Conduite à tenir devant un état septique aigu Cours de
réanimation - urgences
Introduction
:
L’état septique correspond à la présence
d’un agent infectieux invasif, bactérie, virus
ou parasite, chez l’hôte humain.
Son
évolution naturelle va de l’état septique
jusqu’au choc septique et au décès.
Il peut
survenir aussi bien en ville (infections
communautaires) qu’à l’hôpital (infections
nosocomiales).
Sa prévalence est estimée à
2 % des malades admis en hôpitaux
universitaires aux États-Unis, avec une
mortalité de 34 % à 28 jours.
En France,
selon Brun-Buisson et al, 9 % des admissions
en réanimation le sont pour des sepsis
sévères, avec une mortalité observée de
56 %.
Les états septiques représentent
donc une situation fréquente et grave dont
l’incidence a augmenté du fait de la
fréquence des tares associées et parfois des
traitements immunosuppresseurs
préalablement administrés chez les patients
pris en charge en urgence.
À l’hôpital, les
actes diagnostiques et thérapeutiques
invasifs sont responsables de la grande
majorité des états septiques graves
nosocomiaux.
Il importe au médecin confronté aux situations d’urgence de savoir
reconnaître précocement un état septique
aigu grave afin de permettre la mise en
oeuvre rapide d’une stratégie diagnostique,
mais aussi thérapeutique.
Celle-ci associe le
traitement immédiat des différentes
défaillances viscérales au traitement
étiologique qui comporte le plus souvent
une antibiothérapie probabiliste adaptée.
Après un rappel physiopathologique, la
démarche diagnostique et la conduite
thérapeutique à tenir en urgence sont
abordées.
Généralités
:
A
- PHYSIOPATHOLOGIE
:
Tous les micro-organismes sont susceptibles
d’induire un état septique sévère, qu’il
s’agisse de bactéries à Gram positif
(staphylocoques, streptocoques, Streptococcus
pneumoniae...), de bactéries à Gram négatif
(Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa,
méningocoques...), de levures (Candida
albicans...) ou de parasites (paludisme...).
La
virulence de l’agent pathogène en cause est
déterminante dans le développement et la
rapidité d’évolution d’un état septique.
La
résistance potentielle au traitement antiinfectieux
n’est pas corrélée à la virulence
des micro-organismes.
Face à la pénétration
et à la multiplication d’un agent pathogène,
l’organisme oppose ses systèmes de défense
qui entraînent l’activation en cascade de la
réponse inflammatoire.
Toute altération de
cette cascade va aggraver l’état septique.
Des
variations interindividuelles, probablement
génétiquement déterminées, expliquent au
moins en partie la survenue de réponses
inflammatoires parfois inappropriées et
pouvant participer à l’évolution vers le
syndrome de défaillance multiviscérale en
l’absence d’un traitement adapté et
rapidement instauré.
1- Systèmes de défense
de l’organisme
:
Au micro-organisme infectant, l’organisme
oppose deux barrières : celle liée à la
réaction immunitaire à médiation humorale
et celle en rapport avec la réaction de
défense à médiation cellulaire.
* Barrière liée à la réaction immunitaire
à médiation humorale :
Elle correspond principalement à l’activation
du complément par sa voie classique et sa
voie alterne.
Elle aboutit à la production
d’anaphylatoxines (C3a, C4a et C5a) et
d’enzymes protéolytiques.
Les anaphylatoxines
sont activatrices des polynucléaires
neutrophiles, basophiles et des plaquettes.
Les enzymes protéolytiques sont activatrices
de la coagulation.
La barrière de défense humorale active aussi le système de la coagulation-fibrinolyse (production de
l’activateur tissulaire du plasminogène et de
l’inhibiteur de l’activateur tissulaire du
plasminogène), ainsi que celui de la kininekallikréine.
La kinine est un puissant
vasodilatateur et provoque une forte
augmentation de la perméabilité capillaire.
Elle provoque aussi l’activation de la voie
intrinsèque de la coagulation par les facteurs
de la phase de contact et de la fibrinolyse, ce
qui en fait le point de départ possible d’une
coagulation intravasculaire disséminée.
L’inhibiteur de la C1 estérase est un
inhibiteur endogène de la cascade
d’activation du complément, mais il ne suffit
pas à lui seul à freiner son activation.
* Barrière liée à la réaction immunitaire
à médiation cellulaire :
La barrière de la réaction de défense à
médiation cellulaire comprend les cellules
phagocytaires (macrophages, monocytes,
polynucléaires neutrophiles), mais aussi les
cellules endothéliales.
Activés par les agents
infectieux, ils libèrent de nombreux
médiateurs comme des cytokines
(interleukine [IL]1, IL6 et IL8), des lipides
(platelet activating factor [PAF], leucotriènes),
des radicaux libres et des enzymes
protéolytiques.
Cette diffusion de facteurs de
l’inflammation participe à la réponse
inflammatoire systémique, mais aussi à la
survenue de réactions inflammatoires locales
comme celle aboutissant à l’acute lung injury.
Elle correspond à la migration pulmonaire
des polynucléaires neutrophiles mais aussi à
la survenue de troubles de la perméabilité
capillaire et à l’activation locale de la
coagulation par les cellules endothéliales.
2- Réponse inflammatoire
:
La réponse inflammatoire est le primum
movens du sepsis.
Elle est initiée dans sa
globalité par l’activation des systèmes de
défense, mais aussi par la libération de
substances directement par le microorganisme
lui-même, comme les endotoxines
et le peptidoglycane des bacilles à Gram
négatif ou les exotoxines des cocci à Gram
positif.
Elle débouche notamment sur la
libération de multiples médiateurs.
Les cytokines sont les principaux médiateurs
intercellulaires. Leur effet est le résultat de
la balance entre des cytokines activatrices
(IL1, IL6, IL8, tumor necrosis factor [TNF]a)
e t des cytokines inhibitrices de
l’inflammation (IL2, IL4, IL10, prostaglandine
E2). Parmi les cytokines proinflammatoires,
l’IL1 et le TNFa sont les
mieux connus.
L’IL1 augmente la
perméabilité vasculaire, stimule la
coagulation et induit la production de
l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène.
Beaucoup d’autres médiateurs sont libérés,
tels des protéases, des radicaux libres, des
médiateurs lipidiques.
Le PAF est un
médiateur lipidique libéré principalement
par les cellules macrophages.
Il augmente
aussi la perméabilité vasculaire et présente
donc un effet hypotenseur.
Les interactions entre les systèmes sont
nombreuses et réalisent un effet
d’autoamplification.
Ainsi, il existe une intrication forte entre la
réponse inflammatoire et la coagulation.
Le TNFa et l’IL1 activent la coagulation en
stimulant la synthèse du facteur tissulaire
par les monocytes et les cellules
endothéliales, aboutissant à la production du
caillot de thrombine.
La thrombine inactive
la fibrinolyse.
La protéine C activée est un
inhibiteur naturel de la synthèse de
thrombine et de l’inflammation.
La baisse
constatée de son activité au cours du sepsis
a fait proposer son administration substitutive.
Bernard et al ont ainsi
démontré une réduction de la mortalité de
24,7 % dans un groupe de patients septiques
recevant de la protéine C versus 30,8 % dans
le groupe placebo au sein d’une étude
prospective randomisée comportant
1 690 patients. Cette perspective doit être
confirmée par des travaux ultérieurs.
À cette première phase de la réponse
inflammatoire succède une deuxième phase
qui réalise un véritable état d’immunodépression.
Dénommée compensatory anti-inflammatory
response syndrome par Bone,
elle participerait à la mortalité retardée au
cours du choc septique.
Ainsi, l’ensemble de ces activations aboutit,
dans certaines situations, à la survenue des
différentes défaillances viscérales,
notamment hémodynamiques, mais aussi à
l’augmentation de la perméabilité capillaire
et à l’activation de la coagulation rencontrées
au cours du sepsis.
3- État septique aigu
:
L’état septique aigu grave résulte d’une
altération des défenses de l’organisme.
La
virulence de l’agent pathogène responsable
de l’infection dépasse alors les capacités de
lutte anti-infectieuse de l’hôte.
Cette
situation est d’autant plus fréquente que les capacités
anti-infectieuses de l’hôte sont altérées par tout déficit du
système immunitaire , qu'il s’agisse d’une
immunodéficience congénitale, du syndrome
d’immunodéficience acquise (sida), d’une
splénectomie, d’une neutropénie, d’un
diabète ou d’un cancer notamment.
