Évolution, dissémination et origine de la résistance bactérienne aux antibiotiques Cours de Bactériologie
On a initialement appelé antibiotique toute
substance chimique produite par un microorganisme,
champignon (Penicillium, Cephalosporium) ou bactérie (Bacillus et
surtout Streptomyces), pouvant inhiber la
croissance (activité bactériostatique) ou
détruire d’autres micro-organismes (activité
bactéricide).
Cette définition est maintenant
abandonnée car de nombreuses molécules
obtenues par synthèse ou par modification
chimique d’une molécule naturelle
(hémisynthèse) peuvent posséder ces propriétés.
Un
antibiotique est donc actuellement défini comme une substance,
d’origine biologique ou synthétique, interagissant avec les
bactéries (agents antibactériens) ou les champignons (agents
antifongiques) par l'intermédiaire de cibles qui sont spécifiques
soit d’un antibiotique, soit d’une famille d’antibiotique.
L’interaction de l’antibiotique avec sa cible a pour effet de
perturber la formation ou la structure des enveloppes cellulaires
(paroi, membrane cytoplasmique) ou encore d’inhiber certains
processus métaboliques (synthèse des acides nucléiques, synthèse des
protéines).
Le
mode d’action des antibiotiques est donc différent de celui des
antiseptiques qui agissent globalement sur les différentes
structures cellulaires par un effet physicochimique non spécifique.
Les
agents antibactériens, antibiotiques qui seront seuls envisagés ici,
peuvent être classés selon leur structure chimique ou leur mode
d’action sur les bactéries.
La
liste des principaux agents antibactériens utilisés en médecine
humaine et leur cible moléculaire spécifique
La
résistance bactérienne aux antibiotiques :
La
découverte des sulfamides, puis de la pénicilline au lendemain de la
seconde guerre mondiale, avait suscité le grand espoir des maladies
infectieuses à jamais jugulées.
Malheureusement, l’introduction de ces antibiotiques en médecine
humaine fut rapidement suivie par l’apparition de bactéries
pathogènes résistantes.
L’introduction ultérieure d’autres antibiotiques (streptomycine,
chloramphénicol, tétracyclines et érythromycine, par ordre
chronologique d’utilisation) fut suivie d’une évolution comparable.
En
fait, si l’usage de plus en plus répandu des antibiotiques a permis
la diminution de la mortalité due aux maladies infectieuses, il n’en
a nullement modifié la morbidité (fréquence de survenue). Cet usage,
fréquemment abusif, est également responsable de l’évolution de la
résistance bactérienne avec pour conséquence une augmentation du
nombre d’échecs thérapeutiques.
Cette évolution s’est traduite par une extension progressive de la
résistance à la quasi-totalité des genres bactériens pathogènes pour
l’homme ainsi que par l’émergence de caractères de résistance
nouveaux.
La
connaissance des mécanismes biochimiques et du support génétique de
la résistance permet, sur le plan médical, de guider les choix
thérapeutiques et la politique antibiotique.
Pour
l’industrie pharmaceutique, l’élucidation des mécanismes de
résistance aux antibiotiques permet, dans certains cas, la synthèse
de nouvelles molécules réfractaires à ce type de résistance.
La
sensibilité ou la résistance d’une bactérie aux antibiotiques est
généralement évaluée au laboratoire par la méthode de
l’antibiogramme.
Cette technique permet d’apprécier l’activité bactériostatique et de
déterminer la concentration minimale inhibitrice d’un ou de
plusieurs antibiotiques vis-à-vis d’une bactérie.
La
résistance bactérienne aux antibiotiques a deux définitions:
1-
une souche est dite "résistante" lorsqu’elle supporte une
concentration d’antibiotique notablement plus élevée que celle qui
inhibe le développement de la majorité des autres souches de la même
espèce (Rapport Technique n° 210 de l’Organisation Mondiale pour la
Santé, 1961);
2-
une souche est dite "résistante" lorsque la concentration
d’antibiotique qu’elle est capable de supporter est notablement plus
élevée que la concentration que l'on peut atteindre in vivo.
L’antibiogramme réalisé avec plusieurs antibiotiques permet de
déterminer très rapidement le phénotype de résistance de la souche.
Seules des études biochimiques et génétiques, non réalisées en
pratique courante dans les laboratoires de microbiologie médicale,
permettent d’élucider les mécanismes de la résistance aux
antibiotiques.
