Le cytomégalovirus (CMV) est un virus à ADN du groupe
des Herpèsvirus, le réservoir est humain et plusieurs
souches virales existent.
Schématiquement, le cycle infectieux
passe par une primo-infection (apparition des IgM et
excrétion virale) suivie d’une période de latence, puis de
périodes de réactivation (même souche) ou de réinfestation
(souches différentes, excrétion virale moins importante
et prédominance d’IgG).
Le virus est ensuite présent
très longtemps (des années) dans l’organisme.
Le réservoir du virus est l’être humain, et la contamination
peut se faire de façon suivante : par contact rapproché
(salive, sécrétions génitales, lait de la mère…) ; par voie
sanguine (transfusion…) ; par voie transplacentaire.
Il s’agit d’une infection virale potentiellement grave
pour le foetus ; elle n’est pas recherchée systématiquement
en cours de grossesse, hormis quelques protocoles de
dépistage systématique. L’infection maternelle est le plus
souvent asymptomatique (90 %).
Le risque d’infection maternofoetale à CMV en cours de
grossesse peut être considéré comme un véritable problème
de santé publique ; le pourcentage de la population
immunisée dépend des conditions sociales et varie en
fonction de la géographie ; ainsi, si en France environ
60 % des patientes en âge de procréer ne sont pas immunisées
contre le CMV, on estime que 1 % des naissances
vivantes ont fait l’objet d’une infection à CMV in utero (à
des degrés de gravité variable).
Environ 1 500 enfants par
an en France seraient concernés, soit par un décès, soit par des séquelles neurosensorielles plus ou moins graves.
• La séroconversion ( primo-infection) à CMV s’accompagne
d’une virémie maternelle et éventuellement
de signes cliniques.
Le passage foetal se produit dans
environ 40 % des cas, il est constant quel que soit le
terme, mais ses conséquences semblent plus graves en
début de grossesse.
• Les signes d’appel de l’infection en cours de grossesse
sont soit cliniques (maternels) soit échographiques
(foetaux).
Les signes échographiques le plus souvent
rencontrés sont le retard de croissance intra-utérin et les
anomalies cérébrales.
Le diagnostic biologique maternel repose bien évidemment
sur la sérologie conventionnelle (IgG et IgM) mais
doit être complété par les tests d’avidités des IgG qui
permettent de mieux dater la primo-infection.
Le risque d’infection foetale en cas de réinfection ou de
réactivation maternelle est considéré comme très inférieur
à celui d’une primo infection qui est notre préoccupation
principale.
2- Situation « à risque » d’infection à CMV en
cours de grossesse
:
• La plupart des primo-infections sont asymptomatiques
(90 % des cas). Si le risque d’atteinte foetale est
maximal en cas de primo-infection, il n’est cependant
pas nul en cas de réinfection (10 à 15 fois moindre)
menant le plus souvent à des formes «minimes» avec
des atteintes séquellaires neurosensorielles (surdités
unilatérales…).
• Le taux de femmes immunisées pour le CMV varie en
fonction des conditions socio-économiques, très important
dans les milieux défavorisés des pays en voie de
développement (~90 %) et dans les pays où le taux
d’immunisation est très élevé (Japon), il peut n’être que
de 40 % dans des études occidentales.
• Toute femme enceinte séronégative vis-à-vis du CMV
risque de s’infecter en cours de grossesse, ce risque est
nettement majoré si la patiente travaille au contact de
jeunes enfants (crèche, infirmière en milieu pédiatrique…)
ou au contact de malades précaires ou immunodéprimés
(volontiers réservoir du virus).
Il en est de
même pour les mères de famille avec des enfants en
crèche. De même toute immunodépression maternelle
est une situation à risque.
Il conviend de dépister les situations ou les métiers à
risque pour permettre des comportements prophylactiques
de la part de l’intéressé : éviter les contacts rapprochés
(baisers) ; éviter les contacts avec les sécrétions
(salive…) ; se protéger avec un masque ; changer provisoirement
de poste de travail ; ne pas finir les plats des
enfants ; éviter tout contact avec les sécrétions de l’enfant
en particulier la salive (nettoyer les jouets) ; se laver
les mains après chaque change d’enfant…
L’efficacité de ces mesures a fait l’objet d’une évaluation
précise qui montre un effet positif de celle-ci sans
toutefois obtenir de résultats significatifs dans une étude cas-témoins.