Il résulte aussi de la survenue possible d’une
réponse inflammatoire inadaptée traduisant
un déséquilibre entre la synthèse des
cytokines pro-inflammatoires et leurs
inhibiteurs naturels.
Les tentatives de
modulation de la réponse inflammatoire par
l’administration d’anticorps monoclonaux
ayant pour cibles directes ou indirectes les
cytokines pro-inflammatoires n’ont
cependant pas pu montrer leur efficacité.
De même, une stratégie thérapeutique immunostimulatrice visant à restaurer la
réponse monocytaire à la phase secondaire
du choc septique n’a pas non plus démontré
de bénéfice en termes de mortalité.
4- Variabilité interindividuelle
de la réponse au sepsis :
La part d’une variabilité interindividuelle
humaine d’origine génétique dans la
réponse au sepsis est de plus en plus
suggérée.
Qualifiée de « dissonance
immunitaire » par Bone, son exploration
constitue une voie nouvelle pour la
compréhension et la recherche thérapeutique
du choc septique.
Ainsi, la cytokine TNFa
est considérée à ce jour comme un pivot
immunitaire dans la physiopathologie de la
réponse inflammatoire systémique.
Parmi
les nombreux allèles codant pour le TNFa,
Mira et al notent une association entre le
portage de l'allèle TNF2 e t une
augmentation de mortalité au cours du choc
septique.
Ainsi, au sein du groupe des
patients décédés, 52 % étaient porteurs de
l’allèle TNF2, alors que seulement 14 % des
patients survivants possédaient ce même
allèle.
De même, Stüber retrouve lui aussi
l’association d’une mortalité élevée à la
présence de l’homozygotie TNF B2.
Ce polymorphisme génétique est aussi
observé pour le toll-like receptor
4 monocytaire reconnaissant le LPS et les
bactéries à Gram négatif. Un phénotype de
non-réponse au LPS semble être
spécifiquement associé à la survenue d’un
choc à bactéries à Gram négatif.
B - CONSÉQUENCES VISCÉRALES
:
1- Conséquences cardiocirculatoires
:
L’altération myocardique touche à la fois le
ventricule gauche et le ventricule droit.
Elle
est systolodiastolique et résulte de l’effet
direct des endotoxines bactériennes libérées,
mais aussi de l’effet cardiodépresseur de
nombreux médiateurs circulants de
l’inflammation : PAF, TNFa, IL2, IL6, ainsi
que de la synthèse de monoxyde d’azote
(NO) par les cellules endothéliales et les
myocytes.
De plus, l’agression sur l’endothélium
vasculaire réalisé par les médiateurs de
l’inflammation, ainsi que l’activation des
systèmes du complément et de la kallicréinekinine,
provoquent une augmentation de la
perméabilité vasculaire entraînant une
véritable fuite plasmatique liquidienne et
protidique vers le secteur interstitiel.
Celle-ci
aboutit à une hypovolémie relative majorée
par la vasodilatation artérielle périphérique,
résultat de l’action des cytokines et du NO.
Ainsi, le tableau hémodynamique observé
au cours du sepsis sévère est complexe et
évolutif.
L’intrication, même précoce, des
différents tableaux hémodynamiques est
fréquente.
Le choc septique, à sa phase
initiale, est caractérisé par une vasoplégie
associée à une hypovolémie sans
dysfonction cardiaque initiale.
Classiquement,
celle-ci apparaît plus tardivement.
Elle peut ne se révéler qu’après la
restauration d’une volémie efficace, comme
en témoigne alors l’absence d’élévation
suffisante du débit cardiaque. Elle signe le
plus souvent une évolution défavorable.
2- Conséquences pulmonaires
:
L’altération du surfactant produit par les pneumocytes de type I, ainsi que la
migration et la concentration au niveau
pulmonaire de polynucléaires neutrophiles,
réalisent une véritable agression alvéolaire
dénommée acute lung injury ou lésion
pulmonaire aiguë, aboutissant à la
défaillance respiratoire aiguë.
3- Conséquences rénales
:
La dysfonction rénale correspond
principalement à une insuffisance rénale
aiguë fonctionnelle liée à un bas débit de
perfusion des artères rénales.
Elle s’amende
généralement avec la restauration d’une
volémie et d’une pression artérielle efficace.
D’un point de vue anatomique, des lésions
de néphropathies tubulaires aiguës (nécroses
tubulaires aiguës) peuvent être observées et
aboutissent le plus souvent à une
récupération complète en 3 semaines, par réépithélialisation tubulaire.
La survenue
d’une nécrose corticale présente un pronostic
fonctionnel plus sombre.
4- Conséquences hépatiques
:
Le foie est un organe central de la défense
anti-infectieuse.
La survenue d’une infection
induit une hyperactivité métabolique de
l’hépatocyte aboutissant à une augmentation
de la production de glucose circulant.
Il
participe à la réaction immunitaire et
inflammatoire par la sécrétion de médiateurs immunorégulateurs et par la libération de
protéines hépatiques de l’inflammation.
La dysfonction hépatique au cours du sepsis
est généralement la conséquence d’une
hypoperfusion vasculaire hépatique et
réalise une véritable insuffisance hépatique
aiguë transitoire qui se corrige avec la
correction de l’état de choc.
Lorsqu’elle
survient dans le cadre d’un syndrome de
dysfonction multiviscérale, son évolution est
alors beaucoup plus péjorative, pouvant
mettre en jeu le pronostic vital du patient.
5- Conséquences splanchniques
:
L’hypoperfusion splanchnique au cours du
sepsis, comme l’hypoperfusion cutanée,
correspond à un mécanisme précoce de
régulation du volume sanguin circulant au
décours d’une hypovolémie.
La mise en jeu
d’une vasoconstriction régionale permet la
redistribution de la volémie et donc le
maintien, au moins transitoire, de la
perfusion des organes vitaux.
Le « sacrifice »
de cette circulation régionale peut aboutir à
des altérations ischémiques de la muqueuse
intestinale et notamment villositaire qui
favorisent la survenue de translocations
bactériennes à point de départ digestif.
Ce
phénomène de translocation bactérienne
participerait à la survenue du syndrome de
défaillance multiviscérale qui représente la
phase terminale de l’évolution du choc
septique.
C - CLASSIFICATION DES ÉTATS
INFECTIEUX
:
1- Histoire naturelle
:
L’histoire naturelle d’une infection chez
l’homme comprend trois phases, la phase
d’inoculation, la phase d’incubation puis la
phase d’état qui réalise la présentation
clinique.
Elle associe les stigmates des effets
directs de l’agent infectieux et les effets de la
réponse systémique de l’hôte.
2- Nomenclature
:
La nomenclature actuelle est le résultat d’un
consensus au sein de l’American College of Chest Physicians et de la Society of Critical
Care Medecine en 1991 qui fait suite aux
premières définitions suggérées par Bone et
al en 1989.
– Bactériémie, virémie, fongémie, parasitémie.
Hémoculture(s) positive(s) pour une
bactérie, un virus, une levure ou un autre
parasite.
Le terme imprécis de septicémie
n’est plus retenu.
Il doit être abandonné
pour celui de bactériémie.
– Syndrome de réponse inflammatoire
systémique ou systemic inflammatory response
syndrome (SIRS).
Le SIRS est la réponse inflammatoire non
spécifique de l’hôte humain à la libération
de médiateurs de l’inflammation.
Le patient doit présenter deux ou plus des
signes suivants :
– température corporelle supérieure à
38 °C ou inférieure à 36 °C ;
– fréquence ventilatoire supérieure à 20
par minute ou pression artérielle en gaz
carbonique (PaCO2) inférieure à 32 mmHg
en air ambiant ;
– globules blancs supérieurs à
12 000 106/L ou inférieure à 4 000 106 /L,
ou plus de 10 % de cellules immatures ;
– fréquence cardiaque supérieure à
90 battements/min.
– Sepsis.
Le sepsis est un SIRS d’origine infectieuse.
– Syndrome septique.
Ce terme initialement proposé par Bone en
1989 ayant introduit une certaine
confusion dans la nomenclature a été
abandonné pour celui de sepsis sévère.
– Sepsis sévère.
Il correspond à un sepsis associé à une
dysfonction d’organe, une hypoperfusion
d’organe ou une hypotension artérielle.
L’hypotension est définie par une pression
artérielle systolique (PAS) inférieure à
90 mmHg ou par une baisse de la PAS
supérieure à 40 mmHg par rapport aux
chiffres habituels en l’absence d’autre cause
d’hypotension (médicaments hypotenseurs,
choc cardiogénique, maladie sous-jacente).
