L’hémochromatose est une affection caractérisée par une hyperabsorption digestive de fer, génétiquement transmise comme
une maladie autosomique récessive et déterminée par le gène HFE,
situé sur le chromosome 6.
Cette définition, qui n’implique
nullement une surcharge massive en fer, couvre l’ensemble du
champ d’expression de la maladie depuis les formes
asymptomatiques (à l’extrême, sans excès hépatique en fer) jusqu’au
tableau historique, et n’exclut pas la possible implication de facteurs
génétiques accessoires ou de facteurs d’environnement.
C’est l’école française qui a mis en évidence l’entité anatomoclinique
correspondant à l’hémochromatose.
Trousseau, en 1865, et Troisier,
en 1871, décrivent en effet la cirrhose pigmentaire accompagnée de
diabète sucré.
Mais c’est von Recklinghausen qui, en 1889, propose
le terme d’« hémochromatose », impliquant la notion d’un pigment
venant du sang et se déposant dans les tissus.
En 1935, Sheldon
rapporte les premières formes familiales et suggère le rôle de
l’hérédité.
À partir de 1969, le concept de maladie génétique récessive se fait
jour et c’est la mise en évidence en 1975, par M Simon et al,
d’une association entre certains antigènes leucocytaires d’histocompatibilité
(HLA : human leucocyte antigen) et les formes
d’apparence idiopathique d’hémochromatose, qui établit
définitivement la nature génétique de la maladie.
La découverte du gène HFE par Feder et al en 1996 constitue enfin une étape
majeure dans la prise en charge et le démembrement des surcharges
en fer.
L’hémochromatose, ainsi définie, se démarque des autres situations
de surcharge chronique en fer, qui ne doivent plus être dénommées
« hémochromatoses secondaires » mais « surcharges en fer
secondaires ».
Physiopathologie
:
A - MÉTABOLISME NORMAL DU FER
:
Le fer est un élément essentiel du métabolisme humain car il est
impliqué dans le transport de l’oxygène (hémoglobine, myoglobine)
et des électrons (cytochromes) et cofacteur de nombreuses enzymes.
Le contenu total en fer de l’organisme humain est normalement de
l’ordre de 4 g, principalement localisés dans l’hémoglobine (60 %) et
dans les compartiments de stockage (25 % dans le foie, la rate et la
moelle osseuse).
Dix pour cent se situent dans le muscle squelettique
(myoglobine).
Le fer total de l’organisme est normalement maintenu
à une quantité constante par une balance entre la quantité absorbée
et la quantité perdue.
Les pertes martiales (1 mg/j) se font essentiellement par la
desquamation des cellules intestinales épithéliales.
De plus petites
quantités sont perdues via la bile, la peau (desquamation cellulaire
et sueur) ou l’urine.
Par ailleurs, il existe une perte intestinale
minime de sang.
Chez l’adulte normal, ces pertes sont équilibrées par l’absorption du
fer alimentaire (1 à 2 mg/j, correspondant à environ 10 % du
contenu martial d’un régime normal).
L’absorption du fer se situe
essentiellement dans la partie proximale du grêle (duodénum et
haut jéjunum).
Elle est modulée par des facteurs luminaux (contenu martial alimentaire, forme physicochimique du fer, sécrétions gastrointestinales)
et des facteurs cellulaires.
L’absorption martiale par les entérocytes implique classiquement deux étapes : la captation du fer
à partir de la lumière intestinale par la cellule (captation muqueuse),
puis son relargage de l’entérocyte vers le courant circulatoire
(transfert muqueux).
L’absorption intestinale est le mécanisme clé de l’homéostasie
martiale.
Deux facteurs principaux
– le niveau du stock en fer de
l’organisme et le niveau d’érythropoïèse
– la régulent.
Une relation
inverse existe entre la quantité totale de fer de l’organisme et
l’absorption du fer, alors que l’accroissement de l’activité érythropoïétique (par saignement ou hémolyse) induit une
augmentation de l’absorption intestinale en fer.
Les signaux
permettant cette régulation fine de l’absorption du fer ne sont pas
connus.
B - MÉCANISMES DE CONSTITUTION
DE LA SURCHARGE :
Les mécanismes précis de constitution de la surcharge en fer dans
l’hémochromatose demeurent encore mal compris. Trois questions
principales sont posées.
1- Lien surcharge en fer-gène « HFE »
:
Le gène de l’hémochromatose a été localisé, il y a une vingtaine
d’années, sur le bras court du chromosome 6 en étroite liaison avec
les gènes HLA de classe I.
La mise en évidence de cette
association a permis la démonstration du mode de transmission autosomal récessif de l’affection.
En 1996, Feder et al ont cloné
un gène qu’ils ont dénommé HLA-H et dont une des mutations,
C282Y, est très fortement associée à l’hémochromatose.
De ce fait, HLA-H a été rapidement considéré comme le (ou un) gène de
l’hémochromatose et rebaptisé comme tel du sigle HFE.
Le gène HFE est situé physiquement plus à distance du gène HLA-A
qu’on le supposait, puisque 4,5 Mb le séparent d’HLA-A.
Toutefois, la distance génétique entre les deux gènes est de l’ordre du
centimorgan, ce qui est faible et témoigne du caractère
particulièrement conservé de cette partie du chromosome 6.
La
protéine HFE est faite de 343 acides aminés et présente
d’importantes similitudes avec les protéines du complexe HLA de
classe I.
Une mutation, C282Y, a été retrouvée à l’état homozygote
chez 83 % des patients de l’étude initiale.
Il s’agit d’une mutation
G ® A en position 845 sur le gène HFE avec, pour conséquence sur
la protéine, le remplacement de la cystéine (C) 282 par une tyrosine
(Y). Une autre mutation, H63D, a été décrite.
Il s’agit d’une mutation
G ® C en position 845 sur le gène HFE avec, pour conséquence sur
la protéine, le remplacement de l’histidine (H) 63 par un acide
aspartique (D). Elle est en complet déséquilibre de liaison avec la
mutation C282Y, c’est-à-dire que H63D et C282Y sont exclusives
l’une de l’autre sur un même chromosome.
Depuis 1996, un certain nombre d’arguments sont venus confirmer
que le gène HFE correspond bien au gène de l’hémochromatose :
– la forte proportion d’homozygotes C282Y chez les patients
présentant un phénotype d’hémochromatose a été confirmée dans
toutes les séries ;
– la structure prédite de la protéine montre une forte homologie
avec les protéines HLA de classe I et assigne un rôle important à la
mutation C282Y, puisque cette mutation abolit un pont disulfure
indispensable à la liaison de la protéine avec la bêta-2-microglobuline.
Or, la souris déficiente en bêta-2-microglobuline
présente une surcharge en fer spontanée qui ressemble à la maladie
humaine ;
– la souris déficiente HFE présente également une surcharge
parenchymateuse en fer.
Les acides ribonucléiques messagers (ARNm) de HFE sont présents
dans presque tous les tissus.
La protéine a été localisée à la
surface des cellules du tractus digestif, uniquement en basolatéral
pour les cellules polarisées.
Dans les entérocytes des cryptes de
l’intestin grêle, lieu de l’absorption du fer, la distribution est particulière, sous forme d’amas intracytoplasmiques périnucléaires.
La synthèse de la protéine a été étudiée dans des lignées cellulaires transfectées.
Il s’agit d’une glycoprotéine, qui s’associe à la béta-
2-microglobuline dans l’appareil de Golgi pour être ensuite
exprimée à la surface de la cellule.
La mutation C282Y, mais non la
mutation H63D, empêche cette association et entraîne la rétention
de la protéine dans l’appareil de Golgi.
Enfin, il a été démontré que
dans le placenta, HFE s’associe avec la bêta-2-microglobuline et le
récepteur de la transferrine pour former un complexe de haut poids
moléculaire et diminue l’affinité du récepteur de la transferrine pour
la transferrine (qui transporte le fer dans le sérum).
La mutation
C282Y abolit l’association et la régulation de l’affinité, et la mutation
H63D abolit uniquement la régulation.
Dans une lignée cellulaire,
l’hyperexpression de HFE diminue l’affinité du récepteur de la
transferrine pour la transferrine et le taux de ferritine intracellulaire.
En résumé, le système transferrine-récepteur de la transferrine étant
le principal mode d’entrée du fer dans certaines cellules, il se dessine
un rôle potentiel d’HFE dans le métabolisme du fer, sans que le lien
entre HFE et surcharge en fer soit actuellement explicité.
2- Hyperavidité intestinale et hépatique pour le fer :
seul facteur responsable ?
Il existe une hyperabsorption intestinale du fer au cours de
l’hémochromatose, ainsi que l’ont démontré les travaux utilisant le
fer radioactif.
De plus, la muqueuse duodénale isolée de patients hémochromatosiques capte le fer avec beaucoup plus d’avidité que
celle de patients atteints de surcharge secondaire en fer.
Mac Laren
et al ont rapporté une augmentation du transfert muqueux du
fer dans l’hémochromatose.
Une augmentation de la captation du
fer par le foie est également retrouvée, aussi bien pour le fer transferrinique que pour le fer non lié à la transferrine.
Cependant,
à côté de ce mécanisme d’avidité, pourrait intervenir une diminution
de l’excrétion biliaire du fer.
3- Hyperavidité intestinale et hépatique pour le fer :
primitive ou secondaire à l’atteinte du système
des phagocytes mononucléés ?
