L’identification génétique, appelée improprement
« empreintes génétiques » par analogie aux empreintes
digitales, cherche à différencier les individus par la mise
en évidence de polymorphismes situés sur la molécule
d’ADN (acide désoxyribonucléique).
Il s’agit du progrès
majeur réalisé en médecine légale durant cette dernière
décennie.
Les régions polymorphes peuvent être
situées soit sur l’ADN non codant (séquences répétitives
appelées micro- ou minisatellites en fonction de leur
longueur) soit sur l’ADN codant (formes multi-alléliques
d’un gène).
Ces analyses effectuées sur l’ADN
nucléaire et mitochondrial sont réalisées à partir de toutes les cellules de l’organisme et constituent un
apport indispensable en criminalistique.
Le pouvoir de discrimination de ces analyses permet
d’identifier de façon quasi certaine des traces biologiques.
Elles ne donnent aucune indication quant au
phénotype du sujet, à son âge ou à son appartenance
raciale.
Pour étudier le polymorphisme de l’ADN, 2 techniques
sont utilisées : la première consiste à comparer la taille
de fragments de restriction et la deuxième fait appel à
l’amplification génique ou PCR (polymerase chain
réaction).
Actuellement, cette dernière technique est la
plus employée.
Méthodes :
La mise en évidence de ce polymorphisme génétique
nécessite l’extraction de l’ADN à partir du noyau ou des
mitochondries des cellules présentes dans les échantillons
à analyser.
Après une lyse cellulaire, l’ADN est
détaché des nucléoprotéines à l’aide d’un détergent
anionique (SDS pour sodium dodécyl sulfate, Sarkosyl)
et une digestion protéolytique des protéines dénaturées
est effectuée.
La purification de la molécule est réalisée
soit par une extraction organique (phénol) puis précipitation
de l’ADN à l’alcool, soit par une extraction non
organique au moyen de résines qui adsorbent l’ADN
puis récupération de la molécule.
A - Analyse des fragments de restriction :
1- Obtention des fragments de restriction :
L’ADN est digéré par des enzymes de restriction qui le
sectionnent à des endroits précis appelés sites de restriction.
Il en résulte une fragmentation de l’ADN qui est
propre à chaque individu.
Les fragments ainsi obtenus
sont séparés par électrophorèse sur gel d’aragose ; il
s’agit d’un procédé qui range les fragments en fonction
de leur taille à l’aide d’un gradient créé par un courant
électrique.
Une fois les fragments séparés les uns des
autres, ils sont transférés à partir du gel sur une membrane
nylon par capillarité (selon le procédé décrit par Southern en 1975).
Ils sont ensuite révélés à l’aide de
sondes moléculaires qui sont des séquences nucléotidiques
complémentaires des régions à analyser marquées
soit radioactivement (phosphore 32) soit enzymatiquement (phosphatase alcaline).
La fixation des
sondes, appelée hybridation, sur les fragments complémentaires
est mise en évidence par autoradiographie.
Actuellement, des méthodes de marquage non radioactives
sont basées sur la transformation d’un substrat
incolore en produit coloré à l’aide d’une réaction enzymatique
déclenchée par la liaison entre un fragment et la
sonde complémentaire liée dans ce cas à une enzyme.
2- Analyse de l’image autoradiographique :
• L’image ou le profil autoradiographique dépend du
choix des sondes.
Les sondes actuellement employées
en criminalistique sont des sondes uniloculaires comme
par exemple YNH24 (D2S44) et MS43A (D12S11).
Ces
sondes reconnaissent une région déterminée de l’ADN
située sur un chromosome précis.
Dans ce cas, l’image autoradiographique se caractérise par la présence d’une
ou de deux bandes selon que l’individu est homozygote
ou hétérozygote pour la région de l’ADN explorée.
• Il s’agit toujours d’une analyse comparative entre les
profils génétiques obtenus à partir d’un échantillon
médicolégal et ceux établis à partir d’un prélèvement
sanguin de référence.
B - Analyse par amplification génique :
1- Principes de l’amplification génique :
Pour multiplier une séquence d’ADN, l’amplification
génique utilise l’ADN polymérase qui est impliquée
dans les phénomènes de réplication naturelle de l’ADN
au cours de la division cellulaire.
