Tumeurs et dysplasies tumorales de la cavité buccale du nouveau-né et du nourrisson
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Le développement de la cavité stomodéale embryonnaire
(future cavité buccale) procède de la
fusion, après contact, de bourgeons recouverts
d’ectoderme, dans lesquels migrent les cellules de
la crête neurale.
La différenciation des cellules de la crête neurale
est à l’origine de la majorité des tissus orofaciaux.
Seules les cellules endothéliales ont une
origine mésodermique.
Contrairement à la muqueuse digestive, la muqueuse
buccale composée d’épithélium pavimenteux
non kératinisé est issue de l’ectoderme.
Cette
similitude d’origine entre cette muqueuse et la
peau explique la correspondance entre les glandes
salivaires séreuses et les glandes sébacées d’une
part et entre les glandes muqueuses et les glandes
sudoripares d’autre part.
La multitude des processus dysembryoplasiques
explique la variété des lésions pseudotumorales de
la cavité buccale rencontrées chez le nouveau-né.
Les lésions tumorales vraies chez le nouveau-né et
le nourrisson sont plus rares.
Les lésions tumorales
ou pseudotumorales les plus fréquemment rencontrées
sont les kystes épithéliaux, les dysplasies
salivaires et les angiomes.
Description des différentes lésions
:
A - Kystes épithéliaux :
La prévalence des kystes épithéliaux chez le
nouveau-né est très élevée (60 %) pouvant faire
considérer la présence de telles lésions comme
normale.
Ils se présentent sous la forme de lésions
blanchâtres ou jaunâtres arrondies régulières, enchâssées
dans la muqueuse gingivale ou la muqueuse
palatine, de moins d’un millimètre à quelques
millimètres de diamètre. Ils sont plus
fréquents chez l’enfant né à terme.
Les lésions gingivales siègent le plus souvent sur
la crête alvéolaire et sont volontiers multiples.
D’origine discutée, ces lésions peuvent être considérées
comme l’équivalent muqueux des kystes épithéliaux congénitaux faciaux (grains de milium).
Appelés perles d’Epstein ou nodules de Bohn, les
lésions palatines sont souvent plus volumineuses :
elles siègent sur le raphé médian au niveau du
palais secondaire.
Quelle que soit leur origine, ces kystes disparaissent
spontanément et dans la grande majorité des
cas au cours de la première année de vie, par
ouverture spontanée dans la cavité buccale.
B - Reliquats embryonnaires
et hamartomes :
Ils correspondent, sur le plan embryonnaire, à une
anomalie de fusion entre les bourgeons maxillaires
et mandibulaires pour les lésions situées à la face
interne de la joue.
Une anomalie de fusion des deux
bourgeons mandibulaires, maxillaires ou des deux hémilangues est responsable, pour sa part, de lésions
situées sur la ligne médiane.
Elles se présentent
sous la forme d’hamartomes le plus souvent
fibreux.
En dehors de ces zones de fusion, les hamartomes
linguaux peuvent rentrer dans le cadre des syndromes oro-digito-faciaux dont les plus fréquents
sont le type I (syndrome de Papillon-Léage
et Psaume) et le type II (syndrome de Mohr).
L’association
aux autres signes cliniques permet habituellement
d’en faire le diagnostic (peudofente labiale
médiane supérieure, freins multiples, fissure linguale,
fente palatine, anomalies des extrémités,
etc.).
C - Kystes mucoïdes :
Les kystes mucoïdes ou mucocèles représentent
une pathologie très fréquente chez l’enfant.
On
distingue classiquement les kystes par rétention en
rapport avec une obstruction du canal de drainage
(origine traumatique, bouchon muqueux ou épithélial)
et les kystes par extravasation (traumatisme
de la glande ou du canal excréteur).
Le plus souvent,
seul l’examen histologique permet d’en faire
la distinction car la présentation clinique est similaire.
La localisation est variable mais limitée aux
régions présentant des glandes salivaires au sein
d’une muqueuse lâche.
La lèvre inférieure et le
plancher buccal sont les régions les plus concernées
alors que la gencive, le palais et la face dorsale de
langue ne sont jamais affectés.
Ces kystes se présentent le plus souvent sous la
forme de tuméfactions bleutées, translucides, molles,
d’aspect caractéristique.
Le contenu est mucoïde,
filant.
Le plus souvent, aucun facteur traumatique
déclenchant n’est retrouvé.
L’évolution
est souvent évocatrice lorsque l’interrogatoire retrouve
la notion d’affaissement brutal de la masse
suivi d’une récidive.
Parfois, le diagnostic est plus
difficile devant une lésion inflammatoire pédiculée
correspondant à un kyste mucoïde affaissé diapneuisé.
Le volume du kyste mucoïde est très variable
allant de quelques millimètres à quelques centimètres.
Les formes volumineuses sont toujours localisées
au plancher buccal (grenouillette) et sont en
rapport avec la glande sublinguale ; une extension sous-mylohyoïdienne est possible.