La concentration du fer dans les phagocytes mononucléés est un
facteur majeur de régulation de l’absorption intestinale du fer.
Plusieurs arguments suggèrent que ce système est déficitaire au
cours de l’hémochromatose :
– la concentration en fer dans les macrophages et les microvillosités
intestinales de la moelle osseuse et du foie (cellules de Kupffer) est
basse ;
– le système macrophagique a une capacité diminuée de rétention
du fer érythrocytaire ;
– dans le foie, la protéine HFE est présente dans les cellules de
Kupffer, mais pas dans les hépatocytes ;
– le relargage monocytaire de ferritine est augmenté chez les
patients hémochromatosiques comparés à des sujets contrôles.
Cependant, d’autres données s’inscrivent en défaveur de
l’implication du système des phagocytes mononucléés :
– les monocytes des sujets hémochromatosiques ne présentent
d’anomalies ni de la synthèse de ferritine, ni de la captation du fer
transferrinique ;
– il est possible d’expliquer la faible participation du système des
phagocytes mononucléés (en termes de surcharge en fer) par la
provenance intestinale du fer déposé et/ou par la nature
biochimique du fer impliqué (fer non lié à la transferrine), qui est
très efficacement capté par les hépatocytes et qui, de ce fait, pourrait
rendre compte de la distribution périportale et hépatocytaire
prédominante de la surcharge au cours de l’hémochromatose.
C - MÉCANISMES DE TOXICITÉ DU FER
:
Ils seront essentiellement abordés dans l’optique de la toxicité
hépatique du fer, sachant que les mécanismes en cause peuvent être
considérés comme ayant valeur de référence pour nombre d’autres
organes cibles de cette affection.
1- Modèles de toxicité hépatique du fer
:
Pour le clinicien, la corrélation entre l’intensité (et la durée) de
l’excès de fer et le développement d’une fibrose hépatique, ainsi que
la régression de l’hépatomégalie (avec disparition de la cytolyse
discrète initialement notée) sous l’effet de la thérapeutique déplétive,
témoignent bien de l’effet toxique du fer.
À l’opposé, il est difficile
de reproduire ces effets chez l’animal. Des résultats intéressants ont
toutefois été obtenus in vivo :
– chez le babouin, l’administration parentérale de fer conduit à une
élévation chronique des aminotransférases sériques et, en cas de très
forte surcharge, à une discrète fibrose au contact d’amas de cellules
sinusoïdales surchargées ;
– chez le rat surchargé par du fer carbonyl, la distribution du fer
ressemble à celle de l’hémochromatose (avec prédominance périportale et hépatocytaire).
Au bout de 8 mois de surcharge, il est
possible de mettre en évidence une fibrose périportale.
Cependant
cet effet fibrogène semble inconstant et aucune cirrhose ne peut être
reproduite ;
– la gerbille, soumis à l’administration parentérale de fer dextran,
développe une fibrose après 6 semaines et une cirrhose au bout de
12 semaines.
2- Cibles cellulaires de la toxicité du fer
:
* Toxicité hépatocytaire
:
L’atteinte hépatocytaire par le fer trouve son illustration clinique,
dans le domaine de l’hémochromatose, par les caractéristiques de la
lésion de sidéronécrose.
L’étude de 135 patients porteurs
d’hémochromatose a montré que la sidéronécrose était absente
en cas de surcharge modérée (concentration hépatique en fer
< 150 μmol/g de tissu sec - N < 36) et apparaissait en proportion
croissante dans les formes présentant une surcharge importante à
massive, se localisant principalement dans la zone 1 (périportale)
du lobule hépatique, souvent au voisinage de macrophages
surchargés.
Elle s’associait à une augmentation, modérée mais
hautement significative, des taux de transaminases sériques.
Expérimentalement, sur le modèle de culture d’hépatocytes de rat
adulte supplémentés avec du fer nitrilotriacétique (Fe-NTA), une
augmentation de la libération dans le milieu de culture de
lacticodéshydrogénase (LDH), aspartarte aminotransférase (ASAT)
et alanine aminotransférase (ALAT) a été observée par rapport aux
cultures témoins.
* Toxicité membranaire et peroxydation lipidique
:
La membrane constitue la cible majeure de la toxicité du fer.
Cette
toxicité membranaire concerne aussi bien la membrane plasmique
de l’hépatocyte que les membranes des différents organites intracytoplasmiques.
La peroxydation lipidique induite par le fer
représente le mécanisme dominant de cette toxicité membranaire.
Ce mécanisme a été démontré, en particulier à la suite des données
obtenues chez le rat surchargé en Fe-NTA ou avec du fer
carbonyl :
– sur des cultures d’hépatocytes de rat supplémentés en Fe-NTA, la
peroxydation lipidique a été évaluée par le taux de malondialdéhyde
(MDA) libre détecté par une technique de chromatographie liquide
à haute pression (HPLC : high pression liquid chromatography).
L’activité pro-oxydante du fer s’est traduite par une augmentation
des taux cellulaires et du milieu de culture en MDA libre ;
– les taux de MDA dans des hépatocytes provenant de rats soumis
à du fer carbonyl oral étaient significativement accrus après 21 jours
de ce régime en comparaison des rats témoins.
Ces données
apportent des arguments solides en faveur d’une peroxydation
lipidique induite par le fer in vivo.
Concernant les organites intracytoplasmiques impliqués dans ce processus peroxydatif, les
mitochondries sont en « première ligne », les microsomes étant,
quant à eux, affectés à un moindre degré.
La défaillance du
système oxydatif mitochondrial en est une des conséquences fonctionnelles.
L’atteinte peroxydative pourrait également intervenir
dans la fragilité lysosomale rapportée, sur des biopsies hépatiques
de patients surchargés en fer, au niveau des lysosomes chargés en
hémosidérine.
Cette fragilité lysosomale, qui régresse avec
l’élimination du fer par phlébotomies, pourrait conduire à une fuite
d’enzymes hydrolytiques dans le cytosol.
* Nature du fer toxique
:
Les formes biochimiques suivantes sont candidates pour rendre
compte de l’effet toxique du fer :
– le fer hémosidérinique : une corrélation a été trouvée entre sa
concentration et les marqueurs de fragilité lysosomale ;
– le fer ferritinique : dépourvu de toxicité lorsqu’il est abrité à
l’intérieur de la coque protéique de la ferritine, le fer, une fois libéré
de cette coque, peut promouvoir la peroxydation lipidique
dépendant des superoxydes ;
– le fer non lié à la transferrine (FNLT).
Cette forme de fer est de plus
en plus considérée comme responsable de l’effet toxique du fer.
Ce FNLT, qui est souvent présent dans le sérum des sujets
hémochromatosiques, correspond probablement à des complexes
d’ions fer avec des ligands organiques de faible poids
moléculaire.
Le FNLT, sur le modèle du foie perfusé isolé, est très
avidement capté par l’hépatocyte (extraction lors d’un passage
unique de 58-75 % contre moins de 1 % pour le fer transferrinique).
Fait d’importance, il n’y a pas de régulation négative
de cette captation hépatique lorsque le foie a été préalablement
surchargé en fer.
De plus, chez le rat in vivo, des données
récentes ont montré que l’excrétion biliaire du FNLT plasmatique
devenait négligeable lorsque l’animal avait été chroniquement
surchargé en fer carbonyl.
Globalement, ces résultats
supportent l’idée que, dans la surcharge en fer, le FNLT contribue à
une charge obligatoire du foie en fer du fait, non seulement du
maintien d’un haut niveau de captation, mais aussi d’une quasiabsence
d’élimination par voie biliaire.
Dès lors, prenant en compte
la forte propension du FNLT à stimuler la formation d’espèces
radicalaires oxygénées, cette forme de fer joue sans doute un rôle
toxique déterminant vis-à-vis du foie, mais aussi vis-à-vis d’autres
tissus.
Plusieurs possibilités existent, relativement aux espèces
oxygénées responsables de la peroxydation lipidique lors de la
surcharge en fer in vivo : le mécanisme classique concerne la
formation intermédiaire de radicaux libres oxygénés par
l’intermédiaire de la réaction de Fenton et/ou d’Haber-Weiss.
Alternativement, le fer ferrique pourrait générer des radicaux ferryl
ou perferryl capables d’une attaque directe des acides gras polyinsaturés.
Le fer peut aussi réagir avec des hydroxyperoxydes
préformés pour former des radicaux qui, à leur tour, vont propager
la peroxydation aux lipides de voisinage.
D - MÉCANISME(S) DE LA FIBROSE HÉPATIQUE
:
Il(s) demeure(nt) incertains.
– Sur le modèle du rat carbonyl, Pietrangelo et al ont rapporté
une activation rapide du gène du collagène pro-alpha-2 de type I.
– Un rôle non spécifique de la lésion hépatocytaire elle-même reste
tout à fait possible.
– Un autre mécanisme séduisant est représenté par le rôle des
cellules non parenchymateuses.
Ainsi, l’intervention éventuelle des
cellules étoilées du foie et des cellules endothéliales, en particulier
par l’intermédiaire de la libération de cytokines par d’autres cellules,
telles les cellules de Kupffer, mérite exploration.
Le fer en lui-même n’est que faiblement fibrogénique, ainsi que le
suggèrent les données suivantes :
– expérimentalement, les grandes difficultés pour trouver un modèle
animal adéquat ;
– cliniquement, la hauteur du « seuil fibrogénique », estimé en
termes de concentration hépatique en fer à 400, voire 500 μmol/g.
