Le but de cet article est de présenter de façon synthétique au travers
de bon nombre d’exemples, l’intérêt d’une approche hématologique
au sein de l’anthropologie biologique, et à l’inverse, de souligner
pour l’hématologiste les bénéfices à retirer des concepts de génétique
des populations vis-à-vis de certaines maladies du sang.
La facilité
de prélèvement, la multitude de paramètres pouvant être recherchés,
la possibilité de conserver indéfiniment les échantillons (et d’ailleurs
de les prélever au-delà de la mort des individus) font que le sang
constitue un outil extrêmement intéressant pour l’étude des
populations humaines et de leurs relations avec leurs milieux
respectifs.
L’hématologie des populations ou « géographique »
permet de reconstituer l’histoire des peuplements humains et de
l’endémie palustre au travers des marqueurs érythrocytaires.
Le
polymorphisme HLA (human leucocyte antigen) relevant directement
de l’immunogénétique et qui mériterait un article à lui seul, ne sera
pas abordé ici.
Nous avons préféré intituler cet article « Hématologie
et populations » plutôt qu’« hématologie géographique » eu égard
aux grands phénomènes migratoires récents qui ont relativisé la
notion de lieu géographique au profit de celle d’origine ethnique.
Les praticiens des pays dits « développés » se trouvent de plus en
plus souvent confrontés à des pathologies constitutionnelles de
migrants du tiers-monde.
À l’inverse, on ne doit pas non plus
ignorer, du fait du développement du tourisme vers les pays
exotiques, la possibilité de pathologies acquises importées
(l’hyperéosinophilie parasitaire en étant le meilleur exemple).
Il va
sans dire que les données rapportées ici sur un sujet aussi vaste et
en perpétuelle évolution sont forcément incomplètes, donc
arbitraires et approximatives et parfois sujettes à caution.
Données préliminaires :
A - ÉLÉMENTS HISTORIQUES :
Jean Bernard, outre ses nombreuses contributions dans la nosologie
et la thérapeutique des maladies du sang, a le premier défini le
concept d’hématologie géographique au sein de l’hématologie
moderne au début des années 1960 : « Les pathologies du sang
dépendent pour une large part des peuples et des races, du sol, de
l’air, des climats, des coutumes alimentaires, des infections, des
parasitoses particulières à certaines régions. »
Il est à l’origine,
avec Jacques Ruffié, du seul ouvrage en langue française écrit à ce
jour sur ce thème.
Avant lui, plusieurs auteurs (en premier lieu
Arthur Mourant) avaient souligné en particulier les différences de
répartition des groupes sanguins entre les populations humaines.
Selon la définition de Jean Bernard, l’hématologie géographique
comprend deux branches principales : l’hématologie génétique, qui
étudie les différences des caractères constitutionnels du sang entre
les groupes humains, et l’hématologie péristasique qui considère les
facteurs géographiques locaux (environnementaux, alimentaires,
culturels…) jouant un rôle dans la survenue de caractéristiques
hématologiques.
Ces particularités innées ou acquises peuvent
engendrer ou non une pathologie.
Il va sans dire que cette approche
n’est concevable qu’en associant à l’hématologie plusieurs
disciplines qui sont entre autres l’anthropologie, la génétique,
l’épidémiologie, l’archéologie, la sociologie, la géographie, l’histoire,
la linguistique…
Aux techniques pionnières du début du XXe siècle
(microscopie optique, sérologie, électrophorèse des protéines) ont
succédé des approches beaucoup plus performantes, en premier lieu
la génétique moléculaire, associées à un solide outil statistique.
Cavalli-Sforza a été l’un des acteurs essentiels du développement
de la génétique des populations, dans laquelle l’hématologie a pris
une place majeure.
Par ailleurs, le terme de « race » utilisé dans les
vieux articles et traités doit être définitivement banni car il ne
recouvre aucune réalité sur le plan anthropologique ou génétique.
