Reconstruction mammaire prothétique avec expansion préalable prolongée Cours de Chirurgie
Introduction
:
Les demandes de reconstruction mammaire après mastectomie
radicale sont en augmentation grâce à un affinement des techniques
pratiquées par plusieurs types de chirurgiens (cancérologues,
gynécologues et plasticiens).
Les résultats se sont améliorés,
encourageant les patientes à cette nouvelle épreuve thérapeutique.
Les effets secondaires de la radiothérapie se sont considérablement
atténués, du fait des progrès réalisés dans ce domaine et de la
diminution des indications.
Des conditions favorables à une
reconstruction prothétique sont donc offertes aux chirurgiens et aux
patientes, ce qui explique la prééminence des reconstructions
prothétiques et la diminution de l’utilisation des lambeaux musculocutanés pédiculés ou libres.
La propension des cancérologues français à proposer une
radiothérapie induit, malgré les progrès réalisés, un risque de
rétraction fibreuse périprothétique.
Ceci nous a amenés à étendre
les indications des prothèses grâce à une expansion préalable de
longue durée.
Matériel et méthode
:
Cette étude technique est fondée sur une expérience de 148 patientes
opérées, 23 en reconstruction immédiate, 125 en reconstruction
différée dont 52,1 % ayant eu un traitement complémentaire par
radiothérapie.
Quatre-vingt-dix pour cent d’entre elles ont subi une
mastectomie radicale avec évidement ganglionnaire de type Patey.
La technique opératoire se déroule sous anesthésie générale, en deux
temps séparés d’une période moyenne de 3 mois.
Le troisième temps de reconstruction du complexe aréolomamelonnaire se fera sous
anesthésie locale à titre externe.
A - PREMIER TEMPS OPÉRATOIRE
:
L’intervention est réalisée sous anesthésie générale avec intubation
en décubitus dorsal.
On repère les limites inférieure et externe de la
base mammaire, ainsi que la ligne médiane présternale.
Le choix de la taille de la prothèse d’expansion est fonction de la
morphologie de la patiente et de son sein controlatéral, mais surtout
de la surface de la base mammaire.
Le volume moyen d’un sein
normal étant de 350 mL, le volume des prothèses d’expansion
utilisées varie entre 300 et 600 mL.
La plupart des fabriquants
propose des prothèses d’expansion différentielle, c’est-à-dire avec
une plus forte projection dans leur partie inférieure.
Leur paroi est
texturée de façon à éviter une rotation secondaire à l’intérieur de la
loge et à fixer le sillon sous-mammaire.
La valve de remplissage est
soit incorporée à la prothèse, soit placée à distance.
Nous utilisons
les valves incorporées qui évitent les inconvénients de la mise en
place et de l’ablation de la valve à distance.
La voie d’abord
se fait par la cicatrice de mastectomie.
L’incision va jusqu’au plan
musculaire. Le décollement est strictement prémusculaire et
progresse vers le bas, en respectant au maximum le tissu cellulaire
sous-cutané.
On libère les quadrants inféro-interne et inféro-externe
jusqu’au sillon sous-mammaire préalablement repéré.
On libère le
bord inféroexterne du muscle grand pectoral, puis on réalise un
décollement atraumatique entre les plans du grand et du petit
pectoral. On désinsère le muscle grand pectoral de ses attaches
costales inférieure et inféro-interne.
L’hémostase des perforantes
intercostales est faite sous contrôle de la vue.
La future loge
prothétique est donc aménagée à proximité de la ligne médiane.
La
prothèse est mise en place en positionnant sa forme profilée de façon
à avoir la partie galbée vers le bas.
La prothèse est gonflée
modérément d’environ 10 % de son volume, de façon à assurer un
déplissage sans provoquer de tension sur les téguments après leur
fermeture, ce qui causerait inévitablement une douleur excessive et
un risque de désunion.
Un drain de Redon est mis en place le long
du sillon, il ressort à l’extérieur au niveau de la ligne axillaire antérieure.
La fermeture se fait avec une bonne protection par le
rideau musculaire, de façon que la prothèse d’expansion ne soit pas
au contact des plans cutanés et de la suture.
La suture se fait en trois
plans au fil résorbable, avec points sous-cutanés inversés et surjet
intradermique complété par agrafes ou colle.
Un pansement avec
contention douce est réalisé avec mise en place, contre les plans
cutanés, d’un jersey (Tubigrip) armé par de l’Élastoplaste qui ne
sera donc jamais au contact de la peau parfois fragile.
Dans les suites opératoires, le Redon est maintenu 24 heures en
aspiration puis en siphonnage, pour éviter l’entretien d’un
épanchement lymphatique.
La sortie de la patiente se fait le plus souvent entre le 3e et le 5e jour.
Elle varie selon la production du drain. Les agrafes sont retirées le
jour de la sortie, et peuvent être remplacées par des Steri-Strip™.