Le remplissage permet de corriger cette
hypotension.
L’hypoperfusion d’organe se traduit par une
atteinte neurologique (troubles de la
conscience), rénale (oligurie : diurèse
inférieure à 0,5 mL/kg/h), circulatoire
(acidose lactique).
– Choc septique.
Il est défini par la survenue d’un sepsis
compliqué d’un collapsus persistant malgré
un remplissage vasculaire adapté,
nécessitant le recours aux amines
vasopressives.
La dépendance du patient
aux amines définit la persistance du choc.
– Syndrome de dysfonction multiviscérale ou
« multiple organ failure ».
Il s’agit d’un état de dysfonction d’organe(s)
ayant une évolution autonome de
l’évolution du processus infectieux
Il est de
pronostic péjoratif, notamment en l’absence,
à ce jour, de possibilité de suppléance
hépatique.
3- Indices de gravité
:
L’utilisation d’indices de gravité présente un
intérêt épidémiologique pour permettre de
décrire les populations de patients admis en
réanimation.
Ils permettent de définir des
groupes homogènes de patients en termes
de gravité à l’admission et ont un intérêt
pour prédire une mortalité hospitalière.
Ils
aboutissent à la possibilité de comparer
l’activité de différents services de
réanimation pour des groupes de patients
relativement homogènes et de les inclure
dans des essais cliniques.
Les scores de
dysfonctions d’organe permettent en outre
de suivre l’évolution de la dysfonction d’un
organe en particulier.
Ils ne présentent que peu d’intérêt en
urgence puisque leur calcul a été validé
après 24 heures d’hospitalisation.
Ils
représentent néanmoins un dénominateur
commun pour décrire les patients admis en
réanimation et doivent être donc connus du
médecin confronté à l’urgence.
En effets, les
valeurs biologiques et physiologiques les
plus péjoratives présentées par le patient
sont utilisées pour leur calcul à partir de
l’admission à l’hôpital, et donc dès le
passage éventuel par le service des urgences.
La présence de défaillances d’organes à
l’admission, mesurée par ces indices,
participe à la décision d’admission en
réanimation.
Plusieurs indices de gravité peuvent être
utilisés chez les patients présentant une
infection sévère.
* Scores de gravité généraux
:
+ Index de gravité simplifié (IGS)
ou « simplified acute physiology score »
(SAPS)
Il est calculé après 24 heures d’hospitalisation.
Le score obtenu permet de calculer
par régression logistique un risque de décès.
Publiée par Le Gall en 1983, la version IGS I
a été remplacée en 1993 par l’IGS II.
+ « Acute physiology and chronic health
evaluation » (APACHE)
Proche de l’IGS, ce score est principalement
utilisé aux Étas-Unis.
Il est réalisé lui aussi
après 24 heures d’hospitalisation et peut être
recalculé chaque jour.
Le score obtenu
permet de même de calculer par régression
logistique un risque de décès.
La version
APACHE I a été établie en 1981 par Knaus.
Elle a été remplacée en 1985 par
la version APACHE II.
Il existe une
version APACHE III depuis 1991 dont la
complexité a limité l’utilisation.
* Scores de
dysfonctions ou défaillances viscérales :
+ « Sequential organ failure assesment »
(SOFA)
Initialement dénommé sepsis related organ
failure assessment score, il a été proposé par
la European Intensive Care Society afin
d’évaluer les dysfonctions d’organes,
mais, n’étant pas spécifique du sepsis, il a
été rapidement intitulé SOFA.
Diagnostic
:
Poser le diagnostic de l’état septique aigu
impose de définir une orientation
étiologique et d’évaluer sa gravité dans le
but d’instaurer rapidement la thérapeutique
la mieux adaptée.
A - DIAGNOSTIC CLINIQUE
:
Un interrogatoire minutieux du patient et
de sa famille permet de recueillir les
antécédents médicaux (notamment la notion
d’une immunodéficience, d’un diabète et
d'antibiothérapies préalables) et
chirurgicaux, les traitements en cours, la
notion d’une exposition professionnelle
particulière et la notion de voyages récents,
notamment en zone tropicale.
L’examen clinique se fait dans un endroit
calme, éclairé, patient déshabillé.
Il est
complet, puis orienté selon d’éventuels
signes d’appel, et recherche d’abord des
signes de gravité.
1- Signes généraux de gravité
:
Une fièvre élevée ou une hypothermie, des
frissons, une sensation de malaise, une
attitude de prostration, une confusion,
doivent faire évoquer le diagnostic d’état
septique grave et faire rechercher des
arguments associés en faveur d’une
dysfonction d’organe.
2- Signes de défaillance d’organe
:
La présence de signes de défaillance
d’organe impose la mise en oeuvre rapide
d’un traitement adapté et spécifique.
Dans
ce contexte, il est nécessaire de rechercher :
– une défaillance neurologique pouvant
associer des troubles de la conscience et de
la vigilance allant de l’obnubilation au coma,
à un syndrome méningé ou à des signes de
focalisation ;
– une défaillance respiratoire comprenant
dyspnée, polypnée et/ou tachypnée
(fréquence respiratoire supérieure à 20 par
minute), cyanose des lèvres et des
téguments, balancement thoracoabdominal,
tirage sus-claviculaire, intercostal,
épuisement musculaire respiratoire amenant
à des pauses respiratoires et se traduisant
par une difficulté ou une impossibilité à
parler ;
– une défaillance cardiovasculaire, souvent
au premier plan ; la tachycardie (fréquence
cardiaque supérieure à 120 battements/min)
est très fréquente ; plus rarement, une
bradycardie (fréquence cardiaque inférieure
à 50 battements/min) est retrouvée et est de
mauvais pronostic ; l’hypotension artérielle
est définie par une tension artérielle
systémique inférieure à 90 mmHg ;
l’oligoanurie est le reflet d’une mauvaise
perfusion rénale.
Les marbrures traduisent
l’hypoperfusion des territoires cutanés ;
– un ictère peut être l’expression d’une
défaillance hépatique, mais son origine au
cours du sepsis est souvent multifactorielle ;
– les signes cliniques d’une défaillance
hématologique centrée sur les troubles de la
coagulation (purpura, saignements diffus
aux points de ponction et éventuellement
épistaxis) ne surviennent que pour des
anomalies biologiques majeures.
3- Diagnostic étiologique
:
L’examen se poursuit ensuite par la
recherche d’arguments étiologiques
orientant vers un organe particulier et/ou
vers une porte d’entrée du sepsis.
À ce
stade, le caractère nosocomial ou
communautaire de l'infection est
déterminant à connaître pour formuler une
hypothèse microbiologique.
En cas
d’hospitalisation préalable, la recherche
d’une porte d’entrée iatrogène (cathéter
veineux périphérique ou central, sonde
vésicale, poumon...) doit être particulièrement
attentive.
B - EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
:
Les examens complémentaires viennent
confirmer les hypothèses de l’examen
clinique, sur les plans tant du diagnostic de
gravité que du diagnostic étiologique.
1- Diagnostic de gravité
:
– Défaillance respiratoire.
La gazométrie artérielle peut retrouver une
hypoxie (pression artérielle en oxygène
[PaO2] < 80 mmHg ; PaO2/concentration
d’O2 dans l’air inspiré < 200), une normo-,
voire une hypercapnie (PaCO2 > 42 mmHg).
En effet, la normocapnie en situation
d’hypoxie traduit déjà un début
d’épuisement respiratoire et représente donc
un signe de gravité.
La radiographie thoracique recherche des
opacités alvéolaires dans les différents
quadrants pulmonaires.
L’élimination d’un
pneumothorax doit être systématique dans
ce contexte de défaillance respiratoire aiguë.
– Défaillance cardiocirculatoire.
Une lactatacidémie supérieure à 2 mmol/L
traduit une dette tissulaire en oxygène (O2).
– Défaillance hématologique.
Une anémie aiguë, une leucopénie, des
signes de coagulation intravasculaire
disséminée associant une thrombopénie, la
présence de D-dimères et de complexes
solubles sont le reflet de la défaillance
hématologique.
– Défaillance hépatique.
Elle est reflétée par une cytolyse hépatique,
une hyperbilirubinémie conjuguée, une
élévation des phosphatases alcalines et des
gammaglutamyl transférases, puis à une
phase tardive, de mauvais pronostic, une
baisse du taux de prothrombine, du facteur
V et des hypoglycémies.
– Défaillance rénale.
Elle associe une augmentation de l’urée et
de la créatinine à une baisse du débit de
filtration glomérulaire (clairance de la
créatinine inférieure à 50 mL/min).