B - NOTIONS FONDAMENTALES DE GÉNÉTIQUE
DES POPULATIONS :
Les polymorphismes génétiques dans les populations humaines sont
fondamentalement liés à plusieurs phénomènes venant modifier le
profil génique ancestral : les mouvements de population,
introduisant un flux génique ou un métissage ; le hasard, jouant
surtout un rôle dans des groupes de petits effectifs, par le biais des
mutations avec effet fondateur et du phénomène de dérive
génétique ; et le processus de sélection naturelle, dont la
conséquence est une meilleure adaptation des individus à leur
milieu et une amélioration des capacités de reproduction au sein du
groupe.
Les éléments à l’origine du processus de sélection
naturelle au sein des populations humaines sont les facteurs géoclimatiques,
les paramètres nutritionnels et les agressions
infectieuses virales, bactériennes ou parasitaires.
Lorsqu’un gène
entraîne certaines conséquences pathologiques sur les individus, il
est nécessaire qu’il confère par ailleurs un avantage sur la
reproduction ou la survie.
Cet état génétique, combinant
simultanément effet avantageux et effet défavorable, est dénommé
polymorphisme balancé.
Plusieurs exemples seront présentés plus
loin, en particulier les pathologies du globule rouge conduisant à
une meilleure défense contre le paludisme.
Cette parasitose, qui
frappe le plus grand nombre d’êtres humains, tue environ un million
d’individus tous les ans, principalement des enfants.
Par ailleurs,
comme déjà précisé plus haut, les anomalies génétiques tendent de
plus en plus à perdre leurs spécificités géographiques, compte tenu
des larges mouvements migratoires récents à l’échelle de la planète.
Polymorphismes des groupes sanguins
:
Les groupes sanguins étant extrêmement nombreux, on n’abordera
ici que les exemples les plus démonstratifs sur le plan
anthropologique et intéressant les polymorphismes les plus
anciennement connus.
A - GROUPE ABO :
Un des premiers exemples de variabilité génétique a été mis en
évidence par Landsteiner au début du XXe siècle, qui a défini par
méthode immunologique les groupes sanguins ABO.
C’est L. et H. Hirszfeld qui, les premiers, en pleine Première Guerre mondiale,
mirent en évidence des différences de répartition des groupes ABO
selon les origines ethniques d’un groupe de soldats.
Le
polymorphisme ABO est retrouvé partout dans le monde, à
l’exception des populations natives d’Amérique centrale et du Sud
où seul le groupe O est présent.
Au nord-ouest de l’Amérique du
Nord, on retrouve la plus haute fréquence mondiale du groupe A
chez les Indiens Blackfoot et Blood.
C’est à l’est de l’Asie que la
prévalence du groupe B est la plus forte.
Le groupe B a, semble-t-il,
pénétré l’Europe en provenance de l’Asie au cours des différentes
vagues d’invasions, ce qui explique que sa fréquence diminue selon
un gradient est/sud-ouest, de la Russie au Pays Basque.
Il est
inexistant dans les populations amérindiennes et aborigènes
d’Australie.
La fréquence maximale du A est retrouvée dans les
pays Scandinaves.
En Europe, la population basque, censée
représenter le groupe humain le plus ancien de ce continent et ayant
gardé au fil des âges un fort taux d’endogamie, présente des
caractères bien particuliers, avec la plus forte fréquence de O et la
plus faible de B.
Il a été décrit des associations entre certains
groupes ABO et diverses pathologies malignes, infectieuses ou
thrombotiques ce qui peut laisser penser à un phénomène de
sélection naturelle.
Ainsi, on a démontré chez les individus
de groupe non O une augmentation significative du risque de
maladie thrombotique à la fois artérielle et veineuse.
Cela pourrait
être en relation avec un taux moyen plus bas du complexe circulant
facteur VIII
– facteur Willebrand (d’environ 25 %) chez les individus
O.
B - GROUPE RHÉSUS :
Le polymorphisme Rhésus (RH) s’exprime au niveau de trois loci
du chromosome 1 : C, D et E correspondant chacun à deux allèles :
C ou c, D ou d, E ou e.
Il existe par ailleurs deux allèles
supplémentaires Cw (fréquence maximale au nord de l’Asie, d’où il
semble originaire) et Du (présence importante en Afrique et en Asie
du Sud-Est).