Résistance naturelle :
Les résistances bactériennes aux
antibiotiques peuvent être naturelles ou
acquises. La résistance naturelle est un
caractère présent chez toutes les souches
appartenant à la même espèce.
Ce type de
résistance est détecté dès les premières
études réalisées afin de déterminer l’activité
d’un antibiotique et contribue à définir son
spectre antibactérien.
Elle peut être due à
l'inaccessibilité de la cible pour l'antibiotique
qui est une conséquence des différences
existant entre les structures pariétales
bactériennes, à une faible affinité de
la cible pour l'antibiotique, ou encore à
l'absence de la cible.
On peut citer, à titre
d’exemple, les résistances naturelles des
entérobactéries et de Pseudomonas aux
macrolides, des bactéries à Gram négatif à
la vancomycine, des bactéries à Gram positif
à la colimycine et à l'acide nalixique, des
streptocoques aux aminosides, et des
mycoplasmes aux ß-lactamines.
Résistance acquise :
La résistance bactérienne acquise
n'apparaît que chez quelques souches d’une
espèce donnée normalement sensible.
Elle
est due à l’emploi en thérapeutique des
antibiotiques et résulte soit d’une mutation
affectant un gène régulateur ou un gène de
structure, soit de l’acquisition d’un (ou de
plusieurs) gène(s) qui rende(nt) la bactérie
insensible à l’antibiotique.
La résistance consécutive à une
mutation est la conséquence d’un
changement des structures cellulaires
existantes qui rend la cellule imperméable à
un ou plusieurs antibiotiques ou encore rend
les cibles pariétales (protéines liant la
pénicilline, par exemple) ou intracellulaires
(ARN polymérase, ADN gyrase,
ribosomes,...) indifférentes à la présence du
ou des antibiotiques.
Ce type de résistance,
qui ne concerne qu’un faible pourcentage
(10 à 20%) des souches pathogènes isolées
en clinique, est observé surtout après
l’emploi de certains antibiotiques comme la
streptomycine, la rifampicine, l’acide fusidique, la fosfomycine et les quinolones.
Les mutations chromosomiques
apparaissent spontanément avec des
fréquences de l’ordre de 10-6 à 10-9 selon
les bactéries et les caractères considérés.
L’antibiotique n’est pas directement
mutagène, mais il sélectionne les rares
mutants résistants au sein de la population
bactérienne sensible.
Ces mutations sont
stables (les fréquences de réversion sont
équivalentes à celle des mutations) et
héréditaires, mais non transmissibles en
dehors de la descendance.
On a longtemps
pensé qu’une mutation chromosomique ne
pouvait être responsable de la résistance
qu’à un ou plusieurs antibiotiques
appartenant à la même famille.
La probabilité
d’obtenir en une étape des bactéries
résistantes à deux antibiotiques (double
mutant) est égale au produit des probabilités
d’apparition de chacune des mutations
considérées indépendamment.
L'utilisation
des associations d'antibiotiques en bi- ou triantibioth
érapie semblait pouvoir prévenir
l’émergence de mutants résistants.
En fait,
des germes multirésistants aux antibiotiques
(ß-lactamines, chloramphénicol,
triméthoprime, tétracyclines) par mutation
chromosomique sont actuellement isolés
assez fréquemment en milieu hospitalier, en
particulier chez certaines entérobactéries
comme Klebsiella, Enterobacter et Serratia.
Ces mutations affectent la structure de
protéines dénommées porines qui
permettent le passage transpariétal des
antibiotiques.
Elles entraînent une
imperméabilité de la cellule bactérienne
avec, pour conséquence, une co-résistance
aux antibiotiques précités.
Chez Pseudomonas aeruginosa, espèce
naturellement peu perméable, ce type de
résistance joue un rôle prépondérant.
L’émergence de tels mutants, d’emblée
insensibles à plusieurs familles
d’antibiotiques, peut poser de réels
problèmes thérapeutiques.
Il est également
important de mentionner certaines mutations
chez Citrobacter, Enterobacter, Serratia, et
Pseudomonas dont la conséquence est une
hyperproduction de céphalosporinase,
enzyme dont le gène est naturellement
présent dans le chromosome de ces
différentes espèces.
La production accrue de
cette enzyme capable d’hydrolyser certaines
céphalosporines se traduit par une élévation
considérable du niveau de la résistance
naturelle de ces bactéries à ces
antibiotiques.
La sélection, lors d'un
traitement, de souches portant de telles
mutations est une cause fréquente d'échec
thérapeutique.