Il s’avère probable qu’en situation clinique, pour
devenir vraiment fibrogénique, le fer requiert, outre un haut niveau
et une longue durée de surcharge, des cofacteurs tels que la
consommation excessive d’alcool, une infection virale ou l’existence
d’une stéatose.
Expression phénotypique
:
La présentation syndromique suivante correspond à la forme
pleinement exprimée de la maladie qui, heureusement, est de moins
en moins rencontrée du fait du diagnostic précoce de
l’hémochromatose.
ATTEINTE VISCÉRALE
:
1- Atteinte hépatique
:
Le foie peut être considérablement augmenté de volume,
principalement au niveau de son lobe gauche.
Il apparaît ferme à la
palpation avec un bord inférieur tranchant.
L’hépatomégalie est
rarement associée à des symptômes cliniques de dysfonctionnement,
telle une hypertension portale et/ou une insuffisance
hépatocellulaire.
La biologie fonctionnelle hépatique est le plus
souvent normale, à l’exception d’une discrète augmentation des
transaminases (en règle inférieure à trois fois la limite supérieure de
la normale) prédominant en ALAT.
La complication majeure de la
maladie hépatique est le développement d’un cancer du foie dans
15 à 36 % des cas.
Il s’agit le plus souvent d’un carcinome
hépatocellulaire développé sur un foie cirrhotique,
exceptionnellement simplement fibreux.
Dès lors où existe une
fibrose hépatique sévère, le risque de carcinome hépatocellulaire
apparaît même chez le sujet correctement traité.
2- Signes cutanés et unguéaux
:
Une hyperpigmentation, plus souvent grisâtre que brune, est
fréquemment observée, surtout au niveau des zones d’exposition
solaire, des organes génitaux et des cicatrices.
Elle est attribuée à
des dépôts de mélanine et évolue en fait de façon parallèle à
l’accumulation de fer dans la peau, préférentiellement autour des
glandes sudoripares.
La pigmentation mélanique n’existe pas chez
les patients roux.
Les autres signes possibles sont l’ichtyose, un
aspect blanc (leuconychie), plat (platonychie), voire incurvé des
ongles (koïlonychie) et une diminution globale de la pilosité.
3- Atteinte ostéoarticulaire
:
L’arthropathie est une manifestation commune de
l’hémochromatose, parfois révélatrice et souvent cause d’erreur
diagnostique initiale.
Le retard diagnostique a été estimé entre 4 et
10 ans.
Cliniquement, l’atteinte la plus caractéristique est une
arthrite chronique touchant les deuxièmes et troisièmes métacarpophalangiennes dont la traduction clinique est « une
poignée de main douloureuse », signe hautement suggestif de la
maladie dans les régions où l’hémochromatose est fréquente.
Les
articulations radiocubitale inférieure, métacarpophalangienne du
pouce, interphalangiennes proximales peuvent être affectées aussi
bien que les genoux, les poignets ou les hanches.
Les patients
peuvent également présenter des crises aiguës de pseudogoutte en
rapport avec une arthropathie au pyrophosphate.
Radiologiquement, les signes les plus fréquents sont l’arthropathie sous-chondrale (pincement articulaire, sclérose et formation de
kystes sous-chondraux) et la chondrocalcinose, notamment au
niveau des genoux.
Le rôle du fer pourrait être soit direct
(augmentation de la concentration en pyrophosphates par inhibition
de la pyrophosphatase et attaque des chondrocytes) ou indirect (par
l’intermédiaire d’une atteinte parathyroïdienne que suggère
l’existence d’une corrélation entre le taux de ferritinémie et les
résultats du dosage du fragment 44-68 de la parathormone).
La déminéralisation osseuse est fréquente. Elle est en règle
cliniquement asymptomatique mais peut conduire à des fractures, en particulier au niveau du rachis.
L’hypogonadisme, le déficit
en vitamine C et/ou en vitamine D contribuent à cette
déminéralisation.
4- Diabète et autres complications endocriniennes
:
* Diabète
:
Deux principaux facteurs pathogéniques contribuent à l’intolérance
au glucose dans l’hémochromatose : une réduction de la
sécrétion d’insuline en rapport avec le dépôt prépondérant de fer
dans les cellules « b » du pancréas et l’insulinorésistance liée à la
maladie hépatique.
Les complications dégénératives sont observées
avec la même fréquence que dans le diabète ordinaire, mais sont
moins sévères.
* Autres désordres endocriniens
:
Le tableau clinique est dominé par l’hypogonadisme.
Chez la
femme, il s’agit classiquement d’une ménopause précoce et chez
l’homme d’une diminution de la libido, d’une impuissance sexuelle
et d’une atrophie testiculaire associée à une diminution significative
de la concentration sérique de testostérone.
La diminution des
concentrations sériques de la follicle stimulating hormone (FSH) et de
la luteinizing hormone (LH) avec peu ou pas de réponse au clomifène
et à la LH-RH (LH-releasing factor), associée à une insuffisance de la
réponse prolactinique à la thyrostimulin releasing hormone (TRH),
suggère une atteinte gonadotrophinique prédominante.
5- Atteinte cardiaque
:
Les anomalies électrocardiographiques sont, par ordre décroissant
de fréquence, un aplatissement et une inversion de l’onde T, un bas
voltage et des troubles du rythme (tachyarythmie auriculaire et, de
façon moins fréquente, extrasystolie et tachycardie ventriculaires).
Elles s’inscrivent dans le cadre d’une cardiomyopathie plus souvent
de type dilaté que restrictif.
L’insuffisance cardiaque congestive est rare mais peut être fatale.
La
biopsie endomyocardique est une technique valable pour
l’affirmation de la surcharge, qui siège dans les cellules
myocardiques et s’accompagne d’une discrète réaction fibreuse et
inflammatoire.
Au cours de l’hémochromatose, le risque de mort par
cardiopathie est près de 300 fois supérieur à celui d’une population
normale.
6- Signes généraux et divers
:
L’asthénie est fréquente, isolée, sans anorexie ni amaigrissement.
Une relation a été suggérée entre la surcharge en fer et la survenue
d’infections à Yersinia enterocolytica.
Cependant, la fréquence
globale de ces infections semble très limitée. Une augmentation de
la prévalence des marqueurs viraux B et C a également été
rapportée chez les hémochromatosiques.
Évaluation de la surcharge en fer
:
A - PARAMÈTRES CLASSIQUES
:
Le taux sérique normal du fer sérique est de l’ordre de 20 μmol/L.
Il est légèrement plus élevé chez l’homme que chez la femme.
La
fourchette de variation est large.
De plus, le fer sérique présente
d’importantes variations circadiennes (maximum le matin et
minimum l’après-midi) ainsi que d’un jour à l’autre (± 30 %, voire
plus).
Au cours des hémochromatoses génétiques pleinement
exprimées, des valeurs supérieures à 35 μmol/L sont la règle.
Le
coefficient de saturation de la transferrine, protéine de transport
plasmatique du fer, est normalement de 30 %.
Au-delà de 45 % de
saturation, un excès de fer doit être envisagé.
En cas de forte
hémochromatose, la saturation est souvent totale.
La ferritinémie,
dont les fluctuations sont moins importantes que celles du fer
sérique, a généralement une normale inférieure à 200 μg/L chez la
femme et 300 μg/L chez l’homme.
Dans l’hémochromatose, la saturation de la transferrine est le
meilleur test de dépistage des homozygotes.
Cependant, elle est
rapidement complète (100 %) pour des surcharges encore modérées,
ce qui explique son incapacité à prévoir le degré de surcharge en
fer.
Il en est de même pour le fer sérique.
La ferritinémie, non sujette
à cette limitation, apparaît donc valable pour quantifier une
surcharge en fer.
Toutefois, elle manque de sensibilité en sorte
qu’une ferritinémie normale ne doit pas faire écarter la possibilité
d’une surcharge en fer notable.
Par ailleurs, le dysfonctionnement
hépatique, qu’il soit aigu ou chronique et quelle qu’en soit l’origine
(alcoolique, virale...), peut induire une augmentation de ces
différents paramètres et expose donc au risque de surestimation de
la charge en fer.
B - MÉTHODES DIRECTES
:
1- Biopsie hépatique
:
Elle permet deux grands types d’examens.
* Examen histologique
:
Il fournit, grâce à la coloration de Perls, nombre d’informations
importantes :
– il affirme la surcharge en fer ;
– il reconnaît sa distribution hépatocytaire et sa prédominance
périportale (avec existence d’un gradient décroissant depuis les
zones périportales jusqu’aux zones centrolobulaires) ;
– il permet une évaluation semi-quantitative de l’excès de fer en
utilisant diverses classifications ;
– il apprécie le degré des lésions hépatiques (notamment l’existence
et l’importance de la fibrose) ;
– il recherche des nodules dépourvus de fer qui pourraient
annoncer une transformation carcinomateuse ;
– enfin, il détecte d’éventuelles lésions associées (alcooliques, par
exemple).
* Examen biochimique
:
La biopsie hépatique autorise la détermination de la concentration
hépatique en fer (CHF), qui est étroitement corrélée avec les réserves
de fer et est devenue une méthode de référence pour l’appréciation
de la charge hépatique en fer (valeur supérieure de la normale de
l’ordre de 36 μmol/g de tissu sec).
L’examen histologique et la CHF constituaient deux des pierres
angulaires du diagnostic d’hémochromatose avant la découverte du
gène HFE.
