Greffes de limbe et de membrane amniotique
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
La mise en évidence des cellules souches limbiques a permis des
progrès très importants dans notre compréhension de la
physiopathologie des maladies graves de la surface oculaire et dans
leur prise en charge thérapeutique.
Les greffes de limbe (source de
cellules souches limbiques) et de membrane amniotique (source de
facteurs de croissance et de composants de la membrane basale
épithéliale) sont une approche logique qui donne déjà des résultats
intéressants au cours de pathologies dont le pronostic spontané est
la cécité.
Physiologie du renouvellement
de l’épithélium cornéen
:
L’épithélium cornéen est un tissu à renouvellement rapide.
Il se
renouvelle plus rapidement que l’épiderme. Ainsi, le turnover
complet de l’épithélium cornéen en situation expérimentale
s’effectue en 2 à 3 semaines.
La migration verticale des cellules
épithéliales demande de 3 à 5 jours.
Trois théories successives ont
été proposées pour expliquer ce renouvellement : la théorie classique
(processus vertical), la théorie de la transdifférenciation (origine
conjonctivale) et la théorie des cellules souches limbiques.
La théorie
actuelle est celle des cellules souches limbiques. Dans cette
théorie, les cellules épithéliales cornéennes proviennent de cellules
souches épithéliales limbiques situées dans la couche basale de
l’épithélium limbique.
Lors du processus de mitose, la cellule souche limbique donne naissance à une nouvelle cellule souche qui reste
dans la couche basale de l’épithélium limbique et à une autre cellule
qui va migrer vers le centre de la cornée en se différenciant en cellule
amplificatrice transitoire située dans la couche basale épithéliale
cornéenne.
Les cellules amplificatrices transitoires vont ensuite se
différencier en cellules postmitotiques situées dans les couches
intermédiaire et superficielle de l’épithélium cornéen avant de
desquamer.
Le processus de migration centripète des cellules épithéliales
cornéennes est un fait bien établi.
Il s’observe après désépithélialisation mécanique de la cornée, après kératoplastie
transfixiante (réépithélialisation du greffon par les cellules
épithéliales du receveur après desquamation de l’épithélium du
donneur) et après greffe de limbe.
L’existence des cellules souches limbiques a été démontrée par
plusieurs constatations : l’absence d’expression de la paire de cytokératines K3/K12 (cytokératines caractéristiques de l’épithélium
cornéen), la sécrétion de sous-types de collagène IV (a1 et a2)
différents de ceux sécrétés par les cellules basales épithéliales
cornéennes (a3, a4, a5 et a6), une réponse mitotique beaucoup plus
importante dans la couche basale épithéliale limbique que dans la
couche basale épithéliale cornéenne et un cycle cellulaire lent.
De
plus, l’apoptose des cellules épithéliales induite par le tumor necrosis
factor (TNF) a est plus importante pour la cornée que pour le limbe.
Le gène de résistance à l’apoptose bcl-2 est exprimé par les cellules
épithéliales limbiques mais pas par les cellules épithéliales
cornéennes.
Les cellules basales de l’épithélium limbique sont des cellules embryogénétiquement jeunes, peu différenciées, résistantes à
l’apoptose, ayant une activité mitotique faible à l’état basal et un
potentiel mitotique élevé.
Elles forment une barrière à l’invasion de
la surface cornéenne par l’épithélium conjonctival.
Par opposition,
les cellules amplificatrices transitoires de l’épithélium cornéen sont embryogénétiquement plus âgées, différenciées, sensibles à
l’apoptose, ayant une activité mitotique importante à l’état basal et
un potentiel mitotique limité.
Le renouvellement de l’épithélium cornéen est régulé par divers
facteurs parmi lesquels : l’âge, qui diminue le turnover ; le
nycthémère (le turnover est maximal pendant la nuit) ; le clignement
palpébral, qui l’augmente ; l’innervation épithéliale, qui assure un
rôle trophique ; les facteurs de croissance.
Le facteur de croissance
des cellules épithéliales (epithelial growth factor [EGF]) et le facteur
de croissance des fibroblastes b (fibroblast growth factor [bFGF])
augmentent la prolifération épithéliale, le transforming growth factor
(TGF) b1 la diminue.
