Dysrégulation immunitaire dans l’insuffisance rénale chronique Cours de Néphrologie
Introduction
:
On sait de longue date que l’urémie chronique s’accompagne d’un
déficit immunitaire puisque, dès 1957, Damin et al avaient
observé la tolérance anormalement prolongée des greffes de peau
chez des patients ayant une insuffisance rénale parvenue à son stade
terminal.
Au cours des deux dernières décennies, les progrès
accomplis dans la connaissance des cellules et des médiateurs de
l’immunité ont permis de montrer que l’insuffisance rénale entraîne
en fait une dysrégulation immunitaire complexe faisant coexister
une immunodéficience et une immunoactivation.
Cette dualité qui affecte toutes les cellules de l’immunité, tant
spécifique (lymphocytes T et B) que non spécifique (monocytes et
polynucléaires neutrophiles), a également son expression clinique.
En effet, l’immunodéficience explique en grande partie la
susceptibilité accrue des patients hémodialysés aux infections
- qui
constituent la deuxième cause, en fréquence, des décès en
hémodialyse
-, leur anergie dans les réactions d’hypersensibilité
retardée, leurs faibles réponses aux vaccins contre les virus de la
grippe et surtout de l’hépatite B (VHB), et enfin la fréquence
anormale des affections auto-immunes et des tumeurs.
L’immunoactivation est, pour sa part, largement impliquée dans les
complications de l’hémodialyse à dominante inflammatoire telles
que l’arthropathie amyloïde à b2-microglobuline (bêta2m) et l’athérome
accéléré qui, du fait des accidents cardiovasculaires qu’il entraîne,
grève lourdement la mortalité de ces patients.
Toutefois, des études comparant des cohortes de patients urémiques
non dialysés à divers stades d’insuffisance rénale et de patients
dialysés ont révélé que cette dysrégulation immunitaire est présente
dès le début de l’insuffisance rénale, s’accentue régulièrement avec
sa progression et culmine dans l’hémodialyse, qui ajoute sa propre
composante pro-inflammatoire résultant du passage du sang dans
les circuits extracorporels de dialyse.
En effet, la bioincompatibilité
de la membrane et l’impureté du dialysat
déclenchent une activation cellulaire touchant notamment les
polynucléaires neutrophiles
- source de puissants oxydants et de
protéases
- et les monocytes producteurs de cytokines proinflammatoires.
Les effets délétères des oxydants (regroupés sous le
terme de stress oxydant) sont favorisés par le déficit en antioxydants
inhérent à l’urémie et aggravé par l’hémodialyse.
Ce stress oxydant
amplifie encore la dysrégulation immunitaire via la formation de
produits dérivés de l’oxydation des protéines ou advanced oxidation
protein products (AOPP) qui s’accumulent au cours de la
progression de l’insuffisance rénale et se comportent comme de
puissants médiateurs de l’inflammation et en particulier de
l’activation monocytaire.
De même, le déséquilibre entre les
cytokines monocytaires et leurs inhibiteurs inhérent à l’urémie et
majoré par l’hémodialyse favorise les effets pro-inflammatoires
de ces cytokines qui constituent le lien entre la malnutrition,
l’inflammation et l’athérosclérose.
La malnutrition et la surcharge en fer sont autant de facteurs
qui, alliés aux toxines urémiques, contribuent à aggraver la dysrégulation immunitaire des patients hémodialysés.
Le présent chapitre présente les acteurs et les médiateurs cellulaires
de la dysrégulation immunitaire associée à l’insuffisance rénale chronique, puis les complications qui en relèvent, en mettant l’accent
pour chacune de ces parties sur cette dualité entre
immunodéficience et immunoactivation qui la caractérise et sur les
mesures qui pourraient permettre de réduire la morbidité et la
mortalité qui lui sont liées.
Acteurs et médiateurs cellulaires
de la dysrégulation immunitaire
:
A - LYMPHOCYTES T
:
L’origine de l’immunodéficience associée à l’insuffisance rénale
chronique a longtemps été imputée au lymphocyte T bien que, à
l’instar d’autres types de déficit immunitaire et notamment du
syndrome d’immunodéficience acquise (sida), aucun déséquilibre
dans le rapport entre les lymphocytes T amplificateurs ou helper
(CD4+) et les lymphocytes T cytotoxiques/suppresseurs (CD8+) n’est
observé chez les patients urémiques.
1- Déficit des lymphocytes T
:
Il est objectivé par la diminution de leur capacité de prolifération en
réponse à la plupart des mitogènes, aux alloantigènes et à l’anti-
CD3.
Plus récemment, une diminution de la capacité de
régulation (down regulation) du récepteur des cellules T en présence
de plasma urémique a été observée.
Parmi les autres cellules pouvant contribuer à ce déficit des cellules
T, les monocytes sont de bons candidats et des anomalies de leur
capacité de présentation de l’antigène et de costimulation via B7/CD28 ont été
décrites.
Enfin la plupart
des études ont montré que le déficit des lymphocytes T est majoré en
présence de plasma autologue et la démonstration que certaines
toxines urémiques ont pour cibles privilégiées les lymphocytes T a
été apportée.
2- Activation
des lymphocytes T :
Elle a été mise
en évidence chez les patients urémiques par l’augmentation du nombre
de cellules exprimant le récepteur de l’interleukine (IL) (IL2R ou
CD25), l’expression membranaire accrue et l’augmentation du taux
plasmatique de la forme soluble de ce récepteur en relation avec la
biocompatibilité de la membrane.
Notre étude portant sur une large cohorte de
patients urémiques (non dialysés et dialysés) a montré que tant
l’expression membranaire que le taux plasmatique de CD25 soluble
sont élevés dès le début de l’insuffisance rénale et augmentent
régulièrement avec sa progression, suggérant que l’urémie à elle
seule suffit à induire l’activation lymphocytaire T, qui se majore
encore chez les patients hémodialysés.