L’haplotype originel semble être cDe, qui a la plus
grande fréquence en Afrique, où l’on situe actuellement le berceau
de l’humanité.
À partir de cDe sont apparus par mutations trois haplotypes supplémentaires : Cde, peut-être contemporain de
l’expansion de l’homme vers l’Asie, est cosmopolite mais
relativement plus rare en Afrique (9 %) ; cde (RH négatif), est apparu
lors du peuplement du nord-ouest de l’Asie et de l’Europe ; cDE est
très fréquent au nord-est de l’Asie, d’où il est probablement
originaire, et sur le continent américain, où il s’est propagé suite à la
traversée du détroit de Behring par les groupes humains.
Ensuite, à
partir de ces quatre haplotypes sont apparus par recombinaison
(crossing over) trois spécificités nouvelles : Cde, relativement rare,
ayant un maximum de fréquence au nord de l’Asie et très souvent
rencontré en Europe et en Asie de l’Ouest (où se trouve son origine
supposée) ; cdE, rare dans la plupart des zones géographiques,
surtout présent dans l’est de l’Asie et possiblement apparu dans
l’ouest ou le nord de ce continent, étant donné ses fréquences
actuelles ; CDE, également rare, connaissant un pic de présence au
nord-est de l’Asie (qui pourrait être son lieu d’éclosion) et sur le
continent américain.
Le huitième haplotype, CdE, le plus rare de
tous, est le produit de la recombinaison de deux haplotypes qui
avaient déjà subi une recombinaison.
Actuellement, chez les
Caucasiens, les fréquences antigéniques sont les suivantes : D (RH
positif) : 85 % (15 % sont donc d, RH négatifs), C : 70 %, c : 80 %, E :
30 % et e : 98 %. Les Basques représentent une des rares populations
de la planète où le d avoisine, voire dépasse les 50 %.
C - SYSTÈME DUFFY :
Le système de groupe sanguin Duffy n’est présent que sur les
érythrocytes et comprend six antigènes différents, dont deux majeurs
Fya et Fyb. Les antisérums anti- Fya et anti- Fyb définissent quatre
phénotypes : Fy (alpha+ bêta-), Fy (alpha+bêta+), Fy (alpha-bêta+) et Fy (alpha-bêta-) (aucune
agglutination dans ce dernier cas).
Le gène Duffy, situé en 1q22-23,
code une glycoprotéine membranaire qui joue le rôle de récepteur
pour certains hématozoaires du paludisme.
Fya et Fyb sont
fréquents chez les Caucasiens alors que Fya s’exprime chez
pratiquement tous les sujets asiatiques.
Les trois allèles majeurs :
FY*A, FY*B (qui sont codominants) et FY*O (défini par l’absence à
la fois de FY*A et FY*B) présentent clairement une distribution
géographique qui pourrait refléter un état de pression de sélection.
Les allèles FY*A et FY*B, dont les produits ne diffèrent que d’un
seul acide aminé, prédominent à l’est de l’Asie et dans le Pacifique
pour le premier et à l’ouest de l’Asie, en Europe et en Amérique
pour le second.
FY*X est un allèle supplémentaire plus rare
retrouvé essentiellement chez les individus d’ascendance
européenne (fréquence : 2,5 %) et corrélé avec une faible expression
de Fyb.
FY*O représente l’allèle prédominant chez les Noirs
africains et est extrêmement rare dans les autres populations ; il rend
les hématies impénétrables au parasite Plasmodium vivax (phénotype
Fy [alpha-bêta-]) et correspond à un phénomène sélectif dans les régions
d’endémie.
En Europe, FY*A démontre nettement un gradient
est/ouest. Sa fréquence chez les Basques est la plus basse du
continent.
D - GROUPE DIEGO :
Il représente un système de neuf antigènes, avec en particulier la
paire antithétique Dia/Dib qui est intéressante à étudier en
anthropologie.
En effet, pratiquement toutes les populations
caucasiennes ou africaines sont Dia négatives alors que les tribus
aborigènes amérindiennes et les populations d’ascendance
mongoloïde sont porteuses de cet antigène.
Ce caractère avait été
mis en évidence au Venezuela en 1955 chez les Indiens Diegos vivant
dans ce pays.
