflammation peuvent également induire un glaucome secondaire
par fermeture de l’angle.
Une autre cause d’élévation tardive de la
pression intraoculaire après un traumatisme est représentée par le
glaucome à cellules fantômes, qui est dû à la diffusion d’érythrocytes
vieillis (ayant perdu leur hémoglobine) depuis la cavité vitréenne
vers la chambre antérieure dans les mois ou les années qui suivent
une hémorragie intravitréenne, et qui peut être associé à un
hyphéma couleur kaki.
Chez les patients sans antécédents de drépanocytose, nous traitons
habituellement toute hypertonie oculaire par différents médicaments
comme les bêtabloquants (par exemple, timolol, levobunolol ou
betaxolol) ou les alpha-2-agonistes (par exemple, apraclonidine ou
brimonidine).
Si ces médicaments ne sont pas suffisants, on ajoute
alors par voie systémique ou topique des inhibiteurs de l’anhydrase
carbonique (par exemple, dorzolamide, brinzonamide,
méthazolamide ou acétazolamide).
Si ces mesures sont insuffisantes,
on administre alors de l’isosorbide, de la glycérine per os ou encore
du mannitol par voie intraveineuse.
Nous ne recommandons pas
l’usage de la pilocarpine chez ces patients pour trois raisons.
Premièrement, la pilocarpine peut augmenter la perméabilité
vasculaire et favoriser le développement de fibrine sur un oeil déjà
inflammatoire.
Deuxièmement, sur une pupille en myosis, la
possibilité de développer des synéchies iridocristalliniennes et donc
une secclusion pupillaire est beaucoup plus importante.
Troisièmement, l’examen du fond d’oeil n’est pas réalisable.
L’usage
des prostaglandines (par exemple le latanoprost) dans la prise en
charge des hypertonies oculaires dans les hyphémas posttraumatiques
n’a pas été encore étudié.
Dans notre exercice
quotidien, les prostaglandines ne sont habituellement pas employées
dans de telles circonstances en raison d’une exacerbation de la
réponse inflammatoire.
B - SYNÉCHIES PÉRIPHÉRIQUES ANTÉRIEURES :
La persistence de l’hyphéma pendant plus de 1 semaine peut induire
la formation de synéchies périphériques antérieures.
Dans une
étude, des synéchies (d’une étendue circonférentielle inférieure à
180°) ont été retrouvées dans cinq yeux pour lesquels l’hyphéma
avait duré plus de 8 jours ; dans quatre yeux, l’hyphéma occupait
plus de la moitié du volume de la chambre antérieure et, dans le
dernier cas, plus d’un tiers.
L’incidence des synéchies périphériques
antérieures augmente avec l’importance et la durée d’évolution de
l’hyphéma (au-delà de 8 jours).
Des synéchies postérieures peuvent
également se former.
La formation de ces synéchies est
probablement le résultat d’une inflammation ou de l’organisation
du caillot sanguin.
C - ATROPHIE OPTIQUE :
L’atrophie optique qui survient dans les suites d’un hyphéma posttraumatique
est causée par l’élévation de la pression intraoculaire
ou par une contusion du nerf optique.
Dans une étude prospective,
Read et Goldberg ont trouvé que huit yeux sur 137 (6 %) avaient
une atrophie optique caractérisée par une pâleur papillaire sans
excavation glaucomateuse.
Dans cinq cas (4 %), il a été noté une
élévation transitoire de la pression intraoculaire avec une atrophie
optique isolée sans excavation qui a donc été attribuée à cette
élévation tensionnelle.
Dans trois yeux (2 %), il n’a pas été noté
d’élévation du tonus oculaire.
Ces derniers cas peuvent résulter
d’une neuropathie optique post-traumatique secondaire à une
compression limitée de l’artère ciliaire postérieure courte par la
contusion du nerf optique.
Parmi les cinq yeux présentant une
atrophie optique avec un tonus élevé, trois avaient un hyphéma
total.
Bien que les données qui supportent ces conclusions soient
limitées, le risque d’atrophie optique lié à une élévation du tonus
oculaire semble être plus grand si la pression reste à 50 mmHg ou
plus pendant 5 jours ou si elle reste à 35 mmHg ou plus pendant
7 jours, chez des sujets bien portants.
Dans ces yeux, l’excavation
de la tête du nerf optique ne se développe pas avec l’atrophie
papillaire, comme on peut le voir chez les patients présentant un
glaucome chronique.
Les patients ayant une drépanocytose peuvent
développer une atrophie optique pour une élévation moins
importante de la pression intraoculaire.
D - HÉMATOCORNÉE :
L’incidence d’un hyphéma post-traumatique associé à une
hématocornée varie de 2 à 11%.
Cependant, parmi les
patients ayant un hyphéma total de chambre antérieure, cette
incidence est sensiblement plus élevée et varie de 33 à 100 % dans
deux études.
L’hématocornée survient dans les suites d’un
hyphéma important, d’un resaignement, d’une persistance
prolongée du caillot, d’une élévation de la pression intraoculaire et d’une dysfonction des cellules de l’endothélium cornéen.
L’hématocornée peut également survenir dans le cadre
d’un hyphéma subtotal, associée à une dysfonction
endothéliale avec ou sans hypertonie oculaire.
Les
lésions de l’endothélium cornéen associées à des ruptures
traumatiques de la membrane de Descemet ou à des dommages
mécaniques causés par une chirurgie peuvent conduire à une
hématocornée.