3- Circonstances du diagnostic de l’infection à CMV :
• Situation clinique : tout épisode grippal important en
cours de grossesse devra dans un premier temps faire vérifier
la sérologie CMV maternelle (il en est de même en cas
de syndrome mononucléosique ou d’hépatite).
Si les IgG
sont négatifs avec des IgM négatifs la patiente peut être rassurée,
elle reste cependant susceptible de s’infecter.
Si les IgG sont positifs avec des IgM négatifs la patiente est
immunisée.
Si les IgG et les IgM sont franchement positifs
(ou avec des IgG négatifs ou faiblement positifs), il s’agit
d’une séroconversion en cours (la conduite à tenir est
détaillée plus bas).
Parfois, on est en présence d’un taux
d’IgG positif associé à un taux faible d’IgM, dans ce cas
seul, un test d’avidité des IgG permet de déterminer s’il
s’agit d’un taux résiduel témoin d’une infection ancienne
(au moins supérieur à 3 mois) en cas d’avidité élevée, ou
témoin d’une réinfection) ou d’une séroconversion récente
(avidité faible).
Lorsqu’à l’examen clinique une hypotrophie foetale est suspectée,
une échographie de contrôle la confirmera ou non.
• Lors d’une échographie (morphologie ou croissance),
les éléments suivants peuvent êtres retrouvés : un retard de
croissance intra-utérin associé ou non à une anomalie de
liquide amniotique sans anomalie des doppler utérins ni
ombilicaux ; une atteinte du système nerveux central (dilatation
ventriculaire, calcifications intracrâniennes périventriculaires,
microcéphalie, anomalie de la gyration, images
en candélabre liées à une hyperechogénicité des vaisseaux
lenticulo-striés…) ; une atteinte digestive détectée sur une
image intra-abdominale (« calcifications » hépatiques,
intestinales, ascite, hyperéchogénicité du grêle…) ; un
tableau d’anasarque (dissocié ou non) ; un hydramnios.
Devant l’un de ces signes (isolé ou associé), on devra proposer
à la patiente une recherche d’infection virale (en
particulier à CMV).
On peut préciser que les signes échographiques sont
probablement tardifs et témoins d’une infection sévère,
à l’origine soit de mort foetales in utero soit de formes
graves et symptomatiques à la naissance.
On peut estimer
qu’en dehors de signes échographiques et de symptômes
cliniques, la majeure partie des infections foetales
(probablement les moins graves) échappent à notre surveillance
obstétricale.
Lorsque des signes échographiques sont constatés, les IgM ont en général disparu ; on aura alors recours à des
dosages sur des sérums antérieurs et aux tests d’avidité
qui permettent de mieux dater l’infection.
4- Diagnostic de l’infection à CMV :
• La sérologie maternelle : peut être extrêmement difficile
à interpréter (d’autant plus que la présence d’IgM peut
être résiduelle, liée à une activation polyclonale non spécifique,
ou à une réinfection par le même virus).
En cas d’IgM faiblement positif seul un test d’avidité élevé
des IgG permettra de qualifier l’infection d’ancienne.
Dans la mesure du possible, en cas de sérologie positive
détectée en cours de grossesse, il faut entreprendre une
étude comparative avec des sérums du début de grossesse
ou antérieurs à celle-ci.
En fait, en cas de signes échographiques majeurs l’étude
des sérologies sera d’un faible secours, et seuls les
prélèvements foetaux permettront de progresser dans le
diagnostic.
• Prélèvements foetaux : ne doivent être faits qu’en
dehors de l’épisode de virémie maternelle, ce qui en pratique
est difficile à déterminer.
La virémie persiste quelques
semaines à quelques mois après le début de l’infection, et la
détection de virémie en cas de primo-infection est inconstante.
On considère que l’amniocentèse ne doit être pratiquée
que 4 semaines après la date supposée de séroconversion
maternelle afin d’éviter les faux négatifs (délai
d’infection foetale), les faux positifs par contamination
maternelle et une hypothétique contamination du foetus.