B - PÉRIODE INTERMÉDIAIRE : INJECTIONS ITÉRATIVES
La première consultation a lieu 15 jours après l’opération.
La valve
est repérée à l’aide d’un système proposé par le fabriquant ou
au palper.
L’injection est faite avec une aiguille butterfly de 23 G
pour ne pas détériorer la valve de remplissage.
Au cours de la
première séance, et en cas d’absence de tension excessive, une
injection de 30 mL est réalisée.
La patiente revient en consultation toutes les 3 semaines pendant
une moyenne de 3 mois.
Les injections ne dépassent pas 60 mL, mais
peuvent être d’un volume inférieur en cas de tension douloureuse
ou, bien sûr, de blanchiment des téguments, traduisant une pression
interne excessive et ischémiante.
Le nombre des séances de gonflement varie selon le contexte.
En cas
de radiothérapie, la moyenne est de 7,6 séances.
En l’absence de
radiothérapie, la moyenne est de 5,4 séances.
Bien sûr, le nombre de
séances et le volume varient selon la morphologie de la patiente. Le
volume moyen injecté est de 335 mL.
C - DEUXIÈME TEMPS OPÉRATOIRE
:
Il se fait sous anesthésie générale avec intubation en position semiassise,
les bras en abduction.
On reprend la cicatrice de mastectomie,
on réalise un décollement prudent prémusculaire puis précapsulaire
jusqu’au sillon sous-mammaire.
On réalise une capsulotomie
transversale arciforme, la plus basse possible, au bistouri électrique
qui risque moins que le ciseau de perforer la prothèse.
Celle-ci est
ensuite retirée.
En cas de difficulté, elle peut être dégonflée
préalablement.
On contrôle la loge périprothétique et on réadapte
ses contours de façon à obtenir une loge idéale dans ses dimensions
et sa localisation par rapport au thorax : il est fréquent de réaliser
des capsulotomies complémentaires, notamment dans les angles
inféro-interne et inféroexterne ou même pour abaisser un sillon trop
haut situé.
Dans les cas où le sillon aurait été réalisé trop bas, il est
possible de le remonter avec précision grâce à une suture dermocapsulaire au surjet résorbable.
On fait le choix du volume
prothétique idéal grâce à l’utilisation d’une prothèse d’essai calibrée,
gonflée à l’air (le gonflage à l’air permet une restérilisation).
On laisse en place cette prothèse d’essai pendant le geste
controlatéral, de façon à assurer une hémostase la plus complète
possible.
On met en place la prothèse de reconstruction définitive en accord
avec la patiente qui a été informée des différentes possibilités : soit
prothèse gonflable ou préremplie de sérum physiologique, soit, de
plus en plus, prothèse préremplie de gel de silicone.
Dans les
cas de bonnes conditions cutanée et musculaire, le choix pourra se
faire pour des prothèses préremplies d’un gel souple, de forme
ronde et à paroi lisse, donnant une excellente consistance au sein
mais pouvant, sous des téguments fins, faire apparaître des plis ou
des ondulations.
Dans les cas de moins bonne trophicité musculocutanée, le choix se
porte plutôt vers des prothèses préremplies d’un gel cohésif de
forme anatomique à paroi texturée.
La fermeture se fait en trois
plans après abaissement du rideau musculocapsulaire qui protège
la prothèse de la cicatrice externe. Un drainage aspiratif est le plus
souvent mis en place.
La symétrisation du sein controlatéral fait partie intégrante de la
reconstruction mammaire, et nécessite plus encore une formation
poussée dans les techniques de chirurgie plastique du sein.
En cas
d’hypertrophie mammaire, on réalisera une plastie mammaire de
diminution selon les techniques les mieux adaptées.
En ce qui nous
concerne, la technique de choix est celle du sein restant avec
dessin préétabli et cicatrices en L.
En cas de base mammaire
étroite, la cicatrice du sillon peut être évitée pour ne conserver que les cicatrices périaréolaire et verticale.
On doit réaliser une
hypercorrection avec rectitude du segment III de façon à anticiper
sur la ptôse secondaire.
En cas de ptôse mammaire, il faut réaliser une mastodermopexie
selon la même technique du sein restant, parfois associée, en cas
d’hypotrophie, à la mise en place d’une prothèse mammaire de taille
adaptée et bien sûr de même nature.
En cas d’hypotrophie mammaire, on réalise une augmentation de
volume du sein par mise en place d’une prothèse mammaire selon
les techniques esthétiques habituelles, par une voie d’abord de
préférence sous-mammaire.
D - TROISIÈME TEMPS OPÉRATOIRE
:
Il s’agit de la reconstruction du complexe aréolomamelonnaire par
des gestes réalisés à titre externe et sous anesthésie locale.