L’hématocornée peut être responsable d’une
baisse de l’acuité visuelle après la résolution de l’hyphéma et peut
être la cause chez les enfants d’une amblyopie de déprivation.
Parce qu’ils ont trouvé que l’hématocornée était plus susceptible de
survenir chez les patients présentant un hyphéma total associé à une
hypertonie oculaire supérieure à 25 mmHg et évoluant plus de
6 jours, Read et Goldberg ont recommandé une prise en charge
chirurgicale au sixième jour de tout hyphéma ne diminuant pas d’au
moins 50 %.
Le signe le plus précoce de l’hématocornée est l’apparition d’une
légère décoloration jaune paille du stroma profond, qui doit être
distinguée de la lumière réfléchie par le caillot de sang en chambre
antérieure.
La présence d’une plus grande décoloration stromale au
centre qu’en périphérie est une preuve de la présence d’une
hématocornée par opposition à cette réflexion lumineuse.
Les signes
de la phase initiale d’une hématocornée comprennent la présence
de fins granules jaunâtres au sein du tiers postérieur du stroma
cornéen.
Crouch et Crouch pensent que ces signes
ophtalmoscopiques précoces précèdent de 24 à 36 heures
l’imprégnation cornéenne par le sang et ils suggèrent que
l’évacuation du caillot à cette phase peut prévenir la survenue de
l’hématocornée avec un éclaircissement de celle-ci en 4 à 6 mois.
Même si la pression intraoculaire est normale, il est important de
réaliser quotidiennement un examen à la lampe à fente pour
rechercher une hématocornée.
L’opacité s’éclaircit de la
périphérie vers le centre et le processus peut nécessiter 2 ou 3 ans.
Les produits de dégradation du sang et surtout les
porphyrines ont été identifiés par Gottsch et al comme un composé
phototoxique dans les chambres antérieures des patients présentant
un hyphéma et il a été démontré expérimentalement qu’elles étaient
responsables de la photosensibilisation de l’endothélium.
La
décompensation ou la dégénérescence des cellules endothéliales est
l’événement le plus précoce dans la pathogenèse de
l’hématocornée.
La destruction mécanique de l’endothélium
peut jouer un rôle dans la pathogenèse de la décompensation des
cellules endothéliales, mais la photosensibilisation de l’endothélium
par les porphyrines provenant de la dégradation de l’hémoglobine
en lumière ambiante peut également altérer la fonction
endothéliale.
Pour cette raison, nous pensons comme Gottsch que
la ponction des hyphémas persistants peut réduire les risques de
voir survenir une hématocornée.
Au plan histopathologique, l’hématocornée se caractérise par une
dégénérescence endothéliale avec des dépôts éosinophiliques à
travers toute l’épaisseur du stroma.
Des amas tardifs
d’hémoglobine ou de produits de dégradation de l’hémoglobine,
dont l’ultrastructure est faite de dépôts électrodenses, sont tout
d’abord localisés à l’intérieur des structures lamellaires stromales.
L’hémoglobine et l’hémosidérine sont toutes les deux concentrées
dans le stroma cornéen central.
Des études ultrastructurelles et des analyses par rayons X indiquent
que l’hémoglobine tend à être extracellulaire, entre les fibrilles de
collagène, et que l’hémosidérine tend à se situer dans le cytoplasme
des kératocytes.
Les particules d’hémoglobine libre, quant à
elles, tendent à se concentrer plus en arrière et les granules
d’hémosidérine plus en avant.
Dans les zones de coloration, les kératocytes montrent une accumulation d’hémoglobine et
d’hémosidérine ainsi qu’une vacuolisation et une nécrose, surtout
s’ils sont remplis d’hémoglobine.
Messmer et al ont également
noté que le stroma postérieur était globalement moins riche en
cellules que le stroma antérieur.
Dans deux études sur des
cornées récemment imprégnées, l’épithélium était intact, avec une
coloration diffuse pour le fer, et contenait des accumulations
intracellulaires d’hémosidérine et extracellulaires d’hémoglobine.
L’endothélium, aussi bien de cornées imprégnées récemment ou que
de cornées en voie de clairance, montre des zones de discontinuité
et de dégénérescence.
La membrane de Descemet
est intacte.
Des particules d’hémoglobine sont localisées à l’intérieur,
mais également à la surface.
L’analyse aux rayons X montre la
présence de particules de fer au sein de la membrane de Descemet
aussi bien qu’à travers le stroma et au sein de l’épithélium.
Messmer et al ont présenté le mécanisme suivant pour expliquer la
survenue de l’hématocornée.
Tout d’abord, l’hémoglobine est relarguée par les érythrocytes dans la chambre antérieure, puis elle
diffuse à travers la membrane de Descemet et s’accumule par
endroits à l’intérieur de la membrane, aussi bien que dans
l’épaisseur du stroma.
Ensuite, les kératocytes phagocytent et
métabolisent l’hémoglobine en produisant de l’hémosidérine
intracellulaire.
Un excès d’hémosidérine ou d’hémoglobine à
l’intérieur de la cellule va induire la nécrose des kératocytes avec,
par conséquent, une diminution de la cellularité du pôle postérieur.
Troisièmement, l’hémosidérine ainsi libérée est phagocytée par les kératocytes du stroma antérieur.
McDonnell et al ont trouvé que la résolution de l’hématocornée
survenait la plupart du temps de la périphérie vers le centre, et que
la ligne de démarcation entre la cornée imprégnée et la cornée claire
était abrupte, à la fois au plan clinique et au plan histopathologique.
