Déficits immunitaires primitifs (Suite) Cours
d'hématologie
D - Déficits immunitaires complexes
:
1- Syndrome deWiskott-Aldrich :
Le syndrome de Wiskott-Aldrich est une maladie héréditaire rare de
transmission liée au chromosome X.
Elle se caractérise dans sa forme
classique par l’association d’une thrombopénie, d’un eczéma et d’un déficit
immunitaire.
L’atteinte des plaquettes est constante et survient en général dès
le plus jeune âge.
Elle se manifeste par une thrombopénie en général sévère et
s’aggrave durant les épisodes infectieux.
Cette thrombopénie s’associe de
façon caractéristique à une petite taille des plaquettes et une thrombopathie,
probablement dues à un dysfonctionnement de la thrombopoïèse.
La
splénectomie est efficace chez la plupart des patients et demeure la modalité
thérapeutique le plus souvent employée.
Le déficit immunitaire apparaît plus tardivement et de façon progressive.
Il se manifeste par un eczéma relativement sévère, une susceptibilité accrue
aux infections à pyogènes et à germes opportunistes, parfois par des
manifestations auto-immunes et, chez les patients plus âgés, par un taux
d’incidence accru de pathologies malignes, particulièrement de lymphomes
non hodgkiniens.
Classiquement, il existe un défaut de production
d’anticorps antipolysaccharides (défaut de production d’allohémagglutinines)
responsable d’infections par des germes encapsulés (Haemophilus
influenzae et Pneumococcus), associé à un taux faible d’IgM, un taux normal
d’IgG et un taux augmenté d’IgAet d’IgE.
L’étude de la fonction cellulaire
montre une lymphopénie T globale, inconstante, variable selon les patients,
s’aggravant au cours du temps, touchant essentiellement les lymphocytes
CD4+.
L’étude in vitro des fonctions des lymphocytes T montre une
prolifération normale en présence de mitogènes et d’antigènes mais une faible
prolifération en présence d’anti-CD3.
Le pronostic est sévère, avec une évolution fatale inéluctable dans les formes
typiques de la maladie.
Les causes principales de décès sont les infections
(59 %), les hémorragies (27 %) et les cancers (5 %).
Le pronostic a été
sensiblement amélioré par la greffe de moelle osseuse dans les cas sévères et
dans les cas moins graves par une meilleure prise en charge des patients avec
des indications plus larges de la splénectomie, une meilleure prophylaxie des
infections bactériennes par antibiothérapie et perfusions d’Ig et une
surveillance adéquate.
Du fait de cette hétérogénéité clinique, le diagnostic de certitude de syndrome deWiskott-Aldrich a longtemps posé des problèmes aux cliniciens. En 1994,
une revue sur les données cliniques et biologiques de 122 patients atteints de
syndrome de Wiskott-Aldrich montrait que la triade classique
(thrombopénie, déficit immunitaire et eczéma) était incomplète chez la
majorité des patients lors de leur évaluation initiale.
Les auteurs concluaient
que le diagnostic reposait alors sur un faisceau d’arguments tels que la petite
taille des plaquettes, une anomalie fonctionnelle des lymphocytes T ou B et
un profil d’inactivation non liée au hasard du chromosome X dans les
leucocytes de la mère.
La petite taille des plaquettes apparaît spécifique du
syndrome deWiskott-Aldrich.
L’absence d’élément de certitude rendait
alors très difficile le diagnostic différentiel avec la thrombopénie isolée liée à
l’X (XLT) définie par une thrombopénie familiale avec plaquettes de petite
taille n’affectant que les patients de sexe masculin, sans eczéma, sans
susceptibilité aux infections et avec des fonctions immunitaires normales.
Le
diagnostic dans de nombreux cas reposait en fait sur la surveillance des
fonctions immunitaires du patient et sur l’étude détaillée de l’arbre
généalogique et du phénotype des autres sujets atteints dans la famille.
Récemment, ces données ont été bouleversées par la découverte du gène
WASP.
La séquence déduite de la protéine n’a pas d’homologie connue.
Cette protéine est constituée de plusieurs domaines qui ont tous la
particularité de pouvoir interagir directement ou indirectement avec le
cytosquelette en intervenant notamment dans la polymérisation de l’actine.
Le rôle exact de cette protéine lors de la mégacaryopoïèse et dans les
lymphocytes T n’est cependant pas encore connu.
De nombreux types
différents de mutations ont été identifiés dans ce gène chez des patients
présentant des formes classiques ou atténuées de syndrome de Wiskott-Aldrich mais également chez les patients présentant une thrombopénie liée à
l’X.
Ceci démontre clairement que ces deux pathologies sont des
variants phénotypiques de la même maladie génétique.
Il semble également
exister une corrélation entre le génotype et le phénotype mais celle-ci n’est
pas encore clairement démontrée.
2- Ataxie-télangiectasie :
L’ataxie-télangiectasie est une maladie de transmission autosomique
récessive caractérisée par des télangiectasies oculaires et cutanées et par une
ataxie cérébelleuse s’aggravant progressivement due à une dégénerescence des cellules de Purkinje.
Il existe habituellement un déficit de l’immunité
humorale, classiquement un déficit en IgG2, IgAet IgE, associé à une atteinte
modérée de l’immunité cellulaire avec lymphopénie T et diminution des
proliférations T aux différents stimuli.
Les patients ont une susceptibilité
accrue aux lymphomes et aux cancers épithéliaux.
De façon caractéristique,
il existe une fragilité de l’ADN avec un taux anormalement élevé de
translocations dans les lymphocytes, mettant en cause les régions 7p14, 7q35,
14q12 et 14q32.
Ces régions où se produisent les cassures correspondent
précisément aux loci des gènes TCRdelta, TCRbêta, TCRalpha et chaîne lourde des Ig.
Les cellules des patients ont une sensibilité anormalement élevée aux
radiations ionisantes et une réplication d’ADN exacerbée après delta-irradiation.
Ces phénomènes expliquent probablement la susceptibilité
aux cancers des patients homozygotes (X 200) et même des sujets sains
hétérozygotes (X 5).
Les conséquences cliniques du déficit lymphocytaire T sont modérées
(infections à germes opportunistes exceptionnelles) mais le déficit en IgA et
en IgG2 est responsable d’une fréquence accrue d’infections bactériennes
typiquement sinusiennes et bronchopulmonaires.
La prise en charge thérapeutique de ces patients nécessite le plus souvent une
substitution par Ig et un traitement agressif de tout épisode infectieux,
notamment bronchopulmonaire.
Le fait cliniquement le plus marquant reste
l’ataxie d’aggravation progressive, qui justifie une prise en charge
locomotrice spécialisée et intensive ainsi qu’un soutien psychologique
important, en sachant que ces patients n’ont classiquement pas de déficience
intellectuelle.