L’association d’une augmentation vérifiée du coefficient
de saturation de la transferrine, d’une histologie évocatrice et d’un
rapport CHF/âge supérieur à 2, en l’absence d’une cause de surcharge secondaire,
constituait un tableau phénotypique très évocateur du diagnostic.
Actuellement, le diagnostic
repose sur la mise en évidence de la mutation C282Y à l’état
homozygote et la biopsie, dans cette éventualité, n’a plus d’intérêt
que pour le diagnostic de fibrose sévère ou de lésions associées.
En
revanche, elle reste très utile pour la caractérisation des rares
tableaux phénotypiques d’hémochromatose non homozygotes pour
la mutation C282Y.
2- Phlébotomies
:
Elles permettent une détermination précise du degré de fer en excès
et peuvent être considérées comme la méthode de référence si elles
sont réalisées selon un protocole très strict (400 à 500 mL/semaine).
Si le patient tient correctement à jour son cahier de suivi, le fer en
excès peut être aisément calculé en additionnant le nombre de
phlébotomies, sachant que 500 mL de sang équivalent à environ
250 mg de fer.
C - IMAGERIE HÉPATIQUE PAR RÉSONANCE
MAGNÉTIQUE NUCLÉAIRE :
Il s’agit d’une technique efficace, car l’hyposignal du parenchyme
hépatique lié au fer est corrélé à la CHF, ce qui permet une estimation précise
de la charge hépatique en fer, avec une sensibilité proche de la
limite supérieure de la normale, à condition que l’appareil ait été
correctement étalonné.
D - TOMODENSITOMÉTRIE HÉPATIQUE
:
La densité du foie aux rayons X augmente en cas de surcharge
hépatique en fer.
Il existe ainsi une corrélation entre le coefficient
d’atténuation hépatique et la charge hépatique en fer en cas de
surcharge massive, mais l’examen est peu sensible et il existe des
faux positifs (traitement par l’amiodarone).
Formes cliniques de la maladie
:
A - FORMES DE DIAGNOSTIC PRÉCOCE
:
Elles sont la règle à l’heure actuelle.
Il faut savoir évoquer
l’hémochromatose, aussi bien chez la femme que chez l’homme,
devant une asthénie isolée, une arthropathie ou une ostéoporose
inexpliquée, ou encore une élévation modérée des transaminases.
Dans notre expérience, plus de la moitié des probants sont
diagnostiqués par des bilans systématiques et n’ont aucune lésion
viscérale.
B - HÉMOCHROMATOSE « ARROSÉE »
:
La consommation excessive d’alcool aggrave l’expression
phénotypique, en majorant les anomalies biologiques
(hyperferritinémie, transaminases) et les lésions viscérales
(accroissement du risque de cirrhose et de décompensation
hépatique).
C - HÉMOCHROMATOSE DE LA FEMME
:
Il était classique de dire que le sexe féminin protégeait de la maladie.
En fait, si en moyenne les femmes sont en effet deux fois moins
surchargées que les hommes, en revanche certaines femmes présentent des surcharges massives aussi importantes que celles des
hommes les plus surchargés, et ce même avant la ménopause.
Les symptômes les plus fréquents chez les femmes sont l’asthénie et
les atteintes articulaires, et chez les hommes l’atteinte hépatique et
le diabète.
Évolution
:
L’histoire naturelle de l’hémochromatose est bien connue, grâce à
des études rétrospectives et prospectives.
L’augmentation de
l’absorption digestive du fer entraîne une accumulation progressive
de fer dans l’organisme.
Trois phases peuvent schématiquement être
décrites.
La première phase est totalement latente sur le plan clinique
et biologique.
Puis apparaissent des anomalies biologiques
(augmentation du fer sérique et surtout du coefficient de saturation
de la transferrine, d’abord isolée, puis associée à l’augmentation de
la ferritine sérique) sans aucune symptomatologie clinique.
Cette deuxième
phase est très prolongée, s’étendant le plus souvent de la deuxième
à la cinquième décennie de la vie.
L’expression
clinique de la maladie, qui définit la troisième phase, est donc
tardive et les premiers symptômes (asthénie, douleurs articulaires)
sont peu spécifiques et souvent longtemps méconnus. L’âge moyen du
diagnostic se situe autour de 50 ans.
Le tableau «
historique » de la maladie, associant cirrhose, diabète et
mélanodermie, est de moins en moins rencontré grâce au diagnostic
précoce.
Il
est important de noter que l’existence de signes cliniques, d’un
diabète et la présence d’une cirrhose sont clairement
corrélées à l’importance de la surcharge en fer et que la progression
de celle-ci avec l’âge a été démontrée lors du suivi de patients
dépistés par enquête familiale.
Le pronostic de l’hémochromatose a été établi par des études de
suivi, comparant l’espérance de vie des patients à celle d’une
population de référence appariée en sexe et en âge.
Ces
études ont permis de démontrer que l’hémochromatose est
responsable d’une diminution significative de la survie, mais
uniquement chez les patients présentant une cirrhose ou un diabète
au moment du diagnostic.
Les causes de décès sont alors
représentées par le carcinome hépatocellulaire ou la décompensation
d’une cardiomyopathie, d’une cirrhose hépatique ou d’un diabète.
Lorsque la cirrhose est installée, le risque de cancer persiste après désaturation.
En revanche, les patients diagnostiqués au stade précirrhotique et traités par phlébotomies ont une espérance de vie
identique à celle de la population générale.
En ce qui concerne le
pronostic fonctionnel, moins bien étudié, la fatigue et la
mélanodermie répondent souvent au traitement, au contraire des
manifestations sexuelles et des arthropathies.
Ces dernières sont
souvent présentes dès le diagnostic initial et peuvent s’aggraver
malgré le traitement.
Étude génétique
:
A - GÈNE « HFE » ET HÉMOCHROMATOSE
:
1- Prévalence des mutations du gène « HFE »
dans la population générale
:
La mutation C282Y n’a
pas été retrouvée dans des populations non caucasoïdes ou alors à
une très faible fréquence traduisant un métissage.
En
Europe même, il existe un gradient décroissant Nord-Sud, les
fréquences les plus hautes se trouvant en Bretagne et en Irlande, ce
qui est compatible avec une mutation fondatrice celtique, et les plus
basses chez les Basques.
La mutation H63D se retrouve dans
quasiment toutes les populations, avec une fréquence bien plus
importante, puisque un quart des Bretons sont hétérozygotes et 2 %
homozygotes.
Dans une population d’origine celte, 40 % des gens
portent au moins une mutation HFE.
2- Prévalence des mutations du gène « HFE
» chez les patients porteurs du phénotype « hémochromatose » :
* Définition du
phénotype hémochromatose :
Elle est très
variable selon les études, ce qui rend compte de certains résultats
discordants.
Il faut souligner que le critère « absence d’autres causes » a pu varier au cours du temps avec
l’individualisation de nouvelles causes de surcharge, comme le
syndrome d’hépatosidérose dysmétabolique ou la cirrhose
terminale.
C282Y
La mutation C282Y a été mise en évidence sur 85 % des
356 chromosomes présumés malades et 3,2 % des chromosomes
présumés indemnes étudiés dans le travail princeps.
Cette
association très forte avec l’hémochromatose a été rapidement
confirmée dans toutes les populations caucasoïdes, les patients
présentant un phénotype compatible avec une hémochromatose
étant homozygotes C282Y dans 80 à 100 % des cas.
Cependant, il existe une variabilité régionale, l’association C282Yhémochromatose
semblant s’affaiblir selon un gradient Nord-Sud.
Ces discordances sont encore mal interprétées.
Elles peuvent
témoigner de l’hétérogénéité des critères phénotypiques : en faveur
de cette explication vient le fait que dans toutes les études (sauf
une) basées sur des critères stricts, le pourcentage d’homozygotes
C282Y est supérieur à 90 %.
De plus, lorsque la démonstration d’une
transmission familiale autosomale récessive liée à HLA est requise
comme critère diagnostique, tous les patients sont homozygotes
C282Y.
La moindre fréquence d’homozygotes C282Y retrouvée
dans d’autres études pourrait s’expliquer par l’inclusion de patients
présentant d’autres causes de surcharge en fer.
D’ailleurs, le
réexamen précis des patients homozygotes pour l’allèle HFE
sauvage de l’étude de Feder a montré que la moitié d’entre eux
présentaient une cause secondaire de surcharge en fer.
Seule une
étude italienne est franchement discordante, puisque retrouvant une
fréquence de 36,2 % patients non homozygotes C282Y malgré des
critères stricts ; il faut toutefois souligner la fréquence de la
présence d’un trait thalassémique ou d’hépatites virales chroniques
dans la population italienne.
En résumé, la grande majorité des
patients présentant un phénotype compatible avec une
hémochromatose sont homozygotes pour la mutation C282Y, en
particulier dans les populations originaires du nord de l’Europe.
Il est important de souligner que la pénétrance de l’homozygotie
C282Y n’est pas connue.
Un petit nombre de patients n’exprimant
aucune anomalie biologique ont été décrits, dépistés lors d’enquête
familiale ou par le biais d’une pathologie intercurrente, en particulier
une porphyrie cutanée tardive (PCT).
Cependant, la fréquence
attendue des homozygotes, calculée à partir des fréquences alléliques, est proche des fréquences prédites par les études
phénotypiques antérieures.
Un petit nombre de patients hémochromatosiques sont
hétérozygotes pour la mutation C282Y.
