• Terrain : ce type de trouble s’observe habituellement
chez les adolescents ou les adultes jeunes de 20 à 30 ans,
avec une légère prédominance féminine.
• Début : d’après Magnan, c’est un « délire d’emblée,
un coup de tonnerre dans un ciel serein ».
Le début est
soudain et brutal parfois précédé de prodromes aspécifiques
: une bizarrerie de conduite, une insomnie, une
irritabilité, une anxiété.
La demande de soins émane la
plupart du temps de l’entourage du patient du fait de
troubles du comportement.
• Phase d’état : le tableau clinique est constitué d’emblée
avec une sémiologie intense associant plusieurs éléments.
Le syndrome délirant présente un délire intensément
vécu, caractérisé par sa richesse, son polymorphisme au
niveau des thèmes et des mécanismes, son absence de
systématisation et sa grande variabilité dans le temps.
Les thèmes délirants sont multiples, plus ou moins bien
différenciés, les plus fréquents sont la persécution et
l’influence ; on retrouve également des idées mystiques,
érotiques et de grandeur.
Tous les mécanismes organisateurs
du délire peuvent se rencontrer avec notamment des
phénomènes hallucinatoires (le plus souvent avec un
haut niveau de sensorialité) : hallucinations auditives acoustico-verbales, visuelles, plus rarement olfactives et
tactiles, également imagination, intuition et interprétation.
L’automatisme mental est pratiquement constant, il correspond
à la perte d’intimité de la pensée.
On observe
soit un petit automatisme mental fait de phénomènes
étrangers et subtils à base d’intuitions abstraites,
d’arrêts de la pensée, de dévidage muet de souvenirs, de
mentisme (rumination intellectuelle avec défilé rapide
et incoercible des idées) ; soit un triple automatisme
mental moteur, sensoriel, sensitif et idéoverbal avec
articulations verbales forcées, mouvements imposés,
visions ou images colorées, odeurs nauséabondes, goûts
âcres, sensation d’attouchement, de prurit, commentaires
des actes et de la pensée, écho de la pensée et de
la lecture, vol et devinement de la pensée.
L’organisation du délire est mal structurée, non systématisée.
Il s’agit plus d’une expérience que d’une
élaboration délirante, en effet les idées délirantes
multiples se heurtent, s’intriquent avec de grandes variations
dans le temps sans aucune logique ; le délire entraîne
une conviction totale du sujet.
L’angoisse est toujours présente, habituellement intense
avec agitation anxieuse et fréquemment associée à un
syndrome de dépersonnalisation (trouble de la conscience
de sa propre identité allant d’un sentiment d’étrangeté à
la conviction d’un changement d’identité ou de transformations
corporelles) et (ou) de déréalisation (impression
de changement dans le monde extérieur, de perte de
familiarité avec l’ambiance).
La participation thymique est constante, rapidement
fluctuante au cours de la journée (oscillation de l’exaltation
euphorique à la prostration) ; le délire engage toute
l’affectivité du sujet.
Le comportement verbal est variable (mutisme, réticence,
logorrhée…), la perturbation de l’état psychomoteur est
de règle (stupeur, excitation motrice, agressivité…).
Le niveau de conscience peut être altéré mais sans véritable
confusion mentale (il n’y a pas de vraie désorientation temporo-spatiale, la vigilance et la mémoire de fixation
sont préservées), l’attention est focalisée sur l’expérience
délirante engendrant une grande distractivité.
Des symptômes somatiques sont présents telle l’insomnie
qui est pratiquement constante.
En cas d’agitation
durable, on observe une déshydratation avec oligurie et
hypotension, rarement une hyperthermie.
• Évolution : d’après Magnan, la bouffée délirante est
« sans conséquences sinon sans lendemain ».
À court
terme, l’évolution spontanée se fait typiquement en
quelques semaines vers la résolution complète avec
critique de l’épisode ; elle est généralement hâtée par la
prise en charge et le traitement neuroleptique d’autant
plus qu’ils sont précoces.
À distance de l’épisode, peut survenir une dépression
post-psychotique.
On observe rarement des épisodes délirants très brefs
de quelques jours ou prolongés sur plusieurs mois.
À long terme, il existe 3 modalités évolutives.
L’épisode
se résout complètement, sans récidive pour un tiers
des cas.
Les bouffées délirantes sont à répétition dans
un tiers des cas avec soit la survenue d’épisodes
identiques, soit une organisation au sein de troubles
thymiques. L’entrée dans une psychose chronique, généralement
de type schizophrénique, constitue le
dernier tiers.