Pathologies érythrocytaires :
A - ANOMALIES MEMBRANAIRES :
Elles se traduisent par une fragilité de la membrane débouchant sur
des modifications de forme des hématies et un degré variable
d’hémolyse.
La sphérocytose héréditaire (maladie de Minkowski-Chauffard) se
caractérise par une anémie hémolytique avec des globules rouges
partiellement sphériques, denses et fragiles qui sont détruits par la
rate.
Cette maladie est universellement répandue mais est plus
particulièrement retrouvée dans les populations nord-européennes,
où sa prévalence est estimée entre 1/2 000 et 1/5 000.
La forme
autosomique dominante est la plus fréquente (dans trois quarts des
cas), les cas restants étant de nature sporadique et composés pour
moitié de formes de transmission autosomique récessive et de
nouvelles mutations spontanées.
Parmi les nombreuses mutations
décrites (qui débouchent toutes sur des défauts d’interaction
horizontale de certaines protéines composant l’architecture
membranaire), celles touchant les gènes de la protéine bande-3 et de
la protéine 4.2 (en particulier la protéine 4.2 Nippon Ala 142 ® Thr)
sont plus fréquentes au Japon qu’en Europe alors que c’est l’inverse
pour le gène de l’ankyrine.
L’elliptocytose héréditaire est une anomalie fréquente, avec environ
1 cas sur 2 500 personnes chez les populations nord-européennes et
jusqu’à 1 sur 150 dans certaines régions d’Afrique.
Elle présente une
grande hétérogénéité dans l’expression clinicobiologique et dans le
mode de transmission (autosomique dominant ou récessif) et
constitue la traduction de défauts d’organisation horizontale des
protéines de la membrane.
La plupart des mutations causales
débouchent sur des anomalies de liaison de la spectrine (en
particulier au niveau de sa chaîne alpha).
Chez l’Africain, la mutation a
Leu 154 ® LeuLeu est la plus fréquente et d’expression bénigne.
L’elliptocytose sphérocytique est un désordre rare, autosomique
dominant, partageant les caractéristiques des deux précédentes
pathologies. Tous les patients décrits sont des Européens.
L’ovalocytose du Sud-Est asiatique est une affection autosomique
dominante très fréquente (jusqu’à 30 %) chez les populations
aborigènes mélanésiennes, d’Indonésie, de Malaisie et des
Philippines alors que les cas provenant des autres régions du globe
sont exceptionnels.
La déficience moléculaire concerne
essentiellement la protéine bande 3.
L’homozygotie est
probablement incompatible avec la vie.
Chez les sujets
hétérozygotes, les globules rouges présentent une importante
rigidité, ce qui ne cause pas de problèmes pathologiques majeurs
mais qui a l’avantage de rendre résistant l’individu vis-à-vis de
l’infestation par l’agent du paludisme.
La distribution
géographique de cette anomalie érythrocytaire est d’ailleurs calquée
sur celle de cette parasitose.
B - PATHOLOGIES GÉNÉTIQUES DE L’HÉMOGLOBINE :
Les hémoglobinopathies communes comprennent les thalassémies
(déficience de synthèse des chaînes de globine) a et b et trois
anomalies qualitatives liées à des mutations sur la chaîne bêta de la
globine qui sont les hémoglobinoses S (anémie falciforme ou
drépanocytose, b6 Glu ® Val), C (b6 Glu ® Lys) et E (b26 Glu ®
Lys).
Elles confèrent une protection vis-à-vis du paludisme et leurs
plus hautes fréquences de distribution géographique coïncident avec
la présence de cette maladie (qu’elle soit actuelle ou passée), cela
étant en rapport avec un phénomène de sélection naturelle.
Les
mutations responsables démontrent une spécificité régionale et
toutes ont augmenté de fréquence au cours des 5 000 dernières
années.
L’absence de corrélation de ces hémoglobinopathies avec
le paludisme observée dans certaines aires (Polynésie par exemple)
peut être rapportée à la dérive génétique, aux migrations et aux
modifications démographiques survenues durant les derniers 10 000
ans.