Parmi eux, il faut distinguer
ceux qui, sur leur autre chromosome, présentent la mutation H63D
(= hétérozygotes composites) de ceux qui présentent l’allèle sauvage
(= hétérozygotes).
Avant la découverte de HFE, les études basées
sur les enquêtes familiales avec HLA avaient conclu à l’existence
d’une expression biochimique chez les hétérozygotes, qui
présentaient un fer sérique, une saturation de la transferrine et une
ferritine en moyenne un peu supérieurs à ceux des patients
homozygotes normaux.
Cependant, aucune expression viscérale
significative n’était associée à ces anomalies.
La plupart des études
réalisées chez des patients hémochromatosiques comportent trop
peu de patients hétérozygotes pour pouvoir les comparer au plan
de l’expression phénotypique aux homozygotes C282Y.
Nous avons
étudié les corrélations phénotype-génotype chez 531 patients
présentant une surcharge en fer non secondaire, répondant ou non
aux critères phénotypiques stricts ; les homozygotes C282Y
s’individualisaient de façon extrêmement marquée par rapport aux
autres génotypes et il n’y avait en revanche aucune différence entre
les hétérozygotes et les patients homozygotes normaux.
En conclusion, il semble qu’une hétérozygotie C282Y ne puisse pas
expliquer à elle seule la constitution d’une surcharge en fer.
Le cas des hétérozygotes composites est un peu différent.
Il y a en
effet des arguments pour penser que ce génotype puisse rendre
compte, avec une faible pénétrance, de phénotypes d’hémochromatose
peu marqués :
– les hétérozygotes composites représentent de 2 à 8% des patients hémochromatosiques des différentes séries, sachant que leur
fréquence dans la population générale est de l’ordre de 1 à 2%
;
– dans notre étude, on observait une fréquence importante de
sujets composites, lesquels présentaient une expression
modestement augmentée par rapport aux autres génotypes (hors
homozygotie C282Y).
Il faut toutefois souligner que :
– la plupart de ces patients avaient également une autre cause de
surcharge en fer, essentiellement un syndrome dysmétabolique ;
– seuls les patients ayant un cofacteur toxique (alcool, hépatite stéatosique)
présentaient des lésions viscérales, telle une cirrhose ;
– la
transmission familiale de la surcharge en fer associée à
l’hétérozygotie composite n’est pas documentée.
H63D Le rôle de
la mutation H63D reste controversé, certains la considérant comme un
simple polymorphisme, d’autres comme un facteur possible de
surcharge en fer.
Les faits en
faveur de la première hypothèse sont :
– la fréquence
de cette mutation dans la population générale ;
– l’absence de
différence dans l’expression de la surcharge, que les patients
soient hétérozygotes ou homozygotes pour cette mutation, ou
homozygotes normaux ;
– la rareté des homozygotes H63D par rapport aux hétérozygotes
H63D chez les patients surchargés en fer, ce qui est surprenant dans
le cadre d’une affection a priori à transmission récessive.
Les partisans de la deuxième hypothèse mettent en avant :
– l’augmentation de la fréquence de H63D lorsqu’on exclut les
chromosomes C282Y chez les patients hémochromatosiques (mais qui pourrait être un biais lié à la fréquence des
hétérozygotes composites) ;
– l’effet apparemment synergique des deux mutations chez les
hétérozygotes composites.
À notre sens, H63D pourrait au plus favoriser l’expression d’une
autre cause de surcharge en fer, mais ne peut pas expliquer à elle
seule la constitution d’une surcharge.
Sa recherche n’a donc pas
d’intérêt en pratique.
3- Phénotype hémochromatose non homozygote C282Y
:
Deux maladies génétiques exceptionnelles sont clairement
individualisées.
– L’acéruloplasminémie héréditaire, par mutation homozygote du
gène de la céruléoplasmine, entraîne une surcharge en fer
importante avec des manifestations neurologiques et endocriniennes
(diabète).
Elle est caractérisée par un effondrement de la saturation
de la transferrine et une céruléoplasmine indosable.
– L’hémochromatose juvénile est responsable d’une surcharge
massive, avec défaillance cardiaque, endocrinienne et souvent
cirrhose survenant avant l’âge de 30 ans.
Il est clairement établi
qu’elle n’est pas liée à HFE.
Sa transmission autosomale récessive
est probable.
Plusieurs études ont recherché d’autres mutations dans le gène HFE,
mais seuls quelques polymorphismes ont été décrits.
En dehors
de l’Italie et peut-être du sud de la France, il persiste de rares
patients atypiques, présentant une surcharge en fer répondant aux
critères classiques et non homozygotes C282Y, mais la transmission
familiale n’y est pas documentée.
La découverte du gène HFE
a donc permis de circonscrire l’extrême majorité des hémochromatoses
génétiques.
Effet des mutations « HFE » dans la population générale
Quelques études ont exploré les corrélations entre fer sérique,
coefficient de la transferrine et ferritine, et génotype HFE dans des
échantillons de la population générale, donneurs de sang,
volontaires âgés, jeunes femmes en âge de procréer, ou
échantillon tiré au sort dans un village néo-zélandais.
Toutes
concluent à un impact statistiquement significatif des mutations
C282Y et H63D sur le bilan martial, mais l’augmentation paraît si
faible que l’on peut se poser la question de sa signification
biologique.
De plus, certains facteurs potentiels de surcharge en fer,
tels la consommation d’alcool ou le dysmétabolisme, ne sont pas
pris en compte.
Malgré ces réserves, il est intéressant de constater
que, dans l’étude de Burt et al, plus de 10 % des patients ayant
au moins une mutation avaient un coefficient de saturation anormal,
versus 3,2 % des homozygotes pour l’allèle sauvage, les composites
ayant une fréquence encore plus importante d’anomalies (26 %).
Dans notre expérience, en revanche, les hétérozygotes C282Y
découverts par enquête familiale ne sont pas statistiquement
différents des patients sans mutation.
B - GÈNE « HFE » ET AUTRES PATHOLOGIES
:
1- Porphyrie cutanée tardive
:
La PCT est liée à une diminution de l’activité de
l’uroporphyrinogène décarboxylase, par un processus ferdépendant.
Une hépatosidérose mixte et, en règle, peu marquée est
retrouvée dans 60 à 70 % des cas.
Les soustractions sanguines
régulières conduisent à l’extinction des manifestations cutanées de la maladie.
Roberts et al ont confirmé l’association entre la PCT
et le gène de l’hémochromatose en démontrant que la fréquence de
la mutation C282Y était élevée au cours de la PCT sporadique (44 %
versus 11 % dans la population générale).
Depuis, des résultats
analogues ont été retrouvés dans des séries de patients
hollandais et australiens.
Curieusement, ce n’est pas le cas en
Italie où la fréquence allélique de la mutation C282Y chez
68 sujets atteints de PCT sporadique (1,5 %) n’est pas apparue
significativement différente de celles calculées dans la population
générale (0,7 %) et dans une série de 50 sujets atteints de virose C
chronique (2 %).
En revanche, les cas italiens de PCT étaient
fréquemment marqués par la mutation H63D (fréquence allélique
de 28,7 % versus 12,8 % et 12 % dans les groupes contrôles).
Ces
études suggèrent fortement que les mutations HFE confèrent une
susceptibilité particulière vis-à-vis de la PCT.
Toutefois, une relation
entre l’une et/ou l’autre des mutations et la charge hépatique en fer
au cours de la PCT n’a pas été démontrée, si bien que le mécanisme
de cette susceptibilité demeure mystérieux.
2- Pathologies hématologiques
:
Les dysérythropoïèses
– quelle qu’en soit la cause (thalassémies,
anémies sidéroblastiques héréditaires ou acquises, anémie
dysérythropoïétique congénitale)
– peuvent se compliquer, en
dehors des transfusions, d’une surcharge en fer par hyperabsorption
digestive de fer réactionnelle à l’érythropoïèse inefficace.
L’effet des
mutations HFE sur la constitution de la surcharge est controversé :
un génotype composite pourrait la favoriser, mais l’ensemble des
résultats colligés dans des thalassémies majeures ou intermédiaires, ou des anémies sidéroblastiques, vont contre
l’implication du gène HFE dans ces surcharges.
3- Syndrome d’hépatosidérose dysmétabolique
:
Il s’agit d’un syndrome récemment décrit chez des sujets non
alcooliques d’âge mûr, essentiellement masculins.
Il est défini par
l’association d’une surcharge hépatique en fer et d’un contexte dysmétabolique particulier associant surpoids (avec répartition
androïde des graisses) et/ou dyslipidémie (hypertriglycéridémie,
essentiellement) et/ou intolérance aux hydrates de carbone, voire
diabète non insulinodépendant, en l’absence d’une cause connue de
surcharge.
Si les
hétérozygotes composites sont fortement représentés dans ce
syndrome, puisqu’ils constituent près d’un quart des patients, en
revanche les autres génotypes se répartissent comme dans la
population générale et n’influent pas sur l’intensité de la
surcharge.
4- Hépatopathies
:
La présence d’anomalies des paramètres sériques de charge en fer
au cours des hépatopathies chroniques est fréquente, mais
témoigne inconstamment d’une réelle surcharge en fer.
La
découverte du gène HFE pourrait permettre de mieux comprendre
le(s) mécanisme(s) de ce type de surcharge, mais pour l’heure, les
données recueillies demeurent fragmentaires, voire contradictoires.