2- Diagnostic étiologique
:
Il est impérativement orienté par les
données de l’examen clinique puis par les
données des examens biologiques et
radiologiques prescrits en fonction des
points d’appel soulevés par la clinique.
Il
aboutit à un diagnostic microbiologique de
présomption.
La démarche diagnostique chez un patient
immunodéprimé, quelle qu’en soit la cause
(sida, greffe d’organe, immunodéficience
congénitale...), nécessite en plus l’étude des
populations lymphocytaires (kTCD4,
kTCD8) et la connaissance des différents
statuts virologiques, bactériens et
parasitaires du patient (cytomégalovirus,
virus Epstein-Barr, syphilis, tuberculose,
toxoplasmose), tant pour un raisonnement
étiologique que pour évaluer le risque de
l’évolution à court terme de ces infections
sous-jacentes.
Traitement
:
La mise en oeuvre du traitement d’un état
infectieux sévère doit être précoce.
Débuté
aux urgences, voire dans certains cas en préhospitalier, il comprend deux volets :
– le traitement symptomatique de toute
dysfonction ou défaillance d’organe ;
– le traitement étiologique : anti-infectieux
associé ou non à la réalisation du drainage
chirurgical ou percutané de toute collection
purulente.
La présence de signes cliniques d’une ou de
plusieurs défaillances d’organe doit motiver
l’appel au médecin réanimateur.
Dans
l’attente de son arrivée, les premières
mesures de réanimation doivent être
entreprises.
A - TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE
:
1- Traitement d’une défaillance
circulatoire
:
L’état de choc septique est l’évolution
naturelle du sepsis sévère en l’absence de
traitement étiologique précoce.
L’objectif
thérapeutique en termes hémodynamiques
est de contrôler la défaillance circulatoire
afin de préserver au mieux une perfusion
viscérale, notamment splanchnique et rénale,
satisfaisante.
Une pression artérielle
moyenne (PAM) entre 70 et 80 mmHg
permet de maintenir un état circulatoire
compatible avec un transport artériel en O2
suffisant pour prévenir la survenue d’une
dette tissulaire en O2.
Néanmoins, les
modalités du remplissage vasculaire
nécessaires pour atteindre cet objectif restent
largement controversées.
Une stratégie
thérapeutique a été proposée lors du
consensus de la Société française
d’anesthésie-réanimation (SFAR) et de la
SRLF.
* Remplissage vasculaire
:
Il est effectué à l’aide d’une ou deux voies
veineuses périphériques de gros calibre (14
ou 16 Gauges). L’expansion volémique est la
première étape, incontournable, de la
réanimation circulatoire.
Elle vise à
compenser l’hypovolémie vraie induite par
la fuite interstitielle et l’hypovolémie relative
induite par la vasodilatation.
L’objectif du
remplissage vasculaire est de rétablir une précharge satisfaisante permettant un
remplissage cardiaque adéquat et donc un
débit sanguin adapté aux besoins tissulaires.
Dans ce contexte, chez un patient présentant
une dysfonction cardiaque préexistante, la
défaillance ventriculaire gauche peut n’être
révélée qu’après l’expansion volémique.
À
l’inverse, le remplissage ne doit pas être
excessif, un « sur-remplissage » risquant
d’augmenter l’oedème interstitiel tissulaire,
notamment pulmonaire, et de limiter le
transport en O2 par aggravation de
l’hypoxémie.
Quand la réponse au remplissage ne permet
pas le retour à une PAM satisfaisante, il faut
savoir recourir rapidement aux
catécholamines vasopressives et inotropes.
– Cristalloïdes.
Théoriquement, l’usage des cristalloïdes
dans le choc septique n’est pas recommandé
en raison des troubles de perméabilité
vasculaire, mais leur très bonne tolérance,
associée à l’absence de risque anaphylactique,
peut représenter un atout.
Les solutés
colloïdaux tels les gélatines ou les hydroxyéthylamidons (HEA) présentent
l’avantage théorique d’une expansion
volémique plus importante et plus
prolongée.
Cependant, aucun consensus ne
se dégage entre l’usage des solutés de
cristalloïdes ou de colloïdes.
En effet, il
n’existe pas d’avantages démontrés à l’usage
des colloïdes par rapport aux cristalloïdes,
ni d’avantages entre tel ou tel soluté
colloïdal.
La place des solutés cristalloïdes
hypertoniques n’est pas encore définie.
– Colloïdes.
– Dextrans.
Les dextrans sont des polymères
glucidiques obtenus par la fermentation
bactérienne du saccharose.
Bien
qu’intéressants sur le plan volémique car
assurant une expansion supérieure au
volume perfusé de manière comparable
aux HEA, l’incidence des réactions
allergiques (0,27 %), les troubles de
l’hémostase et le risque d’insuffisance
rénale qu’ils induisent imposent un
volume quotidien maximal de 15 à
20 mL/kg.
Le risque élevé de réactions
allergiques contre-indique leur usage chez
la femme enceinte.
Les troubles de
l’hémostase correspondent à une
diminution du facteur VIIIa, ainsi qu’à
une dysfonction plaquettaire.
L’insuffisance rénale est liée à une
néphrose osmotique.
– Gélatines.
Les gélatines à pont d’urée (Haemaccelt)
sont peu utilisées.
Les gélatines fluides modifiées
proviennent de l’hydrolyse du collagène
de boeuf.
L’incidence du risque anaphylactoïde est de 0,35 % et est six fois
supérieur à celui de l’albumine ou des
HEA.
Les troubles de la coagulation
observés biologiquement sont
essentiellement rapportés à l’hémodilution.
Il n’existe pas d’action spécifique
sur les facteurs de la coagulation.
Une
gêne dans la détermination du groupe
Rhésus peut survenir.
Enfin, le risque de
transmission du nouveau variant de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob est un
risque purement théorique et probablement
infime du fait des procédures de
stérilisation utilisées lors de leur
fabrication.
– HEA.
Les HEA sont des polymères glucidiques
végétaux à base d’amylopectine de maïs.
Leur risque anaphylactique est faible, six
fois moindre qu’avec les gélatines.
L’incidence en est de 0,06 %. Ils sont
cependant contre-indiqués chez la femme
enceinte.
Les troubles de l’hémostase correspondent
à une diminution du facteur VIIIa, ainsi
qu’à une dysfonction plaquettaire.
L’Elohèst 6 % est la molécule qui présente
le plus d’effets secondaires en raison de
son accumulation tissulaire, notamment
dans le système réticuloendothélial.
Ces molécules sont contre-indiquées en
cas de t roubles de l’hémostase
constitutionnels ou acquis, d’hémophilie
ou de maladie de Willebrand, et chez les
patients insuffisants rénaux chroniques en
cours d’hémodialyse et d’insuffisance
hépatique sévère pour l’Elohèst.
L’accumulation des HEA peut provoquer
au niveau rénal des lésions de néphrose
osmotique.
Les solutés concentrés à 10 % présentent
un effet d’expansion volémique immédiat
plus important que les solutés à 6 %, mais
exposent à un risque majoré d’accumulation.
Ces effets indésirables ont amené
une récente notification concernant la
durée de prescription. La dose maximale
d’Elohèst est de 33 mL/kg le premier
jour, puis 20 mL/kg à j2 et j3, sans excéder
80 mL/kg de dose totale.
L’Hestérilt peut
être administré à 33 mL/kg/j pendant
8 jours.
Au-delà de 80 mL/kg, une
surveillance attentive de l’hémostase doit
être instituée.
Une gêne dans l’interprétation du groupe
sanguin ABO peut survenir en présence
des HEA.
– Albumine humaine.
L’albumine humaine ne constitue plus un
soluté de remplissage de première
intention, hormis chez la femme enceinte
du fait de son coût et de son origine
humaine.
– Produits sanguins labiles.
La transfusion de produits sanguins n’est
pas réalisée lors de cette phase initiale.
Ils
ne correspondent pas stricto sensu à des
solutés d’expansion volémique.
Leur
prescription se fait selon le terrain cardiovasculaire, la présence de signes
cliniques d’anémie et les résultats
biologiques.
– Solutés glucosés.
Les solutés glucosés ne constituent en aucun
cas des solutés de remplissage vasculaire du
fait de leur volume de diffusion qui
correspond à l’eau totale.
* Amines sympathicomimétiques
:
Le recours aux amines inotropes ou
vasopressives ne se conçoit qu’après l’échec
du remplissage vasculaire à rétablir une
PAM satisfaisante.