La découverte récente du gène « ATM» permettra, outre la réalisation d’un
diagnostic anténatal, de mieux comprendre la physiopathologie de cette
affection complexe.
3- Syndrome de Di George
:
Le syndrome de Di George résulte d’une anomalie du développement des
troisième et quatrième arcs branchiaux, responsable d’anomalies thymiques,
parathyroïdiennes et cardiotronculaires.
Ce syndrome s’accompagne aussi
d’une dysmorphie faciale associant classiquement un micrognathisme, un
hypertélorisme, un philtrum court et des oreilles mal ourlées et mal
implantées.
En fonction du degré du déficit immunitaire, on distingue la forme
complète du syndrome de Di George, qui s’accompagne d’une aplasie
thymique et d’une lymphopénie T profonde, de la forme partielle, plus
fréquente et plus classique, qui s’accompagne d’un nombre réduit de
lymphocytes T responsable d’un déficit immunitaire très modéré.
Cette
hétérogénéité est également retrouvée dans l’évolution de la maladie chez
certains patients, dont la dysfonction immunitaire s’amende au fil du temps.
Ainsi, Bastian et al n’ont retrouvé une dysfonction immunitaire persistante
que chez quatre patients sur 14 alors que 11 patients présentaient une
hypoplasie thymique.
Les signes cliniques secondaires à la lymphopénie T ne
sont observés que chez une minorité de patients, dont le nombre de
lymphocytes T est inférieur à 500/mm3.
Il existe ainsi un large spectre
d’expression du déficit immunitaire, allant de l’aplasie thymique avec
absence de lymphocytes T (moins de 5 % des cas) à la lymphopénie T
modérée ou même l’absence de lymphopénie T.
D’un point de vue cytogénétique, il existe dans la majorité des cas une
délétion interstitielle du chromosome 22 dans la bande 22q11.
Grâce à la
technique de caryotype de haute résolution, cette délétion a pu être détectée
chez neuf patients dans une série de 30 cas.
Les techniques de biologie
moléculaire, particulièrement l’hybridation in situ, ont permis de retrouver
l’anomalie sur le chromosome 22 dans 33 cas sur 35 étudiés.
D’un point de vue thérapeutique, le traitement théorique de l’aplasie
thymique consiste en une transplantation de thymus foetal.
De très rares
publications ont rapporté de bons résultats par cette technique.
Il
n’apparaît cependant pas clairement dans ces publications si l’amélioration
de la lymphopénie T survenait dans le cadre d’une réelle aplasie thymique ou
si elle était due à une résolution spontanée du déficitTcomme ceci est souvent
observé dans le syndrome de Di George.
Étant donné le rôle de l’épithélium
thymique dans la sélection positive des lymphocytes T, l’absence de
compatibilité HLA entre le thymus greffé et l’hôte devrait entraîner la
différenciation de lymphocytes T incapables de reconnaître les antigènes
présentés dans le contexte HLA de l’hôte.
L’utilisation de thymus
partiellement compatible apparaîtrait ici plus logique.
De façon surprenante,
le déficit immunitaire de deux patients atteints d’un syndrome de Di George
dans sa forme complète a pu être corrigé par une greffe de moelle osseuse en
situation HLA identique.
L’efficacité de cette approche thérapeutique
résulte probablement de l’expansion périphérique des lymphocytes T matures
présents dans le greffon médullaire.
Dans la majorité des cas de syndrome de Di George avec déficit immunitaire
modéré, le traitement est uniquement symptomatique et se résume le plus
souvent d’un point de vue immunologique et infectieux à une simple
surveillance.
4- Nanisme à membres courts
:
Le nanisme à membres courts, ou cartilage hair hypoplasia, est une forme
autosomique récessive de chondrodysplasie métaphysaire caractérisée par
une petite taille, des membres courts, un défaut de croissance des cheveux, un
déficit variable de l’immunité cellulaire et un défaut de production de la lignée
érythroïde.
Cette pathologie est fréquente en Finlande où 108 cas ont été
rapportés et parmi la communauté des Amish aux États-Unis.
Un petit
nombre d’autres cas a été rapporté à travers le monde.
Il existe une extrême
variabilité d’expression phénotypique inter- et intrafamiliale.
La petite taille,
avec à l’âge adulte une taille à -8DS en moyenne, est cependant constante. Le
déficit immunitaire est caractérisé par une lymphopénie d’intensité variable,
un défaut de prolifération des lymphocytes T après stimulation par des
mitogènes, une production diminuée d’IL2 et une faible réponse après
stimulation par l’IL2.
Comme dans les autres déficits de l’immunité
cellulaire, les complications auto-immunes et lymphomateuses ne sont pas
rares.
Une étude effectuée dans 14 familles a permis de localiser le gène sur le
chromosome 9 entre les marqueurs polymorphiques D9S43 et D9S50.
5- Syndrome de Nijmegen :
Ce syndrome, proche de l’ataxie-télangiectasie, a été décrit récemment.
Comme dans l’ataxie-télangiectasie, on retrouve des réarrangements
chromosomiques des lymphocytes T, un défaut d’inhibition de la synthèse
d’ADN après irradiation et un déficit immunitaire. Cependant, ces patients ne
présentent ni ataxie, ni télangiectasie.
De plus, ils ont de façon constante une
microcéphalie et un retard mental.
Le déficit immunitaire, plus sévère que
celui retrouvé dans l’AT, se caractérise par une lymphopénie T profonde et
des réponses nettement diminuées après stimulation antigénique et
mitogénique.
Une hypogammaglobulinémie globale est fréquemment
retrouvée ainsi qu’une très forte prédisposition aux lymphomes. Le gène a
récemment été identifié.
Il s’agit du gène NBS1 ou nibrine, impliqué dans
la réparation de l’ADN.
Déficits primitifs de l’immunité humorale :
A - Physiopathologie et données générales
:
Les déficits primitifs de l’immunité humorale regroupent un ensemble
d’affections congénitales caractérisées par un défaut complet, partiel ou
sélectif de production d’anticorps.
Les anticorps, et dans certains cas les cellulesBelles-mêmes par leur fonction
présentatrice de l’antigène au lymphocyte T, jouent un rôle essentiel dans la
destruction et/ou la neutralisation et l’élimination de différents pathogènes,
en particulier bactériens à développement extracellulaire.
Aussi, les déficits
de l’immunité humorale ont-ils pour principale conséquence la survenue
d’infections bactériennes récurrentes, aboutissant à des lésions
inflammatoires chroniques (sinusiennes, bronchopulmonaires avec DDB,
intestinales...).