5- Hépatite virale C
:
Il existe dans le tiers des cas d’hépatite chronique virale C une
augmentation des paramètres sériques de charge en fer qui,
fréquemment, s’associe à une hépatosidérose modérée, le plus
souvent mésenchymateuse.
Le rôle des mutations HFE dans
l’apparition et l’importance de la surcharge en fer des viroses C est
encore mal évalué.
Hézode et al ont dénombré 89 cas de
surcharge hépatique en fer parmi 211 patients suivis pour hépatite
chronique virale C, sans que la proportion de sujets hétérozygotes
C282Y diffère selon l’existence (12,4 %) ou non (9 %) d’une hépatosidérose. Des résultats similaires ont été rapportés en
Allemagne.
En Italie, la prévalence de H63D était augmentée en
cas de surcharge plus marquée, la mutation C282Y étant très rare.
Quant à l’impact aggravant de l’hétérozygotie C282Y sur le
développement de la fibrose, il n’a été suggéré que par une étude
sur un nombre faible de patients.
6- Hépatopathie alcoolique
:
La prévalence de l’hétérozygotie C282Y dans les hépatopathies
alcooliques n’est pas plus élevée que dans la population générale.
7- Diabète et athérosclérose
:
Chez les diabétiques de type 2, les résultats sont contradictoires,
certaines équipes retrouvant une augmentation modérée de la
prévalence des mutations HFE, d’autres une fréquence
identique à celle de populations contrôles.
On ne doit donc
pas recommander un dépistage génotypique systématique en cas de
diabète non insulinodépendant, mais un simple dosage de la
saturation de la transferrine.
C - STRATÉGIE D’ENSEMBLE DU DIAGNOSTIC
D’HÉMOCHROMATOSE :
Elle a été transformée par les apports de la génétique moléculaire.
Il
faut savoir évoquer cliniquement la maladie, non seulement dans
son expression caricaturale de « cirrhose bronzée avec diabète »,
mais aussi dans son expression mono- ou paucisymptomatique.
Une
fois suspecté, le diagnostic est étayé dans un premier temps par le
dosage du coefficient de saturation de la transferrine : son
augmentation est en effet constante lorsqu’il existe une expression
de la maladie, ce qui dispense de la réalisation d’un test génétique
lorsque le coefficient est inférieur à la limite supérieure de la
normale.
En cas d’élévation, le diagnostic est confirmé par la mise
en évidence de la mutation C282Y à l’état homozygote.
La recherche de la mutation C282Y du gène HFE est maintenant
disponible dans les laboratoires de génétique moléculaire agréés
pour le diagnostic génétique, mais n’est pas inscrite à la
nomenclature.
Sa prescription doit suivre les règles de tout test
génétique (loi n° 94-654 du 29 juillet 1994, relative à la « médecine
prédictive et identification génétique ») : le sujet à qui il est pratiqué
doit donner son consentement éclairé par écrit.
Le résultat doit lui
être communiqué et donner lieu à un conseil génétique.
La présence
à l’état homozygote de la mutation, associée à un tableau
phénotypique compatible, c’est-à-dire augmentation du coefficient
de saturation
– associée ou non à l’augmentation de la ferritine
sérique ou à des manifestations cliniques évocatrices
– permet de
poser le diagnostic d’hémochromatose.
Il convient alors de faire le
bilan du retentissement viscéral et de mettre en route le traitement
ainsi que l’enquête familiale.
Le bilan du retentissement dépend des signes cliniques, de
l’importance de la surcharge appréciée sur la ferritinémie et
l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et de l’existence de
facteurs associés, telle qu’une consommation excessive d’alcool.
Nous demandons systématiquement un bilan fonctionnel hépatique
(ASAT, ALAT, gammaglutamyl-transpeptidase [cGT], taux de
prothrombine [TP]).
La biopsie hépatique n’est utile que pour
apprécier l’existence d’une cirrhose.
Les patients ne présentant pas
d’hépatomégalie, dont la ferritine sérique est inférieure à 1 000 μg/L
et dont les ASAT sont inférieures à la limite supérieure de la normale
ne présentant jamais de fibrose grave dans notre expérience, la
biopsie, ainsi que l’échographie abdominale sont réservées aux
patients ne répondant pas à ces critères.
Nous demandons des radios
des principales articulations (mains, poignets, bassin et genoux), une
glycémie à jeun et postprandiale et, uniquement en cas de
manifestations cliniques ou de forte surcharge, un bilan endocrinien
(testostéronémie, FSH, LH) et cardiovasculaire (électrocardiogramme,
échocardiographie).
Lorsque le patient n’est pas homozygote C282Y, le tableau est le
plus souvent évocateur d’une autre pathologie, telle une hépatosidérose dysmétabolique ou alcoolique.
En l’absence de
toute cause connue de surcharge en fer, qu’il faut rechercher par un
bilan approprié, et devant un tableau phénotypique
d’hémochromatose, il est conseillé de pratiquer une biopsie
hépatique et de réaliser un dépistage familial phénotypique, mais il
est important de souligner que l’on se trouve alors dans une situation à laquelle on ne pourra extrapoler les connaissances, en
particulier pronostiques, applicables à l’hémochromatose.
Traitement
:
A - TRAITEMENT DE LA SURCHARGE EN FER
:
1- Mesures diététiques
:
Le régime pauvre en fer est en théorie justifié, mais sa faible
efficacité par rapport à une saignée et sa lourdeur conduisent à le
rejeter.
En revanche, un régime pauvre en boissons alcoolisées est
recommandé, en particulier tant que la désaturation n’est pas
obtenue.
Le thé diminue l’absorption intestinale du fer.
Une étude
comparative récente a démontré que l’absorption quotidienne de
150 mL de thé à chaque repas permettait de diminuer le nombre de
phlébotomies nécessaires en traitement d’entretien (en passant en
moyenne de six à quatre phlébotomies par an).
2- Phlébotomies
:
C’est le traitement de choix dans l’hémochromatose.
* Technique
:
Les phlébotomies peuvent être réalisées au domicile du patient par
une infirmière, au cabinet médical ou en milieu hospitalier.
La
ponction veineuse se fait sur le patient en décubitus dorsal avec une
poche à don de sang posée sur le sol.
Il est recommandé de faire boire au malade, au décours de la
saignée, une quantité de liquide approximativement équivalente au
volume soustrait.
* Surveillance :
Il est conseillé de remettre au patient un « carnet de phlébotomies »
où il consignera les phlébotomies (date et volume), les résultats des
examens de suivi, ses observations ainsi que celles de son médecin
traitant.
La tolérance est évaluée cliniquement à chaque saignée (état général,
tension artérielle...) et hématologiquement (hémoglobinémie) à
intervalles réguliers.
L’efficacité est jugée sur des critères à la fois cliniques (état général,
mélanodermie, hépatomégalie...) et, surtout, paracliniques.
Le plus
intéressant des paramètres paracliniques de surveillance est la
ferritinémie dont la corrélation avec le stock de fer de l’organisme
est bien établie.
Lors du traitement par phlébotomies, la décroissance
du taux de ferritine sérique reflète globalement la diminution de la
surcharge.
L’utilisation de l’IRM hépatique en surveillance du
traitement déplétif est intéressante lorsque la fiabilité de la ferritinémie est rendue aléatoire, par exemple en situation
d’hépatopathie évoluée ou de consommation excessive d’alcool.
* Traitement déplétif : ses deux phases
+ Phase de déplétion
:
Le débit de soustraction recommandé est de 400 à 500 mL par
semaine.
Chez le sujet âgé et/ou aux antécédents vasculaires, il est
souhaitable de débuter plus prudemment par une saignée de 250 mL
tous les 15 jours, puis toutes les semaines en cas de bonne tolérance.
En cas de faible surcharge (ferritine de départ inférieure à
200 ng/mL), on peut réaliser des phlébotomies de 400 mL tous les
15 jours.
La durée du traitement d’attaque est directement fonction
de la quantité de fer en excès, de 2 mois à 3 ans.
La périodicité de la
surveillance biologique dépend de l’excès de départ.
La numération
formule sanguine est en règle mensuelle.
Le dosage de la ferritinémie peut être trimestriel initialement, si le taux de départ
est supérieur à 1 000 ng/mL ; sa fréquence devient mensuelle
lorsque la désaturation approche.
Fer sérique et saturation ne sont dosés que lorsque la ferritine approche de la normale.
En effet, ces
deux paramètres restent élevés pendant la majeure partie du
traitement et ne se normalisent que très tardivement, c’est-à-dire peu
avant l’obtention de la désaturation.
Le but à atteindre est une ferritinémie inférieure ou égale à 50 μg/L, un fer sérique inférieur à
15 μmol/L et une saturation de la transferrine inférieure à 20 %.
+ Phase d’entretien
:
Engagée dès la désaturation obtenue, elle doit durer toute la vie.
L’habitude est d’effectuer des phlébotomies de 400 à 500 mL tous
les mois à tous les 3 mois.
L’objectif est de maintenir la ferritinémie,
la sidérémie et la saturation de la transferrine aux mêmes taux qu’à
la fin de la phase d’attaque.
Certains proposent de ne reprendre les
phlébotomies, à un rythme d’attaque pendant quelques semaines,
que lorsque la ferritinémie dépasse la limite supérieure de la
normale.
3- Chélateurs
:
Ils sont exceptionnellement utiles dans l’hémochromatose.