Très récemment, Meier et
al ont rapporté une augmentation de l’expression des marqueurs
précoces d’activation des cellules T (CD69) associée à l’urémie et
majorée par l’hémodialyse, en relation étroite avec les marqueurs
d’apoptose (annexine V, CD95 [fas] et fragmentation de l’acide
désoxyribonucléique [ADN]), suggérant ainsi le rôle de cette
fonction cellulaire essentielle dans la dysrégulation du système
immunitaire de ces patients.
3- Cytokines lymphocytaires
:
Quel que soit son mécanisme, cette dysrégulation des lymphocytes
T est associée à une diminution franche de leur capacité à produire
de l’IL2 et de l’interféron (INF) c sous leur forme protéique, allant
de pair avec l’absence d’induction du gène de l’IL2 et la diminution
franche de l’expression de l’acide ribonucléique (ARN) messager de
l’INF c.
L’hypothèse d’une consommation accrue de l’IL2 par son
récepteur a été proposée dès 1986 par Chatenoud et al.
L’existence d’une dichotomie au sein de la population des
lymphocytes Th (T helper) décrite dans les années 1980 sur la base
de leur production de cytokines incite à revoir leur rôle dans
la dysrégulation immunitaire des patients insuffisants rénaux
chroniques.
Rappelons brièvement ici que selon ce concept, les lymphocytes Th1 producteurs d’IL2
et d’INF c sont impliqués dans l’immunité à médiation cellulaire (auto-immunité, rejet des greffes et hypersensibilité retardée) tandis
que les lymphocytes Th2, producteurs d’IL4, d’IL5 et d’IL10
participent à l’immunité humorale (auto-immunité non spécifique
d’organes, allergie, défense antiparasitaire et résistance antivirale).
L’équilibre Th1/Th2 est sous la dépendance de l’INF c qui, produit
par les Th1, inhibe la prolifération des cellules Th2 et de l’IL10 qui,
produite par les Th2, inhibe la fonction des Th1. Enfin, l’IL12
produite par les monocytes activés favorise l’expansion des Th1.
Or, les études de l’équilibre Th1/Th2 menées jusqu’à ce jour chez
les patients urémiques ont abouti à des résultats en apparence
discordants.
En effet, certains auteurs ont conclu à une polarisation
des cellules T vers le type Th2, observation à rapprocher de la
production basale accrue d’IL10 rapportée par Brunet et al.
À
l’inverse, d’autres auteurs ont conclu à une prédominance des
lymphocytes Th1, liée à un excès d’IL12 en provenance des
monocytes activés, à rapprocher de la relation entre non-réponse au
vaccin contre le VHB et la diminution de la capacité à produire de
l’IL10 définie par génotypage.
B - LYMPHOCYTES B
:
1- Déficit des lymphocytes B
:
Il pourrait expliquer la diminution des réponses anticorps et
notamment des réponses vaccinales chez les patients insuffisants
rénaux chroniques.
En effet, les réponses à des vaccins contre
des antigènes non dépendants des cellules T, tel le vaccin
antitétanique, sont plus faibles et le taux des anticorps décline
plus rapidement chez ces patients que chez les sujets normaux.
Le
déficit de réponse est cependant plus marqué envers des antigènes T-dépendants, notamment le pneumocoque, le virus de la grippe et
surtout le VHB suggérant une anomalie de coopération T/B
plutôt qu’un déficit intrinsèque des cellules B.
De même, la plupart
des études in vitro montrant un déficit de réponse des lymphocytes
B à des mitogènes ont utilisé des mitogènes T-dépendants.
Enfin, la
variabilité interindividuelle des réponses anticorps des hémodialysés
contre le VHB ne semble pas relever d’un déficit des lymphocytes B
dans la mesure où elle est apparue soumise à un déterminisme
génétique mettant en jeu l’expression de gènes du complexe majeur
d’histocompatibilité (human leukocyte antigen [HLA] A1-B8, DR3 et
DR2) qui eux-mêmes jouent un rôle clé dans la présentation des
antigènes peptidiques aux cellules T.
2- Activation des lymphocytes B
:
Elle n’est pas reflétée par les taux circulants des immunoglobulines
(Ig) (IgG ou IgM) qui sont habituellement dans les limites de la
normale chez les patients insuffisants rénaux chroniques.
En
revanche, elle a pu être objectivée par la présence de taux
plasmatiques élevés de la forme soluble du récepteur de faible
affinité pour les IgE (FceIIR ou CD23) chez ces patients.
À l’instar de
CD25 soluble, CD23 soluble est présent à un taux élevé dès le stade
précoce de l’insuffisance rénale, augmente avec sa progression et
atteint un niveau encore plus élevé chez les patients hémodialysés
pour culminer en fin de séance.
Cette
observation jointe aux résultats montrant que CD23 amplifie
l’activation des lymphocytes T suggère la participation de cette
molécule multifonctionnelle au processus encore inexpliqué
d’activation des lymphocytes T chez les patients urémiques.
C - MONOCYTES
:
1- Déficit monocytaire
:
Un déficit monocytaire pourrait jouer un rôle dans le déficit
lymphocytaire T.
Des arguments indirects en faveur de cette
hypothèse ont été rapportés dans la littérature.
Ainsi, Ruiz et al
ont montré que l’internalisation de particules opsonisées par les
monocytes, via leur récepteur pour le fragment Fc des IgG, est très
diminuée chez les patients hémodialysés, suggérant que leur
capacité à présenter l’antigène est également altérée.
La
démonstration plus récente d’un déficit de l’expression de B7-2
(CD89) impliqué dans la costimulation des cellules T lors de la
présentation de l’antigène, jointe aux observations de la correction
du déficit de réponse des cellules T observé in vitro par l’addition
de monocytes de sujets normaux, apporte des arguments plus
directs en faveur de cette fonction essentielle des monocytes dans la
réponse immunitaire.