Sont également observées dans certains cas des infections
virales particulières d’évolution chronique (arthrites, méningoencéphalites
entérovirales), des manifestations auto-immunes variées, des manifestations
allergiques et des néoplasies.
Ces complications peuvent être pour l’essentiel prévenues et combattues par
la mise en oeuvre précoce d’un traitement incluant une substitution intensive
et rigoureusement surveillée par des perfusions régulières d’Ig, l’utilisation
raisonnée des antibiotiques tant en situation curative qu’en prophylaxie, la
kinésithérapie respiratoire et, dans certains cas, le drainage chirurgical de
foyers infectieux, en particulier sinusiens.
1- Intervention de l’immunité humorale dans les défenses immunitaires
:
En réponse à une stimulation antigénique, la combinaison de plusieurs
signaux cellulaires et moléculaires est nécessaire à l’activation lymphocytaire
B et à la production d’Ig.
Celles-ci sont constituées de deux chaînes lourdes
(µ, delta, alpha, gamma ou e) qui définissent l’isotype de l’Ig (respectivement M, G, A, D
ou E) et de deux chaînes légères ou k, associées de manière covalente entre
elles.
Lorsqu’elles sont exprimées à la membrane d’une cellule B, les chaînes
lourdes et légères d’Ig sont associées de manière non covalente à deux
protéines transmembranaires appelées Ig alpha et Igbêta, qui permettent la
transmission intracytoplasmique des signaux d’activation.
La
reconnaissance de l’antigène natif par les Ig membranaires permet, au terme
d’un processus de transformation intracellulaire complexe, la présentation à
la surface du lymphocyte B de peptides antigéniques.
Les lymphocytes T
auxiliaires reconnaissent ces peptides antigéniques associés à des molécules
d’histocompatibilité de classe II à la surface des cellules B et de cellules
présentatrices monocytaires, dendritiques et macrophagiques.
Le lymphocyte
T auxiliaire activé produit des cytokines et exprime à sa surface des
molécules, telles le ligand de CD40, nécessaires à l’activation lymphocytaire
B et à la commutation isotypique.
Les Ig produites lors d’une première stimulation antigénique sont des IgM,
qui reconnaissent l’antigène avec une affinité relativement faible et ne
diffusent qu’à l’intérieur du compartiment vasculaire.
Lors d’une nouvelle
stimulation par le même antigène sont produites des Ig de différents isotypes,
en particulier des IgG qui diffusent dans l’ensemble des espaces
extravasculaires et ont une haute affinité pour l’antigène.
Les Ig interviennent essentiellement dans les défenses immunitaires contre
les micro-organismes à développement extracellulaire. Au niveau des
muqueuses, les IgAinhibent la fixation et la pénétration des agents infectieux.
Au niveau des organes lymphoïdes secondaires et du sang circulant, les Ig ont
une action neutralisante directe vis-à-vis de certains pathogènes et un rôle
indirect dans la destruction et l’élimination de la plupart des germes
extracellulaires par activation du complément ou intervention de différentes
cellules effectrices.
La neutralisation est un mécanisme de défense
particulièrement crucial envers des virus dont la diffusion comporte sans
doute une phase extracellulaire importante (entérovirus).
L’activation du système du complément sérique, de la phagocytose et des
mécanismes de cytotoxicité anticorps-dépendante fait intervenir des
propriétés effectrices portées par la région constante (fragment Fc) de
certaines Ig.
Ainsi, les IgG2, IgG4 et IgA exercent une action chimiotactique
sur les cellules effectrices de la réponse immune, alors que l’activation du
complément est le fait essentiellement des IgM, IgG1 et IgG3.
Les Ig et
certains produits d’activation du complément ont une action opsonisante par
l’intermédiaire de récepteurs des cellules phagocytaires pour le fragment Fc
et pour le C3b.
2- Diagnostic et bilan préthérapeutique d’un déficit primitif
de l’immunité humorale
:
* Circonstances du diagnostic :
+ Antécédents familiaux :
La reconnaissance d’une histoire familiale évocatrice peut permettre un
diagnostic et une prise en charge thérapeutique précoces, qui déterminent en
grande partie le pronostic à long terme.
Des antécédents familiaux
d’infections bactériennes récurrentes, de décès précoces, d’auto-immunité et
parfois d’affections malignes peuvent être retrouvés à l’interrogatoire chez
un nombre important de patients.
L’arbre généalogique peut orienter
le diagnostic étiologique en indiquant un mode de transmission particulier
(hérédité liée à l’X, affection autosomique récessive avec parfois
consanguinité).
La possibilité, dans certains cas, d’un diagnostic anténatal est
discutée plus loin.
+ Infections bactériennes :
Un déficit primitif de l’immunité humorale doit être évoqué devant la
survenue répétée, à partir du sixième mois de vie (disparition des Ig
maternelles) ou parfois plus tardivement, d’infections bactériennes par des
germes à parasitisme extracellulaire obligatoire, essentiellement des bactéries
« pyogènes » encapsulées (Haemophilus influenzae, Pneumococcus,
Streptococcus, Meningococcus, Staphylococcus) mais également
Pseudomonas.
Ces infections concernent surtout les sphères ORL et bronchopulmonaire mais les localisations infectieuses peuvent être variées
(cutanéomuqueuses, méningées, ostéoarticulaires, septicémies...).
L’atteinte
digestive, fréquente, peut être d’origine infectieuse (Giardia...), auto-immune
ou intriquée ; elle se traduit le plus souvent par une diarrhée chronique avec
malabsorption et cassure staturopondérale.
Trop fréquemment encore, le
diagnostic de déficit B n’est évoqué que devant l’existence de lésions
constituées, en particulier de DDB inexpliquées.
+ Infections virales
:
Bien que les défenses antivirales fassent intervenir essentiellement
l’immunité cellulaire, un déficit purement humoral peut être incriminé dans
deux situations particulières.
La première correspond à la survenue
d’infections symptomatiques sans gravité particulière mais récurrentes à un
même virus, témoignant d’un défaut de production d’anticorps protecteurs ;
ainsi, le premier malade agammaglobulinémique rapporté par Bruton a
présenté trois épisodes d’infection ourlienne.
La seconde situation correspond à la survenue d’infections sévères à certains
virus, essentiellement de la famille des entérovirus, dont la neutralisation et
l’élimination est anticorps-dépendante.
Le risque de survenue d’infections entérovirales sévères semble corrélé dans une certaine mesure à la profondeur
du déficit de production d’Ig.
Ces infections peuvent se traduire par des
arthrites récurrentes, une myocardite ou des manifestations de type dermatomyositiques.
Le tableau le plus sévère est celui d’une atteinte méningoencéphalitique subaiguë ou chronique responsable de divers
symptômes neurologiques (troubles de la vigilance, tremblements,
paresthésies, atteinte auditive, ataxie, syndrome pyramidal) ou
extraneurologiques (fièvre, oedèmes, rash, atteinte hépatique).