Comme pour la réplication
naturelle de l’ADN, cette technique présente plusieurs
étapes et nécessite au préalable la séparation des
2 chaînes complémentaires de l’ADN double brin appelée
dénaturation, puis la synthèse de la chaîne d’ADN
complémentaire de chacun des 2 brins dénaturés selon
la règle de l’appariement des bases.
Les 2 chaînes synthétisées
sont des copies conformes des brins initiaux de
l’ADN.
Ce processus de dénaturation et de synthèse de
l’ADN est répété lors de 25 à 35 cycles et les molécules
nouvellement synthétisées au cours de chaque cycle
peuvent servir de matrice à l’ADN polymérase au cours
du cycle suivant.
La région à amplifier est repérée sur la
molécule d’ADN par de courtes séquences polynucléotidiques
appelées amorces, à partir desquelles sont synthétisées
les premières chaînes d’ADN complémentaire
à la région initiale.
Les régions à amplifier sont sélectionnées
en raison de leur degré de polymorphisme et
peuvent concerner soit des séquences répétitives non
codantes (D1S80, D17S13, D21S11) soit codant une
protéine donnée (par exemple : HLA.DQ-alpha, apolipoprotéine
B).
2- Technique de l’analyse
:
Cette méthode est rapide et sensible.
Les régions amplifiées
sont visualisées par électrophorèse sur gel et exposition
aux rayons ultraviolets après coloration au bromure
d’éthidium, soit par dot-blot, technique dans laquelle ce sont les sondes nucléotidiques, et non l’ADN amplifié,
qui sont fixées à la membrane nylon.
La révélation
des allèles peut être colorimétrique.
Ainsi lors d’utilisation
d’amorces biotinylées à leur extrémité 5’, et une
fois l’hybridation entre la sonde et l’allèle amplifié réalisée,
la streptavidine conjuguée à la peroxydase provoque
au contact de la biotine la transformation d’un
substrat incolore en un substrat bleu.
Une tache bleue
apparaît lorsqu’il y a hybridation entre une sonde et un
allèle amplifié correspondant.
L’analyse des séquences
amplifiées peut également être réalisée par lecture directe
des nucléotides par les techniques de séquençage.
L’amplification génétique permet d’analyser de courtes
séquences répétées situées par exemple au niveau des
gènes, de l’apolipoprotéine B, du collagène type II (Col
2A1), de la région DQ du système HLA (human leucocyte
antigen) et des microsatellites situés au niveau du
gène de la tyrosine hydroxylase humaine, du gène du
facteur von Willebrand, du proto-oncogène humain CFES/
FPS, du gène de la sous-unité 1 du facteur de coagulation
XIII A.
Ces microsatellites ainsi que d’autres sont actuellement
amplifiables de façon simultanée grâce à des kits commerciaux
qui regroupent les amorces permettant d’amplifier
ces différentes régions et l’amplification peut être
réalisée simultanément lors d’une même réaction d’amplification
et être détectée par lecture sur automate à
laser en marquant l’amplificat de chaque microsatellite
par un fluorochrome différent.
3- ADN mitochondrial :
Les régions polymorphes de l’ADN mitochondrial présentent
des variations dans la composition en nucléotides.
Il ne s’agit plus de variations de longueur mais de
mutations ponctuelles au niveau de la région de contrôle
de la mitochondrie (D-Loop) qui sont recherchées.
Le
polymorphisme est moins marqué que pour l’ADN
nucléaire rendant l’analyse moins discriminante que
celle portant sur l’ADN nucléaire.
L’analyse est réalisée
sur séquenceur automatique permettant la détermination
d’environ 600 à 700 nucléotides.
La séquence déterminée
est comparée à une séquence de référence publiée
par Anderson en 1981.
Les points de mutation sont identifiés
et comparés entre l’échantillon biologique analysé
et le suspect.
Ces comparaisons permettent soit d’affirmer
une exclusion si plus de 3 différences sont observées
entre les 2 séquences d’ADN, soit de prononcer
une identité entre 2 séquences et d’incriminer le suspect.