La plaque aréolaire peut être reconstituée par une greffe de peau
totale prélevée dans le pli inguinal mais, étant donné la
dépigmentation à moyen terme de ces greffes, nous préférons la dermopigmentation ou tatouage.
Le mamelon est reconstitué le plus souvent grâce à une greffe en
inlay du mamelon controlatéral sous forme d’une carotte centrale :
le greffon est serti à la manière d’une bague sur quatre petits
lambeaux triangulaires soulevés à partir d’une incision en croix.
En cas de taille insuffisante du mamelon controlatéral, on
peut réaliser un petit lambeau local de type C-V.
Résultats
:
A - CONDITIONS LOCALES
:
La qualité du résultat dépend de la qualité du recouvrement cutané.
Un revêtement radioscléreux est une contre-indication de cette
technique ; le choix se porte alors sur un remplacement par un
lambeau à distance musculocutané dorsal ou abdominal.
Le risque de coque fibreuse périprothétique est majeur en cas de
radiothérapie.
Il peut être prévenu par :
– l’abstention du recours à la mise en place d’une prothèse avant
une radiothérapie, notamment dans les reconstructions immédiates ;
– la préparation d’une loge prothétique par expansion chronique de
3 mois ou plus : la capsule fibreuse périprothétique est arrivée à une
maturité cicatricielle suffisante pour permettre la mise en place
d’une prothèse définitive avec un risque de rétraction
considérablement réduit.
B - COMPLICATIONS
:
– Les coques fibreuses périprothétiques de stade 3 ou 4 de Becker
sont de 2,7 %, soit quatre sur 48 dans notre série, dont trois en
terrain irradié et une en terrain non irradié.
La rareté de survenue
des coques, même en terrain irradié, est, selon nous, à mettre au
crédit de la technique de l’expansion chronique lente.
– Les expositions de prothèses sont survenues dans 19 cas sur 148,
soit 12,8 % des interventions, avec 12 cas sur 78 en terrain irradié
(15,3 %) et sept cas sur 70 en terrain non irradié (10 %).
– Le dégonflement spontané des prothèses est la complication la
plus fréquente, avec 24 cas sur 148 pour ce qui concerne les
prothèses définitives, et seulement trois cas pour ce qui concerne
l’expandeur lui-même.
L’utilisation désormais possible des prothèses préremplies de gel de
silicone améliorera certainement les statistiques dans ce type de
complications.
C - RÉSULTATS
:
Les résultats sont directement fonction de l’état cutané initial :
– geste chirurgical plus ou moins agressif vis-à-vis du tissu cellulaire
sous-cutané et même du derme ;
– radiothérapie postopératoire : c’est un facteur défavorable de
l’utilisation de cette technique ; les progrès effectués dans cette
discipline, la diminution des phénomènes de radiosclérose
secondaire nous ont permis d’utiliser la technique des prothèses
dans 52,1 % des cas.
Les résultats imparfaits sont dus à la
dégradation du recouvrement cutané, notamment à la présence de
télangiectasies qui peuvent être améliorées par photocoagulation au
laser KTP.
La perte d’élasticité de la peau est un facteur défavorable
à la bonne projection de la prothèse, et nuit bien sûr à une parfaite
symétrie ;
– enfin, la présence d’une prothèse ne permet pas une évolution
parallèle dans le temps des deux seins.
Le sein opposé non
prothétique a une tendance naturelle à la ptôse secondaire, qu’il est
bien sûr possible de corriger quelques années plus tard si cela est
nécessaire.
Malgré ces inconvénients, cette technique permet d’obtenir de bons
résultats dans de nombreuses indications :
– reconstruction avec diminution mammaire controlatérale ;
– reconstruction avec augmentation mammaire controlatérale ;
– reconstruction avec mise en place immédiate de prothèse
d’expansion et augmentation mammaire controlatérale ;
– reprise d’un échec de reconstruction prothétique simple
(exposition) par expansion permettant le redéploiement des
téguments et mastopexie pour correction de ptôse controlatérale ;
– reprise d’un résultat insatisfaisant avec expansion et augmentation
controlatérale.
Conclusion
:
L’utilisation de la technique de reconstruction du sein par prothèse
mammaire précédée d’une longue période d’expansion nous apparaît
comme une évolution intéressante, permettant d’obtenir à moindre frais
des résultats bons à corrects même en terrain modérément irradié.
Cette
technique semble mieux acceptée par les patientes et leurs
gynécologues, dans la mesure où elle évite un acte considéré comme
plus lourd et source de cicatrices supplémentaires.
Elle nécessite
cependant une bonne expérience de la technique de l’expansion en
général pour éviter des complications habituelles, notamment les
risques d’extériorisation de la prothèse faute d’une bonne protection
sous-cutanée.
Enfin, en cas d’échec, cette technique ne coupe pas les
ponts aux autres techniques utilisant les lambeaux musculocutanés
dont on connaît les avantages.