Certains sérotypes d’échovirus sont fréquemment incriminés.
Enfin, toujours
dans le cadre des infections entérovirales, des poliomyélites ont été rapportées
au décours du vaccin antipoliomyélitique vivant atténué de type Sabin
(antipolio oral), qui est de ce fait formellement contre-indiqué en cas de
suspicion de déficit B.
+ Manifestations auto-immunes
:
Des atteintes auto-immunes variées, en particulier des cytopénies autoimmunes
et des manifestations rhumatologiques ou systémiques, peuvent être
révélatrices de déficit B incomplet (déficit immunitaire commun variable,
syndrome hyper-IgM...) ; elles sont absentes dans
l’agammaglobulinémie liée à l’X.
Une fréquence particulièrement élevée de
neutropénie est observée dans le syndrome hyper-IgM, avec une tendance à
l’aggravation lors d’épisodes infectieux et à l’amélioration sous traitement
substitutif et antibiothérapie.
La survenue d’une néoplasie n’est qu’exceptionnellement l’occasion de
diagnostiquer un déficit B, hémopathies malignes et cancers ne survenant
généralement qu’après 40 ans, de manière retardée par rapport aux
manifestations infectieuses ou auto-immunes.
* Bilan initial :
+ Confirmation du diagnostic de déficit B :
Toute suspicion de déficit primitif de l’immunité humorale doit être étayée
par le dosage pondéral des Ig sériques, réalisé par néphélométrie.
L’immunoélectrophorèse est trop peu sensible pour la mise en évidence de
nombreux déficits incomplets.
L’interprétation des dosages d’Ig nécessite de
se référer à des normes définies en fonction de l’âge.
La
présence d’IgG sériques d’origine maternelle au cours des 6 et surtout des
3 premiers mois de vie rend délicate l’interprétation des dosages à cet âge.
Il
faut noter d’ailleurs que les taux sériques d’IgG sont alors plus bas chez
l’enfant né prématurément car le transfert des IgG de la mère au foetus (IgG1,
2 et 3) se fait pour l’essentiel au cours des dernières semaines de gestation.
Chez l’enfant normal, le taux sérique d’IgG passe par un nadir entre le
troisième et le sixième mois et n’atteint en général les valeurs de l’adulte que
vers l’âge de 6 ans.
Les IgM, très basses à la naissance, atteignent les taux
adultes avant la fin de la première année de vie.
L’apparition d’IgA sériques
est plus lente, les lymphocytes B producteurs d’IgA ne venant peupler les
muqueuses (en particulier intestinales) qu’au cours des 6 premiers mois de
vie.
Les taux adultes d’IgA sont atteints entre l’âge de 4 ans et la puberté mais
l’absence d’IgA sériques détectables chez un enfant de 12 mois permet déjà
de suspecter fortement un défaut de production.
Les autres examens à réaliser de première intention sont la recherche
d’allohémagglutinines anti-A et/ou anti-B chez les sujets non AB, le dosage
d’anticorps postvaccinaux ou postinfectieux et la numération des
lymphocytes B circulants par anticorps immunofluorescents anti-IgM de
membrane, anti-CD19 ou anti-CD20.
Devant un contexte clinique évocateur de déficit B associé à des dosages d’Ig
sériques normaux ou modérément perturbés, plus encore en cas de déficit
apparemment isolé en IgA, un dosage des différents isotypes (ou « sousclasses
») d’IgG peut être indiqué ; il doit être réalisé dans un
laboratoire expérimenté.
+ Recherche d’un déficit associé de l’immunité cellulaire
:
Le bilan minimal pour exclure ou mettre en évidence un déficit associé de
l’immunité cellulaire comporte un interrogatoire et un examen clinique à la
recherche de manifestations évocatrices de déficit T, des tests
intradermiques, une numération formule sanguine (recherchant une
éventuelle lymphopénie), la numération des sous-populations T CD4 et CD8
et des tests de proliférationTin vitro en présence de mitogènes et d’antigènes.
+ Recherche d’un déficit immunitaire secondaire :
Certaines foetopathies virales, en particulier la rubéole, peuvent entraîner un
déficit prolongé, voire définitif, de production d’Ig ; les sérologies maternelles
et surtout la recherche d’IgM spécifiques chez l’enfant permettent de porter le diagnostic étiologique.
Des infections bactériennes récurrentes évococatrices de déficit primitif B, associées dans certains cas à une
hypogammaglobulinémie, peuvent également révéler une infection par le
virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
L’infection à virus d’Epstein-Barr (EBV) est incriminée dans la survenue de
certaines hypogammaglobulinémies prolongées.
Un déficit immunitaire
primitif doit cependant être suspecté, en particulier un syndrome de Purtilo
chez les sujets masculins (déficit sélectif vis-à-vis de l’EBV de transmission
liée à l’X).
Des carences symptomatiques en Ig peuvent compliquer un tableau de
malnutrition, un traitement immunosuppresseur, une fuite protéique urinaire
(syndrome néphrotique) ou digestive (entéropathie exsudative).
Une
entéropathie exsudative d’origine infectieuse et/ou auto-immune peut
cependant être secondaire à un déficit immunitaire primitif.
+ Évaluation du retentissement de la maladie
:
Le retentissement général du déficit immunitaire doit être apprécié par
l’évaluation clinique et biologique de l’état nutritionnel (en recherchant
également l’existence d’une diarrhée chronique et d’une malabsorption), par
la reconnaissance d’une asthénie secondaire à des infections récurrentes ou
chroniques, par l’analyse chez l’enfant des courbes de croissance staturopondérale et du développement psychomoteur, par la recherche de
difficultés scolaires ou professionnelles en lien souvent avec un absentéisme
important.
La recherche de foyers infectieux chroniques, en particulier bronchopulmonaires et sinusiens, justifie la réalisation d’un bilan extensif
devant tout point d’appel clinique.
Ainsi, des bronchites récurrentes et a
fortiori une expectoration chronique nécessitent la réalisation d’une
scanographie thoracique avec coupes millimétriques à la recherche de DDB
(intérêt des scanners spirale ou imatron, surtout chez l’enfant qui ne peut que
difficilement maintenir une inspiration prolongée).
De même, des céphalées
chroniques, un jetage nasal purulent et/ou une obstruction nasale uni- ou
bilatérale avec souvent hypo-osmie et agueusie secondaire doivent faire
réaliser un scanner des sinus de la face avec coupes axiales et coronales à la
recherche d’une atteinte sinusienne souvent diffuse.
D’autres foyers
infectieux sont recherchés de principe (foyers dentaires) ou devant une
symptomatologie clinique évocatrice (foyers ostéoarticulaires, digestifs,
hépatobiliaires, endocardiques...).