2- Activation monocytaire
:
L’activation monocytaire chez les patients urémiques est beaucoup
mieux fondée.
Elle repose sur le taux plasmatique élevé de néoptérine (marqueur d’activation monocytaire), la forte proportion
de monocytes exprimant CD14 et CD16 (FccRIII), les concentrations
plasmatiques élevées de la forme soluble de CD14 et, surtout, sur le
critère fonctionnel d’une production constitutive accrue des
cytokines monocytaires (IL1, IL6 et TNF alpha).
3- Cytokines monocytaires
:
Dès 1983,
Henderson et al ont proposé l’hypothèse incriminant l’IL1 à
l’origine de la plupart des manifestations inflammatoires aiguës et
chroniques associées à l’hémodialyse, qui reflètent les effets
systémiques et les organes cibles privilégiés de l’IL1.
Selon cette
hypothèse, le contact entre le sang et la membrane de dialyse, en
entraînant l’activation du complément qui aboutit à la génération de
facteurs biologiquement actifs (C5a et C3a) et la diffusion
d’éléments du dialysat (tampon acétate et endotoxines) induirait
l’activation des monocytes et de leur synthèse d’IL1.
Depuis lors, de nombreux groupes ont rapporté que les patients
hémodialysés présentent des taux plasmatiques élevés non
seulement d’IL1 b, mais également de TNF alpha et d’IL6, dont les
sources cellulaires et les organes cibles sont communs avec ceux de
l’IL1.
De fortes concentrations intramonocytaires d’IL1 ont
également été rapportées chez ces patients et des études ultérieures
ont apporté la preuve que le passage du sang dans les circuits de
dialyse induit l’expression des gènes codant ces cytokines dans les
monocytes circulants.
Les patients urémiques non dialysés ont également des taux
plasmatiques élevés de TNF alpha et d’IL6 mais non d’IL1 b.
Toutefois,
la concentration d’IL1 intramonocytaire, en l’absence de toute
stimulation exogène, est augmentée, suggérant une synthèse
constitutive d’IL1 chez ces patients.
Enfin, le rôle déterminant de
l’hémodialyse itérative dans l’amplification du passage de l’IL1 de
sa forme intracellulaire à sa forme sécrétée, suggère fortement que
cette cytokine pourrait être responsable des manifestations qui sont
observées exclusivement chez les patients hémodialysés à long
terme.
Cependant, si certains symptômes qui surviennent pendant ou au
décours immédiat des séances de dialyse tels que la fièvre,
l’hypotension, l’exacerbation des arthralgies, la somnolence et
l’anorexie, peuvent bien être attribués à la présence de taux
plasmatiques élevés des cytokines pro-inflammatoires, force est de
constater que, dans l’ensemble, ces manifestations cliniques restent
modérées comparativement à celles qui sont observées lors de
réactions systémiques aiguës, telles que le choc septique.
Ceci
pourrait s’expliquer par le fait que les concentrations plasmatiques
de ces cytokines, au cours des infections aiguës systémiques, sont
en règle générale nettement supérieures à celles mises en évidence
chez les patients hémodialysés.
Il est également probable que, chez
ces derniers, la présence continue de ces cytokines entraîne une
diminution de la réactivité de leurs cellules cibles.
Les effets potentiellement délétères des cytokines pro-inflammatoires
sont en partie contrebalancés par leurs inhibiteurs naturels
spécifiques, synthétisés de manière concomitante en réponse à des
stimuli exogènes.
Tel est le cas des formes solubles des récepteurs
du TNF (TNFsR55 et TNFsR75) qui, se liant au TNF, empêchent son
interaction avec ses cellules cibles, ainsi que de l’antagoniste du
récepteur de l’IL1 (IL1 Ra) qui se lie de manière compétitive au
récepteur de l’IL1 sans induire la transduction du signal d’activation.
L’étude de ces
inhibiteurs dans le plasma des patients urémiques a révélé des concentrations élevées de
TNF-sR55 et de TNF-sR75 dès le stade d’insuffisance rénale
débutante, qui augmentent avec la détérioration de la fonction
rénale, sont encore plus élevées chez les patients hémodialysés et se
majorent de façon significative au cours des séances de dialyse.
Le
taux d’IL1Ra, déjà élevé au stade précoce de l’insuffisance rénale,
augmente également avec la progression de l’urémie mais n’est pas
plus élevé chez les patients hémodialysés et diminue même en fin
de séance car l’IL1 Ra diffuse au travers des membranes.
D - POLYNUCLÉAIRES NEUTROPHILES
:
1- Déficit des polynucléaires neutrophiles
:
Le déficit des polynucléaires neutrophiles a été suggéré dès
l’avènement de l’hémodialyse par l’observation de leur quasidisparition
de la circulation dans les toutes premières minutes
suivant le branchement du rein artificiel.
Cette neutropénie a très
tôt été attribuée à la formation de produits activés du complément
(C3a et C5a) au contact des membranes cellulosiques (en particulier
de cuprophane), qui favorisent la séquestration de ces cellules dans
le poumon.
Elle est devenue beaucoup plus rare et modérée depuis
l’avènement des membranes synthétiques biocompatibles.
Le déficit fonctionnel des polynucléaires neutrophiles est objectivé
par une diminution de leurs capacités de phagocytose et de bactéricidie, aussi bien chez les patients dialysés que, à un moindre
degré cependant, chez les non-dialysés.
Il peut s’expliquer en
partie par l’épuisement de la capacité de réponse via des récepteurs
aux opsonines.
Cependant, la malnutrition, l’anémie,
l’hyperparathyroïdie sont autant de facteurs qui, joints aux toxines
urémiques peuvent contribuer au déficit fonctionnel des
polynucléaires neutrophiles.