Il va sans dire que l’on peut rencontrer assez fréquemment des
individus issus des zones impaludées porteurs de plusieurs de ces
anomalies à la fois.
1- Thalassémies :
Tous les premiers cas de ces affections ayant été rapportés chez des
enfants d’origine méditerranéenne, leur dénomination fut calquée
sur le mot grec désignant la mer : thalassa.
Les thalassémies sont
divisées en alpha0- (ou bêta0-) et alpha+ - (ou bêta+ -) selon que la mutation
responsable abolit ou réduit la production de la chaîne de globine
en question.
* Thalassémies alpha :
Les alpha thalassémies constituent les maladies monogéniques les plus
fréquentes au monde.
La fréquence des alpha+ - thalassémies est
rarement inférieure à 10 % dans les régions impaludées et dépasse
même 80 % dans certaines zones (Népal, province d’Andhra Pradesh
en Inde, côte Nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée).
Quatre
mutations (délétions) principales ont été décrites et manifestent
chacune des pics de fréquence dans des régions propres :
– - alpha4.2 (Sud-Est asiatique et régions du Pacifique (dans ce dernier
cas, il n’y a pas partout du paludisme) ;
– - alpha3.7I (très cosmopolite mais surtout dans les populations
méditerranéennes et africaines) ;
– - alpha3.7II (Italie) ;
– - alpha3.7III (certaines parties de l’Océanie).
On retrouve des cas sporadiques d’alpha + - thalassémies dans toutes les
régions du monde.
C’est la forme homozygote alpha+ - qui, parmi toutes
les thalassémies, confère le meilleur avantage sélectif.
Dans les
régions du Pacifique, la distribution du gène de la thalassémie-alpha+
est corrélée à celle du paludisme selon deux variables : l’altitude (en
dessous de 2 500 m par exemple en Papouasie-Nouvelle Guinée) et
la latitude.
Les thalassémies non délétionnelles (dont l’Hb Constant Spring, qui
se rencontre dans le Sud-Est asiatique, est la forme la plus répandue)
et - alpha0 (- -SEA dans le Sud-Est de l’Asie et - -MED dans le Bassin
méditerranéen) sont principalement présentes dans des régions
impaludées.
La thalassémie -alpha0 n’est viable qu’à l’état
hétérozygote.
* Thalassémies bêta :
Les bêta-thalassémies sont largement répandues à travers les aires
géographiques où sévit le paludisme, à savoir : le Bassin
méditerranéen, l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Inde et la Birmanie, la
Chine, la Malaisie et l’Indonésie.
On estime que les fréquences
géniques oscillent entre 3 et 10 % selon les régions.
Chaque groupe
ethnique a sa propre anomalie génétique et par conséquent le
nombre des mutations (en général ponctuelles) est très important
(supérieur à 150 actuellement) et continue à croître régulièrement.
Certaines mutations sont observables dans plusieurs groupes
humains situés dans des régions voisines de même culture (par
exemple la mutation IVS1 110 G-A dans le Bassin méditerranéen).
2- Hémoglobinoses :
La fréquence génique de l’HbS est à plus de 20 % au Cameroun,
Guinée, ex-Zaïre, Ouganda et Kenya ; jusqu’à 20 % dans des parties
de l’est de l’Arabie saoudite et de l’Inde et de moins de 5 % dans le
Bassin méditerranéen et au Moyen-Orient.
Les cas rencontrés sur le
continent américain (États-Unis, Brésil, Caraïbes) correspondent au
flux génique de la traite des esclaves, car des cas d’HbS n’ont jamais
été rapportés chez les Amérindiens.
En Inde, la distribution actuelle
de l’HbS est la conséquence de phénomènes migratoires survenus
durant les 5 000 dernières années à partir d’une population
fondatrice probablement originaire de la vallée de l’Indus.
En
Afrique, dans sa partie sud, l’HbS proviendrait des populations
bantoues il y a environ 2 000 ans, alors que le Nigeria serait le
berceau des formes nord-africaines et même méditerranéennes.
L’HbS dans sa forme hétérozygote confère une protection contre le
paludisme, ce qui contrebalance la surmortalité des homozygotes (espérance de vie autour de 2 ans en l’absence de prise en charge).