L’évaluation de la fonction respiratoire
nécessite de préciser l’importance d’une éventuelle dyspnée d’effort ou de
repos.
Des épreuves fonctionnelles respiratoires doivent être réalisées
systématiquement lorsque l’âge et l’état clinique du patient le permettent.
La
recherche de manifestations allergiques est importante car elles peuvent
participer à la constitution de lésions inflammatoires chroniques nasosinusiennes ou bronchiques.
Le bilan d’auto-immunité doit être orienté
par les données cliniques et d’éventuelles anomalies de la numération formule
sanguine.
En pratique, le dosage des principales fractions du complément
sérique et de certains autoanticorps est réalisé de manière systématique dans
les déficits B incomplets.
L’existence d’anomalies de l’examen neurologique
ou de céphalées tenaces inexpliquées nécessite un avis spécialisé pour
imagerie cérébrale et analyse du liquide céphalorachidien avec notamment
recherches d’entérovirus.
+ Enquête génétique et familiale :
La réalisation d’un caryotype sanguin est recommandée dans les déficits B
incomplets (déficits immunitaires communs variables, déficits en sousclasses
d’IgG avec ou sans déficit en IgA) à la recherche d’anomalies pouvant
orienter vers un diagnostic particulier, comme celui d’ataxie-télangiectasie ou
de syndrome ICF (association d’une dysmorphie faciale, de cassures
chromosomiques anormales au niveau des centromères et d’un déficit
immunitaire).
Après constitution d’un arbre généalogique le plus complet possible, un avis
spécialisé est requis pour orienter les examens génétiques qui pourront
éventuellement être proposés au patient et à certains apparentés.
La
reconnaissance pour différentes affections des mutations causales permet
notamment de détecter les sujets à risque de transmettre l’affection et de
proposer le cas échéant un diagnostic anténatal (recherche de la mutation sur
biopsie de trophoblaste, cellules amniotiques ou sang foetal).
Le prérequis
à de telles investigations est d’établir un diagnostic précis de la mutation chez
au moins un des sujets atteints dans la famille considérée, ce qui peut être
réalisé à partir d’un simple prélèvement sanguin.
Dans certaines familles,
conseil génétique et diagnostic anténatal reposent sur des analyses génétiques
de ségrégation de différents marqueurs chromosomiques polymorphiques
(analyses de liaison).
Dans quelques familles enfin, la mutation en cause n’est
pas connue et on ne dispose pas de marqueurs chromosomiques suffisamment
informatifs.
Dans l’agammaglobulinémie liée à l’X (maladie de Bruton),
l’étude du profil d’inactivation du chromosome X peut alors être indiquée
pour détecter les femmes transmettrices (inactivation non au hasard de l’X
portant la mutation dans les cellules B), mais il s’agit d’une technique dont la
réalisation est délicate et la sensibilité imparfaite.
Chez le foetus, le diagnostic
peut nécessiter l’analyse des marqueurs de surface des cellules B matures sur
sang du cordon.
B - Principaux déficits primitifs de l’immunité humorale :
Dans ces différentes affections, l’immunité cellulaire est normale ou peu
altérée, à l’exception notable du syndrome hyper-IgM de transmission liée à
l’X, dû à un déficit en ligand de CD40, qui est classé parmi les déficits de
l’immunité cellulaire alors que dans sa forme autosomique récessive, il s’agit
bien d’un déficit de l’immunité humorale.
1- Agammaglobulinémie liée à l’X (maladie de Bruton)
:
Reconnue dès 1952, cette affection est caractérisée par un déficit purement
humoral de transmission récessive liée à l’X.
L’incidence dans la population
générale serait de l’ordre de 1 garçon sur 100 000.
On observe un bloc sélectif de
maturation lymphocytaire B intramédullaire au stade de lymphocyte pré-B, lié à
des mutations du gène de la Bruton tyrosine kinase (Btk), protéine intervenant
dans la transmission intracellulaire de signaux d’activation.
Le diagnostic est généralement évoqué devant la survenue précoce, dès la
première année de vie, chez un garçon, d’infections bactériennes répétées,
surtout ORL et bronchopulmonaires, à germes extracellulaires.
Classiquement, les taux sériques des différents isotypes d’Ig sont nuls ou très
bas, le nombre de lymphocytes circulants est normal mais le pourcentage de
cellules B matures est inférieur ou égal à 1 %, les réponses anticorps sont
nulles ou extrêmement faibles, la moelle osseuse et les organes lymphoïdes secondaires ne contiennent aucun lymphocyte B mature ni plasmocyte,
l’examen histologique des ganglions ne révèle aucun follicule lymphoïde.
En l’absence de prise en charge thérapeutique appropriée, la morbidité et la
mortalité précoce observées sont le fait essentiellement d’infections sévères
ou récurrentes et des lésions inflammatoires chroniques qui en résultent (DDB
se constituant souvent dès l’enfance, insuffisance respiratoire chez
l’adolescent ou l’adulte jeune, arthrites et méningoencéphalites
entérovirales...).
Des manifestations allergiques ou auto-immunes ont
été décrites mais elles sont généralement au second plan.
L’incidence des
néoplasies semble proche de celle de la population générale.
Chez une
proportion encore indéterminée de patients, le tableau clinique et
immunologique est moins sévère, avec des taux sériques d’Ig plus
modérément diminués et des pourcentages de cellules B matures circulantes
pouvant dépasser 5 %.
Ces patients sont souvent considérés
comme porteurs d’un déficit immunitaire commun variable.
La mise en
évidence de mutations du gène Btk ou l’absence de détection de la protéine
btk dans les monocytes par immunofluorescence ou par western blot permet
de corriger le diagnostic.
De ce fait, la recherche de ces mutations pourrait
être indiquée de manière relativement large à l’avenir chez tout sujet masculin
présentant un déficit purement humoral, a fortiori si l’arbre généalogique est
évocateur d’une transmission liée à l’X.
Des phénotypes partiels ont été
rapportés pour des mutations très diverses, affectant l’une ou l’autre des
différentes régions du gène Btk.
Aucune corrélation définitive n’a pu être
établie à ce jour entre le type de mutation et la profondeur du déficit
immunitaire ; une même mutation peut être associée à un phénotype sévère
ou à un phénotype partiel chez des sujets différents, y compris au sein d’une
fratrie.
La reconnaissance du diagnostic d’agammaglobulinémie liée à l’X justifie la
mise en oeuvre précoce d’un traitement substitutif par perfusions d’Ig.
La
reconnaissance précise de la mutation en cause facilite la recherche dans la
famille des femmes transmettrices et permet de proposer un éventuel
diagnostic prénatal.