2- Activation des polynucléaires neutrophiles
:
L’activation des polynucléaires neutrophiles lors du passage du sang
dans les circuits de dialyse est bien établie.
Elle est principalement
objectivée par la génération massive d’oxydants, comprenant
l’anion superoxyde (O2
-) et ses dérivés (H2O2, OH. et 1O2, regroupés
sous le terme générique de formes réactives de l’oxygène), qui
découle de l’activation de la nicotinamide-adénine-dinucléotidephosphate
(NADPH) oxydase et les oxydants chlorés générés par la
myéloperoxydase.
Comme la neutropénie, la production
d’oxydants est étroitement liée à l’activation du complément et
est à ce titre utilisée comme critère fonctionnel cellulaire de la
biocompatibilité des membranes de dialyse.
L’activation des
neutrophiles entraîne également leur dégranulation avec libération
massive de protéases et l’expression accrue de leurs molécules
d’adhésion, favorisant ainsi leur séquestration pulmonaire.
3- Stress oxydant
:
Les conditions de survenue du stress oxydant se trouvent
pleinement réunies chez le patient urémique hémodialysé, ce
d’autant plus que la production sans cesse renouvelée d’oxydants
ne peut être contrecarrée, en raison d’un déficit majeur dans les
systèmes antioxydants (notamment celui du glutathion) présent dès
le stade précoce de l’urémie, s’accentuant avec sa progression et
culminant en hémodialyse.
L’évaluation du stress oxydant chez le patient hémodialysé
a longtemps reposé sur la mesure des dérivés de la peroxydation
lipidique tels que le malondialdéhyde (MDA) et, plus récemment, le
4-hydroxynonénal (4-HNE) et les F2-isoprostanes.
Une autre
approche a porté sur la mesure des lipoprotéines de faible densité
(LDL) oxydées, dont la présence à des concentrations importantes
chez le patient hémodialysé va de pair avec l’athérome accéléré, et
des anticorps anti-LDL oxydées ont également été mis en évidence
chez ces patients.
En revanche, et bien que les protéines plasmatiques constituent des
cibles électives des oxydants, les marqueurs sélectifs de l’attaque
oxydative des protéines ont été, à ce jour, peu utilisés à des fins
diagnostiques ou de recherche clinique.
Nos travaux visant à une
meilleure caractérisation du stress oxydant chez les patients dialysés
ont permis d’individualiser la présence, dans le plasma de ces
patients, de dérivés de l’oxydation des protéines que nous avons
ainsi baptisés AOPP en raison de leur relation étroite avec les
advanced glycation endproducts (AGE).
L’étude du rôle des AOPP
dans la dysrégulation immunitaire associée à l’insuffisance rénale a
montré leur présence dès le stade précoce de l’urémie, et leur
accumulation au cours de sa progression en relation étroite avec les
marqueurs d’activation monocytaire (néoptérine et cytokines proinflammatoires).
Ces résultats ont été corroborés par
l’observation que des AOPP formés in vitro (par traitement de
l’albumine avec des oxydants chlorés) activent le métabolisme
oxydatif et la production de TNF par les monocytes et nous ont
amenés à proposer que les AOPP pourraient constituer une nouvelle
famille de toxines urémiques et/ou de médiateurs de
l’inflammation.
La mise en évidence d’une relation entre les AOPP
et l’activité oxydative des polynucléaires neutrophiles-dépendante
de la myéloperoxydase suggère que les AOPP pourraient, à l’instar
des cytokines, être des médiateurs de la communication entre
polynucléaires et monocytes.
Dans cette hypothèse, les
polynucléaires neutrophiles, qui demeurent la source principale de myéloperoxydase, seraient la source principale des oxydants chlorés
responsables de la formation des AOPP et les monocytes
constitueraient la cible privilégiée des AOPP via un récepteur qui reste à
définir.
D’un point de
vue plus fondamental, les oxydants chlorés, jusque-là considérés
comme des espèces microbicides dont la production est restreinte aux
cellules phagocytaires, se révèlent être des modulateurs de la
réaction inflammatoire, via leur action sur les protéines.
Ce nouveau
concept, selon lequel la base moléculaire de l’activité délétère des
oxydants pourrait impliquer les produits d’oxydation des protéines,
est remarquablement illustré dans l’inflammation associée à
l’urémie.
Manifestations cliniques de l’immunodéficience : infection
L’infection
demeure une cause importante de morbidité et de mortalité chez les
patients urémiques chroniques traités par hémodialyse ou par dialyse
péritonéale de suppléance.
Elle reste au
second rang des causes de décès chez les patients dialysés, après
les causes cardiovasculaires.
Toutefois, la
proportion des décès liés à l’infection a diminué sensiblement
depuis les débuts de la dialyse, où elle atteignait 40 à 45 %, pour
atteindre environ 15 % au cours de la dernière décennie, tant aux
États-Unis, qu’en Europe L’immunodéficience est responsable de
nombreuses complications infectieuses chez l’urémique dialysé.
A - INFECTIONS BACTÉRIENNES À GERMES COMMUNS
:
Les germes à Gram positifs sont les agents pathogènes le plus
fréquemment rencontrés chez les patients urémiques au cours des
infections tant générales que locales.
Ils sont mis en évidence dans
40 à 70 % des épisodes septicémiques.
Le germe le plus souvent
en cause est le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) mais les
staphylocoques blancs (Staphylococcus epidermidis), à coagulase
négative, sont aussi souvent responsables de bactériémie.
D’autres
germes à Gram positifs, tels que le streptocoque ou le pneumocoque,
ont été isolés par hémoculture, mais avec une fréquence beaucoup
moindre.