Enfin, certaines mutations
dans des gènes régulateurs de bactéries à
Gram négatif entraînent une activation de
pompes à efflux capables d'expulser hors de
la bactérie des antibiotiques appartenant à
des familles différentes (chloramphénicol, quinolones, tétracyclines).
Il
en résulte une sensibilité moindre à ces composés.
La
résistance bactérienne par acquisition d’information génétique
exogène (gène de résistance) représente la majorité des cas isolés
en clinique et s'observe aussi bien chez les bactéries à Gram
positif qu'à Gram négatif.
Dans
ce cas, le ou les gènes nouvellement acquis codent pour des
protéines capables:
* de diminuer la concentration intracellulaire de
l’antibiotique.
Il
s'agit dans ce cas de gènes dont le produit est une protéine
membranaire qui refoule activement l’antibiotique hors de la
bactérie en utilisant comme source d'énergie le gradient de protons
transmembranaire ou l'ATP
cytoplasmique.
Chez les bactéries à
Gram négatif, l'activité des systèmes
d'efflux est couplée à celle de porines qui
permettent aux molécules de traverser la
membrane externe et de ne pas
s'accumuler dans l'espace périplasmique.
* d'inactiver (détoxifier) l’antibiotique.
Cette inactivation se traduit par la perte
d’affinité de l’antibiotique pour sa cible.
Il
s’agit du mécanisme de résistance le plus
répandu dans la nature.
L’inactivation
peut être extra- ou intra-cellulaire.
Ainsi,
les ß-lactamines, dont la cible est
extracellulaire, sont inactivées par des
enzyme dénommées ß-lactamases
excrétées dans l'espace périplasmique
(bactéries à Gram négatif) ou dans le
milieu de culture (bactéries à Gram
positif).
Le chloramphénicol et les
aminosides, par contre, sont inactivés
dans le cytoplasme de la bactérie par des
enzymes qui demeurent intracellulaires.
* de modifier la cible de l’antibiotique.
Il en
est ainsi de la résistance aux macrolides
où l’ARN ribosomal 23S, cible de ces
molécules perd son affinité pour
l’antibiotique après modification par une méthylase.
* de substituer une cible insensible à celle,
sensible, normalement présente dans la
bactérie (i.e., mise en place d’une
dérivation métabolique).
La particularité
de ce dernier mode de résistance est la
présence, dans la même bactérie, de
deux enzymes catalysant la même
réaction (isoenzymes ou alloenzymes),
l’une sensible et l’autre résistante à
l’antibiotique.
La cellule bactérienne
devient donc diploïde (possédant deux
informations génétiques) pour le même
caractère.
Pour que la résistance soit
observée, il est indispensable que le
gène codant pour une enzyme sensible
soit récessif par rapport à celui codant
pour une enzyme résistante à l’effet
inhibiteur de l’antibiotique.
C’est le cas,
notamment, des gènes de résistance aux
sulfamides et au triméthoprime qui sont
respectivement des inhibiteurs des
dihydroptéroates synthétases et des
dihydrofolates réductases bactériennes,
enzymes impliquées dans la biosynthèse
d’un acide nucléique, la thymine.
L'opéron van, responsable de la
résistance à la vancomycine chez les
entérocoques, code pour une élégante
alternative qui consiste, en plus de la
synthèse d'une nouvelle cible insensible
à l'antibiotique, à supprimer la synthèse
de la cible sauvage
[6].
La résistance par acquisition de gènes
concerne la quasi-totalité des antibiotiques et
les rares molécules pour lesquelles aucune
résistance par acquisition d’information
génétique n’a été détectée sont l'acide fusidique, les furanes et les polypeptides
(bacitracine, colistine, polymixine B).
Dissémination des gènes de résistance aux antibiotiques :
La dissémination de gènes de résistance à
des genres bactériens auparavant sensibles
est un des principaux facteurs de l’évolution
préoccupante de la résistance aux
antibiotiques.
Les gènes de résistance,
comme n'importe quel gène bactérien,
peuvent être transférés de bactérie à
bactérie par transduction, transformation ou
conjugaison.
La transduction est un
mécanisme de transfert de gènes dont le
vecteur est un virus bactérien appelé
bactériophage.
Du fait de la spécificité
d’infection des phages, ce mécanisme
permet le transfert d’information génétique
entre bactéries appartenant essentiellement
au même genre.
La transduction participe
efficacement au transfert de gènes entre
bactéries phylogénétiquement proches mais
non entre bactéries distantes.