Cela représente un exemple de polymorphisme équilibré et permet
d’expliquer le maintien de cette anomalie dans ces populations.
L’HbE se retrouve en Asie, du Nord de l’Inde à la Chine, avec un
taux record dans le nord-est de la Thaïlande, où la fréquence du
gène atteint 74 %.
On rencontre des cas sporadiques en Europe alors
qu’en Turquie, région fortement impaludée dans les temps plus
anciens, la fréquence est entre 0,5 et 1 %.
L’HbC apparaît principalement en Afrique de l’Ouest, avec une
fréquence maximale en Côte d’Ivoire (jusqu’à 50 %) et une
distribution qui est superposable à celle de la drépanocytose.
C - ENZYMOPATHIES ÉRYTHROCYTAIRES :
1- Déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase
(G6PD)
:
Il s’agit de la plus fréquente enzymopathie érythrocytaire touchant
l’homme (plus de 400 millions de cas mondiaux).
L’organisation
mondiale de la santé (OMS) estime à 2,9 % la proportion d’individus
porteurs de ce déficit à travers le monde.
Largement plus
de 400 variants de cette enzyme ont été rapportés.
Bien que la
majorité des individus déficitaires soient asymptomatiques, certains
peuvent développer une anémie hémolytique précipitée par un
stress oxydatif.
En effet, le rôle de la G6PD est de protéger le globule
rouge vis-à-vis de l’oxydation via la production de NADPH.
Cette
affection a été décrite pour la première fois en 1956 chez un individu
ayant reçu de la primaquine.
Le gène de l’enzyme normale situé
en Xq28 a été cloné en 1986.
Compte tenu du très grand nombre
de sujets atteints de ce déficit, celui-ci ne semble pas infléchir
significativement la capacité reproductive ni l’espérance de vie
(surtout par rapport au risque létal en liaison avec l’infection par
Plasmodium falciparum).
Avant l’avènement des techniques de
biologie moléculaire, c’est grâce au profil de migration électrophorétique que les variants ont été caractérisés.
On a
démontré chez la majorité des patients d’Afrique noire une mobilité
accrue (forme G6PD A (-)) par rapport aux Africains non déficitaires
(G6PD A (+)).
Le type G6PD A (+) constitue probablement un
modèle ancestral, mais qui semble plus récent que le type G6PD
B. G6PD A (-) a une distribution géographique large incluant
l’Afrique, l’Europe du Sud et les régions du Nouveau Monde où ont
été conduits les Noirs africains par le biais du commerce des
esclaves.
Les populations méditerranéennes, qui se caractérisent par
un déficit sévère, présentent une migration normale et le variant en
question a été baptisé G6PD Méditerranée.
Son aire de
distribution couvre le sud de l’Europe, le Moyen-Orient et l’Inde.
Avec la possibilité de définir les différentes mutations sous-jacentes,
la classification simpliste initiale s’est considérablement
complexifiée.
Une exception au modèle de répartition géographique
est apparue avec la mutation Union 1360T, initialement décrite aux
Philippines, et retrouvée ensuite dans des lieux aussi différents que
l’Espagne, l’Italie et les îles Vanuatu en plein Pacifique.
S’agit-il
du résultat d’un phénomène migratoire non documenté ou de
l’apparition indépendante de mutations sur un même endroit du
gène parmi différentes populations par le biais du hasard ?
Il
convient de distinguer les cas survenant dans des régions d’endémie
palustre (présente ou passée), des cas sporadiques pouvant se
manifester dans tous les endroits du globe.
Dans le premier groupe,
les différents types d’allèles responsables du déficit ont atteint des
fréquences élevées et débouchent cliniquement sur un état basal
normal mais sur un risque d’accès hémolytique aigu à l’occasion
d’un stress oxydatif comme une infection ou l’ingestion de certains
médicaments ou de fèves (favisme).
La fréquence de cette
enzymopathie est de 1 à 7% dans un district du sud de l’Italie,
de 2 à 16% en Chine du Sud et à Taïwan, et atteint jusqu’à 26 %
en Afrique.