La porte d’entrée la plus fréquente des bactériémies à
staphylocoques est l’infection de l’accès vasculaire chez les
hémodialysés, ou du cathéter péritonéal chez les patients traités par
dialyse péritonéale. Les septicémies à staphylocoque peuvent
entraîner de multiples localisations secondaires, notamment des
infarctus pulmonaires septiques, des endocardites et des arthrites
septiques.
Les germes à Gram négatif sont moins fréquemment en cause dans
les épisodes bactériémiques.
Ils étaient identifiés dans environ 25 %
des cas de septicémies dans l’étude de Hoen et al.
Parmi ces
germes, le colibacille (Escherichia coli) est le plus souvent rencontré,
mais Pseudomonas et Serratia ont été isolés à l’hémoculture.
Le foyer
d’origine des septicémies à Escherichia coli est le plus souvent
intestinal ou génito-urinaire.
Or, l’infection urinaire est fréquente
chez les dialysés, notamment chez les patients oliguriques ou anuriques, et chez ceux atteints de polykystose rénale ou de
pyélonéphrite chronique.
B - INFECTIONS BACTÉRIÉMIQUES
ET NON BACTÉRIÉMIQUES :
Les septicémies sont responsables de plus de la moitié des décès de
cause infectieuse chez les patients hémodialysés, bien qu’elles soient
moins fréquentes que les infections localisées.
Leur incidence a
diminué sensiblement entre l’époque initiale de la dialyse et le début
des années 1980, pour se stabiliser ensuite à une fréquence de 10-
15 épisodes/100 années-patients en hémodialyse.
Dans l’étude
multicentrique prospective EPIBACDIAL conduite en France en 1996
par Hoen et al, l’incidence d’épisodes bactériémiques était de
11,1/100 années-patients.
L’infection de l’abord vasculaire est la plus fréquente des infections
locales chez les patients hémodialysés.
Elle sert souvent de porte
d’entrée à une bactériémie.
Presque inévitable dans les débuts de la
méthode où l’on utilisait des courts-circuits artérioveineux externes
(shunt de Sribner), la généralisation de l’emploi des fistules
artérioveineuses internes en a considérablement réduit la fréquence,
sans toutefois l’annuler.
En revanche, les prothèses vasculaires en polytétrafluoroéthylène (PTFE), largement utilisées aux États-Unis,
comportent un risque d’infection plus élevé que les fistules
artérioveineuses natives.
Les cathéters veineux centraux,
utilisés de manière prolongée, sont grevés d’une incidence
particulièrement élevée d’infection au point d’émergence cutané
ainsi que de bactériémies.
Dans l’étude EPIBACDIAL, la fréquence
des bactériémies était sept fois plus élevée chez les patients
hémodialysés par l’intermédiaire d’un cathéter central que chez ceux
porteurs d’une fistule artérioveineuse radiocéphalique.
Le facteur favorisant majeur de l’infection de l’abord vasculaire est
le portage cutané et nasal chronique de staphylocoques dorés,
présent chez plus de la moitié des patients.
Cette constatation a
conduit à proposer un traitement préventif par la mupirocine en
applications nasales une fois par semaine.
Les infections bronchopulmonaires sont également fréquentes,
représentant 35 % des infections non bactériémiques dans l’étude de
Kessler et al.
Les infections urinaires sont favorisées par la baisse ou l’arrêt de la
diurèse résultant de la perte progressive de la fonction rénale
résiduelle.
Elles représentaient 23 % des épisodes infectieux non bactériémiques dans l’enquête de Kessler et al, où Escherichia coli
était en cause dans deux tiers des cas.
Le traitement de ces infections
urinaires est rendu difficile par la faible concentration des agents
antibactériens dans les urines et le parenchyme rénal, obligeant à
des traitements prolongés par des agents à forte diffusion tissulaire,
voire à la néphrectomie d’un rein profondément infecté.
Un facteur favorisant général des infections bactériennes est la
surcharge en fer qui était fréquente chez les patients requérant des
transfusions sanguines multiples à l’ère préérythropoïétine.
C’est ainsi qu’un taux élevé de la ferritine plasmatique (> 500 µg/L)
a été identifié comme facteur de risque, sachant que la surcharge en
fer altère l’activité chimiotactique et phagocytaire des polynucléaires
neutrophiles et favorise la croissance et la virulence des germes.
Ce facteur a notablement régressé depuis la généralisation de
l’emploi de l’érythropoïétine recombinante (époétine) qui a
considérablement réduit le recours aux transfusions sanguines et a
permis de réduire la surcharge martiale grâce au recyclage du fer de
réserve.
C - INFECTIONS À GERMES RARES
:
Les infections opportunistes sont rares chez les urémiques dialysés,
car le degré d’immunodéficience secondaire à l’état urémique est
beaucoup moins profond que celui observé chez les patients atteints
d’infection à virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ou chez
les patients soumis à un traitement immunosuppresseur prolongé
tels que les transplantés.
Toutefois, des infections à germes intracellulaires peuvent se
développer chez les insuffisants rénaux chroniques, dialysés ou non,
à la faveur d’un traitement immunosuppresseur motivé par
l’affection sous-jacente (maladies de système, vascularites, etc).
Des pneumopathies à Legionella pneumophila (agent de la maladie
des légionnaires) ou des endocardites à Listeria monocytogenes ont été observées dans ces circonstances.
Des septicémies à Rhizopus (mucormycose) ont été observées chez
des dialysés traités par déféroxamine pour surcharge aluminique.
En effet, le complexe formé entre ce chélateur et le fer agit comme
un sidérophore pour Rhizopus, dont la croissance et la pathogénicité
sont stimulées par le fer.
Des colites sévères à Clostridium difficile ont été rapportées chez des dialysés
traités par antibiothérapie à large spectre, un état de malnutrition
constituant un facteur favorisant.
D - INFECTIONS À MYCOBACTÉRIES
:
La tuberculose est un problème fréquent et important ches les
urémiques dialysés, surtout dans les pays en voie de développement.
