Infections à dermatophytes de la peau glabre et des plis
Cours de dermatologie
Les dermatophytes sont des champignons filamenteux
kératinophiles ubiquitaires regroupés en 3 genres
(Trichophyton, Microsporon, Epidermophyton), toujours
pathogènes.
On distingue les espèces anthropophiles
inféodées à l’homme, parfois responsables de
contaminations interhumaines, des espèces zoophiles
d’origine animale et géophiles dont le réservoir est le
sol.
On sépare les dermatophyties de la peau glabre de
celles des plis, ces deux localisations étant parfois associées.
Il n’y a pas d’atteinte muqueuse ou viscérale, sauf
dans l’exceptionnelle maladie dermatophytique.
Les facteurs favorisant l’apparition d’une dermatophytie
sont surtout locaux (transpiration et chaleur conduisant
à la macération), les facteurs généraux tels que la corticothérapie
sont plutôt des causes de pérennisation ou
d’extension des lésions et leur rôle est moins marqué ici
que dans la pathogénie des candidoses.
Diagnostic :
Le diagnostic est essentiellement clinique, conforté
par l’examen mycologique dès que l’aspect n’est pas
absolument typique.
A - Interrogatoire
:
Un prurit au niveau des lésions, exacerbé par la transpiration,
est fréquent. Parfois s’y associe une sensation de
brûlure.
On recherche des poussées antérieures et une localisation phanérienne associée.
Un tableau similaire observé dans l’entourage conforte
le diagnostic.
Enfin, il faut préciser la profession (athlète, militaire), le
mode de vie (port de chaussures de sécurité, vêtements
serrés, animal domestique comme chien, chaton ou
rongeur) et les activités sportives (natation, judo).
Certaines professions exposent à des dermatophyties
reconnues comme maladies professionnelles indemnisables
(tableau 46 des maladies professionnelles).
Les
formes reconnues dans ce cadre sont les mycoses de la
peau glabre, les intertrigos interorteils et les teignes.
B - Examen clinique
:
1- Dermatophytie de la peau glabre
:
La dermatophytie de la peau glabre appelée dermatophytose
circinée ou improprement « herpès circiné »
n’a pas de topographie particulière.
Elle se transmet
directement à partir d’un animal infecté ou porteur
sain (dermatophyte zoophile) et potentiellement à partir
du sol, de meubles ou de tapis de logement, voire par
contact avec un sujet infecté ou auto-inoculation à partir
d’un intertrigo interorteils (dermatophyte alors souvent
anthropophile).
Il s’agit d’un ou plusieurs éléments arrondis érythématosquameux
et secs de quelques centimètres de diamètre à
extension centrifuge et de limites nettes.
La bordure est
bien limitée, érythémateuse et microvésiculeuse tandis
que le centre de la lésion est plus pâle, parfois squameux.
La guérison spontanée ou sous traitement s’amorce à
partir du centre des lésions.
Les lésions peuvent être bulleuses ou pustuleuses (surtout en cas de dermatophyte
zoophile), ou prendre, quand elles sont purement
érythémato-squameuses, l’aspect de plaques de psoriasis.
Plusieurs éléments sont souvent associés et produisent
des lésions polycycliques.
2- Dermatophytie des plis
:
• Petits plis : l’atteinte des plis interorteils est la plus
fréquente des dermatophyties (atteintes unguéales
exclues), suivie de l’atteinte des plis inguino-cruraux.
Plus fréquente chez l’adulte jeune et en période estivale,
elle touche surtout le 4e ou le 3e espace interorteils
(facteurs locaux de macération) et constitue alors le
classique « pied d’athlète ».
La lésion est érythémateuse puis évolue vers la desquamation et la fissuration.
La face dorsale du pli est souvent épargnée.
Il constitue
une porte d’entrée d’infection bactérienne locorégionale
(ulcération, onyxis, érysipèle, cellulite).
Le syndrome
« une main, deux pieds » est l’association d’intertrigos interorteils à un intertrigo interdigital.
• Grands plis : le pli inguino-crural est plus souvent
atteint que les plis axillaires et interfessiers ; il constitue
le classique eczéma marginé de Hebra.