Indications
:
Les analyses biologiques d’identification génique peuvent
être réalisées à partir de toute cellule nucléée de
l’organisme humain.
Elles peuvent ainsi être pratiquées
sur divers tissus de l’organisme comme le foie, la rate, et
à partir des cellules de bulbes pileux, de poils et de cheveux
et des cellules buccales présentes dans la salive.
Pour établir les profils de comparaison, c’est-à-dire les
empreintes de la victime et du ou des suspects, l’ADN est extrait le plus souvent de leucocytes contenus dans
un échantillon de sang, ou des cellules buccales prélevées
par écouvillonnage.
Une fois extrait, l’ADN peut
être conservé à - 20 °C (ou - 80 °C) pendant de longues
périodes avant d’être analysé.
Ce délai permet aux
enquêteurs de retrouver le (ou les) suspect(s) et aux
laboratoires de ne pratiquer l’analyse qu’une fois en
possession des échantillons sanguins de comparaison
relevés sur la victime et le (ou les) agresseur(s).
A - Applications en médecine légale
:
Les applications en médecine légale des empreintes
génétiques concernent d’une part l’identification d’auteurs
de crimes de sang ou d’agressions sexuelles à partir
de traces biologiques laissées sur le lieu des faits ou
sur les victimes et d’autre part, les recherches de filiation
et les identifications de corps.
1- Agression sexuelle :
La technique, dans le cas de viol, permet d’identifier
avec une quasi-certitude l’agresseur à partir des spermatozoïdes
recueillis sur les frottis vaginaux effectués sur
la victime.
Les spermatozoïdes contiennent l’ADN de
l’agresseur qui est analysé et comparé à l’empreinte
génétique du suspect établie à partir d’un prélèvement
sanguin sur ce dernier.
L’empreinte de la victime est
également réalisée pour lui attribuer le profil génétique
établi à parti des cellules vaginales prélevées par le frottis
vaginal.
2- Crime de sang :
La même démarche est utilisée en présence d’une tache
de sang où l’empreinte génétique est réalisée à partir des
globules blancs présents sur la tache puis comparée à
celle de la victime et à celle du suspect établie à partir
d’un prélèvement sanguin.
3- Accident :
Cette méthode peut être employée pour prouver l’implication
d’un véhicule dans un accident de la voie
publique avec délit de fuite si du matériel humain est
découvert sur la carrosserie de ce véhicule.
Dans ce cas,
l’empreinte génétique établie à partir des cellules retrouvées
sur la voiture est comparée à celle de la victime.
Si
les empreintes correspondent, il est alors établi que le
véhicule portant les traces biologiques a bien percuté la
victime.
4- Filiation :
Les recherches de filiation sont également réalisées par
cette technique. Comme l’hérédité des régions d’ADN
obéit aux lois mendéliennes, et connaissant la fréquence
des allèles (bandes visibles sur les autoradiographies)
supposés indépendants au sein d’une population déterminée et regroupés dans une base de données, il est possible
d’établir la preuve d’une filiation avec une très haute probabilité.
Ainsi, une paternité ou une maternité (dans les
affaires de substitution d’enfant) peuvent être établies.
5- Identification de cadavre :
Un problème fréquent en médecine légale est celui de
l’identification d’un cadavre inconnu.
La solution peut
être apportée par un contrôle de filiation dès lors que les
ascendants ou les descendants sont présumés.
Le tissu
osseux ou dentaire pourra être utilisé dans ces cas,
même lors de carbonisation partielle.
B - Stratégie d’analyse :
L’interprétation des résultats consiste à comparer les
profils génétiques obtenus après amplification des
régions variables, notamment STR (short tandem
repeats) entre les traces biologiques (taches de sang, de
sperme, poils, etc.) et un prélèvement dit de comparaison
(prélèvement de sang ou de salive) du suspect et de
la victime.
Si les allèles du suspect pour les différents
marqueurs génétiques étudiés sont de tailles différentes
de ceux caractérisant l’ADN de la trace biologique, il
n’y a pas d’identité entre les 2 ADN et le sujet n’est pas
à l’origine de cette trace, il y a donc exclusion formelle.