La
transformation permet l'acquisition et
l’incorporation d’ADN exogène nu par une
bactérie en phase de compétence.
Ce mode
de transfert de gènes, assez peu répandu
dans le monde bactérien, a été décrit chez
certaines bactéries à Gram négatif
appartenant aux genres Acinetobacter,
Campylobacter, Haemophilus, et Neisseria
et chez certaines bactéries à Gram positif
appartenant aux genres Bacillus et
Streptococcus.
A l’exception remarquable de Neisseria et Haemophilus,
où l'ADN ne pénètre dans la bactérie que s'il possède de courts
motifs nucléotidiques spécifiques de genre, la transformation permet
un brassage d’information génétique entre des bactéries très
distantes sur le plan phylogénétique.
Chez
certaines espèces bactériennes, la transformation permet la création
de gène cible chimère résistant aux antibiotiques.
La
conjugaison est un processus au cours
duquel de l’ADN est transféré d’une bactérie
donatrice à une bactérie réceptrice par un
mécanisme complexe nécessitant un étroit
contact cellulaire.
Ce mode de transfert a été
décrit chez la quasi-totalité des espèces
bactériennes.
Il contribue pour une grande
part à la circulation horizontale d’information
génétique chez les procaryotes et joue
certainement un rôle majeur dans l’évolution
des espèces bactériennes.
Certains
systèmes conjugatifs ont un spectre d’hôte
très étendu puisque des transferts
conjugatifs entre bactéries à Gram négatif et
à Gram positif et des procaryotes aux
eucaryotes ont été décrits.
Il s'agit toutefois
de transferts effectués dans les conditions
du laboratoire avec des vecteurs spécialisés.
Il est vraisemblable que, dans les conditions
naturelles, ce type de transfert soit
excessivement rare, voire inexistant, et
beaucoup plus limité dans leur étendue.
Les
gènes nécessaires aux transferts conjugatifs
sont généralement portés par des plasmides
dits conjugatifs ou, plus rarement, par des
éléments transposables dénommés
transposons conjugatifs.
Quel que soit le processus impliqué
(transduction, transformation, conjugaison),
le transfert d'un gène de résistance entre
deux germes pathogènes sera d'autant plus efficace que la distance génétique
entre les bactéries impliquées est faible.
Les
bactéries possèdent cependant des structures génétiques
particulières, les plasmides et les transposons, qui favorisent les
transferts de gènes de résistance entre bactéries.
Les
gènes de résistance aux antibiotiques sont
fréquemment situés sur des plasmides ce
qui rend compte de la facilité avec laquelle
les résistances acquises, par opposition aux
mutations chromosomiques, peuvent être
disséminées dans le règne bactérien et
poser de très difficiles problèmes
thérapeutiques.
Les bactéries peuvent
héberger plusieurs plasmides de résistance
et il n'est pas rare qu'un même plasmide
véhicule plusieurs gènes de résistance.
Dans un tel cas, ils peuvent déterminer chez
un même hôte la résistance jusqu’à parfois
cinq ou six familles d’antibiotiques.
L'acquisition par une bactérie sensible d'un
plasmide hébergeant plusieurs gènes de
résistance lui permet de devenir multirésistante en une seule étape.
Cet
événement est généralement obtenu avec
des fréquences très supérieures à celles qui
permettent d'obtenir une résistance à un seul
antibiotique par mutation.
Les plasmides de
résistance ont été trouvés dans toutes les
espèces où ils ont été recherchés à
l’exception de Streptococcus pneumoniae,
espèce bactérienne pour laquelle
l’émergence de souches multirésistantes est
due à l’acquisition de transposons qui se
sont intégrés dans le chromosome.
De nombreuses études
épidémiologiques ont montré que les
plasmides de résistance des bactéries à
Gram négatif et à Gram positif étaient
susceptibles d'évoluer in vivo par acquisition
ou pertes successives de déterminants de la
résistance.
Cette évolution, qui rend
partiellement compte de l’émergence de
souches multirésistantes, est une
conséquence du caractère transposable de
nombreux gènes de résistance (voir cours
les éléments génétiques mobiles).
Tout gène
peut être situé sur un transposon pourvu que
s’exercent des pressions de sélection
suffisantes et, de fait, de très nombreux
gènes de résistance sont situés sur des
éléments transposables.
Certains
transposons possèdent la particularité de
pouvoir faire évoluer rapidement le répertoire
de gènes de résistance qu'ils contiennent.