Le stroma éclairci ne contient pas de dépôts extracellulaires
d’hémoglobine alors que les kératocytes de ces zones contiennent
des granules d’hémosidérine.
Par opposition aux études de Yoshimura et al et de Kanai et al, Pouliquen et Desvignes,
McDonnell et al et Messmer et al n’ont pas observé de macrophages
dans les zones d’hématocornée.
Yoshimura et al ont
noté la présence de macrophages dans le stroma cornéen où des
néovaisseaux sanguins étaient apparus, mais, dans cette observation,
l’hématocornée était secondaire à une hémorragie intracornéenne
survenant au décours d’une kératite interstitielle.
Sur la base de ces constatations et sur l’absence de macrophages
dans des cornées imprégnées, McDonnell et al ont donc émis
l’hypothèse que l’hématocornée puisse se dissiper par un
phénomène de diffusion.
Les travaux expérimentaux de Gottsch
et al indiquent que l’hémoglobine est phagocytée par les kératocytes
et dégradée en hémosidérine.
McDonnell et al ont observé une
zone localisée et claire du stroma antérieur soulignant des cellules
épithéliales imprégnées et ont donc proposé que les cellules
épithéliales en se répandant puissent également éclaircir le stroma
cornéen antérieur de ces pigments d’hémoglobine.
Pouliquen et Desvignes et McDonnell et al ont tous trouvé des
lamelles intactes de stroma au sein de plages d’hématocornée,
malgré une vacuolisation et une dégénérescence des kératocytes
dans ces zones de dépôts étendus d’hémoglobine.
McDonnell
et al ont également observé que les kératocytes des zones éclaircies
de la cornée apparaissaient intacts sur le plan de leur ultrastructure
et que le stroma des zones déjà partiellement éclaircies était pauvre
en cellules.
McDonnell et al ont suggéré que la perte des kératocytes était due à la toxicité du fer et que le renouvellement du stroma
survenait à partir de la croissance des fibrocytes depuis la
périphérie.
Par conséquent, ils ont conclu que les modifications
du stroma cornéen produites par l’accumulation de sang au sein de
la cornée étaient probablement réversibles.
McDonnell et al ont mis
en évidence que la taille de la molécule d’hémoglobine est de 64 Å
et, selon Maurice, il y a environ 60 Å d’espace entre les fibrilles de
collagène du stroma cornéen pouvant ainsi permettre la diffusion.
Ils ont également suggéré que l’oedème cornéen survenant au
décours d’une dysfonction endothéliale (secondairement à une
élévation de la pression intraoculaire ou à une lésion directe par le
traumatisme) augmenterait la distance entre les fibrilles, permettant
alors la diffusion d’hémoglobine au sein de la cornée.
Après la baisse
de la pression intraoculaire, il y a une déturgescence de la cornée
provenant d’une diminution de la distance interfibrillaire,
permettant alors une diffusion de la molécule d’hémoglobine à
l’extérieur du stroma cornéen par un processus relativement long.
E - HÉMORRAGIE SECONDAIRE :
Une hémorragie secondaire survient si la taille de l’hyphéma
augmente, si une couche de sang frais apparaît superposée à
l’ancienne, s’il y a un caillot plus sombre en chambre antérieure, ou
si des érythrocytes dispersés apparaissent autour du caillot, après sa
sédimentation en chambre antérieure. Un hyphéma total ou subtotal,
le plus souvent rouge sombre, peut également devenir rouge brillant
à la périphérie du caillot au fur et à mesure que celui-ci se dissout.
Ce changement de couleur dû à la lyse du caillot doit également
être distingué d’une hémorragie secondaire.
Le resaignement
peut être responsable d’une augmentation significative de la hauteur
de l’hyphéma.
Pour cette raison, le resaignement peut être associé
avec des complications telles qu’une élévation de la pression
intraoculaire, une hématocornée, une atrophie optique et des
synéchies périphériques antérieures. Edwards et Layden ont
rapporté qu’une intervention chirurgicale était nécessaire pour un
des 120 patients ne présentant pas d’hémorragie secondaire (0,8 %)
par rapport à dix des 64 patients présentant une hémorragie
secondaire (16 %).
Dans une autre étude rétrospective, Thomas et
al ont également trouvé que les patients présentant un resaignement avaient une incidence plus élevée d’intervention
chirurgicale (14 pour 44 patients avec un resaignement, soit 32 %,
contre un pour 44 patients sans resaignement, soit 0,7 %), le plus
souvent sous anesthésie générale (neuf des 14 patients, soit 64 %).
Les yeux avec un hyphéma total de chambre antérieure présentaient
un risque plus élevé de chirurgie que les yeux avec un hyphéma
subtotal de chambre antérieure.
Dans une étude prospective
randomisée en double aveugle, Kutner et al ont trouvé que deux
tiers des patients (67 %) présentant une hémorragie secondaire
nécessitaient une intervention chirurgicale contre aucun des
31 patients ne présentant pas d’hémorragie secondaire.
En
considérant l’incidence relativement élevée des interventions
chirurgicales dans le cadre des hémorragies secondaires et les
risques de la chirurgie (y compris ceux de l’anesthésie générale), on
peut proposer un traitement qui diminue significativement
l’incidence du resaignement.
L’hémorragie secondaire peut survenir
même pour un hyphéma microscopique.
Bien que des études
rapportent une plus grande survenue d’hémorragie secondaire avec
des hyphémas de plus grande taille, d’autres
études n’ont pas mis en évidence de lien entre la taille initiale de
l’hyphéma et l’incidence d’une hémorragie secondaire.