En effet, le risque est celui
d’un effet de vasoconstriction absolue
altérant la perfusion tissulaire, notamment
rénale.
En
pré-hospitalier ou au service d’accueil des
urgences, le praticien, ne disposant pas de
monitorage hémodynamique invasif, doit se
limiter à la prescription d’agents
pharmacologiques possédant un effet-dose
certain.
Dans ce cadre, l’utilisation de
l’éphédrine en cas d’hypotension brutale
puis de l’adrénaline sont des choix
satisfaisants.
+ Éphédrine
:
C’est un sympathicomimétique non catécholaminergique d’origine végétale.
Elle
agit surtout par un effet indirect en libérant
les stocks endogènes de noradrénaline.
Elle
présente essentiellement un eff e t
vasopresseur a1, associé à un effet b1
tachycardisant. La durée d’action est
relativement longue, cinq à six fois
supérieure à celle de l’adrénaline (soit 10 à
20 minutes).
Elle permet un traitement en
urgence des troubles hypotensifs dans
l’attente du relais par une perfusion
continue d’une autre amine vasopressive.
L’emploi en perfusion continue n’est pas
recommandé car son effet disparaît lorsque
la réserve endogène de noradrénaline est
épuisée.
+ Adrénaline ou épinéphrine
:
Hormone naturelle de référence, elle permet
d’obtenir une stimulation directe des
récepteurs a et b du système sympathique.
Elle est surtout inotrope positive de
0,05 μg/kg/min à 0,5 μg/kg/min.
Au delà
de 0,5 μg/kg/min, les effets vasculaires
a1 adrénergiques vasoconstricteurs
deviennent prédominants.
L’altération de la
perfusion splanchnique a pu être compensée
par l’adjonction de faibles doses de dobutamine.
Les effets bathmotropes et
chronotropes de l’adrénaline semblent
limités chez les patients septiques.
Dans un contexte d’urgence, l’éphédrine et
l’adrénaline sont les deux vasopresseurs à
recommander en première intention après un
remplissage vasculaire adapté.
Après la mise en place d’un monitorage
invasif de la pression artérielle et la
possibilité d’une perfusion veineuse centrale,
l’utilisation d’autres cathécholamines peut
être discutée.
+ Noradrénaline
:
Elle agit sur les récepteurs a1, entraînant une
vasoconstriction intense dose-dépendante
montrant une efficacité bien plus fréquente
que la dopamine pour restaurer la pression
artérielle.
Si cette vasoconstriction
concerne tous les systèmes artériels, y
compris la vascularisation rénale, hépatique
et splanchnique, aucun effet délétère sur leur
perfusion n’a été mis en évidence dans le
choc septique sous réserve d’une correction
satisfaisante et précoce de toute hypovolémie.
Elle est ainsi l’amine vasopressive de choix dans le traitement du
choc septique pour restaurer une PAM
satisfaisante.
Elle possède
enfin une action b1 cardiaque, mais son effet est rapidement
masqué par l’effet a dominant.
+ Dobutamine
:
Par son effet inotrope b1 adrénergique, elle
participe à la correction de la dysfonction
cardiaque du choc septique.
Son activité
b2 vasodilatatrice présente un effet
bénéfique sur la perfusion tissulaire en
augmentant le transport artériel en O2.
Cependant, elle ne doit pas être utilisée en
première intention chez un patient hypovolémique car elle risque d’aggraver
l’hypotension artérielle systémique.
+ Dopamine
:
Elle agit en provoquant une libération présynaptique de noradrénaline.
Ses effets
sont complexes et doses-dépendants sur les
récepteurs adrénergiques a1, a2, b1, b2.
Elle
agit surtout par son effet cardiaque inotrope
b1 adrénergique à partir de 5 μg/kg/min.
De 10 à 20 μg/kg/min, l’effet vasopresseur
artériel a1 adrénergique est prédominant.
Néanmoins, même à ces doses élevées, l’effet
de la dopamine sur la pression artérielle est
plus le fait d’une augmentation du débit
cardiaque que d’un effet vasopresseur.
Un
effet propre sur les récepteurs dopaminergiques
DA1 et DA2, vasodilatateur rénal
et splanchnique à faible doses
(< 5 μg/kg/min), est actuellement largement
rediscuté.
Longtemps considérée comme
la catécholamine de référence dans le choc
septique, sa place est de plus en plus révisée
en raison de son efficacité moindre que celle
de la noradrénaline.
De plus, elle induit un
effet tachycardisant et vasoconstricteur
splanchnique associé à une élévation des
pressions droites avec augmentation du
shunt intrapulmonaire.
Elle reste cependant
fréquemment utilisée dans cette indication,
mais doit impérativement être relayée par
une catécholamine plus puissante au-delà de
20 μg/kg/min.
Au total, la noradrénaline ou l’association dobutamine-noradrénaline semble
supérieure à la dopamine, mais son
utilisation ne peut pas se concevoir dans un
service d’urgence sans monitorage
hémodynamique invasif.
2- Traitement d’une défaillance
respiratoire
:
Le but est de restaurer une oxygénation
sanguine permettant d’obtenir une
saturation de l’hémoglobine en O2 dans le
sang artériel supérieure à 90 % afin de
permettre une oxygénation tissulaire
satisfaisante.
* Ventilation spontanée
:
Le patient est installé dans la position
assurant cliniquement la meilleure
ventilation, le plus souvent en position demi
assise.
La liberté des voies aériennes est
réalisée en retirant tout corps étranger ainsi
que les prothèses dentaires.
Elle est
éventuellement complétée par une
aspiration oropharyngée non traumatique.
L’oxygénothérapie est débutée au masque
facial à haute concentration et à fort débit
( > 8 L/min).
Les autres matériels
d’administration ne sont pas à utiliser car
mal tolérés et/ou inadaptés à l’urgence (sondes
nasales, masques simples, lunettes).
* Ventilation mécanique
:
Il faut recourir à une ventilation mécanique
après intubation trachéale en cas de :
– détresse respiratoire aiguë ;
– troubles de la conscience ;
– convulsions hypoxiques ;
– inefficacité cardiocirculatoire aiguë ou
bradycardie hypoxique.
L’indication de la ventilation mécanique est
essentiellement clinique. Néanmoins, la
gazométrie artérielle peut aider à en porter
l’indication.
Elle permet de diminuer la
consommation en O2 et donc favorise une
restauration de l’adéquation entre les
besoins tissulaires et les possibilités d’apport
en O2.
L’intubation trachéale dans ces circonstances
est une intubation à risque, en raison des
conditions d’hypoxie et du fait que le patient
doit être considéré comme ayant l’estomac
plein.
Elle ne doit donc être réalisée qu’en
milieu spécialisé, au mieux en présence du
médecin anesthésiste-réanimateur.
L’induction anesthésique doit suivre le cadre
des recommandations récentes de la SFAR.
L’intubation se fait par voie orotrachéale,
préférée pour sa rapidité et son moindre
risque traumatique.
En effet, dans ce
contexte, l’intubation en séquence rapide,
associant une préoxygénation d’au moins
3 minutes suivie de l’injection d’un
hypnotique d’action rapide avec un curare
d’action ultracourte, associée à la manoeuvre
de Sellick, est supérieure à l’intubation
nasotrachéale à l’aveugle.
Elle
est réalisée sous laryngoscopie avec une
sonde de calibre suffisant (diamètre interne :
7,5 mm chez l’homme ; 7 mm chez la
femme).
L’hypnotique de préférence est l’étomidate.
Il se caractérise par une relative stabilité
cardiovasculaire, même en cas d’hémodynamique
instable.
Administré seul, il procure
de mauvaises conditions d’intubation, ce qui
rend indispensable son association à un
myorelaxant.
Le suxaméthonium est actuellement le seul
curare adapté à l’intubation en séquence
rapide.
L’anaphylaxie est un effet secondaire
fréquent, avec une incidence d’environ
1/1 600.
De même, l’élévation de la
kaliémie qu’il induit (0,5 mmol/L pendant
10 à 15 minutes) expose, en situation
d’hyperkaliémie préalable, au risque de
troubles du rythme graves et/ou d’arrêt
cardiaque.
En cas de contre-indication à l’emploi du
suxaméthonium, l’intubation
« vigile » sous anesthésie locale doit être
privilégiée.
La poursuite de la sédation est assurée après
l’intubation et le contrôle de l’état
hémodynamique afin de permettre
l’adaptation au respirateur. Elle associe un
médicament dépresseur respiratoire type
morphinique à un hypnotique type
benzodiazépine.
L’association midazolamfentanyl
constitue la thérapeutique le plus
souvent utilisée .
