Hyperhomocystéinémie

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Introduction :

L’homocystéine (HCY) est un acide aminé soufré situé sur la voie métabolique d’un acide aminé indispensable, la méthionine.

L’existence d’une relation possible entre les acides aminés soufrés, l’athérosclérose, et les maladies thromboemboliques, évoquée dès les années 1920, resurgira dans les années 1960.

L’homocystinurie relève d’un déficit congénital héréditaire en cystathionine-â-synthase (CBS), enzyme intervenant sur la voie métabolique de la méthionine.

L’homocystinurie se caractérise par une dislocation du cristallin, des malformations squelettiques, mais surtout des accidents thromboemboliques et une athérosclérose précoce, cause de la mort de ces jeunes patients. Mudd et McCully identifièrent deux déficits enzymatiques majeurs responsables d’homocystinurie, portant sur la CBS, et sur la 5-10-méthylène-tétrahydrofolate réductase (MTHFR).

Hyperhomocystéinémie

En 1975, à partir des données cliniques et autopsiques, mais aussi expérimentales, McCully émet l’hypothèse d’un rôle de l’HCY dans le développement des lésions d’athérosclérose et des thromboses.

Il faudra attendre la fin des années 1970, après les travaux de Wilken et al sur l’athérosclérose coronarienne, pour que de très nombreuses équipes s’intéressent aux liens entre l’HCY, l’athérosclérose et les thromboses artérielles et veineuses.

Métabolisme de l’homocystéine :

L’HCY est synthétisée au cours du métabolisme de la méthionine, au carrefour des voies de la transsulfuration et de la reméthylation.

Les principaux facteurs limitants sont les activités enzymatiques de la CBS et la MTHFR et de leurs cofacteurs vitaminiques (folates, vitamine B6, vitamine B12).

Une ou plusieurs anomalies enzymatiques conduiront à une augmentation de l’HCY totale plasmatique.

L’HCY plasmatique augmente avec l’âge, les médicaments interférant avec le métabolisme des folates, le taux de créatininémie, la dégradation de la fonction hépatique, et est Patrice Cacoub : Professeur des Universités, praticien hospitalier service de médecine interne

Pierre Hausfater : Chef de clinique-assistant, service de médecine interne Nelly Jacob : Praticien hospitalier, laboratoire de biochimie.

Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 43-87, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France. plus élevée chez l’homme.

Les normales d’HCY totale sont de 10 à 15 ímol/L, mais varient d’un laboratoire à l’autre (technique de dosage, choix des populations témoins), imposant pour chaque étude une population témoin appariée pour l’âge et le sexe.

Le dosage d’HCY, après test de charge à la L-méthionine, a été proposé pour dépister les formes hétérozygotes au cours desquelles les taux d’HCY basale peuvent être modérément élevés, voire normaux.

Toutefois ce test pose certaines difficultés d’interprétation (définition des valeurs normales et pathologiques, délai séparant l’ingestion de la méthionine et le dosage de l’HCY postcharge), aboutissant à une absence de standardisation.

Au cours de l’homocystinurie homozygote par déficit enzymatique total, le diagnostic pose peu de problèmes (taux plasmatique d’HCY supérieur à 300 ímol/L et activité enzymatique indétectable).

Les conséquences pathologiques sont caricaturales avec une athérosclérose extensive avant l’âge de 20 ans et des thromboses artérielles et veineuses multiples conduisant au décès précoce des patients.

Cette pathologie est exceptionnelle dans la population générale et n’a que peu d’impact en termes de santé publique.

Les déficits hétérozygotes posent une problématique très différente.

L’HCY basale peut être normale ou peu augmentée et alors le test de charge en méthionine prend toute sa valeur.

La mesure directe de l’activité de la CBS in vitro dans des fibroblastes en culture ou dans les lymphocytes est possible mais ne peut, dans l’état actuel des choses, être proposée comme test de routine. Théoriquement, l’activité de la CBS est nulle chez le sujet homozygote et est de 50 % chez le sujet hétérozygote.

