Génétique des pancréatites chroniques Cours d'Hépatologie
Introduction
:
La pancréatite chronique (PC) se caractérise par une sclérose
progressive du parenchyme pancréatique, associée à une
inflammation continue entraînant une destruction progressive du
parenchyme pancréatique.
Dans la forme héréditaire ou pancréatite
chronique héréditaire (PCH), elle atteint plusieurs générations ou
au moins trois membres d’une même famille.
L’hypothèse d’une susceptibilité particulière à des facteurs
environnementaux, dont l’origine pourrait être génétique, a été
régulièrement proposée.
Deux arguments importants ont été retenus
en faveur de cette hypothèse : la constance de l’atteinte pancréatique
dans une maladie héréditaire telle la mucoviscidose, et l’existence,
régulièrement rapportée, de formes familiales de PC.
La recherche
dans les PC, outre les aspects biologiques, s’est donc orientée
préférentiellement vers les études de liaisons avec certaines
mutations connues et vers les tentatives de mise en évidence d’une
liaison génique dans les PCH. Cette dernière voie a eu pour
conséquences des effets scientifiques intéressants dans la période
récente.
Historiquement, la première pancréatite chronique calcifiante (PCC)
observée chez un jeune homme fut rapportée par Cawley en 1788.
Dans leur publication de 1946 concernant les PC, Comfort et al,
soulignant la responsabilité de l’alcool, en faisaient la conséquence
évolutive de poussées répétées de pancréatites aiguës, affirmant donc la séquence nécrose-fibrose.
Quelques années plus tard, en
1952, Comfort et Steinberg recensaient une première famille de
PCH comportant quatre patients atteints de PC.
Ils contribuaient à
la définition du cadre nosologique de la PCH : maladie atteignant
plusieurs générations ou au moins trois membres de la même
famille, se transmettant sur le mode autosomique dominant, mais
de pénétrance variable puisqu’il y avait parfois saut de génération ;
maladie se manifestant précocement (entre 5 et 23 ans) par des crises
douloureuses pancréatiques récidivantes, et dans laquelle les
calcifications étaient la conséquence et non la cause de la maladie.
Classiquement, lors des poussées, aucun critère biochimique ne
permettait de différencier les PCH des autres PC.
Enfin, Bartholomew et al, en 1958, signalaient la survenue possible de
carcinomes pancréatiques dans l’évolution des PC et des PCH.
Aspects cliniques et épidémiologiques
:
L’étude des modes de transmission dans ces formes familiales a été
un appoint déterminant dans l’élaboration de la recherche génique.
Toutefois, la plupart des PCH ont probablement été non reconnues,
en l’absence d’enquêtes systématiques, ou non publiées comme
telles, et il est donc difficile d’apprécier l’incidence réelle de cette
forme de la maladie : elle représenterait 5 à 10% des PC.
Sur la
centaine de familles publiées, la prédominance
caucasienne est probablement le reflet de l’intérêt qui lui est porté.
Lors du premier symposium international sur la PCH de Pittsburgh
(en 1997), 255 cas ont été soumis provenant de dix pays et plus
particulièrement des États-Unis (175 cas).
Le nombre de sujets
atteints de façon certaine ou probable dans chaque famille a varié
de deux à 14 cas jusqu’à la publication d’une généalogie
exceptionnelle de PCH recensant 249 sujets répartis sur huit
générations (dont 214 vivants) et dans laquelle 66 sujets ont été
trouvés porteurs d’une PCH certaine et 16 sujets atteints d’une PCH
probable (sans preuve morphologique), tandis que 60 sujets ayant
moins de 18 ans étaient encore susceptibles de développer la
maladie clinique.
Aucun caractère clinique, biologique, morphologique, aucun
phénotype associé n’a permis de distinguer ces PCH des autres
formes de PC hormis la précocité des symptômes.
Ainsi, dans cette
généalogie on a eu la certitude du début des crises douloureuses
pancréatiques avant l’âge de cinq ans à 25 reprises.
En l’état actuel,
l’évolution douloureuse ou compliquée a justifié un recours à la
chirurgie chez 25 patients.
Ces données ont été confirmées par la
série de la Mayo Clinic où, dans les PC infantiles idiopathiques
(n’ayant pas d’antécédents familiaux reconnus), l’évolution a été
plus sévère et le recours à la chirurgie plus fréquent.
Le risque
cumulé d’adénocarcinome pancréatique à l’âge de 70 ans serait
estimé à 40 % et il serait accru si la transmission a été faite par le
père ou s’il s’y associe un tabagisme.