Dans certaines familles, le conseil génétique et le
diagnostic anténatal reposent sur des analyses génétiques de liaison ou sur
l’étude du profil d’inactivation de l’X.
2- Agammaglobulinémie autosomique récessive
:
Dans certaines familles, des sujets de sexe féminin présentent un tableau
clinique et immunologique comparable à celui de l’agammaglobulinémie liée
à l’X, avec dans certains cas un bloc de maturation lymphocytaire plus
précoce au stade de lymphocyte pro-B, par un déficit en chaînes delta
ou µ.
3- Syndrome hyper-IgM de transmission autosomique récessive
:
Dans le syndrome hyper-IgM de transmission autosomique récessive, des
anomalies de la transmission intracellulaire du signal induit par l’interaction
de CD40 et de son ligand sont probablement en cause.
On n’observe pas en
général d’infections opportunistes.
Le diagnostic différentiel des syndromes hyper-IgM concerne certains
patients porteurs d’une maladie de Bruton ou d’un déficit immunitaire
commun variable, qui peuvent également présenter des IgM normales, voire
élevées, avant traitement substitutif et anti-infectieux, témoignant
probablement d’un certain degré de réponse anticorps primaire aux agents
infectieux avec défaut associé de commutation isotypique.
Sous traitement,
le taux d’IgM s’effondre.
4- Déficits immunitaires communs variables :
Sous cette appellation sont regroupés les déficits incomplets de production
d’Ig, qui correspondent à un ensemble relativement hétérogène d’affections
encore insuffisamment caractérisées.
Certaines relèvent probablement, en
partie au moins, d’un déficit T auxiliaire.
Des altérations de l’immunité
cellulaire, le plus souvent modestes mais tendant à s’accentuer avec l’âge,
sont objectivées chez environ 50 % des patients.
Les deux sexes sont
atteints avec une fréquence similaire et différents modes de transmission sont
observés.
Dans certaines familles sont également observés des déficits
sélectifs en IgA et une association avec certains haplotypes du complexe
majeur d’histocompatibilité de classe III a été rapportée.
Les taux sériques d’Ig sont abaissés de manière variable d’un patient à l’autre
et, chez un même malade, d’une période à l’autre.
La réponse anticorps aux
antigènes infectieux ou vaccinaux est également affectée de façon variable.
Le taux de lymphocytes B matures circulants est généralement normal ou peu
diminué.
Les manifestations pathologiques peuvent débuter dans l’enfance ou à l’âge
adulte.
Dans plusieurs grandes séries rétrospectives de patients substitués par Ig intramusculaires ou tardivement par Ig intraveineuses, pratiquement tous
présentaient après quelques années d’évolution des infections chroniques
(notamment sinusiennes et bronchopulmonaires) ou récurrentes et plus de
20 % des manifestations auto-immunes.
L’atteinte digestive est
fréquente.
Ainsi, parmi 240 patients ayant un déficit immunitaire commun
variable, une diarrhée chronique était retrouvée dans 96 cas, dont plusieurs
présentaient des signes de malabsorption digestive et deux une maladie
coeliaque ; dans une série de 103 autres patients, dix présentaient un syndrome
de malabsorption digestive.
Une hyperplasie nodulaire lymphoïde du grêle
était retrouvée chez plusieurs malades, de même que des adénopathies
diffuses, périphériques et profondes, une splénomégalie et, chez certains
patients, des lésions granulomateuses de localisations variées.
Une
prévalence élevée de lymphomes malins non hodgkiniens, particulièrement
chez les femmes, et de cancers, notamment gastriques, a été rapportée par
différents auteurs.
5- Déficits en IgA :
Le déficit en IgA est le déficit immunitaire le plus fréquent dans la population
caucasienne, où l’on estime qu’il atteint un sujet sur 700.
Comme évoqué
précédemment, des déficits immunitaires communs variables et des déficits
en IgA de transmission autosomique récessive peuvent être observés dans une
même famille.
Le déficit sélectif en IgA est le plus souvent
asymptomatique.
La survenue d’infections récurrentes ou de manifestations
auto-immunes doit faire rechercher un déficit associé en sous-classes d’IgG
(IgG2 et IgG4).
Dans ce dernier cas, un traitement substitutif par Ig est
indiqué, en utilisant des préparations d’Ig pauvres en IgA et en surveillant
l’apparition d’anticorps anti-IgA, qui peuvent causer des réactions
anaphylactiques sévères.
6- Déficits en sous-classes d’IgG :
*
Déficit en IgG1
:
Ce déficit est le plus souvent symptomatique, avec infections récurrentes à
pyogènes, et s’accompagne généralement d’une diminution nette du taux
sérique d’IgG, les IgG1 en étant la composante principale.
Il
peut être associé à un déficit en IgG impliquant d’autres sous-classes, parfois
à un déficit en IgM et en IgA (déficit immunitaire commun variable).
* Déficit en IgG2
:
Un déficit en IgG2 doit être évoqué devant la survenue d’infections récurrentes
à pneumocoque, Haemophilus influenzae et pyocyanique, car les anticorps
dirigés contre ces trois germes sont essentiellement des IgG2.
Ces
infections affectent surtout les sphères ORL et bronchopulmonaires et
peuvent évoluer vers des lésions inflammatoires à type de sinusites
chroniques réfractaires, de fibrose pulmonaire ou de DDB.
Le défaut de
production d’anticorps antipolysaccharidiques peut être objectivé par
l’absence de production d’anticorps après vaccination antipneumococcique
ou anti-Haemophilus (vaccin non conjugué).
Cependant, avant l’âge de 2 ans,
la production d’anticorps antipolysaccharidiques est faible, les IgG2 étant
synthétisées plus tardivement que les autres sous-classes d’IgG.
L’association
à un déficit en IgG4 et/ou en IgA est fréquente.
* Déficit en IgG3
:
Un déficit isolé en IgG3 peut être compliqué d’infections bronchopulmonaires
récurrentes avec constitution de DDB.
Parfois est associé un déficit en IgG1,
avec défaut de production d’anticorps antiprotéiques (IgG1 et IgG3) après
vaccination par anatoxine tétanique ou diphtérique.
* Déficit en IgG4 :
Ce diagnostic est souvent controversé car les concentrations sériques d’IgG4
sont faibles, cette Ig étant essentiellement présente au niveau des secrétions
muqueuses.
L’association à un déficit en IgG2 et en IgA est fréquente.
7- Hypogammaglobulinémie transitoire du nourrisson
:
Chez certains enfants, la production d’Ig peut être retardée, avec en
conséquence des taux sériques d’Ig bas au-delà du nadir habituellement
observé entre le troisième et le sixième mois de vie (disparition des Ig
maternelles), voire au-delà des 2 ou 3 premières années.