Dans un environnement donné, les
événements de transposition aboutissent
rapidement à la construction modulaire in
vivo de l’espèce plasmidique la mieux
adaptée à la vie de la bactérie.
Les
transposons sont également susceptibles de
participer activement à la dissémination de
gènes entre des bactéries phylogéniquement
éloignées, en permettant l’implantation d'un
caractère là où celle d’un plasmide échoue.
Dans ce cas, après transfert,
l'élément transposable va quitter le plasmide,
incapable de se répliquer dans ce nouvel
hôte, pour s'intégrer dans son chromosome.
Il pourra dès lors coloniser des plasmides
dont les machineries de réplication sont
adaptées à cette espèce bactérienne, puis
disséminer à d'autres bactéries sensibles
appartenant à la même espèce ou au même
genre bactérien.
Un tel scénario est vraisemblablement
à l’origine de l’émergence de
souches multirésistantes de Haemophilus
influenzae qui, jusqu’en 1972, était sensible
à tous les antibiotiques.
L’analyse du support
génétique de ces caractères a montré que la
résistance était due à la présence, sur des
plasmides endogènes au genre Haemophilus, de transposons homologues à
ceux des entérobactéries.
Chez les bactéries
à Gram positif, la dissémination de la
résistance transposable à la gentamicine des
staphylocoques aux entérocoques, observée
dans les années 1980, s'est effectuée selon
un mode similaire et l'on assiste maintenant
à l'émergence de cette résistance chez les
streptocoques.
Ce dernier exemple fait
redouter des transferts effectués en sens
inverse qui permettraient la dissémination de
la résistance transposable à la vancomycine
des entérocoques à d'autres pathogènes à
Gram positif comme le pneumocoque, les
staphylocoques ou Listeria.
Ces données
illustrent bien le fait que les déterminants de
résistance circulent aisément entre les
pathogènes à Gram négatif, d'une part, et à
Gram positif, d'autre part.
Les limites dans
lesquelles des bactéries phylogéniquement
distantes peuvent échanger de l'information
génétique dans les conditions naturelles ont
été repoussées par la démonstration de
transferts horizontaux de gènes de
résistance des bactéries à Gram positif vers
celles à Gram négatif, c'est à dire entre deux
branches évolutives qui se sont séparées il y
a environ un million d'années.
Évolution et origine des gènes de résistance aux antibiotiques :
Des gènes conférant des phénotypes de
résistance nouveaux sont régulièrement mis
en évidence.
Cette évolution est souvent la
conséquence de l’utilisation d’un nouvel
antibiotique, ou du nouvel usage
thérapeutique d’un ancien antibiotique.
Dans
de rares cas, l’émergence de nouveaux
types de résistance est la conséquence de
mutation(s) ponctuelle(s) qui modifient un
gène de résistance déjà connu.
Ainsi, les
gènes de structure de certaines ß- lactamases susceptibles d’hydrolyser les
céphalosporines dérivent par mutations d’un
gène codant pour une enzyme dont la
spécificité était restreinte aux pénicillines.
Ces mutations ont entraîné un élargissement
du spectre de l’enzyme qui possède
maintenant une double activité, pénicillinase
et céphalosporinase.
Dans la majorité des cas, cependant,
l'apparition d'un phénotype de résistance
nouveau peut être associée à un gène
nouveau ce qui pose le problème de son
origine.
De nombreuses études
épidémiologiques ont montré que les gènes
de résistance apparaissaient peu de temps
après l'utilisation des molécules auxquelles
ils confèrent la résistance.
La rapidité avec
laquelle ces gènes apparaissent indique
qu'ils préexistent dans les populations bactériennes.
Un
médecin militaire anglais, E. G. Murray, avait collecté entre les
deux guerres mondiales, c'est-à-dire avant « l'ère
antibiotique » des souches bactériennes
pathogènes de par le monde.
L'analyse de
cette collection bactérienne, composée
essentiellement de bactéries à Gram négatif,
a montré que ces souches ne possédaient
aucun gène de résistance aux antibiotiques
bien qu'elles hébergeaient des plasmides
similaires à ceux isolés actuellement dans
les mêmes espèces.
L'émergence des
gènes de résistance chez les bactéries
pathogènes est donc un phénomène récent
qui traduit l'adaptation des bactéries à un
changement d'environnement provoqué par
l'utilisation des antibiotiques.