Cette généalogie, par sa puissance numérique, revêtait un caractère
informatif important et confirmait les critères de reconnaissance
d’une maladie autosomique dominante : transmission hétérozygote
indépendante du sexe, présence d’un parent pathologique chez tout
sujet atteint et transmission à un enfant sur deux.
Un saut de
génération à trois reprises faisait retenir l’hypothèse d’une
pénétrance incomplète. Enfin, cette famille constituait un modèle
idéal pour la recherche statistique d’une liaison génétique.
Étapes de l’enquête génétique dans
la pancréatite chronique héréditaire
:
Avant les possibilités récentes de la biologie moléculaire, on a tenté
de rattacher la PCH à une maladie congénitale dont elle aurait pu
être une forme clinique particulière et méconnue.
Diverses étiologies
ont été suspectées, puis éliminées en l’absence d’anomalies
biologiques diagnostiques caractéristiques chez les patients atteints
de PCH : ce fut le cas pour la mucoviscidose, les troubles du
métabolisme phosphocalcique, l’aminoacidurie, le syndrome de
Schwachman-Diamond...
De même, les techniques récentes
d’explorations morphologiques n’ont pas confirmé l’hypothèse
d’anomalies congénitales du système canalaire.
Le complexe majeur
d’histocompatibilité, ou système HLA, et ses possibilités
d’exploration ont conduit à rechercher une liaison dans l’éventualité
où la maladie pourrait être la conséquence d’une susceptibilité
particulière à des agressions exogènes.
Aucune liaison n’a été mise
en évidence avec ce système, non plus qu’avec les divers phénotypes
des groupes sanguins érythrocytaires qui lui sont liés.
A - HYPOTHÈSE D’UNE AGRESSION PAR LES RADICAUX
LIBRES DE L’OXYGÈNE :
Elle a été soutenue dans la pathogénie des PC par Braganza et al : il
y aurait soit une production accrue par l’organisme, soit un déficit
dans l’activité des mécanismes antioxydants inhibiteurs.
De ce
fait, l’accumulation des radicaux libres de l’oxygène (RLO) serait
toxique pour les cellules pancréatiques, entraînant des lésions
habituellement minimes de pancréatites aiguës évoluant, à terme,
vers les lésions de fibrose de la PC.
Une seule étude a exploré la
voie majeure enzymatique antioxydante en dosant la
superoxydismutase et le glutathion peroxydase sélénodépendante,
mais l’interprétation a été rendue difficile par le petit nombre de
sujets explorés.
De plus, le caractère non spécifique de ces
modifications du système antioxydant (elles sont présentes dans les
situations de stress oxydatif, la trisomie 21, le syndrome de Bloom...)
rend peu probable cette hypothèse pathogénique.
B - DÉMARCHE GÉNÉTIQUE CLASSIQUE
:
Lorsque l’on connaît la protéine pathologique en cause dans la
maladie, on peut en déduire le choix d’un jeu d’oligosondes
appropriées pour trier les séquences de la banque d’acides
désoxyribonucléiques (ADN), isoler la séquence codante et repérer
sa topographie génomique.
Ensuite, il est possible de séquencer ce
gène et, en comparant les séquences des patients et des sujets sains,
d’y repérer une mutation.
C’était le but de l’hypothèse de Sarles
tentant d’individualiser une protéine pathologique dans les PC, la
protéine solubilisatrice du suc pancréatique ou lithostatine.
Quoiqu’il y ait une diminution de l’acide ribonucléique (ARN)
messager de la lithostatine dans la PC, la constatation de la
normalité du gène correspondant dans une étude japonaise ne
confirmait pas cette hypothèse.
Par ailleurs, l’absence de phénotype
d’orientation vers une topographie génomique, et le faible nombre
de sujets atteints dans les familles recensées, ne permettaient pas
une étude de liaison statistique entre le phénotype PC et l’un
quelconque des marqueurs chromosomiques disponibles.
La seule
possibilité restait donc un screening systématique de l’ensemble du
génome à la recherche de la liaison entre le phénotype PCH et
un/ou des marqueurs génomiques, à condition de disposer d’une
famille suffisamment puissante pour une telle étude statistique.
C - BIOLOGIE MOLÉCULAIRE
:
Le développement des « outils » de la biologie moléculaire et la
disponibilité d’une généalogie exceptionnelle allaient permettre
d’espérer des résultats positifs. Si la localisation de la région codante
était effectuée, il deviendrait plus aisé de rechercher la mutation
responsable, « la faute d’orthographe dans le texte génomique ».
Le principe repose sur la mise en évidence d’une liaison statistique
entre le phénotype PCH et l’un des marqueurs génétiques
polymorphes disponibles, sachant qu’ils sont répartis sur l’ensemble
du génome et que leurs positions sont connues sur les cartes
génomiques publiées.
