Les hémorragies de la délivrance sont des pertes de sang
ayant leur origine dans la zone d’insertion placentaire, survenant
au moment de la délivrance ou dans les 24 heures
qui suivent l’accouchement, anormales par leur abondance
(supérieures à 500 mL) et (ou) par leurs effets sur l’état
général.
Cette valeur de 500 mL est discutable.
En effet, il semble
que 40 % environ des femmes perdent plus de 500 mL de
sang après un accouchement par les voies naturelles. Les
pertes sont toujours sous-estimées.
L’étude des hémorragies de la délivrance est indissociable
de celle des hémorragies contemporaines de la délivrance,
qui en sont classiquement le diagnostic différentiel, et qui
sont dues à des plaies des organes génitaux ou des parties
molles.
Diagnostic
:
A - Diagnostic positif :
1- Signes locaux
:
Que le placenta soit ou non sorti il existe une hémorragie
externe, une hémorragie intra-utérine, ou l’association des
deux.
• L’hémorragie externe est indolore, le plus souvent sournoise,
masquée par l’épisiotomie (aggravée par elle).
Parfois
cependant, c’est un flot de sang rapide et brutal, avec
caillots, ou bien l’aggravation brutale d’une hémorragie
moyenne par un flot de sang. Écoulement sournois et
hémorragie brutale peuvent s’associer.
• L’hémorragie intra-utérine modifie la morphologie et la
situation de l’utérus.
Il y a « perte du globe de sûreté » ;
l’utérus devient mou et flasque.
Le fond utérin remonte, et
cette remontée est différente de l’ascension du fond observée
lors de la descente du placenta, ou de l’ascension utérine
due à un globe vésical.
L’expression utérine fait venir un flot de sang.
2- Signes généraux :
Ce sont l’accélération et le pincement du pouls (+++), des
vertiges, des lipothymies, une soif d’air.
Ces signes annoncent
le collapsus.
B - Diagnostic différentiel :
les lésions génitales traumatiques
Faire un diagnostic différentiel est livresque : il y a une
démarche diagnostique à suivre devant une hémorragie
contemporaine de la délivrance, et plusieurs causes d’hémorragies
peuvent être associées, surtout après des accouchements
difficiles, compliqués de manoeuvres obstétricales
ou d’applications instrumentales.
1- Ruptures utérines :
Elles surviennent sur un utérus cicatriciel (antécédent
de césarienne, de myomectomie, d’hystéroplastie ou
de perforation lors d’un curetage antérieur), ou sur un utérus
fragilisé par la multiparité, les grossesses multiples,
l’hydramnios ou les malformations utérines, souvent
dans un contexte de disproportion foeto-pelvienne non
dépistée.
Elles peuvent aussi être iatrogéniques : hypertonie due à
l’administration de doses trop importantes d’ocytociques,
quelquefois sur bassin vicié ; extractions instrumentales ou
manoeuvres obstétricales (grandes extractions par
exemple).
Ces facteurs étiologiques peuvent être associés.
2- Lésions cervico-vaginales :
Les déchirures du dôme vaginal, comme les déchirures cervicales,
latérales, sont la plupart du temps favorisées par
un accouchement dystocique avec manoeuvres instrumentales.
L’épisiotomie peut se compliquer de lésions vaginales.
Le thrombus vulvo-vaginal, dû à la rupture d’un vaisseau
sanguin lors de l’accouchement, favorisé par les varices
vulvaires, peut s’extérioriser lors d’une épisiotomie ou
d’une déchirure.
C - Diagnostic étiologique :
1- Rétention placentaire :
Elle est l’étiologie la plus fréquente des hémorragies de la
délivrance, définie comme la persistance de tout ou partie
du placenta dans la cavité utérine.
Elle peut être totale (non
décollement), ou partielle (cotylédon aberrant le plus souvent).
Dans la zone décollée, les sinus maternels sont béants
et saignent, cependant que la zone adhérente empêche l’expulsion
du placenta et par conséquent la rétraction utérine
(dont le rôle hémostatique est primordial).
Les rétentions peuvent être dues à des altérations de la
muqueuse : infectieuses, traumatiques (curetage, cicatrices
utérines), fibromes sous-muqueux ; des anomalies placentaires
: anomalies d’insertion (utérus double, placenta prævia
ou accreta) ou de conformation anormale (gros placenta,
placenta de forme anormale : cotylédons accessoires,
placenta bipartita) ; des anomalies de la contraction utérine
: inertie utérine (travail prolongé ou très rapide, grande
multiparité, grossesses multiples, hydramnios médicamenteuses
: anesthésiques halogénés, bêtamimétiques,
doses trop importantes d’ocytociques) ; hypertonie localisée
: formation d’un anneau hypertonique (placenta « incarcéré
», retenu par l’anneau de Bandl, placenta enchatonné,
retenu dans une corne).
2- Inertie utérine secondaire :
Elle survient après la délivrance. Elle est due aux mêmes
causes que celles évoquées plus haut. Elle peut en soi entraîner
des hémorragies (pas de phénomène des ligatures
vivantes).
3- Troubles de la coagulation :
Ils peuvent empêcher la coagulation du sang au niveau du
lit d’insertion placentaire, être secondaires à une pathologie
obstétricale, source de coagulopathie de consommation
par coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) ; hématome
rétroplacentaire (HRP), HELLP (H : hemolyisis
hémolyse ; EL : elevated liver augmentation des tansaminases
; LP : low platelets thrombopénie) syndrome, embolie
amniotique, chocs, notamment toxi-infectieux ou
hémorragiques (inertie utérine par exemple). Noter que les
produits de dégradation de la fibrine (PDF) ont un effet
inhibiteur de la contraction utérine.