Le seul
chélateur disponible à l’heure actuelle est la déféroxamine
(Desféralt), isolée du Streptomyces pilosus.
Ce chélateur doit être
administré par voie parentérale.
La perfusion continue par voie
sous-cutanée est, en dehors de l’urgence, la modalité de choix.
Elle
se fait en variant les sites (région abdominale, cuisses, bras), au
moyen d’une aiguille reliée à une pompe de petite taille, portée à la
ceinture.
La desferrioxamine est administrée le jour, sur une
douzaine d’heures, 5 à 6 jours sur 7.
De nombreux travaux ont
montré que la voie sous-cutanée permet, à équivalence de doses,
une sidérurie de l’ordre des quatre cinquièmes de celle obtenue par
voie veineuse, et double de celle produite par voie intramusculaire.
L’adjonction de vitamine C per os (200 mg/j) qui permet de
potentialiser l’effet de chélation est habituelle.
La tolérance de ce
traitement peut être considérée comme bonne. Un certain nombre
de complications ont cependant été décrites :
– ophtalmologiques, traduites par une diminution de l’acuité visuelle
et une perte de la vision des couleurs, habituellement réversibles à
l’arrêt du traitement ;
– auditives à type de déficit portant sur les hautes fréquences,
pouvant aller jusqu’à la surdité, et semblant moins réversibles ;
– insuffisance rénale, exceptionnelle ;
– cardiaques enfin, à type de défaillance myocardique, en fait
secondaire à la charge en vitamine C associée.
C’est pourquoi il faut
ne débuter la vitamine C qu’après quelques semaines de déféroxamine.
Le recours à la déféroxamine est contraignant et coûteux, ce qui rend
très souhaitable la mise au point de chélateurs efficaces par voie
orale.
Le composé le plus étudié, le défériprone, est utilisé chez
des patients thalassémiques surchargés en fer, avec une efficacité mitigée et
une marge thérapeutique étroite (agranulocytose). ¦
4- Autres
possibilités :
D’autres
modalités thérapeutiques ont été décrites, mais restent
d’utilisation anecdotique :
– érythrocytaphérèses, qui permettent de retirer uniquement les
globules rouges en épargnant les protéines plasmatiques et les autres
cellules ;
– érythropoïétine recombinante, qui a été utilisée avec de bons
résultats chez des patients présentant une surcharge en fer et une
anémie coexistante ou apparaissant en cours de saignée.
5- Indications
:
L’utilisation de la desferrioxamine n’a que des indications très
restreintes, constituées par les contre-indications aux phlébotomies :
anémie, insuffisance hépatique avec décompensation oedématoascitique,
hypoprotidémie sévère, âge avancé, antécédents vasculaires marqués.
C’est répéter que les phlébotomies représentent
le moyen de choix, aujourd’hui encore, pour assurer la déplétion en
fer dans l’hémochromatose.
B -
RÉSULTATS :
Ils sont très favorables sur de nombreux points mais certaines
complications viscérales de l’affection restent réfractaires à la
thérapeutique.
Le pronostic vital est sensiblement amélioré comme le montrent des
études rétrospectives.
L’une de ces études fait ainsi état d’une survie
moyenne à 5 ans de 66 % chez 85 patients saignés, contre 18 % chez
26 malades non traités.
La survie rejoint celle de la population
générale lorsque la désaturation est obtenue avant l’installation de
la cirrhose.
Aucun essai
prospectif contrôlé n’a été effectué dans ce domaine, mais
l’évidence du bénéfice du traitement par phlébotomies rend
aujourd’hui la conduite d’une telle étude éthiquement injustifiée.
Les
manifestations de la maladie répondent de façon variable au
traitement.
1- État
général :
Le patient, 3 à
6 mois après l’institution des phlébotomies, ressent un mieux-être
certain.
2-
Mélanodermie :
Elle s’atténue,
puis disparaît.
3- Hépatopathie
:
– En l’absence de cirrhose constituée, l’hépatomégalie régresse et la
biologie fonctionnelle hépatique se normalise avec disparition de la
discrète hypertransaminasémie.
– En cas de cirrhose constituée, une amélioration clinique et
biologique est souvent notée, justifiant le traitement, même à ce
stade.
Mais la cirrhose est irréversible et représente alors le facteur
pronostique majeur de la survie d’autant qu’elle fait courir le risque,
même au sujet désaturé, de carcinome hépatocellulaire.
Il est donc
recommandé, en cas de cirrhose ou de fibrose sévère, un dépistage
systématique par le dosage de l’alpha-foetoprotéine et la pratique
d’une échographie hépatique tous les 6 mois, à partir de l’âge de
50 ans.
La mise en évidence, sur la biopsie hépatique initiale, de
« nodules dépourvus de fer » de valeur prénéoplasique est une
incitation supplémentaire à la mise en route d’un tel dépistage.
4- Condition cardiovasculaire
:
La cardiomyopathie réagit bien au traitement par phlébotomies et,
loin de constituer une contre-indication, elle en représente au
contraire une indication formelle.
5- Diabète
:
Le traitement déplétif permet seulement de diminuer les doses
d’insuline nécessaires ou de stabiliser un diabète non
insulinodépendant.
6- Manifestations ostéoarticulaires
:
Elles sont peu influencées par les phlébotomies, même bien
conduites ; elles peuvent même apparaître ou s’aggraver en cours
de traitement.
7- Insuffisance gonadique
:
Classiquement, elle ne répond pas aux phlébotomies.
Cependant,
l’augmentation des taux de testostérone plasmatiques et le retour
d’une fonction sexuelle normale ont été décrites chez quelques
patients.
Il semble que cette récupération sous l’effet du
traitement déplétif survienne uniquement chez les sujets les plus jeunes
Au total, le traitement par phlébotomies représente la thérapeutique
élective de l’hémochromatose, car à la fois simple, peu coûteux,
relativement bien toléré et efficace.
C - TRAITEMENT DES COMPLICATIONS VISCÉRALES
:
Il ne présente guère d’originalité par rapport aux atteintes non
secondaires à une surcharge en fer.
1- Atteinte hépatique
:
Un régime libre avec apport nul ou modéré d’alcool est proposé.
Une vingtaine de transplantations ont été effectuées chez des sujets hémochromatosiques.
Les résultats en seraient un peu moins bons
que dans d’autres indications.
Encore faut-il rappeler qu’une
cirrhose décompensée ne s’observe que lorsqu’il existe un facteur
toxique associé à la surcharge en fer, tels que l’alcoolisme ou une
infection virale B ou C.
2- Cardiomyopathie
:
Les cardiomyopathies sévères chez les sujets jeunes sont une
indication à une déplétion énergique et ne contre-indiquent pas, bien
au contraire, les phlébotomies.
En cas d’échec, la transplantation a
pu être proposée avec succès.
3- Manifestations ostéoarticulaires
:
Lorsqu’elles sont installées, elles sont souvent tenaces et
invalidantes.
Elles peuvent être améliorées par les antalgiques, les
anti-inflammatoires non stéroïdiens, les infiltrations locales, voire les
synoviorthèses et la physiothérapie.
Les corticoïdes sont contreindiqués
en raison de leur risque diabétogène.
4- Insuffisance gonadique
:
Elle pose la question du recours aux gonadotrophines et/ou aux
androgènes.
Certes, le potentiel cocarcinogène de ces traitements
incite à peser le risque encouru et le bénéfice espéré.
Cependant, les
nouveaux dérivés naturels d’application transcutanée apparaissent
bien tolérés.
Ils ne seront prescrits qu’après authentification du
déficit hormonal.
Traitement préventif
:
L’expression tardive et l’existence d’un traitement, d’autant plus
efficace que le diagnostic est porté tôt, justifient le dépistage de
l’hémochromatose.
A - JUSTIFICATION DU DÉPISTAGE
:
L’hémochromatose répond aux critères de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) concernant les maladies qui nécessitent la mise en
route d’un dépistage.
– La maladie à dépister doit représenter un problème de santé
significatif.
Or la prévalence du phénotype hémochromatose est de
l’ordre de 2,2/1 000, avec un intervalle de confiance à 95 % de 1,5 à
3/1 000, tandis que la prévalence de l’homozygotie C282Y est
encore supérieure.
– L’histoire naturelle de la maladie doit être bien connue et
comprendre une phase présymptomatique prolongée.
Cette condition
est parfaitement remplie par l’hémochromatose.
De plus, toutes
les études récentes convergent vers le fait qu’un diagnostic précoce
de l’hémochromatose, en particulier par dépistage familial, permet
de détecter des formes pauci- ou asymptomatiques de la maladie,
correspondant à des surcharges en fer moins importantes que celles
diagnostiquées auparavant.
– La maladie doit être accessible à un traitement et les indications
de celui-ci doivent être généralement acceptées.
Cette condition est
parfaitement remplie par l’hémochromatose.
– Les tests diagnostiques doivent être connus et acceptables par la
population.
Ceci est bien le cas pour l’hémochromatose.
La séquence
largement proposée repose sur un premier test phénotypique suivi,
en cas d’anomalie, de la recherche de la mutation C282Y du gène HFE.
Le coefficient de saturation de la transferrine est le test
phénotypique de référence à l’heure actuelle. Ses performances
sont relativement bien établies : pour un seuil de 60 %, la sensibilité
en varie de 0,90 à 0,97, et la spécificité de 0,9 à 0,98.