L’incidence de la tuberculose chez les sujets dialysés apparaît 5 à
15 fois plus élevée que dans la population générale.
Dans une étude réalisée aux États-Unis, dans l’État du New Jersey,
en 1994 et 1995, sept cas ont été diagnostiqués en 2 ans parmi
4 600 patients dialysés, soit une incidence annuelle de l’ordre de
75/100 000 années-patients, alors que l’incidence de la tuberculose
dans la population générale de cet État était de l’ordre de
11/100 000 années-patients.
Dans une étude de dimension
nationale à Taïwan, en 1997, l’incidence de tuberculose a été de
493/100 000 années-patients chez les dialysés, soit sept fois
supérieure à l’incidence observée dans la population générale,
avec une mortalité 3,3 fois plus élevée, du fait d’un diagnostic tardif.
Hassine et al ont diagnostiqué six cas de tuberculose en 3 ans
chez 60 patients hémodialysés dans un centre de Tunis, soit une
incidence annuelle de 3,3 %, 140 fois plus élevée que l’incidence
nationale de 23/100 000 années-patients.
Dans une étude récente au
Maroc, Bourquia et al ont observé une fréquence de tuberculose
de 7 % chez 1 800 hémodialysés.
La tuberculose chez les insuffisants rénaux chroniques dialysés est
le plus souvent extrapulmonaire, ce qui retarde le diagnostic et le
traitement.
L’atteinte tuberculeuse est péritonéale dans plus du
tiers des cas.
Le diagnostic est d’autant plus difficile que les
réactions cutanées à la tuberculine sont généralement négatives.
Le
développement des techniques moléculaires de détection par polymerase chain reaction (PCR) devrait aider à accélérer
l’identification de Mycobacterium tuberculosis dans les fluides
biologiques (expectoration, liquide pleural ou ascitique).
L’hypothèse d’une tuberculose doit toujours être présente à l’esprit
en cas de fièvre prolongée ou de toux inexpliquée chez un dialysé.
Le pronostic dépend de la précocité de la mise en oeuvre du
traitement car la réponse des patients aux agents antibactériens
spécifiques apparaît normale.
E - INFECTIONS VIRALES
:
L’hépatite B a entraîné une morbidité et une mortalité très lourdes
chez les patients et le personnel soignant des centres d’hémodialyse
jusqu’au début des années 1980, c’est-à-dire jusqu’à la mise à
disposition de vaccins actifs contre le VHB.
Si la vaccination
systématique a pratiquement éradiqué l’hépatite B chez le personnel
soignant des hôpitaux et des unités de dialyse, elle n’a pas
complètement supprimé le risque chez les patients.
En effet, du fait
de leur déficit immunitaire, les insuffisants rénaux chroniques
contaminés par le VHB restent le plus souvent porteurs chroniques
du virus et leur réponse au vaccin, du moins avec les protocoles de
vaccination conventionnels, est souvent retardée ou faible.
La
production d’anticorps à taux protecteur est d’autant plus
défectueuse que les patients sont plus âgés et l’urémie plus avancée.
Il en résulte la nécessité, pour obtenir une immunisation effective,
d’utiliser des protocoles renforcés comportant au moins quatre
injections suivies d’un rappel à 1 an.
Diverses stratégies immunostimulantes ont été proposées pour
surmonter le déficit de production d’anticorps contre le VHB sous
l’effet de la vaccination chez les patients dialysés, telles qu’une
supplémentation en zinc, l’injection sous-cutanée de thymopentine
ou d’INF c, mais aucune de ces stratégies n’a fait la preuve de son
efficacité.
Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’injection
concomitante d’IL2 paraissait plus prometteuse mais un essai
randomisé contre placebo utilisant l’IL2 recombinante n’a pas
confirmé ces espoirs.
Plus récemment, a été rapporté un effet
stimulant de la coadministration de granulocyte-macrophage colony
stimulating factor (GM-CSF) qui demande à être confirmé.
En fait, la meilleure stratégie consiste à entreprendre la vaccination
contre l’hépatite B le plus précocement possible au cours de la
période prédialytique, dès que le taux de la créatininémie atteint
200 µmol/L, tout particulièrement chez les sujets âgés, de manière à
ce que le patient aborde la dialyse avec un taux d’anticorps
protecteur.
Le taux des anticorps doit être surveillé et relancé par
des injections de rappel au cours du traitement par dialyse, tout
particulièrement chez les patients appelés à bénéficier d’une
transplantation.
L’hépatite à virus de l’hépatite C (VHC) demeure, en revanche, un
problème persistant dans les unités de dialyse.
La fréquence de
transmission du VHC par les produits sanguins a, certes, été
considérablement diminuée depuis le début des années 1990, c’est-à-dire depuis que des techniques de détection sensibles ont pu être
appliquées pour assurer l’absence de VHC dans les transfusions
sanguines, et que la généralisation de l’emploi de l’érythropoïétine
recombinante (époétine) a limité les indications de la transfusion
sanguine aux situations d’urgence.
Toutefois, la contamination par
le VHC peut préexister au début de la dialyse, éventualité fréquente
dans les pays d’endémie et la transmission nosocomiale dans les
centres de dialyse est possible.
Actuellement, l’infection à VHC
est la cause la plus fréquente de morbimortalité de cause hépatique
chez les dialysés et les transplantés.
Dans la mesure où il
n’existe pas encore de vaccin contre le VHC, la prévention repose
sur le strict respect des précautions d’hygiène visant à prévenir la
transmission nosocomiale des bactéries et des virus, ainsi que sur
un contrôle périodique des marqueurs du VHC chez les patients
dialysés.