Ce chiffre atteint un impressionnant 70 % chez les
Juifs kurdes porteurs du variant Méditerranée, ce qui constitue
probablement la plus forte proportion parmi toutes les
populations.
En Grèce, une enquête effectuée chez
1 286 000 nouveau-nés a retrouvé une fréquence génique de 0,045.
Chaque population possède ses propres variants.
Clairement,
l’anomalie confère un avantage sélectif vis-à-vis du paludisme,
bien que toutes les mutations ne débouchent pas sur une protection
aussi nette que la mutation 376G.
Initialement, on pensait que les
femmes hétérozygotes étaient davantage protégées que les hommes hémizygotes, en fait, il n’y a pas de différence significative, et
dans les deux cas la forme A (-) est associée à une réduction
grossièrement de moitié du risque d’infection sévère par
P. falciparum.
Les éléments biologiques justifiant cet effet
protecteur sont multiples : développement parasitaire ralenti et
moindre résistance de Plasmodium au contexte oxydatif dans les
érythrocytes déficitaires, parasitémie plus faible chez les sujets avec
déficit enzymatique et présence élective du parasite dans les hématies non déficitaires chez les patients hétérozygotes.
De plus, le
parasite est capable de fabriquer sa propre enzyme, ce qui constitue
un phénomène adaptatif intéressant.
Les plus fortes fréquences
géniques se rencontrent dans les régions où l’incidence du
paludisme est la plus élevée, que ce soit actuellement ou par le
passé (Europe du Sud).
Dans les populations africaines, il s’agit
quasi exclusivement de formes A (-) (68 Val ® Met, 126 Asn ®
Asp).
Sur le pourtour méditerranéen ou au Moyen Orient, on
rencontre électivement la mutation (188 Ser ® Phe) ; au nord de
l’Inde c’est le variant Orissa (44 Ala ® Gly) et en Chine le type
G6PD Canton (459 Arg ® Leu) qui prédominent. Concernant les
cas sporadiques cosmopolites, ils surviennent à très faible fréquence
et correspondent à des formes cliniques plus sévères, le plus souvent
une anémie hémolytique chronique.
Ils ne sont pas associés avec les
mutations polymorphes habituelles.
L’anomalie est le plus
souvent liée, sur le plan biochimique, à des substitutions touchant
un seul, voire deux acides aminés (plus quelques très rares
délétions), sous-entendant le caractère létal d’importantes
modifications de l’enzyme.
Un ictère néonatal, qui n’est d’ailleurs
pas le résultat de l’hémolyse mais d’un déficit hépatique en G6PD, a
été décrit chez des nourrissons en Asie et sur le pourtour
méditerranéen.
En général, les mêmes mutations correspondent à
des régions géographiques contiguës ou peuplées d’individus ayant
une origine similaire.
2- Déficit en pyruvate kinase
:
Il s’agit, par sa fréquence, de la première cause génétique d’anémie
hémolytique non sphérocytaire.
Depuis sa description en 1961, plus
de 500 cas ont été rapportés.
La transmission est autosomique
récessive.
La distribution géographique est mondiale, avec une
fréquence génique s’étendant de 0,1 à 6 %, les taux les plus élevés
correspondant aux populations du nord de l’Europe.
3- Déficit en glucose phosphate isomérase :
Il constitue la troisième cause génétique en fréquence d’anémie
hémolytique non sphérocytaire.
C’est une anomalie autosomique
récessive dont la fréquence génique est plus importante chez les
Noirs (0,269) que chez les Caucasiens (0,013). Vingt-quatre mutations
différentes ont été décrites.
La traduction biochimique de ce déficit
est une augmentation du taux de G6PD, ralentissant le processus de
glycolyse.
4- Déficit en triose-phosphate isomérase
:
C’est un déficit fréquent chez les Caucasiens (0,1-0,4 %) et surtout
chez les Noirs africains (4,6 %).
Des avortements répétés peuvent
faire découvrir cette affection, rarement décrite en clinique.
Parmi
les 12 mutations rapportées, celle touchant le codon 104 est la plus
fréquente chez les Caucasiens alors qu’elle n’est pas retrouvée dans
les autres groupes ethniques.