En fait, les mesures pratiquées chez les patients montrent des taux d’environ 30 % chez l’hétérozygote, suggérant une hétérogénéité allélique s’exprimant au niveau phénotypique.

L’activité enzymatique de la CBS est mesurée en quantifiant la cystathionine radioactive produite par les fibroblastes dermiques en culture ou les lymphocytes activés des malades à partir d’une quantité de sérine radioactive connue.

McGuil et al ont fait une analyse des résultats du dosage de l’HCY de base et après test de charge en méthionine et de la mesure de l’activité de la CBS, dans plusieurs études comportant une population de témoins et une population d’hétérozygotes obligatoires.

Ces auteurs ont montré qu’aucune méthode employée seule ne peut différencier les hétérozygotes obligatoires des témoins du fait du recouvrement des valeurs individuelles, suggérant l’utilisation de plusieurs méthodes en parallèle pour définir ces sujets.

Des études récentes ont permis de cloner le gène codant pour la CBS.

Il a été ensuite possible de détecter des anomalies moléculaires au niveau de ce gène chez des sujets homozygotes, mais aussi chez des hétérozygotes à risque de complications thromboemboliques.

Plus d’une quinzaine de mutations du gène de la CBS ont été identifiées.

Ces descriptions ont, non seulement un intérêt diagnostique, mais aussi thérapeutique, car certaines mutations sont associées à la bonne réponse à une surcharge en vitamine B6.

On peut ainsi espérer que les progrès de la génétique et de la biologie moléculaire permettront, dans un futur proche, un dépistage « direct » des sujets à risque par recherche de l’anomalie moléculaire du gène de la CBS, avec des conséquences thérapeutiques préventives ciblées.

Depuis une quinzaine d’années, les données s’accumulent sur des modèles cellulaires in vitro, des modèles expérimentaux, et à partir d’études cliniques, suggérant qu’une augmentation modérée de l’HCY est un facteur de risque indépendant pour le développement d’une athérosclérose précoce, et un facteur de risque de thrombose artérielle ou veineuse.

Hyperhomocystéinémie, athérosclérose et thromboses artérielles :

Les modèles expérimentaux, présentant des lésions vasculaires proches de celles que l’on voit chez l’homme dans les cas de déficit homozygote en CBS, reposent sur l’administration par voie parentérale aux animaux (lapins, babouins, rats) d’HCY thiolactone qui s’hydrolyse spontanément en HCY.

Les animaux développent des plaques fibreuses, différentes des habituelles plaques fibrolipidiques, associant une hyperplasie des cellules musculaires lisses, des dépôts et épaississements des matrices extracellulaires, et une fragmentation de la limitante élastique interne qui se dissèque longitudinalement.

L’administration concomitante de doses importantes de cholestérol et d’HCY thiolactone entraîne une amplification marquée des lésions et une modification des altérations fibrosclérotiques vers des lésions fibrolipidiques.

L’administration intraveineuse chronique d’HCY provoque rapidement l’apparition de lésions endothéliales myo-intimales avec cellules musculaires lisses dans l’intima.

Dans les premières études cliniques, chez des patients sélectionnés (athérosclérose symptomatique, avant l’âge de 55 ans, sans facteur de risque vasculaire associé), l’HCY était élevée chez 23 à 47 % des patients présentant des lésions des troncs supraaortiques ou une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, et 10 à 24 % des patients avec atteinte coronaire, contre 7 % dans les populations témoins.

La plupart de ces études avaient des limites méthodologiques, notamment leur caractère rétrospectif ou transversal, avec mesure de l’HCY après la survenue d’un accident vasculaire (coronarien, cérébral ou des membres inférieurs), ce qui ne permettait pas de faire la part entre une hyperhomocystéinémie primitive favorisant le développement de l’athérosclérose et des thromboses artérielles, ou une hyperhomocystéinémie secondaire survenant après les accidents artériels eux-mêmes liés à d’autres facteurs.