Les deux, le phénotype et le marqueur, ayant
une transmission mendélienne, il apparaît logique de rechercher
cette liaison dans toute maladie héréditaire.
La découverte de ces
marqueurs et leur intégration dans des cartes génomiques en font
de véritables « balises positionnelles ».
Les séquences d’un locus peuvent varier d’un individu à l’autre,
traduisant le polymorphisme génotypique.
Par exemple, dans ces
différents marqueurs possibles, les microsatellites C.A (n)
(n = 10 à 60 répétitions du motif de base C.A [pour cytosineadénine])
sont parmi les plus utilisés en raison de ce
polymorphisme, de leur abondance et de leur répartition uniforme.
En utilisant les amorces complémentaires appropriées qui encadrent
chaque locus (amorces Map à gèneTM du Genethon) leur
amplification par polymerase chain reaction (PCR) devient facile. Leur
pouvoir de résolution sur la carte génétique est d’environ
20 centimorgans, et leur répartition sur chaque chromosome bien
répertoriée.
Du fait de ce polymorphisme de taille, les microsatellites amplifiés
sont aisément séparés par électrophorèse en gel de haut pouvoir de
résolution.
Pour une révélation de type peroxydasique, les allèles
doivent être transférés sur membrane de Nylont.
Toutefois, lors de
la ségrégation chromosomique, un événement aléatoire, la
recombinaison (crossing over), peut séparer deux loci (le gène et son
microsatellite), enlevant donc son caractère absolu à la liaison.
Cet
événement est d’autant plus probable que les deux loci sont plus
éloignés et d’autant moins probable qu’ils sont proches : la plus forte
liaison statistique est donc le fait de la plus grande proximité.
Au total, dans une telle méthode, il est important de recenser de
nombreuses familles, ou mieux de disposer d’une généalogie
importante par le nombre de sujets atteints et par le nombre de
sujets sains.
On peut ainsi espérer repérer les microsatellites liés à la
région codante, en déduire quel est le chromosome porteur.
Puis,
par tri dans la banque d’ADN de fragments clonés de plus en plus
proches, c’est-à-dire ayant un lod score plus élevé, cerner au plus
proche la région codante, dont le séquençage permet de déduire
celui de l’ARN messager et, par le code génétique, la séquence
peptidique transcrite responsable de la maladie.
D - EXEMPLE DE LA PANCRÉATITE CHRONIQUE
HÉRÉDITAIRE : DE LA LOCALISATION
À L’INDIVIDUALISATION DE LA MUTATION GÉNIQUE
:
La localisation génique s’est faite en partant de la généalogie déjà
rapportée.
Après consentement des membres de la famille, des
prélèvements sanguins ont permis de constituer une banque d’ADN
à partir de 146 sujets : 47 patients atteints de PCH, 23 sujets suspects
(car nés d’un parent atteint de PCH), 50 témoins sains et
26 conjoints.
L’étude de liaison a été effectuée à partir de
213 marqueurs microsatellites C.A (n).
Le premier marqueur
montrant un taux de liaison significatif avec la PCH était situé à
l’extrémité du bras long du chromosome 7.
Sur les 14 autres
marqueurs utilisés et plus discriminatifs pour cette topographie, six
autres confirmaient cette localisation.
Il devenait possible d’affirmer
la liaison entre le phénotype PCH et les marqueurs situés sur
l’extrémité du bras long du chromosome 7 en position 7q35.
Elle était rapidement confirmée par Whitcomb et al dans des
familles américaines atteintes de PCH.
De plus, la mise en évidence
de cinq gènes du trypsinogène regroupés à cette extrémité et le
séquençage des cinq exons du trypsinogène cationique (Try 4) les
ont conduit à identifier une mutation faux sens (G ® A) en position
117 (mutation R 117 H 4) ayant pour conséquence la
transformation d’une arginine en histidine.
Cette mutation n’était
pas retrouvée chez 140 sujets normaux, elle ségrégeait parfaitement
avec le phénotype PCH dans la famille du Kentucky et était présente
dans cinq autres familles de PCH non apparentées.
E - MUTATION R 117 H ET NOUVEAU CONCEPT
PATHOGÉNIQUE DE LA PANCRÉATITE CHRONIQUE
HÉRÉDITAIRE :
La mise en évidence de la mutation posait la question des
conséquences sur la protéine mutée et de son rôle dans le concept
pathogénique de la PCH.
L’examen de la structure du complexe
trypsinogène cationique-inhibiteur montrait que la mutation
R 117 H était située à l’opposé du site actif de la molécule et du site
de liaison à l’inhibiteur de la trypsine, et qu’elle interférait donc peu
avec l’activité physiologique.