Pour certains auteurs, dans un tiers des cas, c’est la
rémission complète, les 2 autres tiers étant subdivisés
en 3 tiers : les rechutes à l’identique d’autant plus
fréquentes que le 1er épisode serait tardif, l’évolution
vers la psychose maniaco-dépressive et l’entrée dans la
schizophrénie.
• Facteurs pronostiques : le risque essentiel est celui
d’une évolution schizophrénique au long cours.
On retient comme éléments de bon pronostic : la notion
d’antécédents familiaux de troubles de l’humeur,
l’absence de personnalité pathologique (notamment
schizoïde) avec un bon fonctionnement socioprofessionnel prémorbide, le début brutal de l’épisode, la présence
d’un facteur déclenchant notable, le caractère bref et
bruyant du tableau clinique, le polymorphisme du délire,
l’intensité de la participation thymique et anxieuse, la
bonne réponse au traitement, la critique de l’épisode
délirant à distance.
La survenue d’une bouffée délirante aiguë avant l’âge de
15 ans est un facteur de mauvais pronostic.
2- Formes cliniques
:
• Les bouffées imaginatives sont caractérisées par des
flambées imaginatives, avec souvent une thématique
mystique ou érotique.
• Les formes interprétatives sont plus ou moins centrées
sur un thème (persécution, préjudice ou jalousie)
avec une importante exaltation passionnelle.
• Les bouffées hallucinatoires sont dominées par les
troubles psychosensoriels, les hallucinations acousticoverbales,
le syndrome d’influence.
• Les formes atypiques sont à début insidieux, d’allure
subaiguë, le délire est moins riche, focalisé sur peu de
thèmes voire un seul, les variations thymiques sont peu
marquées.
B - Diagnostic différentiel
:
1- Syndromes confuso-oniriques
:
La présentation clinique est celle d’une confusion mentale
(altération de la vigilance, désorientation temporospatiale,
troubles mnésiques antérogrades, fluctuation nycthémérale
des performances et perplexité anxieuse) avec onirisme
et signes physiques en fonction de l’étiologie.
• Organiques : de nombreuses pathologies organiques
peuvent engendrer un tableau clinique qu’il est important
de distinguer de la bouffée délirante aiguë.
Ce sont les
syndromes infectieux (encéphalite), métaboliques (hypoglycémie),
endocriniens (hyperthyroïdie) et neurologiques
(traumatisme crânien, affection vasculaire ou
tumorale, épilepsie).
• Toxiques iatrogènes : on parle de « pharmacopsychoses
».
On retient en particulier, parmi les toxiques,
les amphétamines et la cocaïne qui donnent des formes confuso-délirantes interprétatives ; les intoxications par
le LSD, la phencyclidine, le cannabis, la mescaline et les
anticholinergiques (antiparkinsoniens de synthèse en
particulier) qui provoquent des syndromes confusooniriques
dominés par les phénomènes hallucinatoires ;
l’alcool dont le sevrage mal conduit peut aboutir au
delirium tremens.
• Post-émotionnels : le syndrome confusionnel postémotionnel
est plus fréquent chez le sujet âgé à l’occasion
de la survenue d’un traumatisme psychique.
2- État crépusculaire hystérique
(inclus dans la stupeur dissociative par le DSM IV
[Diagnostic and statistical manual 4th edition])
:
Il s’agit de troubles de la vigilance avec altération de la
vie de relation, survenant de façon réactionnelle en lien
avec un facteur de stress intolérable ou un événement
traumatisant, sans argument pour une organicité, d’installation
et de résolution brusques.
3- Psychose du post-partum
:
Cet état délirant aigu apparaît entre le 5e et le 25e jour
après l’accouchement, associant des éléments confusionnels
et thymiques, une symptomatologie variable,
polymorphe, un délire centré sur l’enfant (négation de
l’accouchement, idée de substitution de l’enfant, crainte
ambivalente de sa mort).
L’angoisse est majeure.
L’évolution est habituellement favorable avec la prise en
charge mais des rechutes à court terme peuvent s’observer.
4- Troubles de l’humeur
:
Dans la mélancolie délirante, il existe une stabilité de
l’humeur dépressive avec ralentissement psychomoteur,
les thèmes rencontrés sont la ruine, la culpabilité, l’incurabilité.
Dans la manie, l’humeur est euphorique avec sentiment
d’allégresse, hyperexcitation psychomotrice désordonnée,
le délire est congruent à l’humeur.