F - SYNTHÈSE ET COMMENTAIRES
:
En conclusion, il est important de souligner que les complications
infectieuses affectent surtout les patients traités par dialyse de
suppléance, tandis qu’elles sont beaucoup plus rares chez les
insuffisants rénaux chroniques non encore dialysés, bien que l’état
d’immunodéficience lié à l’urémie soit déjà présent à ce stade.
Ce
fait s’explique par plusieurs considérations :
– la dialyse ne restaure pas une fonction rénale normale (à la
différence de la transplantation) mais maintient le patient dans un
état d’urémie chronique compensée correspondant à un débit de
filtration glomérulaire (DFG) de 15-20 mL/min, c’est-à-dire à une
insuffisance rénale chronique majeure ;
– le processus dialytique, notamment de l’hémodialyse, accroît
encore la dysfonction des lymphocytes, des monocytes et des
polynucléaires du fait de l’activation du système du complément
par les membranes bio-incompatibles et les endotoxines bactériennes
passant du bain de dialyse au sang du patient ;
– la technologie de la dialyse et son environnement comportent un
grand nombre de situations prédisposant à une infection locale ou bactériémique : portage nasal ou cutané de staphylocoques,
ponctions transcutanées répétées de l’abord vasculaire, brèches
cutanées à l’entrée des cathéters jugulaires ou péritonéaux,
transmission nosocomiale de bactéries ou de virus de patient à patient ou par l’intermédiaire du personnel soignant, réduction de
la diurèse favorisant les infections intrarénales.
Aucun de ces
facteurs n’est présent au stade prédialytique.
Conséquences cliniques
de l’immunoactivation : inflammation
Le second aspect de la dysrégulation immunologique associée à
l’état urémique, à savoir l’immunoactivation, est de connaissance
plus récente mais a des conséquences cliniques tout aussi
importantes que l’immunodépression.
L’activation des lymphocytes,
des monocytes et des polynucléaires est à l’origine d’un état
inflammatoire chronique, qui lui-même est impliqué dans plusieurs
complications cliniques de l’insuffisance rénale chronique, au
premier plan desquelles se situent l’athérome accéléré, l’amylose
dialytique à bêta2m et la malnutrition.
A - AMYLOSE À B2-MICROGLOBULINE
:
L’arthropathie amyloïde à
bêta2m est une complication fréquente et
douloureuse touchant électivement les patients âgés et les patients
dialysés depuis un grand nombre d’années.
Elle est exceptionnelle
chez les insuffisants rénaux chroniques non dialysés.
Elle est
caractérisée par des dépôts amyloïdes de bêta2m autour de la gaine du
nerf médian au poignet (traduite par un syndrome du canal
carpien), dans les genoux, les coudes, les cols fémoraux, les têtes
fémorales et humérales, les os du carpe et les vertèbres cervicales,
formant des pseudokystes remplis de bêta2m.
La pathogénie de
cette complication n’est pas entièrement élucidée, mais elle fait
intervenir une modification oxydative de la bêta2m qui, ainsi modifiée, attire
les monocytes circulants et induit la production de cytokines proinflammatoires
telles que l’IL1 b et le TNF alpha.
L’utilisation
de membranes d’hémodialyse de haute perméabilité adsorbant les
pyrogènes et d’un bain de dialyse ultrapur, en réduisant l’activation
du complément et la génération de cytokines pro-inflammatoires, devrait
contribuer à réduire l’incidence de l’amylose à bêta2m.
B-
ATHÉROME ACCÉLÉRÉ :
L’athérome ou
athérosclérose joue un rôle primordial dans la morbidité et la
mortalité des urémiques.
En effet, les
complications cardiovasculaires constituent la principale cause de
décès chez les patients dialysés et, parmi elles, les complications
résultant de l’athérome des artères de gros calibre sont au premier
plan.
Outre les facteurs de risque classiques observés dans la
population générale, des facteurs propres à l’état urémique jouent
un rôle déterminant à l’origine de cet athérome accéléré et,
notamment, l’état inflammatoire chronique provenant de
l’immunoactivation et l’augmentation non compensée du stress
oxydant.
Le rôle des AOPP générés à partir de l’oxydation de
la partie protéique des LDL dans l’amplification du processus
inflammatoire et la formation de la plaque d’athérome est
hautement probable.
Le reflet de l’état inflammatoire est l’élévation de la C reactive protein
(CRP), qui se trouve être également corrélée à la diminution de
l’albuminémie, reflet de la malnutrition.
Cette interrelation a amené Stenvinkel et al à proposer le concept de malnutrition-inflammationathérosclérose
(MIA), soulignant les relations entre l’athérome
accéléré et l’augmentation du taux circulant des cytokines proinflammatoires et
de l’expression des molécules d’adhésion.
Compte tenu du déficit en défenses antioxydantes chez l’insuffisant
rénal chronique, une supplémentation en vitamine E a été proposée
pour réduire la peroxydation des lipides membranaires et diminuer
ainsi l’incidence de l’athérome.
Toutefois, l’efficacité de cette
mesure sur l’évolution clinique n’a pas encore été confirmée.
Une supplémentation en N-acétylcystéine, inducteur de la synthèse de
glutathion qui s’est avéré remarquablement efficace dans la
prévention des lésions rénales consécutives à l’injection de produits
iodés de contraste, a été proposée et un essai thérapeutique
multicentrique vient d’être entrepris chez les patients dialysés.
Récemment, le rôle d’une infection chronique à Chlamydia pneumoniae comme facteur d’inflammation contribuant au risque
d’athérome coronarien a été mis en évidence chez les patients
dialysés comme dans la population générale.
La recherche
d’anticorps anti-Chlamydia pourrait être justifiée chez les urémiques,
notamment ceux ayant un taux élevé de CRP, ce d’autant qu’un
traitement prolongé par les macrolides permet d’obtenir
l’éradication de cette infection.