En conclusion, il faut prendre en compte
l’intérêt des médicaments pour diminuer la survenue d’un resaignement et ce quelle que soit la hauteur de l’hyphéma.
F - DIFFICULTÉS D’ACCOMODATION :
Theriault a revu les dossiers de 30 patients qui avaient présenté un
hyphéma post-traumatique.
Le suivi moyen était de 29,6 mois.
Il a remarqué qu’en mesurant la distance du punctum proximum,
deux des patients (7 %) avaient des difficultés à la lecture nécessitant
le port de lunettes de correction avec une différence de correction
entre les deux yeux de plus de 2,5 dioptries.
En effet, l’évaluation de
l’amplitude d’accommodation est une donnée importante dans le
suivi de ces patients.
Prise en charge médicale
afin de prévenir le resaignement :
A -
TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX
:
1- Agents antifibrinolytiques :
Pandolfi et al ont suggéré en 1966 l’emploi de l’acide
aminocaproïque afin de prévenir une hémorragie intraoculaire.
Dans la plupart des études, les agents antifibrinolytiques (par
exemple, l’acide tranexamique et l’acide aminocaproïque) diminuent
de façon significative le taux de resaignement après un hyphéma
post-traumatique et peuvent également retarder la résorption du
caillot.
Il a été rapporté une différence minime mais constante entre le taux
de resaignement du groupe contrôle et celui du groupe traité par
l’acide tranexamique.
Dans la littérature nord-américaine,
il y a une forte conviction dans le fait que l’acide aminocaproïque
(Amicart [Lederle Laboratories, American Cyanamid Company,
Pearl River, NY], non commercialisé en France) diminue le taux de
resaignement après la survenue d’un hyphéma post-traumatique.
* Pharmacologie
:
L’acide aminocaproïque est un agent antifibrinolytique qui est
soluble dans l’eau et ressemble à un acide aminé, la lysine.
Normalement, la plasmine se lie aux molécules de lysine dans le caillot de fibrine grâce à un site de liaison spécifique.
L’Amicart
inhibe par compétition la digestion du caillot de fibrine en occupant
le site de liaison à la lysine de la plasmine.
L’acide aminocaproïque
inhibe également par un phénomène de compétition l’activation de
substances du plasma qui convertissent le plasminogène en
plasmine, peut-être en se liant au plasminogène et en prévenant sa
liaison à la fibrine, même après l’activation en plasmine.
Grâce à
ces différents mécanismes, l’acide aminocaproïque stabilise le caillot
de fibrine et prévient ainsi le resaignement jusqu’à ce que la
cicatrisation des vaisseaux soit effective.
L’Amicart est absorbé par
le tractus gastro-intestinal, atteint le pic plasmatique dans les
3 heures suivantes et est éliminé majoritairement par voie urinaire
avec un taux de clairance d’environ 75 % de la filtration
glomérulaire.
La dose d’Amicart doit être adaptée pour les
patients ayant une insuffisance rénale. Des doses relativement faibles
vont inhiber la fibrinolyse dans les urines.
L’Amicart peut précipiter
dans les tubules rénaux de patients présentant une insuffisance
rénale ou même une hémophilie peu sévère, et son activité
antifibrinolytique urinaire peut persister même avec une
concentration sérique inférieure à la dose thérapeutique.
Une
coagulation intravasculaire active et un antécédent d’allergie à
l’acide aminocaproïque sont des contre-indications à l’emploi
d’Amicart.
Les contre-indications relatives comprennent un
antécédent de prédisposition aux thromboses, une hématurie du
haut appareil urinaire, une insuffisance rénale et l’hémophilie.
L’Amicart est un médicament de catégorie C durant la grossesse
selon la Food and Drug Administration (FDA), et il n’y a pas de
données concernant le passage transplacentaire ou le passage dans
le lait maternel.
L’acide tranexamique (Cyclokapront [Pharmacia]), qui ressemble
également à la lysine, a un mécanisme d’action semblable à l’acide
aminocaproïque.
Cette molécule est absorbée de la même façon par
le tractus gastro-intestinal (de 30 à 50 %), atteint le pic plasmatique
en 3 heures et est éliminée majoritairement par les reins ; la dose
administrée doit donc être ajustée à la fonction rénale.
Des overdoses
(de 30 à 40 fois la dose recommandée chez l’homme pendant 6 jours
à 1 an) ont été inoculées à des animaux de laboratoire et ont causé
des zones d’atrophie rétinienne circonscrites.
Dans les essais
thérapeutiques chez l’homme, il n’a pas été rapporté de changement
de type atrophique de la rétine.
Une occlusion d’une branche de
l’artère centrale de la rétine a été décrite 5 jours après le début du
traitement.
Des occlusions de la veine centrale de la rétine ont
également été rapportées avec l’utilisation de l’acide tranexamique. In vitro, l’activité antifibrinolytique est d’environ
cinq à dix fois celle de l’acide aminocaproïque.
L’acide tranexamique
traverse la barrière hématoplacentaire et passe dans le lait maternel
à une concentration de 1 % de la concentration sérique maternelle,
et il est considéré par la FDA comme un médicament de catégorie B
au cours de la grossesse.
L’acide tranexamique a les mêmes
contre-indications absolues et relatives que l’Amicart.
Ni l’acide tranexamique ni l’acide aminocaproïque per os ne sont indiqués
dans le traitement de l’hyphéma aux États-Unis.