Il est
associé à un intertrigo interorteils dans 50 % des cas.
La
transmission en général interhumaine s’effectue via les
serviettes de bain, les sols de salle de bain, les sols de
chambre d’hôtel.
Il est plus fréquent chez l’homme que
chez la femme ou l’enfant (exceptionnel avant 10 ans).
La lésion est circulaire à évolution centrifuge avec une
bordure érythémateuse et un centre plus clair.
Le fond
du pli est en général respecté.
Même en cas de lésion
extensive, le scrotum et la verge sont classiquement
épargnés, contrairement aux infections candidosiques
de la région.
Il peut y avoir une dépilation transitoire.
• Autres topographies : aux mains comme aux pieds, en
dehors de l’intertrigo interdigital, 2 formes ont été
décrites :
– la forme hyperkératosique avec épaississement des
plis palmaires ou plantaires, aspect squameux, volontiers
chronique et persistant malgré les émollients, pouvant
évoluer, au pied, jusqu’à la kératodermie plantaire
s’étendant aux bords latéraux (« pied mocassin »);
– la forme dishydrosique avec présence de vésicules sur
les bords de la main et la face palmaire des doigts ;
la main droite est le plus souvent atteinte ; au pied,
l’aspect avec bordure vésiculeuse est évocateur de
dermatophytie.
Les lésions peuvent être vésiculeuses
ou bulleuses.
Une dyshidrose apparue sur les doigts
et les mains peut être une réaction allergique aux dermatophytes touchant les pieds.
3- Dermatophyties plus rares
:
• Le kérion est une dermatophytie inflammatoire et
pustuleuse touchant le cuir chevelu ou la barbe.
Il est dû à un champignon géophile ou zoophile
(Trichophyton gypseum , T. verrucosum ou T. mentagrophytes
en cas de contact avec des bovins ou des chevaux),
mais peut aussi se voir en cas d’application
malencontreuse de dermocorticoïdes.
Une alopécie
définitive peut lui succéder.
C - Diagnostic étiologique
:
Les espèces les plus fréquentes sont des dermatophytes
anthropophiles (Trichophyton rubrum, T. interdigitale et
Epidermophyton floccosum) ou zoophiles (Microsporum
canis).
D - Diagnostic différentiel
:
Dans le cadre de la dermatophytie des plis, le principal
diagnostic différentiel est la candidose.
Mais l’intertrigo
est alors d’aspect humide à limites moins nettes et il
existe en général des facteurs prédisposants.
Les dermatophyties
restent plutôt l’apanage de l’homme alors que les candidoses sont celui de la femme.
Une mycose des
pieds est plus souvent une dermatophytie (82 versus
11 % pour la candidose), tandis qu’une mycose des
mains est plus souvent une candidose (88 versus 8% ).
1- Dermatophytie des grands plis
:
• Pour le psoriasis des plis, d’aspect vernissé à limites
nettes, il faut rechercher d’autres localisations plus classiques
du psoriasis et la notion de poussées antérieures,
mais le problème du diagnostic différentiel se pose
précisément quand ces autres localisations manquent.
• L’érythrasma (infection à Corynebacterium minutissimum)
de couleur brun chamois, touchant plus volontiers
les grands plis et donnant une fluorescence rouge corail
en lumière de Wood.
2- Dermatophytie des petits plis
:
L’intertrigo à Pseudomonas æruginosa est caractérisé
par une lyse à limites nettes de toute l’épaisseur de la
couche cornée.
3- Infections à dermatophytes de la peau glabre
:
Pour ces infections, il faudra éliminer :
• un eczéma nummulaire ;
• un pityriasis rosé de Gibert, dermatose probablement
virale, caractérisée par un médaillon érythématosquameux
initial isolé pendant une à deux semaines,
puis accompagné de nombreuses macules érythématosquameuses
;
• un psoriasis ou un eczéma de contact.
4- Prélèvements locaux :
En définitive, chaque fois que la dermatose évoquée
justifie une corticothérapie locale, il faut une grande
expérience clinique pour se passer de prélèvements
mycologiques.