C -
MALNUTRITION ET HYPOALBUMINÉMIE
:
La malnutrition caloricoprotéique est fréquente chez les patients
dialysés et elle a pour reflet la diminution du taux de
l’albuminémie, facteur pronostique indépendant et majeur de
mortalité en dialyse.
L’hypoalbuminémie a longtemps été attribuée
au seul déficit des apports en nutriments, du fait de l’anorexie et de
la perte d’acides aminés essentiels en hémodialyse et d’albumine en
dialyse péritonéale.
Toutefois, une part importante revient au
catabolisme protéique secondaire à la libération des cytokines proinflammatoires,
en parallèle à l’élévation de la CRP, entrant dans le
cadre du syndrome MIA ci-dessus mentionné.
D - BIOCOMPATIBILITÉ DES MEMBRANES D’HÉMODIALYSE
:
La biocompatibilité des membranes d’hémodialyse peut être évaluée
par la mesure de l’activation du complément et de la génération des
cytokines pro-inflammatoires qu’elles induisent.
D’autres
marqueurs d’activation peuvent également être évalués, tels que
l’activation du système de coagulation, l’activation du système kinines/kallikréine (responsable des réactions anaphylactiques), la
libération de thromboxane par les plaquettes et la libération de
protéases et de formes réactives de l’oxygène par les cellules
phagocytaires.
En ce qui concerne les cytokines, leur production au cours des
séances d’hémodialyse est stimulée par plusieurs mécanismes,
notamment les fragments activés du complément C3a et C5a et les
endotoxines ou des fragments d’endotoxines passant à travers les
membranes de dialyse.
Les membranes de haute performance telles que le polysulfone, le
polyméthylmétacrylate (PMMA) et la polyacrylonitrile sont celles
qui activent le moins le complément, et qui adsorbent le plus les
endotoxines à leur surface.
Leur usage doit donc être privilégié,
associé à l’usage du tampon bicarbonate et à un bain de dialyse de
haute pureté bactériologique, chez les patients âgés athéromateux
ou déjà atteints d’une amylose à bêta2m.
Des membranes cellulosiques recouvertes de vitamine E ont été
développées pour réduire le stress oxydant induit par
l’hémodialyse.
Un nouveau système de dialyse dit hémolipodialyse, qui consiste en l’addition d’un circuit
permettant la circulation de liposomes chargés de vitamine E à l’interface entre le courant sanguin et la membrane, via un minicircuit, a été récemment proposé dans le même but, mais l’effet
de ces dispositifs sur l’évolution chronique des patients reste à
démontrer.
E - RÉSISTANCE À L’ÉRYTHROPOÏÉTINE RECOMBINANTE
:
L’inflammation peut diminuer la réponse à l’érythropoïétine,
constituant ainsi une cause de résistance à l’effet de l’érythropoïétine
tant endogène qu’exogène (époétine).
En effet, les cytokines proinflammatoires,
notamment l’IL1, le TNF alpha et l’INF c inhibent la
croissance des colonies érythroïdes.
En particulier, l’INF c stimule
l’apoptose des cellules progénitrices érythroïdes, annulant ainsi
l’effet antiapoptotique de l’érythropoïétine.
Cliniquement, il a été constaté que les patients ayant un taux élevé
de CRP manifestent une résistance à l’action de l’époétine.
Dans une
étude multicentrique conduite en Europe, les patients hémodialysés
dont le taux de CRP était supérieur ou égal à 10 mg/L avaient un
taux d’hémoglobine plus faible, en dépit d’une posologie d’époétine
plus élevée, que les patients dont le taux de CRP était inférieur à
cette valeur.
Expérimentalement, Allen et al ont montré que
l’incubation de cellules médullaires en culture, en présence de sérum
autologue d’urémiques ayant un état inflammatoire, entraînait une
inhibition de la croissance des précurseurs érythroïdes, cet effet étant
supprimé par l’addition d’anticorps polyclonaux inhibant l’effet du
TNF alpha et de l’INF c.
Une réduction du taux circulant de la CRP et
de l’IL6, parallèle à une amélioration de la réponse à l’époétine, a
été constatée par Sitter et al sous l’effet de l’utilisation d’un bain
de dialyse ultrapur.
L’inhibition de la réponse érythropoïétique s’explique par une action
locale de l’IL1, du TNF et de l’INF c au niveau de la moelle
érythropoïétique, car leur taux plasmatique n’était pas différent chez
18 hémodialysés bon répondeurs et chez 15 autres mauvais
répondeurs à l’époétine, dans une étude de Macdougall et al.
De
plus, ces auteurs ont constaté que la survie à 2 ans des patients
mauvais répondeurs était significativement plus faible que celle des
bons répondeurs (54 % contre 88 %, p < 0,05), confirmant l’effet
délétère de l’inflammation chronique.
Il apparaît donc important de chercher à réduire l’état inflammatoire
chronique induit par l’hémodialyse par l’utilisation de membranes
de haute biocompatibilité adsorbant les endotoxines, et d’un bain
de dialyse aussi pur que possible.
Conclusion
:
En conclusion, il apparaît que nos conceptions sur la dysrégulation
immunitaire de l’urémique se sont profondément modifiées au cours des
dernières années.
Initialement limitée au concept d’immunodéficience
responsable d’une susceptibilité accrue aux infections, la dysrégulation
s’est enrichie récemment du concept d’immunoactivation entraînant un
état inflammatoire chronique, responsable de la complication la plus
grave de l’urémie chronique, l’athérome accéléré.
La prise en compte de
ces deux aspects indissociables de la dysrégulation immunitaire de
l’urémique devrait permettre de réduire la morbidité et la mortalité des
patients urémiques.
Toutefois, la dysfonction immunitaire se
développant dès le stade débutant de l’insuffisance rénale, l’action
préventive, pour être pleinement efficace, doit être entreprise
précocement, bien avant le début de la dialyse de suppléance.