D’évolution capricieuse, les kystes mucoïdes
peuvent parfois disparaître spontanément mais
peuvent également prendre un volume considérable
gênant la déglutition ou occasionnant un préjudice
esthétique important.
En cas de petit kyste mucoïde non invalidant, une abstention est possible.
Dans le cas contraire, un geste chirurgical est le plus souvent proposé : soit une exérèse, soit une marsupialisation.
Une récidive est toujours possible,
en rapport avec une exérèse incomplète ou un
traumatisme d’un canalicule de glande salivaire
accessoire.
Un examen anatomopathologique est
préférable afin d’éliminer d’autres lésions kystiques
exceptionnelles : carcinome mucoépidermoïde,
kyste bronchogénique, kyste hétérotopique
gastrique.
Il est décrit des kystes mucoïdes congénitaux
dont le diagnostic est parfois porté en anténatal.
L’origine de ces kystes congénitaux est mal définie
(des kystes par rétention et par extravasation sont
possibles).
On rapproche des kystes mucoïdes l’imperforation
congénitale des canaux de Wharton qui se
manifeste par une tuméfaction bleutée du plancher
buccal dont une des extrémités est localisée au
niveau de l’ostium du canal.
Une simple incision
sous anesthésie locale est le plus souvent suffisante
pour éliminer ce kyste rétentionnel et redonner sa
fonction à la glande sous-maxillaire.
Une ouverture
et une guérison spontanée sont possibles.
Ces lésions ont en commun leur origine virale :
infection par le HPV (human papilloma virus).
Selon
le type responsable, les manifestations cliniques
seront variables.
Ces lésions pseudotumorales réalisent
une excroissance muqueuse kératinisée de
taille variable.
Lorsqu’elles ont une forme plutôt filiforme, on
parle de papillome ; quand elles sont sessiles et
kératinisées, on parle de verrue vulgaire ; quand
elles sont volumineuses et molles, on parle de
condylomes acuminés ; quand elles sont multiples
sessiles et peu kératinisées, on parle d’hyperplasie
épithéliale focale.
Verrues vulgaires et papillomes sont le plus souvent
liés à une infection par HPV 2, 4, 6, 16.
Les condylomes sont liés à une infection par HPV 6, 11,
16, 18.
L’hyperplasie épithéliale focale est liée à
une infection par le HPV 13 et 32.
Dans la majorité des cas, la contamination se fait
par contact physique étroit (possibilité de contamination
de la cavité buccale par des verrues digitales).
Le diagnostic précis se réalise par identification
du type spécifique (par polymerase chain reaction
[PCR]).
Les condylomes étant le plus souvent en
rapport avec une contamination génitobuccale, la
découverte de lésions par HPV 6, 11 ou 16 chez
l’enfant doit faire suspecter la possibilité d’abus
sexuel sans pouvoir exclure une transmission maternelle
lors de l’accouchement.
E - Hyperplasie fibreuse réactionnelle
et diapneusie :
Située essentiellement sur la face interne de la
joue, elle peut se situer également au niveau de la
muqueuse labiale.
La lésion se présente sous la
forme d’une tuméfaction régulière, parfois pédiculée,
ferme, recouverte d’une muqueuse normale.
On retrouve souvent une notion de traumatisme
responsable.
La lésion est entretenue ou accentuée
par l’aspiration.
Il est difficile de faire la différence clinique et
histologique entre fibrome vrai et hyperplasie fibreuse
réactionnelle.
F - Angiomes :
Le terme angiome correspond à de multiples entités
cliniques et histologiques.
On distingue actuellement
deux grands types de pathologies : les hémangiomes
et les malformations vasculaires dont le
profil évolutif est très différent.
Les hémangiomes involuent constamment contrairement aux malformations
vasculaires.
1- Hémangiomes :
Ils correspondent à une tumeur vasculaire fréquente
(environ 10 % des nourrissons) d’évolution
particulière.
Après une phase évolutive d’environ
1 an suit une phase de stabilisation puis d’involution
progressive jusque vers l’âge de 7 ans.
L’aspect
clinique est évocateur quand la lésion est superficielle
et affecte peau et muqueuse avec l’aspect
tubéreux classique de la lèvre.
Moins fréquemment,
la lésion est sous-cutanée ou muqueuse pure.
La couleur bleutée, le caractère relativement
ferme de la lésion associée au profil évolutif permet
le plus souvent de poser le diagnostic.
En cas
de doute diagnostique, l’imagerie (échographie
mais surtout imagerie par résonance magnétique
[IRM] avec injection) permet d’éliminer une malformation
vasculaire.
La biopsie permet d’éliminer
une autre tumeur rapidement évolutive (sarcome
embryonnaire).
L’involution spontanée est la règle justifiant le non-recours à des traitements agressifs.