* Études cliniques
:
Dans quatre études prospectives (dont trois par le même
établissement), il a été prouvé que l’Amicart diminuait l’incidence
du resaignement de 22-33 % à 0-4 %.
Dans
les études de Crouch et Frenkel, de McGetrick et al et de
Palmer et al, des enfants aussi bien que des adultes étaient inclus
(âge s’échelonnant de 3 à 50 ans).
Dans l’étude de Kutner et al,
les enfants de moins de 7 ans étaient exclus de la randomisation.
Les études réalisées par Crouch et Frenkel, McGetrick et al, et
Palmer et al se sont déroulées dans des environnements urbains.
Crouch et Frenkel avaient 38 patients afro-américains sur 59 (64 %)
et 21 patients caucasiens sur 59 (36 %).
McGetrick et al avaient
24 patients afro-américains sur 49 (69 %), dix patients hispaniques
sur 49 (20 %) et cinq patients caucasiens sur 49 (10 %).
Palmer et al
avaient 31 patients afro-américains (53 %), 12 patients hispaniques
(20 %) et 16 patients caucasiens (27 %) sur un total de 59.
L’étude de Kutner et al était tout à fait particulière, avec 29 patients caucasiens
sur 34 (85 %). Toutes ces études indiquent que l’Amicart prévient
la survenue d’un resaignement, quels que soit l’âge ou la race du
patient.
Il est utile de noter que la dissolution du caillot faisant suite
à l’action discontinue de l’Amicar peut mimer la survenue d’un
hyphéma secondaire, mais les cellules de cette dégradation
apparaissent alors de couleur kaki et non pas rouge brillant.
L’étude de Crouch et Frenkel comprenait huit patients présentant
une drépanocytose homozygote ou hétérozygote, et ces patients ont
présenté une aussi bonne réponse au traitement que les autres
patients inclus dans l’étude, alors que dans les études de McGetrick
et al, de Palmer et al et de Kutner et al les patients présentant une
hémoglobine S ont été exclus.
De plus, dans les études de McGetrick
et al et de Palmer et al, les corticoïdes en topique étaient utilisés
sans distinction, et les patients étaient également traités par des
agents cycloplégiques et mydriatiques, alors que dans l’étude de
Kutner et al aucun patient n’a été traité par des agents
cycloplégiques, mydriatiques ou corticoïdes locaux.
Tous les patients
des quatre études précédemment citées étaient hospitalisés et traités
par des doses per os d’Amicart de 100 mg/kg toutes les 4 heures
jusqu’à une dose maximale de 30 g/j pendant un total de 5 jours.
Palmer et al ont mené une étude randomisée avec quelques
patients traités par des doses de 50 mg/kg toutes les 4 heures.
En résumé, l’Amicart semble être efficace pour diminuer l’incidence
du resaignement chez les individus afro-américains, caucasiens et
hispaniques, chez les enfants et les adultes aussi bien que chez les
hommes et les femmes.
Bien que l’efficacité de l’Amicart n’ait pu
être prouvée chez les patients présentant une hémoglobinopathie S,
nous pensons que de tels patients peuvent être traités sans danger
par l’Amicart.
Quelques études ont trouvé que l’Amicart était inefficace pour
diminuer le risque d’hémorragie secondaire.
Teboul et
al ont trouvé un taux faible de resaignement, aussi bien dans le
groupe traité que dans le groupe du placebo, et ont attribué ce
résultat et donc l’apparente inefficacité de l’Amicart au fait que les
afro-américains constituaient seulement 4 % de la population
étudiée.
De plus, dans le groupe traité par Amicart, la durée
d’hospitalisation et la durée de résorption du caillot étaient toutes
les deux significativement augmentées.
Kraft et al ont trouvé que
parmi les 49 patients (âgés de 3 à 18 ans) qui ont été sélectionnés de
manière aléatoire pour recevoir 100 mg d’Amicart ou le placebo il
n’y avait pas de bénéfice significatif sur le taux d’hémorragie
secondaire et, de plus, les hyphémas du groupe traité par Amicart
se sont significativement résolus de manière plus lente (en moyenne
5,3 jours contre 2,6 jours dans le groupe contrôle).
D’autres
auteurs ont également observé que la durée de lyse du caillot
pouvait être prolongée par l’emploi de l’Amicart (l’acide
tranexamique prolonge également la résorption des hyphémas).
Par opposition aux études citées précédemment, Kraft et al
et Teboul et al n’ont pas retrouvé que l’Amicart pouvait être
efficace chez les enfants.
Parmi les patients examinés le
jour suivant le traumatisme oculaire, Volpe et al ont trouvé que le
taux d’hémorragie secondaire était de 5 % (3/63) chez les patients
traités avec Amicart et de 5 % (3/56) chez ceux n’ayant pas reçu de
traitement.
Un groupe séparé de patients examinés à plus de
1 jour du traumatisme initial avait 39 % (5/13) d’hémorragie
secondaire (quelques-uns des patients qui se présentaient plus de
24 heures après le traumatisme étaient traités avec Amicart, mais
l’article ne précise pas lesquels des cinq furent ainsi traités).
Le taux
de resaignement chez les patients non traités est plutôt bas dans ces
études, mais les enfants ne semblent pas avoir un taux de
resaignement plus faible que celui des adultes.
Dans les études de Kraft et al et de Volpe et al, la population des
patients était majoritairement de type caucasien.