Des associations
alternatives sont possibles (sufentanil,
morphine).
Le risque d’accumulation est important lors
d’une sédation prolongée
* Ventilation assistée non invasive
:
La place de la ventilation non invasive n’est
pas encore complètement définie.
Le mode
le plus fréquemment employé est la
ventilation spontanée avec aide inspiratoire
et pression expiratoire positive.
Elle pourrait
cependant avantageusement se substituer à
l’intubation endotrachéale en cas de
défaillance respiratoire aiguë isolée.
* Prise en charge de l’acidose
:
L’alcalinisation des acidoses respiratoires
n’est pas logique au plan physiopathologique.
Elle est inutile, voire dangereuse
quand le patient n’est pas en ventilation
mécanique, car l’apport massif de
bicarbonates sanguins risque de provoquer
une hypercapnie alvéolaire asphyxique et
une acidose intracellulaire paradoxale.
3- Traitement d’une défaillance
neurologique
:
Des convulsions généralisées font recourir à
l’injection intraveineuse de benzodiazépines anticonvulsivantes en première intention, de
type Rivotrilt.
Des troubles de la vigilance avec un score
de Glascow inférieur à 8 imposent une
intubation trachéale en urgence dans les
conditions sus-citées.
La présence de signes cliniques évocateurs
d’une hypertension intracrânienne ou de
signes de focalisation doit faire demander
un avis neurochirurgical en urgence.
La
tomodensitométrie cérébrale est l’examen de
choix pour préciser l’indication neurochirurgicale
éventuelle.
Dans l’attente d’une
prise en charge neurochirurgicale, le patient
est mis en position proclive à 30°, la trachée
est intubée si l’état de vigilance le nécessite.
Le mannitol à 20 % peut être utilisé (0,25 à
1 g/kg en 15 minutes, soit 1,25 à 5 mL/kg).
4- Traitement d’une défaillance
rénale
:
La défaillance rénale au cours du sepsis
sévère est à la phase initiale généralement
fonctionnelle par hypoperfusion rénale.
Son
traitement en première intention repose
donc sur l’expansion volémique permettant
de restaurer une bonne perfusion rénale
(PAM à 70-80 mmHg) et justifie un
remplissage vasculaire adéquat puis
l’utilisation éventuelle de vasopresseurs.
Les
diurétiques n’ont pas d’indication lors de
cette prise en charge initiale, mais sont
utilisés secondairement après restauration de
la volémie pour permettre d’obtenir une
insuffisance rénale aiguë à diurèse
conservée.
L’alcalinisation des acidoses métaboliques
doit répondre aux recommandations de la
conférence de consensus sur ce sujet.
Les indications d’une épuration extrarénale
en urgence chez le patient anurique sont les
suivantes :
– hyperkaliémie avec signes électriques ;
– hypercalcémie avec signes électriques ;
– surcharge volémique avec oedème
pulmonaire ou cérébral ;
– acidose métabolique incontrôlable.
B - TRAITEMENT ÉTIOLOGIQUE
DES ÉTATS SEPTIQUES AIGUS :
Celui-ci représente l’essentiel du traitement
et justifie la réanimation symptomatique qui
permet la survie du patient, le temps que
son efficacité puisse survenir.
Il nécessite une
enquête diagnostique précise et va reposer,
à la phase initiale de la prise en charge, sur
une ou des hypothèses microbiologiques.
Il
comprend le plus souvent un traitement
anti-infectieux, associé ou non à la
réalisation d’un geste chirurgical curatif et
urgent, justifiant une concertation
médicochirurgicale de qualité.
Dans ce
contexte, l’antibiothérapie doit être débutée
rapidement, avant la chirurgie éventuelle.
Cette antibiothérapie dite « probabiliste »
correspond à une prescription réalisée avant
que ne soient connues la nature et/ou la
sensibilité des micro-organismes
responsables de l’infection.
Elle doit alors
correspondre au traitement admis pour être
régulièrement efficace dans la situation en
cause.
Il ne s’agit pas d’une antibiothérapie
« à l’aveugle », mais au contraire d’une
prescription raisonnée prenant en
considération tous les éléments disponibles
pour effectuer le meilleur choix possible.
L’hypothèse microbiologique est facilitée par
les données épidémiologiques pour les
infections survenant « en ville » puis traitées
à l’hôpital.
À l’opposé, la grande diversité
des pathogènes potentiellement responsables
des infections nosocomiales et leur grande
variabilité de sensibilité aux antibiotiques
imposent une documentation la plus
exhaustive possible de l’agent causal avant
tout traitement d’une infection survenant à
l’hôpital.
Par ailleurs, discuter de
l’antibiothérapie probabiliste impose
d’identifier les situations où tout retard à
l’antibiothérapie peut engager le pronostic
vital du patient en raison, soit d’une
localisation particulière, soit d’un déficit
immunitaire, soit de signes cliniques et/ou
biologiques de gravité.
1- Antibiothérapie probabiliste
:
Une antibiothérapie probabiliste adaptée
influence-t-elle le pronostic vital ?
* Infections intra-abdominales
:
Le traitement des péritonites est avant tout
chirurgical.
Néanmoins, un certain nombre
de travaux publiés dans la littérature
médicale viennent conforter l’importance de
l’antibiothérapie en association avec la
réanimation symptomatique pour le
pronostic de ces infections.
Ainsi, dans une
étude rétrospective portant sur 229 péritonites
communautaires, une antibiothérapie
d’emblée adaptée permet une diminution de
la fréquence des complications, y compris
du nombre de réinterventions (18,9 % versus
51 % dans le groupe « inadaptée »), ainsi
qu’une réduction marquée de la durée de
séjour (9,6 jours versus 18,5 jours) associée à
une tendance à une moindre mortalité (5,6 %
versus 12,2 %).
L’impact positif de l’antibiothérapie
probabiliste a été également démontré dans
le traitement des péritonites postopératoires.
Ainsi, Carlet et al rapportent dans une étude
déjà ancienne, portant sur 50 patients,
l’importance réciproque de l’antibiothérapie
et de la chirurgie pour la prise en charge de
cette pathologie.
Dans cette série, la
survie était de 94 % lorsque le traitement
chirurgical et l’antibiothérapie étaient
adaptés, de 38,5 % lorsque le traitement
chirurgical était correct et l’antibiothérapie
inadaptée, de 10 % lorsque le traitement
chirurgical était incorrect et l’antibiothérapie
adaptée et de 0 % en cas d’inadéquation
associée de la chirurgie et de l’antibiothérapie.
Plus récemment, Montravers et al
démontrent , sur 100 péritonites
postopératoires, que les patients ayant une
antibiothérapie initiale inefficace présentent
une mortalité et une morbidité, appréciée
par la durée de séjour et le nombre de réinterventions, plus élevées.
L’analyse multivariée retrouve quatre paramètres
indépendants prédictifs de la mortalité.
Il
s’agissait du choc (odds ratio [OR] = 3,6),
d’un score Apache II supérieur ou égal à 21
(OR = 2,3), de l’âge supérieur ou égal à
62 ans (OR = 1,9) et d’une antibiothérapie
probabiliste inadéquate (OR = 1,6).
Le
rôle primordial d’une antibiothérapie initiale
adaptée paraît donc bien documenté pour
les infections intra-abdominales.
* Infections purement médicales
:
Le bon sens et l’expérience médicale
plaident pour un rôle essentiel du caractère
adapté de l’antibiothérapie initiale dans le
pronostic d’infections bactériennes graves au
cours desquelles le traitement chirurgical a
peu ou pas de place.
+ Pneumopathies
:
Alvarez-Lerma et al démontrent, dans une
étude multicentrique portant sur 530 patients
hospitalisés dans 30 services de
réanimation médicale ou chirurgicale et
présentant une pneumopathie nosocomiale,
que la mortalité attribuable à la pneumopathie
était de 16,2 % si l’antibiothérapie
initiale était adaptée.
+ Septicémies
:
En 1997, Leibovici et al retrouvent, dans une
étude portant sur un collectif important de
2 124 patients souffrant d’une septicémie à
bacilles à Gram négatif, une mortalité de
18 % versus 34 % (p = 0,0001) selon le
caractère adapté ou non de l’antibiothérapie
probabiliste.
L’impact sur le pronostic vital de
l’antibiothérapie initiale impose donc de
connaître les circonstances justifiant d’une
antibiothérapie probabiliste en urgence.
Ces
situations peuvent être classées en fonction
de la localisation de l’infection, du terrain
sur lequel elle survient et des conséquences
en termes de défaillance viscérale qu’elle
provoque.