En cas de
nécrose, d’ulcération ou de saignement peut se
justifier un recours au traitement médical (corticothérapie
à fortes doses) ou au traitement chirurgical
(chirurgie d’exérèse a minima).
En cas de retentissement
fonctionnel important (déformation des
arcades dentaires, incompétence labiale) ou de
retentissement esthétique majeur peut se discuter
un geste chirurgical précoce d’exérèse ou de réduction
volumétrique.
La chirurgie garde sa place dans
le traitement des séquelles comme par exemple
dans le rétablissement de la ligne cutanéomuqueuse
de la lèvre.
2- Malformations vasculaires :
* Angiome plan :
Le plus souvent associé à un angiome plan cutané
du territoire du trijumeau correspondant (V2 ou
V3), l’angiome plan muqueux peut également être
isolé.
Lorsqu’il a une topographie V2 ou V3, il s’associe
volontiers à une hyperplasie des tissus mous ou
osseux correspondants, donnant un aspect pseudotumoral
à la lèvre, à la gencive, au palais ou déformant
les arcades dentaires.
L’aspect cosmétique de surface de la lèvre blanche
peut être amélioré par traitement au laser à
colorant pulsé.
L’atteinte muqueuse ne justifie le
plus souvent pas de traitement.
La chirurgie prudente
peut permettre de corriger certaines asymétries
en cas d’hypertrophie associée.
* Malformations veineuses :
Elles se manifestent par des tuméfactions bleutées
molles, dépressibles, de volume augmenté par la
position déclive.
La muqueuse en regard est normale.
Le diagnostic essentiellement clinique est
documenté par l’échographie et/ou l’IRM avec injection
(hypersignal en T2, rehaussement au gadolinium).
Ces malformations sont de retentissement
fonctionnel et esthétique très variable selon leur
localisation et leur volume.
Le traitement peut
faire appel soit à l’abstention, soit à un traitement
par radiologie interventionnelle (sclérose par alcool
absolu, Ethibloc), soit à la chirurgie.
Une embolisation
préopératoire peut permettre de réduire
le risque hémorragique.
Des gestes chirurgicaux
itératifs sont le plus souvent nécessaires dans les
formes étendues.
La localisation labiale, jugale ou linguale expose
à un risque de saignement important en cas de
traumatisme (morsure).
La localisation gingivale ou
une extension intraosseuse expose également à un
risque hémorragique en cas d’avulsion dentaire.
* Malformations lymphatiques (lymphangiomes) :
Elles atteignent volontiers la cavité buccale et sont
souvent associées à des formes étendues cervicofaciales.
De volume variable au cours de temps, la
lésion n’est pas toujours visible à la naissance. Les
épisodes infectieux ou inflammatoires (éruptions
dentaires) majorent le volume de la lésion.
Le lymphangiome se manifeste par une tuméfaction
mal limitée, molle, non augmentée par le
décubitus.
L’atteinte de la muqueuse est caractéristique
par la présence de vésicules claires en
regard de celle-ci donnant un aspect de « frai de grenouille ».
Lors des poussées inflammatoires, ces
vésicules deviennent souvent hématiques.
Les lymphangiomes peuvent être responsables
de déformations cervicofaciales majeures avec retentissement
respiratoire.
Il a été décrit à l’opposé
des formes très limitées gingivales monocavitaires
de disparition spontanée.
L’imagerie par IRM (avec injection) apporte le
diagnostic (hypersignal en T2 sans réhaussement
par le gadolinium), sa nature macro-, microkystique
ou mixte et son extension.
Les formes macrocavitaires sont généralement
de pronostic plus favorable, accessibles soit à un
traitement chirurgical soit à une sclérothérapie
(OK-432, Ethibloc, alcool absolu).
Les atteintes
buccales sont malheureusement le plus souvent microcavitaires avec infiltration des tissus musculaires.
Des gestes de réduction chirurgicale prudents
peuvent permettre de réduire le volume de la
masse.
L’exérèse totale est le plus souvent impossible
et le risque de récidive important.
L’abstention
est parfois préférable dans les formes microkystiques
à retentissement esthétique limité.
Lors des poussées inflammatoires, un traitement
médical par corticothérapie en cures courtes associée
à des antibiotiques peut permettre de limiter
l’augmentation de volume.
* Malformations artérioveineuses :
Plus rares que les autres malformations vasculaires,
ces malformations se manifestent par une tuméfaction
tissulaire chaude, rouge, avec thrill.
Le retentissement
esthétique et fonctionnel est variable
mais le traitement est, dans tous les cas, difficile.
Le diagnostic apporté par l’échographie-doppler et
l’IRM avec injection sera documenté par l’artériographie.
Le traitement repose sur la chirurgie de
type carcinologique après embolisation préopératoire.
L’abstention thérapeutique sera souvent proposée
en gardant présent à l’esprit le risque hémorragique
majeur en cas de traumatisme de la lésion.