Les
corticoïdes topiques ont été également étudiés dans une étude et
ce médicament peut avoir modifié l’incidence de survenue d’une
hémorragie secondaire. Aylward et al ont publié une
méta-analyse de six essais cliniques randomisés et contrôlés incluant
l’emploi d’acide aminocaproïque et d’acide
tranexamique.
Les résultats ont confirmé l’effet bénéfique des
agents antifibrinolytiques par voie systémique sur le taux d’hémorragie secondaire (mais pas sur l’acuité visuelle finale).
Ces deux tests ont indiqué que l’incidence
décroissante du taux de survenue d’une hémorragie secondaire
associée à l’utilisation de l’acide tranexamique était statistiquement
significative (p < 0,0001 [CF] et p < 0,0001 [CS]).
Les deux tests ont également démontré que l’incidence décroissante
du resaignement associée à l’acide aminocaproïque était
statistiquement significative (p < 0,0001 [CF] et p < 0,0001 [CS]).
* Effets secondaires
:
L’Amicart a quelques effets indésirables systémiques.
McGetrick et
al, DeBustros et al et Kutner et al ont trouvé que la nausée, les
vomissements et la diarrhée survenaient chez environ 25 % des
sujets recevant ce médicament.
Ces effets indésirables
semblent être liés au médicament puisque, à l’arrêt de celui-ci, les
effets disparaissent.
L’incidence de 6 à 18 % d’hypotension
orthostatique est importante à prendre en compte parce que cet effet
secondaire limite la réalisation d’une prise en charge ambulatoire de
l’hyphéma.
D’autre effets indésirables rapportés comprennent le
prurit, des rashs cutanés, des crampes musculaires, un
encombrement nasal, de l’arythmie et des états confusionnels.
La rhabdomyolyse et la myoglobinurie sont de rares complications
du traitement par l’acide aminocaproïque, mais qui ont tendance à
survenir après un traitement prolongé (au bout de 6 semaines) à la
dose de 24 à 36 g/j.
L’Amicart peut déclencher une
insuffisance rénale aiguë chez des patients présentant une
hémophilie même modérée.
La possibilité de lésion
myocardique doit être évoquée lorsqu’une myopathie des muscles
squelettiques survient.
Les effets indésirables de l’Amicart qui n’ont
pas été rapportés dans la littérature ophtalmologique comprennent
la tératogénicité et les accidents thromboemboliques.
La nausée
et les vomissements peuvent être dus à une irritation locale du
tractus gastro-intestinal puisque ces effets secondaires ne sont pas
observés après l’injection intraveineuse du produit.
Cependant, la
plupart des effets secondaires sont probablement liés aux taux
plasmatiques d’acide aminocaproïque.
De plus, en étant plus
efficace que l’Amicart, l’acide tranexamique par voie orale peut
avoir des effets secondaires gastro-intestinaux moins fréquents.
De ce point de vue, il est important de noter que l’étude prospective
randomisée de Palmer et al a démontré qu’un traitement avec une
dose plus basse (50 mg/kg toutes les 4 heures jusqu’à une dose
maximale de 30 g/j) était efficace sur la prévention du resaignement
(un cas sur 26, soit 4 %, dans le groupe à 50 mg/kg/ 4 heures contre
cinq cas sur 33, soit 16 %, dans le groupe 100 mg/kg/ 4 heures), que
le pic produit du taux sérique d’Amicart est dans l’intervalle
d’inhibition de formation de la plasmine et que le traitement était
associé avec une incidence significativement plus basse de malaise
et d’hypotension pour une dose de moins de 100 mg/kg (0/26
contre 5/33, soit 15 %).
L’incidence de malaise et d’hypotension
ne semblait pas être liée à l’âge.
L’incidence de nausées et de
vomissements était identique dans chacun des groupes (5/26, soit
20 %, contre 9/33, soit 27 %, respectivement dans le groupe de
50 mg/kg et dans celui de 100 mg/kg) et répondaient typiquement
à l’édisylate de prochlorperazine (de 5 à 10mg per os ou par voie
intramusculaire toutes les 6 heures).
Quand on utilise l’Amicart, il
faut prendre des précautions vis-à-vis du développement de
malaise, d’hypotension, de nausée et/ou de vomissement (utiliser la
salle de bain avec de l’aide et traitement préalable avec
prochlorperazine).
Loewy et al ont examiné l’activité antifibrinolytique de l’Amicart
dans le plasma et dans l’humeur aqueuse de lapins après une
administration par voie systémique.
Après un bolus de 50 mg
/kg par voie intraveineuse, le taux d’acide aminocaproïque dans
l’humeur aqueuse présentait un pic à environ 60 minutes
(13 mg/dL) et l’activité antifibrinolytique de l’humeur aqueuse était
augmentée d’environ 1,6 à 1,8 fois le contrôle.
Un bolus de
100 mg/kg par voie intraveineuse produit un taux plus élevé dans
l’humeur aqueuse (34 mg/dL) et une plus grande activité
antifibrinolytique (2,5 fois le contrôle).
Les auteurs ont noté que bien que le pic de concentration de l’humeur aqueuse du groupe à
50 mg/kg soit inférieur à la moitié de celui du groupe à 100 mg/kg,
les taux d’activité antifibrinolytique étaient tout à fait comparables
(490 s contre 683 s).
Ce résultat peut signifier que l’inhibition de
la fibrinolyse par l’Amicart est un phénomène saturable.
Ces
données corroborent l’efficacité clinique du traitement par une
posologie de 50 mg/kg toutes les 4 heures.