En fonction de la localisation.
– Infections neuroméningées :
– méningites purulentes communautaires
et opératoires ;
– abcès du cerveau (pyogènes aéroanaérobies,
Toxoplasma gondii chez le
patient porteur du virus de l’immunodéficience
humaine [VIH]) ;
– méningite tuberculeuse ;
– méningoencéphalite aiguë virale ;
– paludisme pernicieux.
– Cellulites extensives, gangrène gazeuse.
– Endocardites aiguës septicémiques.
– Pneumopathies hypoxémiantes :
– communautaires : S. pneumoniae,
Mycobacterium tuberculosis ;
– Pneumocystis carinii chez le patient
porteur du VIH ;
– nosocomiales : bacilles à Gram négatif, SAMR.
En fonction du terrain.
– Infection chez l’asplénique.
– Neutropéniques fébriles (moins de
1 000 globules blancs/mm3).
– Aspergillose ou candidose invasives chez
le neutropénique.
– Patient infecté et porteur d’une prothèse
vasculaire.
– Polytraumatisé présentant des fractures
ouvertes (justifiant la présence dans la
pharmacopée des services médicaux
d’urgence régionaux [SMUR) d’une
bêtalactamine à activité antianaérobie et
antistaphylococcique de type amoxicillineacide
clavulanique).
En fonction des conséquences potentielles
engageant le pronostic vital.
– Choc septique d’origine chirurgicale :
– angiocholite ;
– péritonite ;
– pyélonéphrite sur obstacle.
– Septicémies et purpura fulminans
(justifiant la présence dans la pharmacopée
des SMUR d’une céphalosporine de
troisième génération).
– Défaillance(s) viscérale(s) dans un
contexte de choc septique.
2- Règles de prescription
d’une antibiothérapie probabiliste
:
La prescription réfléchie d’une antibiothérapie
probabiliste nécessite de répondre à
plusieurs questions.
* Quel est le degré d’urgence à la mise
en route d’une antibiothérapie ?
Celui-ci doit être apprécié en fonction de la
certitude plus ou moins grande qu’il s’agit
d’une pathologie infectieuse, de la présence
ou non de signes cliniques et biologiques de sepsis sévère, voire de choc septique, du site
suspecté de l’infection et de facteurs de
risques propres au patient.
Il nécessite de
connaître les situations rappelées
précédemment.
Trois points méritent d’être soulignés.
– Toute fièvre rapportée à une infection
bactérienne ne justifie pas en urgence et
obligatoirement une antibiothérapie
probabiliste.
– Toute fièvre ne traduit pas forcément une
infection bactérienne.
Il est possible de
discuter selon le contexte :
– une origine infectieuse mais non
bactérienne ; les infections virales ou
parasitaires sont fréquemment en cause
chez les malades immunodéprimés (VIH,
transplantés, patients de chirurgie
viscérale lourde en réanimation...) ;
– les complications non infectieuses liées
à la maladie sous-jacente de type maladie
de « système » ou néoplasie, ainsi que
celles liées à leur traitement, qui ne sont
pas toujours facilement discernables de la
présence d’un véritable syndrome
infectieux ;
– les réactions médicamenteuses allergiques,
notamment aux antibiotiques, qui
miment parfois parfaitement un état
infectieux grave ; l’amélioration des
symptômes dans les 2 à 3 jours après
l’arrêt du traitement (mais parfois plus...)
et les signes d’accompagnement comme
une éruption cutanée, une hyperéosinophilie,
une élévation des transaminases,
une leucopénie ou une thrombopénie et
une protéinurie, bien qu’inconstamment
présents, sont des arguments en faveur de
cette étiologie.
– Il est toujours possible en milieu
hospitalier de réaliser très rapidement un
minimum d’examens microbiologiques à
visée diagnostique, quel que soit le degré
d’urgence de la pathologie motivant
l’antibiothérapie :
– hémocultures (au moins une, lors de la
pose de la perfusion) ;
– ponction percutanée d’une cellulite ou
d’une médiastinite ;
– examen cytobactériologique des urines
et bandelette urinaire (leucocyturie et
nitrites) ;
– prélèvement bronchique distal protégé ;
– mise en culture d’un cathéter.
Certains de ces prélèvements permettent la
réalisation d’un examen direct en
bactériologie et peuvent donc guider le choix
de l’antibiothérapie initiale.
Ils sont de plus
très utiles pour affirmer le diagnostic et
réévaluer secondairement l’antibiothérapie
choisie.
Ce choix nécessite d’effectuer plusieurs
hypothèses raisonnées.
+ Pari microbiologique en fonction
du caractère nosocomial ou communautaire
de l’infection suspectée :
L’épidémiologie des infections communautaire
est assez précise et permet de formuler
une hypothèse fiable sur le germe
responsable de l’infection suspectée en
fonction du site cliniquement retrouvé et du
terrain.
Ainsi, le méningocoque doit être
suspecté et pris en compte devant une
méningite purulente.
De même, le
pneumocoque doit être traité devant une
pneumonie franche lobaire aiguë. De
nombreux exemples pourraient être cités.
À l’opposé, les micro-organismes
responsables des infections nosocomiales
peuvent être très divers.
Il en va de même
de leur sensibilité au traitement qu’il est
souvent impossible à prévoir.
Dans ce
contexte, la réalisation de prélèvements
bactériologiques à visée diagnostique est
essentielle.
La connaissance de
l’épidémiologie des bactéries responsables
d’infection dans l’unité où l’on travaille,
mais aussi de la flore colonisante des
patients, permet de guider le choix de
l’antibiothérapie initiale.
En effet, une
colonisation avec une bactérie hospitalière,
parfois multirésistante, est souvent un
préalable à l’infection nosocomiale.
De
même, la notion d’une épidémie à une
bactérie multirésistante dans une unité doit
être prise en compte dans le choix
thérapeutique.
+ Pari microbiologique en fonction du terrain
:
Les antécédents, la notion d’alcoolisme, de
myélome, de sérologie VIH positive, de
voyage récent hors de métropole ou
d’hémoglobinopathie doivent être pris en
compte.
Il en est de même pour les facteurs
de risque comme le diabète, la toxicomanie
ou une splénectomie ancienne.
Ces différents
antécédents peuvent orienter vers des
étiologies bactériennes particulières ou vers
des hypothèses diagnostiques.
Une hospitalisation récente dans les
3 derniers mois et/ou une antibiothérapie
récente doivent être connues du fait de la
modification potentielle de la flore
saprophyte du patient et de l’augmentation
du risque de résistance qu’elles entraînent.
+ Pari microbiologique en fonction de la porte
d’entrée suspectée :
La présence d’un matériel étranger et sa
nature sont essentielles à connaître.
Ainsi, la
grande majorité des infections sur cathéters
centraux sont à rapporter aux staphylocoques
dorés ou à coagulase négative,
sensibles ou résistants à l’oxacilline.
De
même, la notion d’une manipulation
instrumentale récente des voies urinaires ou
biliaires ou d’une intubation trachéale
oriente vers une hypothèse diagnostique et
microbiologique.
3- Place des examens
microbiologiques
:
Le résultat de l’examen direct du ou des
prélèvements du site supposé infecté permet
souvent d’orienter l’antibiothérapie initiale
en permettant de prendre en compte une
grande catégorie de germes.
C’est
particulièrement le cas pour l’examen direct
du liquide céphalorachidien pratiqué devant
une suspicion de méningite purulente.
Néanmoins, sa sensibilité et sa spécificité
sont très variables en fonction du type de
prélèvement.
Ainsi, pour les pneumopathies
nosocomiales, seul l’examen direct du lavage bronchoalvéolaire et du prélèvement
bronchique distal protégé ont une valeur
prédictive positive suffisante pour guider le
traitement.
L’examen direct de la brosse
télescopique protégée semble peu pertinent ;
en revanche, une aspiration bronchique
négative à l’examen direct est un bon
argument pour écarter en première intention
le diagnostic de pneumopathie.
Le respect
des procédures de prélèvement en fonction
des sites et l’acheminement rapide au
laboratoire sont impératifs.
Dans les cas
difficiles, la qualité du dialogue entre le
clinicien et le microbiologiste permet
d’optimiser l’interprétation du résultat.
De
plus, l’interprétation du résultat de la culture
des prélèvements bactériologiques doit
prendre en compte la présence d’une
antibiothérapie en cours débutée dans les
48 dernières heures ou de façon plus
ancienne.