En revanche, cette mutation était située
dans une position-clé de la protéine puisqu’elle intéressait son site
de clivage et la rendait probablement résistante aux protéases,
empêchant donc son inactivation par ce mécanisme.
Il en résulterait
une accumulation de trypsine et son autoactivation
intrapancréatique, dès que les possibilités de l’inhibiteur
pancréatique (PSTI : pancreatic secretory trypsin inhibitor) seraient dépassées
et par voie de conséquence une autodestruction du parenchyme.
La validation de ce concept pathogénique repose sur la vérification
de l’expression de la protéine et de sa fonction physiologique ou
pathologique, et aussi sur la vérification de son caractère universel :
la mutation est-elle présente dans toutes les familles de PCH ?
De
plus, cette approche par la biologie moléculaire doit vérifier si ce
modèle pathogénique est transposable aux pancréatites chroniques
de l’adulte de type sporadique ou alcoolique.
Dans une étude portant sur 14 familles françaises non apparentées
de PCH, la mutation R 117 H a été retrouvée dans notre généalogie exceptionnelle et dans trois autres familles.
Dans les dix familles où
la mutation était absente, la modification du profil de migration
pour l’exon 2 du Try 4 a permis d’y repérer deux autres anomalies :
l’une, une translation A ® G ou mutation K 23 R, ayant pour
conséquence la substitution d’une arginine en lysine ; l’autre, une
translation A ® T ou mutation N 29 I.
La première a concerné une
famille, la seconde deux familles non apparentées : dans les deux
cas, la ségrégation de la mutation avec le phénotype PCH a été parfaite et non
retrouvée sur une série de 200 échantillons d’ADN de sujets témoins.
A priori, ces
mutations ne sont donc pas neutres. Enfin, une famille présentait
une délétion dans la région promotrice.
Quelques mutations sporadiques sont en cours d’évaluation
(A 16 V, D 22 G...).
Actuellement, les conséquences des mutations K 23 R, N 24 I et la
délétion 28 Tcc ne sont pas connues, mais elles sont probablement
différentes de celles de la mutation R 117 H.
Il en est de même pour
la mutation N 21 I retrouvée par Gorry et al dans une famille.
Pour six familles aucune anomalie n’a été mise en évidence, quoique
la stratégie utilisée ait montré une sensibilité de près de 100 % dans
l’identification des mutations du gène CFTR.
Le fait que, dans des
familles on ait pu trouver des haplotypes différents chez deux sujets
atteints de même génération ou de générations différentes, pose la
question de l’hétérogénéité génétique ou d’autre(s) gène(s)
impliqué(s) dans la maladie.
Dans la PCH, au total, la mutation R 117 H est impliquée et
probablement les autres mutations de Try 4, elles concernent 50 %
des familles métropolitaines étudiées.
La notion d’hétérogénéité
génétique reste une question en suspens, elle justifie l’étude de
familles complémentaires de provenances géographiques diverses.
Peut-on envisager d’étendre le concept de la trypsine mutée à
l’ensemble des PC ?
Des études sont en cours pour vérifier ou infirmer l’universalité du
concept dans les autres types de PC, qu’elles soient sporadiques ou
alcooliques.
Les études préliminaires n’ont pas permis d’apporter
d’éléments en faveur des mutations géniques rapportées.
Par
ailleurs, dans une population de PC alcooliques et sporadiques,
l’incidence accrue par rapport à la population témoin des mutations
de la mucoviscidose (gène CFTR et génotype 5T) (13,4 % versus
5,3 %) ne permet pas de conclusion et peut seulement suggérer une
prédisposition génétique possible dans un pourcentage limité de
PC.
Conclusion
:
Le recensement d’une généalogie exceptionnelle et les possibilités
récentes de la biologie moléculaire ont permis la localisation de la région
codante liée à la PCH, puis le repérage de mutations dans le gène du
trypsinogène cationique, la première et la plus importante étant la
mutation R 117 H.
Ces mutations concernent plus de 50 % des familles
françaises explorées permettant un diagnostic génétique préclinique
dans ces cas.
La découverte d’une mutation a conduit à proposer un
concept pathogénique nouveau qui ferait de la PCH la conséquence de
poussées répétées de pancréatites aiguës privilégiant donc la séquence
nécrose-fibrose.
Toutefois, aucune mutation n’a été mise en évidence dans près de la
moitié des familles et aucun élément ne permet d’étendre le concept aux
PC alcooliques ou sporadiques dans l’état actuel des recherches.
La
notion de l’hétérogénéité génétique reste une hypothèse de recherche, des
études complémentaires en cours tentent de vérifier ou d’infirmer
l’universalité du concept.