À l’examen en lumière de Wood (ultraviolet), les teignes dermatophytiques à Microsporum sp. et à Trichophyton
schonleinii (agent de la teigne favique) ont une fluorescence
verte, l’érythrasma une couleur rouge corail ;
les autres formes ne sont pas fluorescentes.
E - Diagnostic biologique
:
1- Examen mycologique direct
:
Les prélèvements s’effectuent sur la bordure des lésions
par grattage à l’aide d’une curette après une toilette au
savon à pH alcalin et à distance de l’arrêt des traitements
antifongiques.
• L’examen direct au microscope des squames, rendues
transparentes par la potasse et (ou) colorées par des fluorochromes, visualise des filaments dermatophytiques.
Il permet de poser rapidement le diagnostic mais ne
précise pas l’espèce incriminée.
• Une mise en culture sur milieu de Sabouraud permet
de faire le diagnostic de genre et d’espèce, mais la
réponse demande 1 à 4 semaines.
• L’antifongigramme est inutile dans l’immense majorité
des cas, il n’est pas standardisé et l’interprétation des
résultats reste incertaine.
2- Autres examens
:
La sérologie est sans intérêt dans le cadre des dermatophyties
cutanées.
Il n’y a pas de syndrome inflammatoire.
Traitement
:
A - Traitement antifongique
:
Le traitement repose sur des mesures dites d’hygiène
associées à un traitement antifongique local ou général.
Contrairement aux atteintes des phanères, les atteintes
de la peau glabre et des plis sont souvent guéries par un
traitement antifongique local.
Les éléments suivants
incitent à prescrire un traitement par voie générale :
lésions extensives, lésions hyperkératosiques épaisses
des paumes ou des plantes, échec d’un premier traitement
local, diabète, immunodépression.
Les mesures d’hygiène incluent le traitement des personnes
de l’entourage et (ou) des animaux domestiques
atteints de dermatophytie, le lavage des vêtements à
l’eau chaude, l’utilisation d’une serviette de toilette par
personne, la prévention de la macération.
L’aspirateur est le meilleur moyen d’éliminer les spores
des tapis, moquettes ou fauteuils.
Le prélèvement mycologique doit être effectué avant de
débuter le traitement.
Il y a plus de 20 spécialités antifongiques d’application
locale disponibles en France.
On distingue plusieurs familles d’antifongiques locaux :
les dérivés azolés en topiques ; les allylamines (terbinafine)
; l’amorolfine ; la ciclopiroxolamine (ciclopirox) ;
le tolnaftate.
Les traitements par voie orale, parfois mal tolérés, comprennent
: un dérivé imidazolé (le kétoconazole) ; des
allylamines comme la terbinafine ; la griséofulvine.
Pour la conduite du traitement, il faut théoriquement
utiliser une pommade sur des squames épaisses, une
crème sur peau sèche, et un gel ou une poudre en cas
d’intertrigo macéré.
Les effets indésirables sont rares et
les deux applications quotidiennes doivent déborder
largement la lésion.
La durée du traitement varie selon la
forme clinique et doit se poursuivre tant que persistent
les lésions.
Une application quotidienne est
suffisante pour la terbinafine et le kétoconazole.
D’autres dérivés imidazolés tels le fluconazole et l’itraconazole
n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché
en France pour les dermatophyties.
B - Évolution sous traitement
:
Les dermatophyties de la peau glabre et des plis sont des
affections fréquentes, en général bénignes, et d’évolution
souvent favorable sous traitement local.
La durée du
traitement (toujours supérieure à 2 semaines) ne facilite
pas l’observance.
De surcroît, comme les facteurs favorisants
locaux ne peuvent pas toujours être éradiqués, les
récidives sont fréquentes.
En pratique ambulatoire, lorsque le diagnostic différentiel
entre dermatophytie et eczéma (ou psoriasis) est
difficile, la tentation est grande d’utiliser conjointement
corticoïdes et antifongiques locaux, en se passant du
prélèvement mycologique.
Toutefois, en cas d’amélioration transitoire, on risque d’être confronté à une récidive
atypique et le diagnostic mycologique, devenu indispensable,
ne sera alors plus contributif.