Enfin, en cas d’infection nosocomiale, les
prélèvements cutanés, digestifs ou urinaires
de dépistage de la colonisation, effectués par
exemple de façon hebdomadaire, permettent
de connaître l’écologie bactérienne du
patient et/ou de l’unité de réanimation.
Une fois la décision de traitement prise en
fonction de la gravité éventuelle et du type
d’infection suspectée, il est nécessaire
d’effectuer une synthèse des différents
éléments constitués par le pari
microbiologique en fonction du site infecté,
du terrain et du caractère nosocomial ou
communautaire, par la connaissance de
l’écologie bactérienne de l’unité où l’on
travaille et par les données fournies par
l’examen direct des prélèvements
bactériologiques.
Cette synthèse va aboutir
à un diagnostic microbiologique clinique et
à une prescription raisonnée de
l’antibiothérapie probabiliste.
4- Modalité de prescription
de l’antibiothérapie probabiliste :
Les règles habituelles qui régissent la
prescription des antibiotiques s’appliquent
aussi à la prescription probabiliste.
Il s’agit
de la recherche d’une bactéricidie, d’une
synergie en cas de bithérapie, du respect des
règles de pharmacocinétique propres à
chaque antibiotique, de la prévention d’une
éventuelle toxicité et du choix de posologies
permettant l’obtention de concentrations
tissulaires efficaces au site infecté,
notamment dans ceux difficiles à atteindre
comme la méninge, l’os ou l’endocarde.
* Indications d’une association
:
Cette question reste très controversée.
L’épidémiologie permet de donner des
éléments de réponse.
+ Au cours des infections communautaires
:
L’absence de résistance importante des
bactéries en cause ne justifie pas
d’augmenter l’efficacité mais plutôt d’élargir
le spectre initial du traitement, surtout lors
d’infections potentiellement multimicrobiennes
afin de ne pas risquer une impasse
microbiologique.
Le rôle pathogène des bactéries anaérobies
est majeur dans certaines infections comme
les péritonites ou les cellulites gangreneuses.
Le traitement initial doit les prendre en
compte, soit par la prescription d’une bêtalactamine associée à un inhibiteur des
bêtalactamases, soit par l’association d’une
molécule peu active sur les anaérobies
(céphalosporine de troisième génération)
avec le métronidazole.
Lorsqu’il est nécessaire de prendre en
compte les entérobactéries et notamment E. coli, la grande fréquence des souches
fortement sécrétrices de bêtalactamases, et
donc intermédiaires ou résistantes aux
uréidopénicillines, aux carboxipénicillines et
à l'association amoxicilline-acide
clavulanique, impose la prescription d’un
aminoside en association avec ces
antibiotiques.
+ Au cours d’une infection nosocomiale
:
Les arguments pour une association
reposent sur l’élargissement du spectre de
l’antibiothérapie, la recherche d’une synergie
et la prévention de la sélection de mutants
résistants au traitement.
– Élargissement du spectre.
Des infections nosocomiales polymicrobiennes
sont fréquemment rapportées.
C’est
le cas de la grande majorité des péritonites
postopératoires.
De même, Fagon et al
rapportent jusqu’à 40 % de pneumopathies
nosocomiales multimicrobiennes.
Enfin, le
caractère souvent multirésistant de ces
bactéries (P. aeruginosa et Staphylococcus
aureus par exemple) impose souvent
l’utilisation initiale d’une association
d’antibiotiques.
– Synergie.
La synergie entre les bêtalactamines et les
aminosides est documentée in vitro et in
vivo dans de nombreux modèles d’infection
expérimentale.
– Prévention de la sélection de mutants
résistants.
Le risque de sélection de mutants résistants
varie en fonction des bactéries en cause et
des antibiotiques.
Il est important avec P. aeruginosa et dans une moindre mesure avec
Enterobacter et Serratia.
Il est d’autant
plus élevé que l’inoculum bactérien est
important et que le foyer infectieux est
collecté, voire enkysté.
Il impose le drainage
le plus complet possible de toute collection
et l’optimisation des modalités d’utilisation
des antibiotiques, notamment en termes de
posologie initiale et de connaissance de la
pharmacodynamique des agents antiinfectieux.
Ainsi, par exemple, les
aminosides ont une bactéricidie
concentration-dépendante, alors que les
bêtalactamines présentent une efficacité
dépendant du temps pendant lequel leur
concentration dans le foyer infectieux est
supérieure à la concentration minimale
inhibitrice du germe.
La prescription d’une association ne prévient
pas toujours la sélection de ces mutants.
En fait, bien qu’il s’agisse d’une prescription
reposant sur des arguments théoriques in
vitro et expérimentaux, nombreux et
cohérents, aucune étude clinique n’a pu
démontrer la supériorité d’une association
d’antibiotiques versus une monothérapie
dans la mesure où le spectre antibactérien
est identique dans les deux schémas
thérapeutiques.
* Quelle posologie initiale ?
Il est essentiel d’obtenir dès les premières
administrations des concentrations
d’antibiotiques efficaces.
En effet, Moore et
al ont montré, chez 89 patients de
réanimation présentant une bactériémie à
bacilles à Gram négatif, la relation entre
l’évolution clinique et l’obtention ou non de
taux thérapeutiques lors de la première
administration d’aminosides.
Ainsi, la
mortalité chez les patients dont les
concentrations d’antibiotique au pic étaient infrathérapeutiques s’élevait à 20,9 % contre
2,4 % lorsque la concentration se situait dans
la zone thérapeutique.
De plus, la
sensibilité des bactéries est déterminée au
laboratoire avec un inoculum calibré aux
environs de 105 à 106 unités formant colonie
(UFC) par millilitre, alors que in vivo,
l’inoculum bactérien responsable de
l’infection peut être beaucoup plus élevé.
Une pneumopathie, par exemple, peut
comporter au moment du diagnostic de 108
à 1010 UFC/g de poumon.
Pour faire face à
un tel inoculum bactérien pouvant
notamment être responsable d’une forte
production d’enzymes inhibant les bêtalactamines, il est souhaitable de débuter
le traitement à fortes posologies, quitte à
l’adapter ultérieurement en fonction de
l’atteinte rénale éventuelle.
* Réévaluation de l’antibiothérapie initiale
probabiliste :
Les objectifs sont de limiter l’utilisation des
antibiotiques aux seules situations qui la
justifient et de faire un choix raisonné de
l’antibiothérapie de façon à obtenir un
impact sur l’écologie hospitalière et sur la
flore barrière des patients la plus faible
possible.
Ainsi, la nécessaire discussion du
bien-fondé d’une association et le retour,
lorsqu’il est possible, à une molécule plus
ancienne et/ou de spectre plus étroit
s’intègrent dans les recommandations pour
le bon usage des antibiotiques à l’hôpital.
Il est sûrement plus délétère de laisser de
façon prolongée une antibiothérapie
empirique que de débuter de façon
raisonnée et documentée une antibiothérapie
probabiliste, même à spectre large, et de la
simplifier secondairement après l’avoir
réévaluée.
Cette réévaluation doit intervenir entre le
deuxième et le troisième jour, date à laquelle
on dispose le plus souvent de l’identification
bactérienne des germes responsables et de
leur profil de sensibilité, à condition que les
prélèvements adéquats aient été initialement
effectués.
Il faut parfois savoir décider d’un
arrêt de l’antibiothérapie probabiliste quand
l’ensemble des données microbiologiques
sont négatives et orienter alors la recherche
diagnostique vers une étiologie non
infectieuse.
Une deuxième réévaluation doit
être effectuée vers le dixième jour pour
apprécier l’efficacité du traitement entrepris
et pour juger de la nécessité éventuelle de le
poursuivre.
Dans cette alternative, une
réévaluation régulière est justifiée.
De plus, le coût du traitement, même s’il ne
représente pas un critère prépondérant, doit
être intégré dans la discussion, de façon à
orienter le choix vers un moindre coût à
efficacité équivalente.
Elles
sont en partie extraites du travail de Brown
et al.
Conclusion
:
La qualité de l’ensemble de la démarche
aboutissant à un traitement symptomatique
bien conduit des différentes défaillances
viscérales, notamment hémodynamiques et
respiratoires, conditionne le pronostic vital et
permet la mise en route du traitement
étiologique reposant souvent sur la chirurgie et
toujours sur une antibiothérapie probabiliste
adaptée.
La démarche raisonnée aboutissant à
la prescription de cette antibiothérapie
probabiliste participe au contrôle des états
septiques graves en termes de guérison
immédiate de l’infection, mais aussi en termes
de risque infectieux nosocomial ultérieur à des
germes multirésistants.