Il ne s’agit pas
véritablement d’un déficit immunitaire, dans la mesure où les réponses
anticorps aux antigènes infectieux ou vaccinaux sont normales et les
complications infectieuses de ce fait exceptionnelles.
Des IgA sont par
ailleurs détectables avant l’âge de 12 mois. Aucun traitement substitutif n’est
indiqué chez ces enfants.
8- Autres déficits de l’immunité humorale :
– Hypo- ou agammaglobulinémie liée à l’X avec déficit en hormone de
croissance, avec ou sans mutations de Btk.
– Syndrome de Purtilo (ou de Duncan) ou déficit immunitaire sélectif vis-àvis
de l’EBV, de transmission récessive liée à l’X.
En réponse à une primoinfection
EBV, les sujets atteints sont incapables de développer une réponse
anticorps normale (absence en particulier d’anticorps anti-EBNA) et décèdent le plus souvent dans un tableau aigu de lymphoprolifération B.
Les survivants
présentent en général une hypogammaglobulinémie profonde et développent
de manière retardée un lymphome B.
– Déficit en transcobolamine II, associant anémie mégaloblastique,
hypogammaglobulinémie et anomalie de la phagocytose, pouvant être traité
par administration intramusculaire de vitamine B12.
– Déficit sélectif en IgM.
– Déficit en chaînes lourdes d’Ig par délétion chromosomique (en 14q32),
pouvant être associé chez certains individus homozygotes à des infections
récurrentes à pyogènes.
– Déficit en chaînes légères , associé dans une famille à des mutations
ponctuelles du gène , avec présence uniquement de chaînes delta au niveau des Ig membranaires et circulantes, et des réponses anticorps variables.
– Déficits sélectifs de production d’anticorps sans hypogammaglobulinémie,
le défaut de réponse s’exprimant essentiellement vis-à-vis d’antigènes
polysaccharidiques, avec parfois, mais inconstamment, diminution des IgG2.
L’association à une drépanocytose, une asplénie, un syndrome de Wiskott-Aldrich ou de Di George doit être recherchée.
Un déficit isolé en
réponse anticorps antipolysaccharidique peut se compliquer d’atteinte
sinusienne et bronchopulmonaire chronique et justifier un traitement
substitutif par Ig.
– Hypogammaglobulinémies associées à des anomalies caryotypiques,
pouvant s’intégrer à diverses pathologies dont l’ataxie-télangiectasie ou le
syndrome ICF ; le déficit affecte en général également l’immunité
cellulaire.
C - Prise en charge thérapeutique :
1- Traitement substitutif par perfusions d’Ig :
*
Généralités
:
+ Objectifs
:
L’administration d’Ig chez les patients ayant un déficit primitif B vise à
compenser le défaut de production d’anticorps, à restaurer ainsi les
mécanismes de défense et de régulation immunitaire anticorps-dépendants et
à prévenir ou traiter les principales complications infectieuses et
auto-immunes.
+ Données biologiques et pharmacocinétiques :
Les préparations d’Ig actuellement sur le marché comportent des IgG de
différents isotypes, dans des proportions comparables à celles du sujet sain, et
intactes (partie variable avec les deux fragments Fab, partie constante avec le
fragment Fc).
Le spectre anticorps est large et comporte des concentrations
plusieurs fois supérieures à celles du plasma de départ d’anticorps spécifiques
des principaux agents infectieux incriminés dans la morbidité des patients
ayant un déficit humoral (anti-Pneumococcus, anti-Haemophilus influenzae,
antistreptolysine, antipolio, antihépatite B...).
La demi-vie sérique des IgG
perfusées est de l’ordre de 3 à 5 semaines.
+ Données concernant la sécurité virologique :
Des transmissions d’hépatites par des préparations d’Ig ne présentant pas les
garanties de celles actuellement commercialisées ont été documentées.
La
sécurité virologique est assurée par la sélection des donneurs, une batterie de
tests biologiques (transaminases sériques) et sérologiques (hépatites B et C,
VIH1 et 2, human T-cell lymphoma virus [HTLV] 1 et 2), des procédés
d’élimination et d’inactivation virale divers.
Malgré l’ensemble de ces
mesures, les Ig restent un produit dérivé du sang dont le risque de transmission
d’agent infectieux ne pourra jamais être complètement nul.
+ Données cliniques :
Diverses études, le plus souvent rétrospectives, ont montré chez les sujets
traités une diminution du nombre d’épisodes infectieux aigus sévères,
d’infections ORL ou bronchopulmonaires récurrentes, d’arthrites
symptomatiques, de diarrhées chroniques, de décès précoces et de journées
d’hospitalisation.
L’efficacité préventive du traitement substitutif
sur l’ensemble de ces complications semble corrélée à l’obtention de taux
résiduels d’IgG élevés, supérieurs à 5g/L.
L’administation
intraveineuse de fortes doses d’Ig à des intervalles suffisamment rapprochés
(plus de 300 ou 400 mg/kg toutes les 3 semaines) semble préférable à de plus
faibles doses ou à la voie intramusculaire.
La fréquence des méningoencéphalites entérovirales semble plus faible chez
les patients précocement et correctement substitués par perfusions
intraveineuses d’Ig.
Des méningoencéphalites entérovirales ont
toutefois été documentées chez quelques patients parfaitement substitués,
avec des taux résiduels d’Ig constamment supérieurs à 6 g/L.
Une
alternative à la voie intraveineuse consiste en l’administration sous-cutanée
d’Ig, qui est réalisée dans certains pays de manière continue, en ambulatoire,
par minipompe portable.
* Indications du traitement substitutif dans les déficits primitifs B
:
Les déficits B complets, agammaglobulinémie liée à l’X ou autosomique
récessive, sont une indication formelle à débuter précocement la substitution,
avant même la survenue des premières complications infectieuses.
Les syndromes hyper-IgM, avec absence ou très faibles taux d’Ig d’autres
isotypes, sont également une indication formelle au traitement par Ig.
Les déficits B partiels, tels les hypogammaglobulinémies à expression
variable et les déficits en sous-classes d’IgG, sont une indication aux Ig dès
lors qu’apparaissent des complications infectieuses récurrentes ou sévères ou
des manifestations auto-immunes.
La profondeur du déficit de production
d’Ig, son aggravation progressive et l’existence de complications sévères liées
au déficit chez des parents du patient sont également à prendre en compte pour
initier précocement un traitement substitutif.
L’association à un déficit en IgA d’un déficit en sous-classes d’IgG (IgG2 et
IgG4) symptomatique (infections récurrentes) est une indication à un
traitement par des perfusions d’Ig appauvries en IgA.
L’hypogammaglobulinémie transitoire du nourrisson n’est pas une indication
au traitement substitutif.