Ces facteurs de croissance sont sécrétés par les kératocytes, l’épithélium et la glande lacrymale.
Il existe donc une
régulation autocrine, paracrine et régionale de la prolifération
épithéliale.
Syndrome d’insuffisance en cellules
souches limbiques :
A - DIAGNOSTIC DU SYNDROME D’INSUFFISANCE
EN CELLULES SOUCHES LIMBIQUES :
Le syndrome d’insuffisance en cellules souches limbiques se
caractérise par un envahissement de la surface cornéenne par un
épithélium ayant une différenciation conjonctivale caractérisée par
la présence de cellules caliciformes au sein de l’épithélium limbique
et cornéen.
Il se manifeste cliniquement par une opacification et une néovascularisation de l’épithélium cornéen associées à des troubles
de la cicatrisation épithéliale (defects épithéliaux chroniques ou
récurrents), des ulcérations épithéliales étendues pouvant conduire
à la perforation.
La symptomatologie fonctionnelle est aspécifique :
douleurs, baisse de la vision, photophobie, larmoiement.
Le
diagnostic positif repose sur l’étude cytologique des empreintes
cornéennes colorées par l’acide périodique ou l’hématoxillineéosine.
La présence de cellules caliciformes au sein de l’épithélium
cornéen est pathognomonique du syndrome d’insuffisance en
cellules souches limbiques.
Néanmoins, ce signe n’est pas constant
dans notre expérience car le matériel cellulaire recueilli par les
empreintes cornéennes est souvent pauvre.
Un résultat négatif ne
peut donc éliminer le diagnostic.
B - ÉTIOLOGIES DE L’INSUFFISANCE
CELLULAIRE LIMBIQUE
:
Tseng a proposé une classification des étiologies du déficit en
cellules souches limbiques en trois catégories.
L’aplasie ou perte
totale des cellules souches se rencontre au cours des brûlures
oculaires chimiques ou thermiques, du syndrome de Stevens-Johnson, après chirurgies multiples ou cryothérapie intéressant la
région limbique, après port de lentilles de contact et dans les suites
de kératites infectieuses ou immunologiques sévères (trachome,
herpès, bactéries, rejet de greffe de cornée...).
Une perte progressive
de la fonction des cellules souches par insuffisance du support stromal limbique est le mécanisme physiopathologique envisagé
dans l’aniridie, le ptérygion et les carcinomes limbiques, les déficits
endocrines multiples, les kératites neurotrophiques et les
inflammations limbiques (limbites).
Enfin, certains cas sont classés
comme idiopathiques en l’absence de cause décelable.
Globalement,
l’étiologie la plus fréquente est de loin la perte totale des cellules
souches par brûlure de la surface oculaire.
C - SYNDROME D’INSUFFISANCE EN CELLULES SOUCHES
LIMBIQUES ET CONJONCTIVALES :
Nos connaissances sur les cellules souches conjonctivales sont
actuellement beaucoup moins nombreuses que celles concernant les
cellules souches limbiques.
Si l’existence de cellules souches
épithéliales conjonctivales est admise, leur localisation et leurs
caractéristiques ne sont pas connues avec précision.
Ces cellules
seraient situées au niveau des culs-de-sac conjonctivaux.
L’atteinte limbique peut s’associer à une atteinte conjonctivale au
cours de trois grandes pathologies : les brûlures de la surface
oculaire, le syndrome de Stevens-Johnson et la maladie de Lortat-Jacob (pemphigoïde oculaire cicatricielle).
Aux signes de l’insuffisance limbique s’ajoutent ceux de l’atteinte
conjonctivale : fibrose conjonctivale, opacification et kératinisation de
la surface oculaire, symblépharons, syndrome sec, déficit en mucines
par destruction des cellules caliciformes.
Technique chirurgicale et indications
des greffes de limbe et de membrane
amniotique :
A - AUTOGREFFE DE LIMBE
:
Il s’agit d’une technique permettant de traiter les atteintes limbiques
unilatérales lorsqu’il existe un oeil donneur sain controlatéral.