– Prélèvement sur liquide amniotique : l’amniocentèse permet
les examens suivants : recherche d’un fragment du
génome CMV par PCR (méthode très sensible et spécifique,
dont la qualité première est la rapidité) ; mise en évidence
du virus par culture cellulaire (c’est la méthode de
référence dont les délais de réponse sont plus longs).
Malgré tout, une recherche négative n’exclut pas formellement
une atteinte foetale.
Si l’on compare les résultats de l’amniocentèse (PCR) à
la virurie à la naissance, la sensibilité est de 71 % (30 %
des enfants avec une virurie positive avaient une PCR
négative), la spécificité est de 98,5 %, la VPP de 94,4 %,
la VPN de 90,4 %.
– Prélèvement sur sang foetal : la sérologie CMV, du fait
de l’immaturité immunitaire foetale, est de peu de
secours, par exemple l’absence d’IgM (cette recherche
est peu spécifique) n’élimine absolument pas une infection
foetale.
Le dosage de l’interféron donne une indication
non spécifique d’infection virale la numérationformule
sanguine-plaquette et le bilan hépatique (ASAT,
ALAT, gamma GT....) peuvent permettre de documenter
une foetopathie pour établir un pronostic en cas d’absence
d’anomalie à l’échographie.
En conclusion, actuellement le diagnostic de certitude
repose sur la PCR dans le liquide amniotique.
5- Prise en charge en cas de diagnostic positif :
Au cours d’une primo-infection maternelle, le risque de
transmission au foetus est en moyenne de 40 %.
Les
foetus contaminés vont devenir excréteurs de virus et
seront viruriques dès la naissance.
Le schéma suivant
explicite le risque d’atteinte foetale (hors évaluation
échographique, et en ne tenant pas compte du terme).
Sur 1 000 séroconversions, 400 foetus seront atteints :
– 90 % (360) seront asymptomatiques à la naissance,
- 10 % (36) développeront dans les années suivantes des
séquelles neurosensorielles (retard mental modéré, surdité…)
;
– 10 % (40) des enfants seront symptomatiques (maladie
des inclusions cytomégaliques),
- 20 % (8) décéderont,
- 90 % (29) des survivants auront de graves séquelles
neurologiques et sensorielles (microcéphalie, choriorétinite
avec cécité, surdité bilatérale).
On rappellera aussi que plus le terme de l’infection est
précoce, plus celle-ci est grave, avec un risque de
séquelles plus élevé.
Par contre, l’âge gestationnel ne semble pas influencer le
taux de transmission.
Les taux de séquelles neurosensorielles
en fonction du terme de contamination sont les
suivants : 1er trimestre : 35-45 % ; 2e trimestre : 8-25 % ;
3e trimestre : 0-7 %.
• La présence de signes échographiques associés à une
PCR (+) signe la foetopathie, l’attitude la plus courante
est alors de proposer une interruption médicale de grossesse.
En cas de signes échographiques cérébraux
frustes, ou devant l’existence par exemple d’une hyperéchogénicité
abdominale isolée avec une PCR (+) ; une
imagerie par résonance magnétique cérébrale foetale peut
être demandée dans le but d’affiner le pronostic.
Dans
ces situations intermédiaires, une biologie foetale peut
être pratiquée au cordon toujours dans le but d’affiner le
pronostic.
Mais un retard de croissance intra-utérin isolé peut n’être
que le seul symptôme d’une foetopathie grave et être à lui
seul un signe de mauvais pronostic.
• La présence de signes biologiques [ PCR (+) ou culture
(+) dans le liquide amniotique] isolément après une
séroconversion maternelle, et en l’absence de signe échographique
(en particulier eutrophie foetale) et de signes à
l’imagerie par résonance magnétique, pose pour certaines
équipes l’indication d’une biologie sur sang foetal ;
si celle-ci est positive, une interruption médicale de grossesse
pourrait être proposée; pour d’autres cette attitude
est plus discutable.
En l’absence d’anomalies biologiques sur le sang foetal,
le pronostic est difficile à établir ; dans ces cas, le suivi
échographique, si le terme le permet, est indispensable
associé à une imagerie par résonance magnétique foetale.
Cette attitude est modulable en prenant en compte le
terme supposé de l’infection puisque plus celle-ci est
précoce, plus le risque de séquelles est important .