5- Poussée processuelle d’une psychose chronique
:
L’épisode délirant inaugural d’une psychose chronique
de type schizophrénique constitue le problème pronostique
essentiel des états délirants aigus.
Le tableau est
d’installation plus progressive, moins polymorphe,
d’allure subaiguë, plus durable ; les troubles thymiques
sont moins marqués ; on note une bizarrerie, des
éléments dissociatifs ; par ailleurs un trouble de la
personnalité (schizoïde) peut préexister.
Traitement
:
« S’il est un champ où l’association de ces deux
méthodes (la chimiothérapie et la psychothérapie) a
produit les effets les plus spectaculaires, c’est bien celui
des psychoses aiguës. » (Israel)
C’est une urgence psychiatrique.
Une prise en charge
rapide et adaptée est indispensable afin d’enrayer tout
processus désorganisateur.
A - Hospitalisation
:
L’hospitalisation en milieu spécialisé est toujours nécessaire.
Elle procure un encadrement rassurant pour le
patient et pour son entourage.
Elle permet de réaliser un
bilan et de mettre en route le traitement, qui doit être
régulièrement réadapté et qui nécessite habituellement
de fortes doses de neuroleptiques impliquant une
surveillance rapprochée.
Une mesure de placement
(hospitalisation à la demande d’un tiers ou exceptionnellement
hospitalisation d’office en cas de dangerosité
ou de perturbation de l’ordre public demandée par
l’autorité administrative) peut être nécessaire.
Pour
l’adolescent mineur, l’accord de la famille ou des
représentants légaux est indispensable, si l’on ne peut
pas l’obtenir, on procède à un signalement auprès du
juge des enfants qui prend les dispositions nécessaires.
En cas de dépenses inconsidérées, une sauvegarde de
justice peut être demandée.
Le bilan clinique est indispensable. Il permet tout
d’abord de calmer l’angoisse et d’établir une relation.
Complété par des examens paracliniques (ionogramme
sanguin avec glycémie, alcoolémie, électroencéphalogramme,
scanner cérébral et examens complémentaires
en fonction de la clinique), il élimine une affection organique
et évalue le retentissement somatique du trouble,
notamment sur le plan hydroélectrolytique.
Il est important
d’interroger la famille quant aux antécédents, à une
éventuelle prise de toxique, aux voyages récents, à
l’existence de facteurs déclenchants éventuels.
B - Traitement médicamenteux
:
Le traitement médicamenteux fait appel aux neuroleptiques
dont le choix est fonction des habitudes du
thérapeute et des modalités d’administration en préférant
la voie orale, si possible ou dès que possible, par rapport à la voie intramusculaire.
On peut proposer un
neuroleptique antiproductif type halopéridol (Haldol,
15 à 30 mg/j).
En présence d’une grande agitation, on
peut lui adjoindre de façon transitoire un neuroleptique
sédatif anxiolytique type lévomépromazine (Nozinan,
100 à 300 mg/j) ou une benzodiazépine.
On peut aussi
préférer utiliser des neuroleptiques d’apparition plus
récente.
Aucun correcteur des effets extrapyramidaux,
de la sécheresse de la bouche ou de l’hypotension orthostatique
n’est prescrit d’emblée mais seulement en cas
de besoin et cette prescription est réévaluée notamment
en cas de diminution du traitement neuroleptique ou de
changement de forme galénique.
En cas d’inefficacité du traitement médicamenteux, on
peut tout d’abord en adapter la posologie puis envisager
un changement de neuroleptique pour un produit d’une
autre classe chimique.
Un traitement thymorégulateur
peut parfois se discuter quand la symptomatologie
thymique est au premier plan.
Enfin, on peut discuter le
recours à la sismothérapie.
C - Aspects institutionnels
et psychothérapiques :
Les entretiens réguliers visent à rassurer le sujet,
à instituer un climat de confiance, à le recadrer par
rapport à la réalité et à évoquer le sens de l’épisode
actuel par rapport à son histoire.
Il s’agit davantage
d’un soutien que d’une véritable psychothérapie
structurée.
L’espace du patient peut être initialement limité, en
particulier du fait des risques de fugue et de troubles
du comportement.
La surveillance pluriquotidienne
clinique, psychiatrique et somatique, ainsi que paraclinique
évalue l’efficacité du traitement prescrit,
l’évolution du trouble, la survenue d’effets indésirables
ou de contre-indications au traitement.
La surveillance
de la température du fait du traitement médicamenteux
neuroleptique est nécessaire (syndrome malin des
neuroleptiques).