L’Amicart produit une inhibition significative de l’activation du
plasminogène à des concentrations plasmatiques de 1,3 mg/dL et
de telles concentrations sont efficaces sur l’inhibition de la
fibrinolyse systémique.
Les concentrations de l’Amicart au pic
et au creux sont approximativement de 13 mg/dL et de 5 mg/dL (à
240 minutes) après un bolus intraveineux de 50 mg/kg dans l’étude
de Loewy et al et de 8 mg/dL et 6 mg/dL dans l’étude clinique de
Palmer et al.
Ce résultat peut vouloir dire que des doses
même plus basses d’Amicart sont efficaces au plan clinique du
moment que la dose thérapeutique est adaptée.
Il y a donc une vraie
possibilité pour que l’Amicart puisse être d’utilisation pratique dans
la prise en charge ambulatoire des patients présentant un hyphéma
en fournissant de faibles doses qui sont à la fois efficaces au plan
thérapeutique et associées à une faible incidence d’effets secondaires.
Pour diminuer les effets systémiques de l’acide aminocaproïque par
voie orale, l’administration par voie topique a été étudiée.
Allingham
et al ont déterminé que la plus grande concentration d’acide
aminocaproïque dans l’humeur aqueuse était obtenue grâce à une
préparation de carboxypolyméthylène (58 mg/mL).
Cette
préparation administrée par voie topique toutes les 6 heures a
diminué de manière efficace l’incidence de survenue d’une
hémorragie secondaire chez un modèle animal.
Comme les
concentrations d’acide aminocaproïque nécessaires pour atteindre
un effet thérapeutique sont connues, Ehlers et al ont déterminé que
la combinaison optimale devait être de 30 % d’acide aminocaproïque
et de 2 % de carboxypolyméthylène.
Dans une étude
multicentrique, réalisée de manière prospective, randomisée et en
double insu, Crouch et al ont trouvé que l’administration topique
(0,2 mL de gel appliqué dans le fornix inférieur toutes les 6 heures)
et systémique de l’acide aminocaproïque avaient la même
efficacité.
Dans cette étude, le groupe traité par l’acide aminocaproïque en topique avait un taux d’incidence de 3 % (1/35)
d’hémorragie secondaire comparé aux 3 % (1/29) dans le groupe
traité par voie systémique et de 22 % (12/54) dans le groupe
contrôle.
Le groupe traité par l’acide aminocaproïque en topique
avait une acuité visuelle finale supérieure ou égale à 20/40 chez
30 patients sur 35 (86 %), chez 20 patients sur 69 (86 %) dans le
groupe traité par voie systémique et chez 23 patients sur 43 (53 %)
dans le groupe contrôle.
Quatre patients (11 %) ont rapporté une
sensation de corps étranger conjonctival ou cornéal et il a été observé
une kératite ponctuée superficielle transitoire chez trois patients
(9 %).
Des effets systémiques indésirables ont été observés chez un
seul patient adulte (3 %) par rapport aux cinq patients (17 %) sur les
29 ayant reçu un traitement par voie générale d’acide aminocaproïque.
L’augmentation du taux sérique dans le groupe
traité par voie systémique de dix fois celui du groupe traité par voie
topique explique la différence d’incidence des effets indésirables.
Le groupe contrôle était constitué de patients qui ont refusé de
participer à l’étude, ce qui pouvait créer un biais de sélection, mais
il y avait une distribution équivalente de la taille de l’hyphéma, de
la démographie des patients et de l’acuité visuelle initiale à travers
les trois cohortes.
Une étude récente, randomisée, en double insu et
avec un groupe contrôle-placebo a trouvé un taux de resaignement
survenant chez deux des 24 yeux traités avec l’acide aminocaproïque
en topique (8 %) et chez huit des 27 yeux traités par placebo
(30 %). Cette différence n’était pas statistiquement significative.
En résumé, il apparaît que le traitement par acide aminocaproïque
par voie topique ou systémique procure une protection comparable
vis-à-vis du resaignement.
Cependant, il n’y a actuellement pas de
préparation commerciale pour l’acide aminocaproïque sous forme
de collyre.
* Synthèse
:
Afin de prévenir une élévation transitoire de la pression
intraoculaire à l’arrêt de l’Amicart, il est utile de faire une
décroissance progressive du médicament.
La présence d’une
coagulation intravasculaire active est une contre-indication à
l’utilisation de l’Amicart.
Il peut être dangereux d’utiliser l’Amicart
dans le cas d’une insuffisance rénale (pour laquelle les doses doivent
être diminuées), d’une hémophilie, d’une insuffisance hépatique
possible (il a été rapporté un cas de mort due à une hémorragie
intracrânienne associée à une nécrose cardiaque et hépatique pour
une dose totale de 26 g, soit 2 g toutes les 6 heures), d’une grossesse
(durant laquelle des effets tératogènes peuvent survenir) et parfois
d’un hyphéma total de chambre antérieure.
Il n’est pas établi de lien
entre la lyse retardée du caillot et la survenue d’une hématocornée.
En dépit du fait que l’acide aminocaproïque et l’acide tranexamique
aient démontré une diminution de l’incidence du resaignement, ils n’ont pas prouvé de manière statistique un
bénéfice sur le pronostic visuel dans les suites d’un hyphéma posttraumatique.
Les deux tests ont démontré que l’utilisation de l’acide tranexamique
n’était pas associée à un bénéfice statistiquement significatif sur
l’acuité visuelle (p < 0,148 [CF] et p < 0,098 [CS]).