La découverte
du gène HFE et la mise en évidence du fait qu’une seule mutation,
C282Y, est responsable de la majeure partie des hémochromatoses
familiales, représentent un progrès majeur permettant une
confirmation aisée, non invasive et facilement disponible, du test de
dépistage phénotypique.
De ce fait, les risques du dépistage
deviennent minimes en termes de morbidité et de mortalité.
Le
retentissement psychologique de la réalisation des tests de dépistage
peut être tout à fait minimisé si des explications claires concernant
le mécanisme et les risques de la maladie sont données.
Reste le
retentissement social, en particulier vis-à-vis des programmes de
santé non gouvernementaux ou des assurances : des discriminations
totalement injustifiées ont déjà été notées, qui devront être abolies
avant de lancer des actions de masse.
– Le rapport coût-efficacité doit être favorable.
Le dépistage doit être
financièrement acceptable, permettant au mieux une économie en
diminuant, malgré le coût de sa mise en oeuvre, les frais inhérents à
la prise en charge des formes diagnostiquées tardivement.
Il doit
être en tout cas chiffré, exprimé au mieux par « années de vie sauvées
».
Les données actuelles seront présentées dans les chapitres
suivants.
En résumé, il est clairement démontré à l’heure actuelle que le
dépistage précoce de l’hémochromatose permet de normaliser la
qualité et l’espérance de vie des patients, au prix d’un traitement
simple et bien toléré.
Les deux modalités essentielles, dépistage
familial et dépistage systématique « de masse », vont être tour à
tour envisagées.
B - DÉPISTAGE FAMILIAL
:
1- Bases génétiques
:
Le premier individu d’une famille pour lequel le diagnostic
d’hémochromatose est posé, sur des données phénotypiques, est
appelé « probant ».
La maladie se transmettant selon un mode autosomal récessif, seuls les sujets porteurs, sur leurs deux
chromosomes 6, du gène hémochromatose muté (gène HFE)
(= homozygotes ou hh) expriment la maladie.
Le probant est
le plus souvent issu de l’union de deux parents hétérozygotes, et
c’est dans sa fratrie qu’il y a le plus de risque de trouver un
autre homozygote : en effet, l’union de deux hétérozygotes donne
statistiquement naissance à un quart d’enfants homozygotes, la
moitié d’enfants hétérozygotes et un quart d’enfants indemnes.
Les enfants du
probant sont au minimum hétérozygotes, puisqu’ils reçoivent
obligatoirement un gène muté.
Cependant,
l’union du probant à un sujet hétérozygote est possible et donne
statistiquement naissance à une fratrie constituée, à parts égales,
de sujets homozygotes et hétérozygotes ; dans ce cas, la
transmission est pseudodominante, puisqu’un sujet atteint donne
naissance à un malade.
Enfin, l’union de deux homozygotes est
exceptionnelle avec, dans ce cas, homozygotie de tous les
descendants.
Les parents du probant sont également au minimum hétérozygotes.
Étant donné leur âge, il est rare, mais possible (surtout chez les
mères), de faire le diagnostic d’homozygotie chez un des deux
parents (ce qui renvoie à l’union homozygote-hétérozygote) en
partant d’un enfant.
2- Réalisation du dépistage
:
* Dépistage phénotypique, dépistage génétique
:
Le dépistage phénotypique reproduit la démarche diagnostique de
l’hémochromatose.
Il repose sur la recherche de signes cliniques de surcharge en fer et sur les dosages du coefficient de saturation de la
transferrine et de la ferritinémie.
Le test génétique a
extraordinairement simplifié le processus, rendant obsolète
l’utilisation du groupage HLA.
* Définition du probant
:
Dans l’état actuel des connaissances, le dépistage génétique ne se
conçoit que dans les familles des probants homozygotes C282Y.
En
cas de tableau phénotypique évocateur d’hémochromatose, mais
non marqué par l’homozygotie C282Y, un dépistage phénotypique
simple peut être réalisé dans la famille (avec une rentabilité nulle
dans notre expérience).
* Apparentés :
Le dépistage s’adresse en première intention aux apparentés au
premier degré du probant, c’est-à-dire aux parents, aux frères et
soeurs, et aux enfants.
Il sera étendu ensuite à la descendance des
homozygotes et hétérozygotes dépistés.
Les parents sont souvent âgés, c’est dire qu’une éventuelle
homozygotie sera soit exprimée phénotypiquement, soit ne
s’exprimera probablement pas ou peu. Nous conseillons un
dépistage phénotypique, ne débouchant sur un test génétique qu’en
cas d’anomalies.
La fratrie doit faire l’objet d’un dépistage phénotypique et d’un test
génétique : en effet, certains homozygotes, en particulier de sexe
féminin, peuvent ne pas exprimer encore de surcharge.
Surtout, il
importe de distinguer les sujets indemnes des sujets hétérozygotes,
afin de conseiller ou non un dépistage dans la descendance.
Les enfants posent le problème de l’âge optimal du dépistage.
Le
comité consultatif national d’éthique ne favorise pas un dépistage
avant la majorité.
Certes, l’existence de lésions viscérales est
exceptionnelle avant l’âge de 35 ans ; cependant, une surcharge en
fer peut être présente dès l’âge de 10 ans. Une façon élégante de
résoudre le problème, tout en répondant à l’inquiétude des parents,
est de faire le test génétique chez le conjoint du probant : si celui-ci
n’est pas hétérozygote, les enfants ne seront pas homozygotes.
Cette
démarche, économique, permet de plus de diminuer le coût de
40 %.
3- Conduite pratique
:
La démarche recommandée par le comité consultatif national
d’éthique implique que le probant prévienne lui-même les membres
de sa famille, puisque ceux-ci prennent contact avec le corps
médical, au mieux par l’intermédiaire d’une consultation de conseil
génétique, pour la réalisation du dépistage.
Il revient au médecin
du probant de lui expliquer clairement l’utilité de dépister ses
apparentés.
Il faut ensuite une information claire de chaque apparenté sur la nature, les conséquences et le mode de transmission
de la maladie, ainsi que sur les modalités thérapeutiques éventuelles
et leur incidence sur le pronostic.
4- Conséquences thérapeutiques
:
Les homozygotes C282Y doivent être traités.
Un certain nombre
n’ont aucune expression de la maladie.
Ceux-là doivent faire l’objet
d’une surveillance régulière, tous les ans, de la ferritinémie.
L’existence d’anomalies martiales chez un hétérozygote doit faire
rechercher une autre cause de surcharge en fer.
En leur absence,
aucune surveillance n’est théoriquement indiquée.
Cette proposition
doit être tempérée par la possibilité, pour un hétérozygote jeune de
développer ultérieurement tout autre type de surcharge, telle qu’une hépatosidérose dysmétabolique.
Un contrôle de la ferritinémie vers
la cinquantaine pourrait être conseillé.
Mieux, ces sujets pourraient
être dirigés vers les établissements de transfusion sanguine pour
devenir donneurs de sang réguliers.
Les sujets sans mutation peuvent être totalement rassurés, aucune
surveillance n’étant nécessaire.
5- Efficacité et coût du dépistage
:
Le dépistage familial est beaucoup plus efficace que le dépistage de
masse, car il s’adresse à une population à plus haut risque
d’homozygotie C282Y.
Dans notre expérience, basée sur le groupage
HLA et portant sur 1 298 apparentés, le dépistage a abouti à la
suspicion d’une homozygotie chez 13 % des sujets dépistés, la
plupart exprimant une surcharge en fer.
Une étude basée sur
une démarche analogue a conclu à son efficacité en termes de jours
de vie sauvés et d’argent économisé.
La simplification de la
démarche diagnostique qu’apporte le test génétique devrait
améliorer cette efficacité.
C - DÉPISTAGE DE MASSE
:
1- Expériences antérieures
:
Un certain nombre d’études de dépistage, toutes phénotypiques, ont
été réalisées avant l’ère génétique.
Elles ont permis d’établir
l’efficacité des tests de dépistage et la prévalence des surcharges en
fer idiopathiques.
Toutes ces études ont permis le diagnostic
d’homozygotes non connus, avec une fréquence remarquablement
similaire et proche des prévisions, et ont donc préconisé la mise
en route d’un dépistage systématique.
2- Études d’évaluation clinique et économique
:
Trois études théoriques, évaluant le rapport coût-efficacité
du dépistage et basées sur des modèles d’aide à la décision, ont été
publiées avant la découverte du gène.
Elles comparent
le coût du dépistage d’un homozygote asymptomatique à celui de la
prise en charge des complications de la maladie et ont conclu que le
dépistage de masse de l’hémochromatose pouvait être
financièrement rentable.
3- Faisabilité et acceptabilité d’un dépistage de masse
:
C’est essentiellement sur des arguments de non-faisabilité et de
mauvaise acceptabilité de la biopsie hépatique, que l’agence
nationale pour le développement de l’évaluation médicale
(ANDEM) n’a pas recommandé la mise en oeuvre d’une campagne
de dépistage en 1995.
À la lumière des données récentes, l’OMS a
recommandé la réalisation d’études de grande ampleur testant les
modalités et évaluant la faisabilité d’un dépistage de masse.
Tous les cliniciens ainsi que les associations de malades considèrent
que le diagnostic de l’hémochromatose au stade asymptomatique
est hautement souhaitable.
Lorsqu’un patient est diagnostiqué,
l’enquête familiale est donc primordiale.
Le dépistage de masse
représente l’avenir, et force est de constater que ce sont surtout des
considérations économiques qui en freinent la mise en place.