La majorité des
antibiotiques est produit par des bactéries du
sol appartenant au genre Streptomyces qui,
pour résoudre le problème de l’autotoxicité,
utilisent des mécanismes de résistance
similaires à ceux rencontrés chez les
bactéries pathogènes pour l’homme: efflux
actif ou inactivation de l’antibiotique,
altération de la cible.
Ces gènes sont
indispensables à la survie de ces bactéries
productrices et leur présence est donc très
antérieure à l'utilisation thérapeutique des
antibiotiques.
Cette observation a conduit
différents auteurs a suggérer que les gènes
de résistance présents chez les bactéries
pathogènes pouvaient être issus des
microorganismes producteurs
d'antibiotiques.
La comparaison de
séquences nucléotidiques des gènes codant
pour des mécanismes de résistance
similaires chez les microorganismes
producteurs d'antibiotiques et chez les
bactéries pathogènes a montré que cette
hypothèse était vraisemblable.
Cependant,
dans tous les cas étudiés, l'analyse des
séquences montrait une forte divergence à
partir du gène ancestral commun ce qui
implique, dans l'hypothèse adoptée, un
transfert de gène très ancien des bactéries
productrices aux bactéries pathogènes. Une
autre hypothèse, non-exclusive, est que les
gènes de résistance dériveraient de certains
gènes métaboliques après duplication du
gène ancestral.
Dans ce cas, une copie du
gène conserverait la fonction initiale alors
que l'autre évoluerait en gène de résistance.
Il a ainsi été suggéré que certaines bêta-lactamases dérivaient de la
D-alanyl-D-alanine carboxypeptidase,
enzyme impliquée dans la biosynthèse du
peptidoglycane.
L'intérêt de cette hypothèse vient du fait que
les bêta-lactamines sont des antibiotiques
synthétisées par différentes espèces de
Penicillium, organismes eucaryotes qui, ne
possédant pas la cible de l'antibiotique qu'ils
produisent, n'ont donc pas développé de
mécanismes de résistance pour leur survie.
Dans ce cas encore, l'analyse de la
séquence des gènes incriminés indique une
forte divergence évolutive incompatible avec
une genèse récente des bêta-lactamases.
La
possibilité pour certains microorganismes
(bactéries, champignons) de produire des
substances toxiques auxquelles ils sont
insensibles leur confère un avantage sélectif
considérable.
L’acquisition, par les bactéries
sensibles avoisinantes, de mécanismes leur
permettant de résister à ces substances a
permis à cet écosystème d’atteindre un état
d’équilibre.
Cette longue adaptation a pu se
faire par l'acquisition de gènes préexistants
(transfert de gènes à partir des
microorganismes producteurs) ou par le
développement de mécanismes de
résistance originaux par duplication de
gènes.
Les bactéries du sol non-productrices
d'antibiotiques ont pu ainsi constituer un
réservoir de gènes de résistance plasmidiques ou transposables qui, à partir
des années 1950, ont commencé leur
dissémination aux bactéries pathogènes
encore sensibles.
La détermination de
l'origine des gènes de résistance, qui est
vraisemblablement multiple, fait toujours
l'objet d'intenses spéculations et de
nombreux travaux.
Conclusions
:
Aucune nouvelle famille
d'antibiotiques n'a été mise sur le marché
depuis 20 ans alors que de nouveaux
mécanismes de résistance, souvent
sophistiqués, sont régulièrement décrits
dans la littérature.
Cette évolution traduit
bien le fait que, dans ce domaine,
l'imagination n'est pas du côté de Homo
sapiens.
L'avenir d'une antibiothérapie
toujours efficace repose en partie sur la
capacité de l'industrie pharmaceutique à
développer de nouvelles molécules « plus
résistantes » mais surtout, peut-être, à
caractériser de nouvelles cibles
bactériennes.
Les connaissances issues des
programmes de séquençage systématique
des génomes bactériens seront sans doute
décisives pour cette dernière approche.
Il est
également urgent que nos habitudes
concernant l'utilisation des antibiotiques
évoluent.
Ainsi, avec un choix plus judicieux
des molécules utilisées en agronomie et en
médecine vétérinaire, on devrait éviter la
sélection de germes résistants à des
antibiotiques utilisés en médecine humaine.
Dans le domaine de la santé publique, il est
important de continuer à développer les
activités d'hygiène hospitalière pour que ces
sites, qui hébergent sans aucun doute la
plus grande variété de germes pathogènes
et de gènes de résistance, ne contribuent
pas à leur dissémination.