Cependant, il faut noter que cette prise en charge pourrait
entraîner une interruption médicale de grossesse chez
50 % de foetus indemnes.
De plus, il faut se souvenir que
5 à 15 % des nouveau-nés en maternités sont viruriques
dans les jours qui suivent la naissance et sont totalement
asymptomatiques.
• À l’accouchement, si après l’évaluation anténatale il
est décidé de laisser se poursuivre la grossesse ou si les
parents ont décliné une proposition d’interruption médicale
de grossesse ; l’enfant devra impérativement bénéficier
d’une prise en charge pédiatrique adaptée avec la réalisation
d’examens complémentaires comprenant en particulier :
une recherche de virurie (effectuée dans les 15 jours qui suivent
la naissance) ; une echographie transfontanellaire, un
fond d’oeil ; une recherche de potentiel évoqué auditif…
Une prise en charge spécifique immédiate ou différée, associée
à un suivi au long cours, devra être assurée en fonction des premières constatations cliniques et paracliniques.
6- Quel dépistage proposer ?
L’opportunité du dépistage systématique reste en suspens,
d’authentiques infections in utero existent comme en
témoigne le pourcentage de nouveau-nés viruriques à la
naissance qui sont totalement asymptomatiques, et
l’échographie permet de repérer les infections graves en
anténatal.
• Protocole de dépistage intensif qui consiste en l’attitude
suivante : sérologie systématique au début de la
grossesse, puis suivi sérologique mensuel des femmes séronégatives.
Déclenchement des investigations invasives en
cas de séroconversion.
Les principales conclusions sont les
suivantes :
– ce protocole est très anxiogène pour les patientes et difficile
à gérer pour l’équipe médicale en cas d’amniocentèse
positive (PCR) sans autre anomalie associée ;
– des cas de foetus avec PCR négative en anténatal et virurie
positive en postnatal immédiat ont été trouvés ;
– la valeur de l’amniocentèse est bonne pour prédire la virurie
à la naissance mais mauvaise pour prédire une atteinte foetale.
Seule l’échographie semble pouvoir prédire une pathologie
foetale de façon fiable ;
– le problème n’est pas résolu car cette attitude est à l’origine
d’examens invasifs et d’interruption médicale de grossesse
non justifiés a posteriori (comme en témoignent les examens foetopathologiques) ;
– partant du principe qu’il n’existe pas de traitement anténatal
et que le suivi échographique habituel permet de repérer les
anomalies les plus graves justifiant d’une interruption médicale
de grossesse, les résultats plaident pour un allègement du
protocole.
• Protocole « allégé » :
– sérologie en début de grossesse ;
– en cas de sérologie négative mesures prophylactiques ;
– suivi clinique et échographique standard (12, 22 et
32 semaines d’aménorrhée) ;
- éventuellement sérologie en fin de grossesse ;
– investigation anténatale si séroconversion dépistée sur
signes d’appels cliniques ou échographiques ;
– à la naissance, recherche de virurie néonatale ; en cas
de virurie positive, bilan complet et suivi pédiatrique (au
moins jusqu’à 6 ans) ;
– cette attitude permettrait de mieux connaître le pourcentage
et le pronostic des infections congénitales
asymptomatiques dépistées sur la virurie néonatale et
nous paraît être une proposition acceptable de dépistage.
Ce dépistage des enfants asymptomatiques à la naissance
permettrait de repérer plus tôt, pour une meilleure
prise en charge, des séquelles à type de surdité.
7- Mesures de prévention :
Toute transfusion doit être faite avec un sang CMV(-) et
déleucocyté même si la femme enceinte est CMV(+).
Des antiviraux (potentiellement embryotoxiques et
foetotoxiques : Ganciclovir, Foscarnet…) ont déjà été
utilisés chez des nouveau-nés avec certains succès.
Leur
utilisation en anténatal n’est pas encore d’actualité.
Les vaccins anti-CMV ne sont pas encore suffisamment
efficaces et ne mettraient pas forcément à l’abri d’une
réinfection.
Cependant compte tenu du faible risque en
cas de réinfection, l’idée est séduisante. Cette solution
pourrait être une voie d’avenir.