Au
cours des pathologies bilatérales, même asymétriques, l’autogreffe
de limbe ne permet en général pas d’améliorer l’oeil atteint et risque
de compromettre l’oeil donneur.
Les buts de l’autogreffe de limbe
sont d’améliorer la symptomatologie fonctionnelle, d’améliorer la
surface oculaire, parfois d’améliorer la vision lorsque l’opacification
cornéenne n’est que superficielle et enfin de préparer le lit d’une
kératoplastie transfixiante lorsque l’opacification cornéenne atteint
le stroma.
Physiologiquement, on cherche à greffer un fragment
d’épithélium limbique sain, provenant de l’oeil donneur, à l’oeil
malade afin de reconstituer sur ce dernier un capital suffisant de
cellules souches limbiques qui permettront de restaurer un
phénotype cornéen à l’épithélium malade.
La date de l’intervention par rapport au traumatisme initial est
encore discutée. Pour beaucoup, il est nécessaire d’attendre un délai
de plusieurs mois à 1 an pour que le processus inflammatoire soit
calmé.
D’autres chirurgiens ont proposé récemment de greffer
rapidement après brûlure de la surface oculaire.
Cette attitude est
étayée par les résultats des greffes de limbe chez le lapin qui sont
meilleurs lorsque le délai est court (de 1 à 4 mois) que lorsqu’il est
long (de 9 à 11 mois).
L’autogreffe de limbe est également proposée pour traiter les ptérygions sévères ou récidivants.
Le greffon peut dans ce cas être
prélevé sur l’oeil greffé.
L’intervention est souvent faite sous anesthésie générale, mais une
anesthésie locale bilatérale peut suffire.
Elle comporte trois temps
opératoires.
Le premier temps consiste à préparer l’oeil receveur.
Il
faut enlever le pannus fibreux qui recouvre la cornée en prolongeant
la résection au-delà du limbe afin de mettre la sclère à nu autour du
limbe.
Les zones où l’épithélium limbique et cornéen est sain sont respectées.
Le deuxième temps consiste à prélever un greffon
lamellaire sur l’oeil donneur.
La dissection est faite au couteau à 45°
et à la lame crescent.
Le greffon a une largeur de 1 mm en avant du
limbe et de 2 mm en conjonctive.
La longueur du greffon ne doit
pas dépasser 180° pour ne pas induire une insuffisance limbique sur
l’oeil donneur.
La conjonctive est reposée par deux points de Vicrylt 8/0.
Dans un troisième temps, le greffon prélevé est suturé
sur l’oeil receveur par quelques points séparés de Nylont 10/0 pour
le versant cornéen et de Vicrylt 8/0 pour le versant conjonctival.
Une lentille thérapeutique est mise en place le temps de la réépithélialisation de la surface cornéenne.
Certains proposent de surveiller attentivement la réépithélialisation
de la cornée après la greffe. Si l’épithélium conjonctival tend à
envahir la surface cornéenne, il est enlevé mécaniquement.
B - ALLOGREFFE DE LIMBE :
Il s’agit d’une technique permettant de traiter les atteintes limbiques
bilatérales ou unilatérales sur oeil unique. Les buts de l’allogreffe de
limbe sont identiques à ceux de l’autogreffe : amélioration de la
symptomatologie fonctionnelle, de la surface oculaire, parfois de la
vision et enfin préparation du lit d’une kératoplastie transfixiante.
L’allogreffe de limbe a été utilisée en association avec une
kératoplastie transfixiante dans le cas de dystrophies cornéennes
connues pour récidiver à partir de l’épithélium (dystrophie grillagée,
dystrophie de Groenouw I).
Bien que les résultats rapportés
soient encore préliminaires, ce traitement peut paraître séduisant
compte tenu du potentiel de récidive de ces dystrophies sur le
greffon cornéen.
Si l’objectif reste la greffe de cellules souches limbiques allogéniques,
celle-ci ne peut se faire sans l’apport de cellules de Langerhans
allogéniques présentes dans l’épithélium limbique et d’un support
stromal riche en éléments vasculaires et cellulaires immunogènes.