Ils peuvent être dus à une pathologie médicale : troubles
congénitaux de l’hémostase non compensés (maladie de
von Willebrand par exemple) ; thrombopénies (purpura
thrombopénique idiophatique (PTI).
Cette pathologie médicale va surtout décompenser, ou
aggraver le retentissement d’une hémorragie minime.
Principes de traitement :
A - Traitement de première intention :
1- Traitement obstétrical
:
Ce traitement doit être réalisé avec une asepsie chirurgicale,
une analgésie de qualité, un bon éclairage, et avec
l’aide d’un ou de deux assistants.
Devant un accouchement hémorragique, on doit réaliser :
• une délivrance artificielle, si le placenta n’a pas encore
été expulsé naturellement, puis une révision utérine pour
vérifier qu’il ne reste pas une partie du placenta à l’intérieur
de l’utérus ou qu’il n’existe pas de rupture utérine, ou
de lésion du segment inférieur propagée au col ;
• une vérification précise, à l’aide de valves vaginales, de
l’intégrité du col et du vagin ;
• la suture de ces lésions et d’une éventuelle épisiotomie,
sans perdre de temps ;
• les ocytociques assurent et maintiennent une bonne rétraction
dès que l’utérus est vide.
On emploie l’ocytocine, ou Syntocinon (2 à 5 UI en IVD lente et 5 ou 10 UI dans 500
cm3 de sérum glucose).
La méthyl-ergo-métrine, ou
Méthergin par voie intraveineuse ou intramusculaire, est
de moins en moins employée en raison du risque de
spasmes vasculaires ;
• la rétraction utérine sera contrôlée très régulièrement,
stimulée au besoin par des massages utérins.
Certains proposent
l’emploi d’un sac de sable, placé au contact du fond
utérin, pour empêcher l’utérus de se remplir de caillots.
2- Réanimation médicale :
Dès le diagnostic d’hémorragie contemporaine de la délivrance,
il faut :
• mettre en place une ou deux voies veineuses de bon
calibre ;
• débuter une surveillance régulière du pouls, de la tension
et de la diurèse ;
• demander un bilan en urgence : recherche d’agglutinines
irrégulières (obligatoire avant toute transfusion), numération
sanguine (hématocrite, hémoglobine et plaquettes) et
bilan d’hémostase complet à la recherche d’une CIVD ;
• bien oxygéner la patiente et la mettre en position de Trendelenburg
;
• les pertes sanguines sont compensées en fonction de ces
paramètres ; il est important de compenser les pertes sanguines
non seulement sur le plan volumétrique par des solutés
de remplissage ou des concentrés globulaires mais aussi
d’apporter les facteurs de l’hémostase consommés ou spoliés
par l’hémorragie.
B - Traitement de deuxième intention :
Si les traitements envisagés ci-dessus se sont révélés inefficaces,
on va, conformément au protocole que chaque bloc
obstétrical doit avoir, mettre en route un traitement médical,
puis chirurgical.
1- Traitement médical :
La patiente reçoit déjà de l’ocytocine en perfusion.
On va
la remplacer par une prostaglandine de synthèse : la sulprostone
(Naladon) en perfusion (une ampoule de 500 mg
dans 250 cm3 de NaCl ; 180 mL/h sans dépasser la dose
maximale de 3 ampoules).
L’effet est obtenu en 30 minutes.
2- Traitement chirurgical :
En cas d’échec, on peut proposer : un tamponnement
interne par des mèches vaginales ou une traction sur le col
de l'utérus par l’intermédiaire de pinces de Museux avec
une rotation de 180° sur les pinces.
Ces manoeuvres peuvent être tentées avant d’entreprendre
une intervention plus radicale : ligature des hypogastriques
ou hystérectomie d’hémostase.
• La ligature des hypogastriques nécessite une laparotomie
en urgence avec ligature, avec un fil résorbable, de l’artère
iliaque interne dont l’artère utérine est une branche.
• L’hystérectomie d’hémostase représente le dernier
recours et doit être réalisée contraint et forcé par l’état
hémodynamique de la patiente.
Il s’agit d’une hystérectomie
par voie abdominale interannexielle et le plus souvent
subtotale.
• L’embolisation des artères utérines est proposée par certaines
équipes qui en ont l’expérience et qui disposent d’un
plateau technique adapté ; elles réalisent une embolisation
radiologique des artères utérines, alternative au traitement
chirurgical.
C - Traitement préventif
:
Un traitement préventif doit limiter le risque d’hémorragies
de la délivrance.
La physiologie de la délivrance doit
être respectée. Une révision utérine doit être faite si l’examen
du placenta, après la délivrance, montre qu’il n’est pas
complet.
Une délivrance artificielle et une révision utérine
sont à faire systématiquement lorsque les conditions obstétricales
favorisent une inertie ou une rétention placentaire.
• Indications formelles : grossesses multiples, gros oeuf et
hydramnios, placenta prævia, utérus très fibromateux,
troubles de l’hémostase.
• Indications relatives : anomalies du travail, antécédents
d’anomalies de la délivrance.
Ces gestes sont à réaliser aussi lorsqu’il y a des risques
de lésions des parties molles ou de l’utérus (utérus cicatriciel,
applications instrumentales et manoeuvres obstétricales).