Les deux tests ont indiqué que l’usage de l’acide aminocaproïque n’était
pas associé à un bénéfice statistiquement significatif sur l’acuité
visuelle (p < 0,0625 [CF] et p < 0,135 [CS]).
Le manque de bénéfice
prouvé sur l’acuité visuelle a conduit certains médecins à limiter
l’usage de ces moyens dans la prise en charge des hyphémas posttraumatiques.
Cependant, on ne peut pas conclure que
ces résultats traduisent nécessairement un manque de bénéfice en
termes de pronostic visuel quant à l’utilisation des agents antifibrinolytiques chez les patients présentant un hyphéma posttraumatique.
Pour démontrer que l’absence d’une différence
statistiquement significative dans le pronostic (c’est-à-dire l’acuité
visuelle) signifie que les deux groupes ont en fait le « même »
devenir, il faut réaliser une étude ayant la capacité de mettre en
évidence une différence cliniquement importante.
Pour réaliser une telle étude, il faut prendre en compte la variabilité du
pronostic visuel en question, la hauteur de l’hyphéma et le niveau
choisi de significativité.
Plusieurs facteurs peuvent intervenir dans l’absence de bénéfice
statistiquement prouvé des agents antifibrinolytiques (ou des
corticostéroïdes) quant au pronostic visuel.
Tout d’abord, le
facteur déterminant de l’acuité visuelle finale dans les suites de
l’hyphéma post-traumatique est habituellement la blessure oculaire
associée et non pas l’hyphéma en lui-même.
Read
et Goldberg, par exemple, ont trouvé qu’un mauvais pronostic visuel
pouvait être directement lié à l’hyphéma chez environ 10 % des
patients.
Deuxièmement, le point de vue communément
partagé par tous selon lequel le resaignement en lui-même altère le
pronostic visuel ne semble pas être soutenu par notre revue de la
littérature, bien que Rahmani et al aient
trouvé que 15 des 43 patients avec un resaignement (35 %) et que 16
des 195 patients sans resaignement (8 %) avaient une acuité visuelle
finale de 6/120 ou moins (p < 0,001).
Une revue des données
publiées indique que le resaignement semble être associé avec un
pronostic visuel légèrement moins bon.
Les deux tests ont indiqué que la plus petite possibilité d’atteindre une
acuité visuelle finale supérieure ou égale à 20/50 associée à un resaignement était hautement significative (p < 0,0001 [CF] et
p < 0,0001 [CS]).
Une interprétation du risque le plus élevé de baisse
de l’acuité visuelle associée à un resaignement, du risque le plus bas
de resaignement associé avec l’utilisation d’antifibrinolytiques ou de
corticostéroïdes, et du manque apparent de rapport entre ces
traitements et l’amélioration du pronostic visuel, est que le
resaignement est associé avec une autre variable indépendante qui
altère le pronostic visuel.
Une autre interprétation est que la
survenue d’un resaignement ne confère pas un plus mauvais
pronostic visuel, et que seulement une partie des patients avec une
hémorragie secondaire a un plus mauvais pronostic visuel
spécifiquement dû au resaignement.
Si tel était le cas, on pourrait
espérer qu’un nombre relativement important de patients puissent
être suivis de manière à prouver une association statistiquement
significative entre une diminution de l’incidence du resaignement et
une amélioration du devenir visuel.
Le pronostic visuel peut être lié de manière très proche au volume
de l’hyphéma.
Par exemple, Edwards et Layden ont trouvé que
l’acuité visuelle finale diminuait de façon proportionnelle au volume
de l’hyphéma, sans savoir si le volume de l’hyphéma était atteint
dès la présentation ou après un resaignement.
D’autres auteurs
ont également rapporté des résultats similaires ou comparables (l’incidence du glaucome semble être également
liée au volume de sang dans la chambre antérieure).
Bien que Rahmani et al n’aient pas trouvé d’association entre le volume de
l’hyphéma et le pronostic visuel, ils ont exclu de leur étude les
patients avec des « billes noires » (c’est-à-dire un hyphéma total), les
patients avec un resaignement avéré avant leur admission et les
patients adressés plus de 48 heures après le traumatisme, qui
pouvaient biaiser les résultats.
Si l’hypothèse selon laquelle le pronostic visuel est directement lié
au volume de l’hyphéma est exacte, alors on peut comprendre
combien il a été difficile de prouver un bénéfice visuel avec l’emploi
de l’Amicart par exemple, malgré son bénéfice démontré à diminuer
l’incidence du resaignement.
La plupart des hyphémas occupent
moins d’un tiers du volume de la chambre antérieure et, même après
une hémorragie secondaire, ils occupent moins de la moitié de la
chambre antérieure.
Dans les études qui ont
établi l’efficacité de l’Amicart, la majorité des patients avaient moins
d’un tiers du volume de la chambre antérieure rempli de sang,
même après le resaignement.
En comparaison à l’hyphéma initial, la
probabilité qu’une hémorragie secondaire devienne totale est plus
élevée.
Par extension, comme une hémorragie secondaire
est associée à une augmentation du volume de sang dans la chambre
antérieure, elle est également probablement associée avec un plus
mauvais pronostic visuel.
Parce que la plupart des hyphémas, à la
fois primaires et secondaires, n’occupent pas plus de 50 % du
volume de la chambre antérieure, ils ne sont pas habituellement
associés avec une baisse de l’acuité visuelle.
Par conséquent, il serait
utile de réaliser une étude avec un grand nombre de patients pour
démontrer une amélioration du pronostic visuel avec l’utilisation des
médicaments antifibrinolytiques.