Ceci explique le risque majeur de rejet du greffon, qui impose une immunosuppression prolongée, voire à vie.
Expérimentalement, les
allogreffes de limbe faites chez le lapin en l’absence de toute immunosuppression locale et générale sont toujours rejetées au
cours du premier mois et aucune cellule épithéliale du donneur ne
survit après quelques mois.
En pratique, les équipes ont le plus
souvent recours à la ciclosporine par voie orale qui semble très
efficace tant qu’elle est administrée.
Le problème reste de savoir s’il
est possible de l’arrêter à distance de la greffe sans obligatoirement
déclencher le rejet du greffon limbique.
Chez le lapin, la ciclosporine
est aussi efficace par voie topique (collyre à 1 %) que par voie
systémique (10 mg/kg/j) pour prévenir le rejet.
Le taux sanguin de
ciclosporine est, bien sûr, plus important avec la voie systémique
mais le taux dans l’humeur aqueuse est plus élevé avec la voie
topique.
Ceci peut constituer un argument important pour
l’utilisation de la ciclosporine en collyre chez les receveurs ayant
une contre-indication à la ciclosporine orale.
Là aussi, la date de l’intervention par rapport au traumatisme initial
est encore discutée.
Certains préconisent d’attendre pour réaliser la
greffe ; d’autres proposent de greffer rapidement après brûlure de la
surface oculaire.
L’intervention est souvent faite sous anesthésie générale ou locale.
Elle dure souvent plusieurs heures et peut donc nécessiter de
réinjecter des drogues anesthésiques.
Elle comporte trois temps
opératoires. Le premier temps consiste à prélever un greffon
lamellaire sur un greffon cornéen ou sur un oeil donneur provenant
d’une banque de cornée.
Certains prélèvent le tissu limbique chez
un parent (donneur vivant apparenté).
Le tissu donneur doit avoir
été prélevé récemment avec une collerette conjonctivale de plusieurs
millimètres.
On considère qu’un délai de quelques jours entre le
décès du donneur et la greffe ne doit pas être dépassé pour que les
cellules souches restent vivantes.
Si l’on travaille sur globe entier
(cas rare en France du fait de l’interdiction légale de prélever des
globes oculaires à la morgue), celui-ci doit être conservé en chambre
humide à + 4 °C jusqu’à la greffe qui doit être faite dans les
48 heures post mortem.
Si l’on travaille sur cornée isolée, celle-ci
doit être conservée en organoculture à + 31 °C ou en milieu liquide
à + 4 °C.
Le délai de conservation peut alors excéder 48 heures.
Après 5 jours de conservation, l’épithélium limbique est
histologiquement intact.
Le greffon doit répondre aux mêmes
normes de sécurité sanitaire que pour une kératoplastie transfixiante.
S’il s’agit d’un greffon cornéen, celui-ci peut être monté
en chambre antérieure artificielle pour faciliter la dissection.
Une
trépanation circulaire superficielle non transfixiante est réalisée en
avant du limbe et le limbe est disséqué vers l’arrière à la lame
crescent afin d’obtenir un greffon lamellaire circulaire ayant une
largeur de 1 mm en avant du limbe et de 2 mm en sclère avec une
collerette conjonctivale.
Le deuxième temps consiste à préparer l’oeil
receveur.
Il faut enlever le pannus fibreux qui recouvre la cornée en
prolongeant la résection au-delà du limbe afin de mettre la sclère à
nu autour du limbe.
Les zones où l’épithélium limbique et cornéen
est sain sont respectées.
Une trépanation circulaire superficielle prélimbique associée à une dissection lamellaire postérieure permet
une meilleure congruence entre le greffon et l’oeil receveur et évite
les marches d’escaliers trop importantes, tant au niveau cornéen
qu’au niveau scléral.
Dans un troisième temps, le greffon lamellaire
est suturé sur l’oeil receveur par des points séparés ou un surjet de Nylont 10/0 pour le versant cornéen et de Vicrylt 8/0 ou 10/0 pour
le versant conjonctival.