Les données récemment publiées de plusieurs études prospectives permettent de répondre à ces légitimes objections et de confirmer que l’hyperhomocystéinémie modérée est un facteur de risque vasculaire indépendant.

La Physician’s Health Study est une étude cas-témoin appariée, réalisée au sein d’une cohorte de 15 000 hommes, médecins américains, initialement exempts d’atteinte coronaire, avec un suivi prospectif de 5 ans.

L’HCY plasmatique basale mesurée à l’entrée dans l’étude était significativement plus élevée dans le groupe des 271 sujets qui présenteront un infarctus aigu du myocarde durant le suivi, que dans un groupe témoin apparié.

En raisonnant sur les valeurs moyennes d’HCY, le risque relatif d’infarctus était de 1,18, équivalent à une augmentation du risque de 18,2 % pour chaque dépassement de l’HCY d’une déviation standard.

Si l’on analyse les résultats en termes de cas exposés, c’est-à-dire de sujets présentant à l’entrée dans l’étude une augmentation de l’HCY au-dessus de 15,8 ímol/L (moyenne plus deux écarttypes), l’hyperhomocystéinémie était retrouvée chez 11 % des malades contre 2 % des témoins (risque relatif = 3,1).

Il n’y avait pas de corrélation entre l’hyperhomocystéinémie et les autres facteurs de risque vasculaire.

Dans l’étude de Selhub et al, émanation de la cohorte de Framingham, portant sur 1 041 sujets (418 hommes, 623 femmes, âgés de 67 à 96 ans), le pourcentage de sujets avec une sténose carotidienne en échographie doppler augmentait de façon linéaire avec les taux d’HCY, passant de 25 % pour une HCY à 8 ímol/L à plus de 50 % pour une HCY dépassant 18 ímol/L.

Ces différences restaient hautement significatives après ajustement de l’âge, du sexe, du taux d’high density lipoprotein (HDL cholestérol), de la pression artérielle systolique et du tabagisme.

L’augmentation du risque de sténose carotidienne apparaissait même chez les sujets avec une HCY « normale » par rapport aux témoins, suggérant que les critères habituellement utilisés pour définir l’hyperhomocystéinémie (taux supérieur à la moyenne plus deux écarts-types des sujets témoins) pourraient être reconsidérés.

D’autant que des résultats proches ont été retrouvés dans d’autres études pour le risque d’infarctus du myocarde, d’épaississement de la paroi carotidienne, de sténose carotidienne déterminée par angiographie, et d’accident vasculaire cérébral transitoire ou constitué.

Une étude prospective et contrôlée au Royaume-Uni, à partir d’une cohorte de plus de 5 000 hommes âgés de 40 à 59 ans suivis depuis 1980, a également trouvé une augmentation significative des taux d’HCY plasmatique chez les sujets ayant fait un accident vasculaire cérébral ischémique par rapport aux témoins appariés (13,7 versus 11,9 ímol/L, p = 0,004).

Le risque relatif augmentait parallèlement aux taux d’HCY.

L’HCY était un facteur de risque indépendant des autres facteurs de risque vasculaire.

Une seule étude contrôlée finlandaise trouve des résultats divergents, à partir d’une cohorte de 7 424 hommes et femmes, âgés de 40 à 64 ans, suivis depuis 1977, en ne trouvant pas de différence significative d’HCY chez les sujets faisant un infarctus myocardique ou un accident vasculaire cérébral ischémique.

Les données concernant l’artériopathie des membres inférieurs sont comparables, bien que moins nombreuses.

Plusieurs travaux ont montré que les patients présentant une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, avaient des taux d’HCY plus élevés que les témoins.

Les patients avec une hyperhomocystéinémie avaient une évolutivité plus importante de leur artériopathie.

Hyperhomocystéinémie et thromboses veineuses :

Au cours de la maladie veineuse thromboembolique, le nombre d’études est beaucoup plus faible mais les liens avec une hyperhomocystéinémie modérée semblent étroits.