* Contre-indications :
La principale et pratiquement seule contre-indication est le déficit isolé en IgA, pour lequel existe un risque important d’anaphylaxie par immunisation
vis-à-vis des IgA présentes dans les préparations d’Ig.
* Effets indésirables :
La survenue d’un choc anaphylactique est un événement exceptionnel.
Des réactions méningées et des méningites aseptiques ont été décrites.
Les
effets indésirables le plus fréquemment rapportés sont des réactions de type hyperthermie-frissons, des rashs cutanés, des céphalées, des sensations de
malaise ou d’oppression thoracique, des douleurs lombaires ou
abdominales.
Ces effets s’atténuent ou disparaissent le plus souvent
lorsque est diminué le débit de perfusion, mais peuvent parfois nécessiter la
prescription d’un traitement préventif par antihistaminiques ou corticoïdes,
voire un changement de préparation d’Ig.
Certains effets indésirables sont liés
à la présence au sein des préparations d’Ig d’agrégats pouvant être à l’origine
de la formation de complexes immuns circulants avec activation du
complément.
Le taux d’agrégats est très faible dans les préparations d’Ig
actuellement disponibles.
La recherche d’anticorps anti-IgA est indiquée en cas d’effets indésirables liés
aux perfusions d’Ig et doit être systématique et répétée chez les patients ayant
un déficit B incomplet avec hypo-IgA.
La présence de tels anticorps est en
effet une indication à l’utilisation de préparations d’Ig dépourvues d’IgA.
* Modalités du traitement substitutif :
Le traitement substitutif doit être institué en milieu spécialisé après qu’aient
été réalisés les prélèvements nécessaires à l’évaluation précise du déficit
immunitaire.
Dès lors que l’indication est posée, le traitement doit être commencé le plus
précocement possible, idéalement avant l’installation de complications
chroniques, en particulier sinusites ou DDB.
Les Ig sont généralement administrées sous forme de perfusions
intraveineuses en hôpital de jour.
L’organisation de perfusions à domicile peut
être discutée dans certains cas.
La voie sous-cutanée, relativement peu utilisée
en France, est une alternative intéressante.
La voie intramusculaire,
d’efficacité bien moindre, ne doit plus être employée.
L’administration d’une dose de charge est recommandée, afin d’obtenir
rapidement des taux sériques résiduels d’IgG supérieur à 8 g/L.
Une des
modalités possibles est l’administration de deux ou trois perfusions de 400 à
500 mg/kg espacées de 7 à 15 jours.
Les doses administrées par la suite et l’intervalle entre deux perfusions sont
adaptés en vue d’obtenir :
– des taux résiduels d’IgG constamment supérieurs ou égaux à 6-8 g/L, les
taux de 5 g/L recommandés dans la littérature étant probablement
insuffisants pour la prévention de certaines infections bactériennes et virales
chroniques ;
– une prévention efficace des épisodes infectieux aigus et une régression des
symptômes en rapport avec une infection chronique ou récurrente, ainsi que
des manifestations auto-immunes ;
– une prévention efficace des lésions infectieuses et inflammatoires
chroniques (DDB, sinusites chroniques, entéropathie exsudative, arthrites
récurrentes, méningoencéphalite...) ;
– une évolution satisfaisante de l’état général et nutritionnel, de la croissance staturopondérale, de la fonction respiratoire (réalisation d’épreuves
fonctionnelles respiratoires tous les 2 à 3 ans, plus fréquemment en cas de
perturbations), du développement neurologique et psycho-intellectuel, de la
scolarité.
En pratique, les doses nécessaires sont généralement de l’ordre de 300 à
400 mg/kg toutes les 3 semaines.
Doivent également être surveillées la tolérance du traitement (prise en compte
des effets indésirables liés aux perfusions d’Ig) et sa bonne compréhension
par le patient, gage de compliance à long terme (importance de la relation
soignants-malade, en particulier au moment de l’adolescence).
* Traitements associés
:
+
Antibiothérapie :
Tout épisode infectieux nécessite une antibiothérapie précoce et prolongée,
tenant compte des antécédents infectieux du patient, active sur les germes le
plus couramment en cause (Pneumococcus, Haemophilus influenzae,
Pseudomonas dans certains cas...), adaptée secondairement si possible aux
résultats microbiologiques (prélèvements multiples pour isolement du germe,
antibiogramme).
L’association au déficit humoral d’un déficit de l’immunité cellulaire, comme
dans le syndrome hyper-IgM par déficit en ligand de CD-40, nécessite une
prophylaxie anti-infectieuse par cotrimoxazole à vie.
La pénicilline V au long cours reste à ce jour l’antibiothérapie indiquée chez
les patients splénectomisés, en dehors de situations particulières (portage de
streptocoque résistant...).
+ Kinésithérapie respiratoire :
Elle est indiquée en cas de bronchite traînante, de bronchite chronique, de DDB.
Éradication ou drainage chirurgical d’un foyer infectieux chronique
Elle est à discuter au cas par cas avec une attention particulière pour les foyers
sinusiens, certains gestes chirurgicaux exposant à des risques qui doivent être
clairement évalués.
+ Vaccinations
:
Le vaccin antipoliomyélitique oral (Sabin) est contre-indiqué en raison du
risque de poliomyélite vaccinale.
Les autres vaccins constitués de virus vivants atténués (rougeole, oreillons,
rubéole) et le BCG ne sont contre-indiqués qu’en cas de déficit associé de
l’immunité cellulaire.
De même que les vaccins inactivés et les préparations
antigéniques, leur efficacité est inconstante et dépend de la profondeur et du
type de déficit B.
Ainsi, les vaccinations sont sans effet chez les patients agammaglobulinémiques.
En cas de déficit en IgG2, on note une absence de
réponse aux vaccins polysaccharidiques (vaccin anti-Pneumococcus, vaccin
anti-Haemophilus influenzae non conjugué).
Lorsqu’elles peuvent être utiles, les vaccinations doivent être réalisées à
distance des perfusions d’Ig, en pratique à 10 jours d’une perfusion en cas de
substitution toutes les 3 semaines.
+ Prise en charge psychologique et médicosociale
:
La chronicité de ces maladies justifie que soit pris en compte leur
retentissement psychologique sur les patients et leur famille.
Une écoute
médicale de qualité instaurant un climat de confiance permet une bonne compliance au traitement (à vie le plus souvent) qui détermine, en grande
partie, le pronostic à long terme.
Bien souvent, il est nécessaire de mettre
en place une prise en charge pluridisciplinaire, en coordination avec les
différents intervenants médicaux (pédiatre ou médecin généraliste,
hôpital de proximité, médecins spécialistes, kinésithérapeute, parfois
service d’hospitalisation à domicile), l’école, l’environnement familial et
social.