La taille du greffon utilisé varie en fonction
de l’étendue de la zone pathologique, allant jusqu’à 360° lorsque la
destruction limbique est complète.
Certaines équipes utilisent dans
ce cas un greffon complet et la moitié d’un autre pour augmenter
l’apport de cellules souches.
Une lentille thérapeutique est mise en
place le temps de la réépithélialisation de la surface cornéenne.
Certains proposent de faire dans le même temps opératoire la
kératoplastie transfixiante et l’allogreffe de limbe.
L’intervention
commence alors par une péritomie limbique suivie de la kératoplastie.
Le greffon limbique est partagé en deux fragments qui
sont suturés au limbe par un surjet de Nylont 10/0.
C - GREFFE DE MEMBRANE AMNIOTIQUE :
La membrane amniotique est un tissu situé à l’interface entre le
placenta et le liquide amniotique.
Elle comporte un stroma
acellulaire et un épithélium monostratifié cubique reposant sur une
membrane basale. Bien qu’utilisée pour la première fois il y a plus
de 50 ans, la greffe de membrane amniotique est pour nous une
technique récente.
Elle permet de diminuer l’inflammation de la
surface oculaire, de favoriser sa réépithélialisation (en facilitant la
migration des cellules épithéliales et l’adhésion des cellules basales)
et de préparer le lit d’une greffe de limbe ultérieure.
Elle permet
d’apporter des constituants de la membrane basale (collagène IV, laminine 1, laminine 5, fibronectine, collagène VII), des facteurs de
croissance (EGF, TGFa, KGF [keratinocyte growth factor], HGF
[hepatocyte growth factor], bFGF, TGFb), elle diminue la synthèse de
TGFb par les fibroblastes limbiques et restaure le phénotype
conjonctival (mais pas cornéen) des cellules épithéliales de la surface
oculaire.
Le collagène IV de la membrane basale de l’épithélium
amniotique a la même composition que celui de la membrane basale
de l’épithélium conjonctival (chaîne a2).
Expérimentalement, la
culture de kératocytes et de fibroblastes limbiques humains sur une
membrane amniotique induit une suppression de l’expression du
TGFb (isoformes 1 à 3) et du récepteur de type II au TGFb par ces
cellules, et inhibe leur différenciation myofibroblastique (diminution
de l’expression de l’a-actine du muscle lisse et de l’intégrine a5) ainsi
que la prolifération et l’apoptose de ces cellules.
La greffe de membrane amniotique a été proposée au cours des
syndromes d’insuffisances limbique et/ou conjonctivale, comme
seule intervention ou bien en association ou en préparation d’une
greffe de limbe, dans les ptérygions sévères avec ou sans
symblépharon et dans les defects épithéliaux cornéens chroniques.
Elle est également proposée comme traitement symptomatique des kératopathies bulleuses douloureuses chez les patients ayant par
ailleurs une fonction visuelle définitivement compromise.
La membrane amniotique est prélevée sur un placenta obtenu au
cours d’un accouchement par césarienne, chez une femme
remplissant les conditions de sécurité sanitaire indispensables à
toute greffe de tissu.
Elle est conservée par congélation (-80 °C) dans
un milieu de culture cellulaire (DMEM [milieu d’Eagle modifié par
Dulbecco]) contenant du glycérol (50 %) jusqu’à la greffe.
Cette
cryoconservation détruit les cellules épithéliales amniotiques.
L’intervention consiste à suturer un fragment de membrane sur la
zone désépithélialisée par quelques points séparés.
Elle est ensuite
naturellement intégrée au stroma sous-jacent et recouverte par
l’épithélium adjacent.
Résultats des greffes de limbe
et de membrane amniotique :
A - AUTOGREFFE DE LIMBE
:
Les séries d’autogreffes de limbe publiées restent peu nombreuses
et incluent un nombre relativement faible de patients.
L’amélioration
de la surface oculaire est obtenue dans au moins trois quarts des
cas, mais la restauration d’une acuité visuelle utile demande souvent
la réalisation d’une kératoplastie.
Les complications au niveau de
l’oeil donneur sont exceptionnelles pourvu que celui-ci soit sain.