Dans les premières études, la prévalence d’une hyperhomocystéinémie basale ou après charge en méthionine était significativement plus élevée chez les patients avec maladie thromboembolique veineuse que chez les témoins appariés pour l’âge et le sexe.

L’interprétation n’était pas simple car de nombreux patients avaient d’autres facteurs de risque de thrombose (traitement oestroprogestatif, tabagisme, syndrome myéloprolifératif, thrombocytémie essentielle, anticoagulant circulant, etc).

Plus récemment, Den Heijer et al ont étudié 185 patients ayant présenté des thromboses veineuses récidivantes et 220 témoins.

Une hyperhomocystéinémie basale ou après test de charge en méthionine, était retrouvée chez 25 % des patients contre 9 % des témoins (risque relatif = 3,1, risque ajusté = 2,0).

Le risque de thrombose veineuse augmentait progressivement avec l’augmentation des taux d’HCY : de 2,7 pour une HCY à 16,2 ímol/L (80e percentile), à 3,1 pour une HCY à 22 ímol/L (95e percentile).

Comme pour le développement de l’athérosclérose, il n’y a donc pas forcément un seuil d’HCY plasmatique net au-delà duquel le risque augmente.

Comme pour d’autre facteurs de risque de thromboses veineuses profondes, deux des études publiées retrouvaient fréquemment (40 à 54 %) chez les patients hyperhomocystéinémiques un autre facteur de risque prothrombotique.

Dautres travaux portant sur les thromboses veineuses ou artérielles ont souligné la grande prévalence d’une hyperhomocystéinémie dans ces contextes.

Physiopathologie des atteintes vasculaires associées à l’hyperhomocystéinémie :

L’élévation prolongée des taux d’HCY plasmatique entraîne des lésions des cellules pariétales vasculaires, du tissu conjonctif, et des modifications prothrombogènes des facteurs de la coagulation.

Les cellules endothéliales présentent des vacuolisations, des fragmentations nucléiques et de la nécrose fibrinoïde.

L’HCY induit une apoptose des cellules endothéliales, une prolifération des cellules musculaires lisses, associée à des perturbations des synthèses du collagène et des matrices glycoprotéiques extracellulaires, aboutissant à une fragmentation des fibres élastiques et des calcifications pariétales.

L’HCY, par le biais des espèces oxygénées réactives, provoque l’oxydation des lipoprotéines low density lipoprotein (LDL), favorisant leur captation par les macrophages et les cellules musculaires lisses.

L’exposition prolongée de culture de cellules endothéliales à l’HCY entraîne une diminution de la production de monoxyde d’azote.

L’HCY inhibe l’expression à la surface endothéliale de la thrombomoduline, active la protéine C et le facteur V, inhibe la production du facteur de Willebrand et augmente l’activité procoagulante du facteur tissulaire.

Conséquences thérapeutiques possibles :

La surcharge vitaminique (acide folique, vitamine B6), à doses modérées et donc sans risque métabolique, permet de normaliser les taux HCY plasmatiques, même en l’absence de carence.

Il est probable que l’apport en excès de ces différentes vitamines, cofacteurs des enzymes clés du métabolisme de l’HCY, permette chez les sujets hétérozygotes d’augmenter l’activité déficiente de ces enzymes, et donc de normaliser les taux d’HCY.

Il est déjà démontré que la supplémentation alimentaire en folates et thiamine permet de diminuer significativement les taux d’HCY.

Une méta-analyse récente suggère un rôle bénéfique d’une supplémentation en folates, à des posolgies quotidiennes de 1 à 2 mg.

Le véritable problème, non encore résolu, est de savoir si la normalisation ou l’abaissement des taux d’HCY pendant une période prolongée peut diminuer le risque vasculaire, en termes d’événement clinique (accident vasculaire cérébral, coronarien ou des membres inférieurs), ou en termes de modification objective (échodoppler des carotides).

Plusieurs études prospectives de prévention secondaire sur ce thème ont (ou vont) démarrer prochainement et devraient apporter des réponses claires à ces questions aux conséquences potentiellement majeures pour la santé publique.

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