Si les 2 allèles du suspect correspondent en taille à ceux
de la trace, il y a inclusion, c’est-à-dire que les 2 molécules
d’ADN proviennent du même individu.
Dans la mesure où l’analyse ne porte que sur une partie
de la molécule d’ADN, un autre individu pourrait posséder,
du fait du hasard, les mêmes caractéristiques génétiques,
c’est-à-dire les mêmes allèles sur la partie restante
non explorée de l’ADN.
De ce fait, pour réaliser l’interprétation,
il faut disposer de la distribution de la fréquence
de chacun des allèles du ou des marqueurs génétiques
étudiés dans la population générale.
Le résultat de
l’inclusion ou de l’identification comporte l’indication
de la fréquence du génotype (constitué de un ou deux
allèles selon que le sujet est homo- ou hétérozygote)
dans la population générale.
L’analyse d’une seule
région variable de l’ADN est donc insuffisante pour permettre
une identification et plusieurs systèmes doivent
être analysés pour obtenir une fréquence suffisamment
faible.
Ainsi, l’étude de 8 marqueurs permet d’obtenir
une fréquence d’un génotype de un sur plusieurs milliards.
En matière de paternité, la comparaison porte sur le profil
génétique de la mère, de l’enfant et du père putatif.
Au sein du profil de l’enfant, l’allèle maternel est identifié
et l’existence de l’allèle du père présumé sera recherché
dans le profil de l’enfant.
S’il y a un allèle commun
entre le père et l’enfant, le père présumé peut être identifié
comme le père biologique en indiquant la fréquence
de cet allèle dans la population générale ; au contraire, si
aucun allèle du père n’est retrouvé dans le profil de l’enfant,
il y a exclusion et il ne s’agira pas du père biologique
de l’enfant.
Aspects juridiques et éthiques
:
Depuis la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, ces analyses
d’identification génétique peuvent être réalisées :
– soit à des fins médicales ou scientifiques après avoir
obtenu préalablement le consentement de la personne
dans les conditions de l’article L.
145-15 du Code de la
Santé publique ;
– soit dans le cadre d’une procédure d’enquête ou d’instruction
diligentée lors d’une procédure judiciaire (Code
pénal art. 226-25 à 32).
Les personnes qui pratiquent ces analyses doivent être
titulaires de l’agrément prévu à l’article L.
145-16 du
Code de la Santé publique, et dans le cadre d’une procédure
judiciaire, elles doivent de plus être inscrites sur
une liste d’experts judiciaires (art. 16-22 du Code civil)
et satisfaire aux contrôles de qualité organisés par
l’Agence du médicament.
En matière civile, l’identification génétique ne peut être
réalisée qu’en exécution d’une mesure d’instruction
ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à
l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation,
soit à l’obtention ou la suppression des subsides (art. 16-
10 à 12 du Code civil).
Le consentement de l’intéressé
doit être préalablement et expressément recueilli.
Rappelons que le recueil d’un échantillon biologique ne
peut se faire qu’avec l’accord de la personne et notamment
sur un suspect détenu même si le prélèvement est
effectué à la demande d’un magistrat.
La mise en place d’un fichier national des empreintes
génétiques nécessite la réalisation des profils génétiques
associant plusieurs microsatellites établis sur des
auteurs condamnés pour infractions sexuelles.
Il a été créé un fichier national automatisé d’empreintes
génétiques par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, relatif à
la prévention et la répression des infractions sexuelles
ainsi qu’à la protection des mineurs.
Ce fichier est réglementé
par l’article 706-54 du nouveau Code de procédure
pénale.
D’après ce texte, ce fichier national automatisé
est destiné à centraliser les traces génétiques ainsi que
les empreintes génétiques des personnes condamnées
pour l’une des infractions suivantes : « meurtre ou assassinat
d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de
tortures ou d’actes de barbarie » (article 706-47) ou
l’une des infractions visées aux articles 222-23 à 222-32
et 227-22 à 227-27 du Code pénal en vue de faciliter
l’identification et la recherche des auteurs d’infractions
sexuelles. Ce fichier est placé sous le contrôle d’un
magistrat.