Un
cas de kératite filamenteuse le long de la zone prélevée a été
publié. Kenyon rapporte une série de 21 patients opérés avec un suivi
moyen de 18 mois.
La surface oculaire est améliorée dans 95 % des
cas et l’acuité visuelle progresse de 2 lignes ou plus dans 81 % des
cas.
Huit kératoplasties transfixiantes ou lamellaires ont été
réalisées, toutes sont des succès.
Notre expérience porte sur 12 patients, dix hommes et deux femmes,
dont l’âge moyen est de 48 ans.
Dans six cas, l’indication opératoire
était une brûlure caustique ou thermique de la surface oculaire, dans
quatre cas un rejet de greffe de cornée (dont deux greffes faites pour
une brûlure), dans deux cas une kératite infectieuse sévère, dans un
cas des séquelles de chirurgie du décollement de rétine et dans un
cas un ptérygion sévère.
Le délai moyen de la greffe par rapport au
traumatisme initial était de 82 mois et la taille moyenne des greffons
était de 110° avec des extrêmes à 60° et 170°.
Huit patients ont été
opérés secondairement d’une kératoplastie transfixiante avec un
délai moyen de 11 mois entre l’autogreffe de limbe et la
kératoplastie. Le suivi moyen est de 21 mois.
Globalement, le taux
de succès de l’autogreffe de limbe (amélioration de la surface
oculaire) est de 75 % et celui de la kératoplastie de 63 %. Neuf
patients (75 %) ont gagné au moins deux lignes d’acuité visuelle.
L’acuité visuelle moyenne initiale était de 1/20 et l’acuité visuelle
finale de 2,5/10. Dans trois cas sur 12, l’autogreffe de limbe était en
échec (temps de réépithélialisation dépassant 7 jours ou récidive
ultérieure du defect épithélial).
Trois greffes de cornée ont échoué
par rejet.
L’analyse histologique de l’épithélium de quatre boutons
cornéens prélevés au cours de la kératoplastie secondaire a montré
la restauration du phénotype épithélial cornéen (absence de cellules
caliciformes) dans trois cas.
Dans les ptérygions sévères récidivants, l’autogreffe de limbe donne
d’excellents résultats et semble au moins aussi efficace que
l’application peropératoire de mitomycine.
B - ALLOGREFFE DE LIMBE
:
La principale complication de l’allogreffe de limbe est l’absence
d’amélioration de la surface cornéenne.
Cette complication peut être
secondaire à un défaut de viabilité des cellules épithéliales limbiques
du greffon ou à un rejet.
Le rejet se manifeste volontiers par des
hémorragies et une ischémie du greffon, suivies d’une néovascularisation qui envahit le greffon et la surface cornéenne.
Globalement, l’amélioration de la surface oculaire est obtenue dans
au moins la moitié des cas, et 50 % des kératoplasties réalisées sur
des yeux traités par allogreffe de limbe restent claires.
Un an après
la greffe, les cellules épithéliales présentes à la surface de la cornée
proviennent du donneur dans au moins 50 % des cas. Holland rapporte une série de 25 patients opérés avec un suivi
médian de 20 mois.
La surface oculaire est améliorée dans 72 % des
cas et l’acuité visuelle progresse de 2 lignes ou plus dans 60 % des
cas.
Treize kératoplasties transfixiantes ont été réalisées, six sont des
succès.
Notre expérience porte sur six allogreffes de limbe faites chez cinq
patients, deux hommes et trois femmes, dont l’âge moyen est de
48 ans.
Dans trois cas, l’indication opératoire était une brûlure
caustique ou thermique de la surface oculaire, dans deux cas une
pathologie auto-immune de la surface oculaire (pemphigoïde
oculaire et syndrome de Stevens-Johnson) et dans un cas une
kératite interstitielle sévère compliquée de dégénérescence nodulaire
de Salzmann.
Le délai moyen de la greffe par rapport au
traumatisme initial était de 10 ans et la taille moyenne des greffons
était de 295° avec des extrêmes à 120° et 360°.
L’immunosuppression
a été réalisée par la ciclosporine, orale dans trois cas et topique dans
un cas, des flashs périopératoires de méthylprednisolone dans un
cas et du Chloraminophènet par voie orale dans un cas.
Trois
patients ont été opérés secondairement d’une kératoplastie transfixiante avec un délai moyen de 5 mois entre l’autogreffe de
limbe et la kératoplastie.
Le suivi moyen est de 16 mois.
Globalement, le taux de succès de l’allogreffe de limbe (amélioration
de la surface oculaire) est de 50 % et toutes les kératoplasties transfixiantes restent claires.
L’acuité visuelle moyenne initiale était
de 1/100 et l’acuité visuelle finale de 1/20.
Dans deux cas sur six,
l’allogreffe de limbe était en échec (temps de réépithélialisation
dépassant 7 jours ou récidive ultérieure du defect épithélial).
Dans
deux cas, la pathologie initiale a récidivé après la greffe.
Les résultats récents les plus prometteurs sont ceux de Tseng qui
propose de faire précéder systématiquement l’allogreffe de limbe par
une greffe de membrane amniotique.
Il rapporte une série de
21 yeux opérés de greffe de membrane amniotique suivie d’une
allogreffe de limbe. Dans 14 cas, une kératoplastie transfixiante a été
nécessaire.
L’indication opératoire principale était constituée par les
brûlure chimiques de la surface oculaire.
Tous les patients ont été
traités par de la ciclosporine par voie orale. Le suivi moyen était de
16 mois. L’acuité visuelle a été améliorée dans 16 cas (76 %).
La
kératoplastie transfixiante a été un échec par rejet dans neuf cas
sur 14 (64 %).
C - GREFFE DE MEMBRANE AMNIOTIQUE :
Lee rapporte les résultats de 11 ulcères cornéens chroniques
(évoluant depuis 17 semaines en moyenne) traités par greffe de
membrane amniotique et suivis en moyenne 9 mois. Dix
cicatrisations sont obtenues après un délai moyen de 4 semaines et
un cas est un échec.
Dans l’étude de Tseng, dix yeux ayant une
forme modérée d’insuffisance limbique ont été traités par greffe de
membrane amniotique seule.
L’acuité visuelle est améliorée dans
tous les cas. Shimazaki associe greffe de membrane amniotique
et greffe de limbe dans le même temps opératoire.
Il rapporte sept
succès parmi sept yeux ayant une brûlure chimique ou thermique
avec un suivi moyen de 12 mois.
Si la greffe de membrane amniotique est efficace pour permettre la
cicatrisation des defects épithéliaux cornéens persistants, elle ne
permet par de traiter un ulcère préperforé ou perforé.
L’étude multicentrique américaine sur la greffe de membrane
amniotique au cours des kératopathies bulleuses inclut 50 patients :
90 % des patients ont vu leur symptomatologie douloureuse
disparaître après une greffe, 6 % après deux greffes et 4 % ont été
des échecs partiels ou complets.
Lorsque la kératopathie bulleuse
s’accompagnait de defects épithéliaux, ceux-ci ont cicatrisé en 3
semaines dans tous les cas et seuls 8 % des patients ont eu des
ulcères récidivants après la greffe.
Conclusion
:
L’avenir de cette chirurgie réside dans l’introduction des techniques de
thérapie cellulaire permettant de cultiver in vitro des cellules souches
limbiques prélevées chez le patient ou chez un donneur et de les
transplanter secondairement.
Ces techniques permettront de faire des
greffes apportant un capital de cellules souches beaucoup plus
important que ce qu’autorise l’autogreffe de limbe et, dans le cas des
allogreffes, de ne pas transplanter d’éléments cellulaires fortement
immunogènes tels que les cellules de Langerhans.
Chez le lapin, la greffe
de cellules épithéliales limbiques autologues cultivées sur une
membrane amniotique permet une réépithélialisation de la cornée après
destruction complète du limbe.
Dans cette même situation, la greffe de
membrane amniotique seule ne permet pas de traiter le déficit limbique.
Actuellement, deux cas de greffe de cellules autologues cultivées ont été
publiés avec un résultat très encourageant.