Cystite aiguë et autres maladies inflammatoires bénignes de la vessie féminine Cours de
Gynécologie Obstétrique
Introduction
:
La cystite aiguë de la femme est une infection vésicale bénigne,
caractérisée par l’association d’une pollakiurie, de douleurs
mictionnelles et d’une pyurie.
Son tableau clinique est suffisamment
caractéristique pour que le diagnostic soit évoqué dès
l’interrogatoire, souvent par la patiente elle-même.
Le traitement en
est aisé, le plus souvent sans examen cytobactériologique urinaire
(ECBU), par une antibiothérapie brève active sur Escherichia coli qui
reste le germe très largement dominant.
La guérison est obtenue
sans séquelle.
Un esprit frondeur pourrait donc s’interroger sur l’utilité d’un
chapitre consacré à une entité d’apparence aussi simple.
En fait, les
raisons de s’y intéresser sont multiples et fondamentales.
L’infection urinaire est essentiellement d’origine ascendante.
Comprendre les mécanismes de l’infection vésicale permet de mieux
cerner le stade initial de toute infection du tractus urinaire (ITU).
C’est aussi faire un pas vers la diminution des infections urinaires
nosocomiales.
L’ITU, et singulièrement la cystite aiguë, est d’une fréquence
extrême.
Parler de problème de santé publique n’est pas exagéré
lorsque des millions de personnes sont concernées chaque année en
France et que le budget consacré au diagnostic et au traitement est
de plusieurs centaines de millions de francs.
Enfin, les cystites récidivantes, même si elles n’ont en général pas
de signification plus péjorative que la crise unique, peuvent constituer un véritable handicap social et professionnel altérant
suffisamment la qualité de vie pour justifier une prévention au long
cours.
À côté des cystites bactériennes, nous étudierons dans une deuxième
partie les pathologies vésicales bénignes rattachées à la cystite,
largement dominées par la pathologie iatrogène.
La cystite
tuberculeuse, la cystite bilharzienne, la cystite interstitielle, qui font
l’objet de chapitres spécifiques de l’ouvrage, ne seront pas abordées.
Cystite aiguë
:
A - ÉPIDÉMIOLOGIE :
Les données sont rares et imprécises, mais témoignent de la grande
fréquence.
Aux États-Unis, on a estimé l’incidence annuelle à sept
millions d’épisodes, mais certaines études font penser que des
millions d’autres sont méconnus.
Au total, 25 à 35 % des femmes
entre 20 et 40 ans auraient présenté une ITU.
En France, une femme sur deux présenterait une cystite aiguë dans
sa vie, et 2 à 10%feraient des cystites récidivantes.
L’extrapolation
des chiffres américains donnerait une incidence annuelle de 1,8
million d’épisodes.
Sur des données purement nationales, à partir
d’une incidence annuelle de 53 000 ITU/106 habitants, dont les
deux tiers sont considérées comme bénignes et, sachant que les deux
tiers des infections urinaires extrahospitalières documentées sont des
cystites aiguës, on peut estimer l’incidence annuelle à 1,3 million.
En fait, l’incidence nationale des ITU est probablement sousestimée.
Par ailleurs, une proportion importante des cystites
aiguës fait l’objet d’une automédication ou est traitée sans ECBU.
Une incidence annuelle d’environ deux millions d’épisodes semble
donc plus proche de la réalité.
B - FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT DE L’INFECTION
VÉSICALE :
L’urine vésicale est normalement stérile.
L’infection urinaire ne peut
naître et se développer qu’en raison d’une interaction favorable entre
les facteurs de virulence du pathogène (du latin « virulentia »,
poison) et des facteurs propres à l’hôte comme sa réceptivité et ses
mécanismes de défense. Ainsi sont définies :
– la BA, dénuée par définition de toute symptomatologie ;
– la cystite aiguë où les symptômes vésicaux accompagnent une
réaction inflammatoire strictement localisée ;
– enfin, la pyélonéphrite aiguë marquée par une réaction
inflammatoire systémique.
L’infection symptomatique étant beaucoup plus fréquente chez la
femme en période d’activité génitale, nous traiterons donc
essentiellement des ITU sur ce terrain.
1- Facteurs bactériens de virulence :
Les pathogènes responsables d’ITU sont d’origine endogène,
colonisant par voie ascendante plutôt qu’hématogène, ou d’origine
nosocomiale.
Dans les infections endogènes, E. coli (80 % des cas
environ) est d’origine fécale, alors que Staphylococcus saprophyticus
(10 à 30 % des infections suivant la saison aux États-Unis, 3 à 7 % en
France) est un commensal de la peau et des voies génitales.
D’autres bacilles à Gram négatif, comme Klebsiella sp., Proteus sp.,
Enterobacter sp. et Pseudomonas sp. sont surtout rencontrés chez les
patientes présentant des facteurs favorisants.
Les propriétés bactériennes permettant de déborder les processus
de défense de l’hôte sont dénommées « facteurs de virulence ».
Ils
ont été particulièrement étudiés chez E. coli.
Les clones virulents
dans le tractus urinaire diffèrent des autres par la possession
simultanée des propriétés requises pour coloniser l’intestin, se
propager et envahir les voies urinaires.
* Adhérence bactérienne. Adhésines :
La possibilité d’adhérer aux cellules vaginales et urothéliales par
l’intermédiaire de structures spécifiques, les adhésines, constitue le
facteur de virulence essentiel.
Les bactéries fixées par les adhésines
sont moins susceptibles d’être éliminées par les flux corporels et
peuvent libérer leurs exotoxines dans les tissus de l’hôte.
Quatrevingt-six pour cent des souches responsables de cystite
exprimeraient des adhésines, contre 95 % des souches de
pyélonéphrite et 9 % des souches de BA.
En général, les souches uropathogènes possèdent simultanément plusieurs systèmes
d’adhésines.
Les adhésines des E. coli uropathogènes sont des structures
filamenteuses de surface appelées « pili » ou « fimbriae », ou des protéines non
filamenteuses de la membrane externe.
+ Fimbriae ou pili :
Ce sont de longs appendices filamenteux de nature protéique situés
à la surface de la bactérie.
Ils sont constitués de sous-unités
primaires polymérisées en « hélice » : la piline.
Les pili sont le
moyen principal d’attachement de la bactérie aux cellules
épithéliales. Leur faible diamètre et leur longueur permettent une
adhérence forte qui serait autrement impossible en raison des
charges globalement négatives de la bactérie et de la cellule.
Les deux groupes majeurs de fimbriae sont distingués par leur
aptitude à entraîner l’agglutination de certains érythrocytes en dépit
de la présence ou seulement en l’absence de mannose
(hémagglutination mannose-résistante [MR] et hémagglutination
mannose-sensible [MS]).
Les bactéries peuvent présenter
simultanément plus d’un type de fimbriae ou en être dépourvues
(souches non fimbriées).
La production de pili est compliquée par
les phénomènes de variation de phase, le pathogène évoluant
suivant l’environnement (pH, osmolalité...) entre phase « piliée » et
phase « non piliée ».
Fimbriae MR.
Sur la base de la spécificité des récepteurs, ces adhésines sont classées en deux groupes :
– celles reconnaissant les antigènes de groupe sanguin P : les fimbriae P ;
– les autres, autrefois appelées fimbriae X, sont dénommées
adhésines MR non P.
Avec la découverte de nouveaux récepteurs
(S, M, Dr), la proportion de souches incluses dans ce groupe a
progressivement diminué.
Les Fimbriae P constitueraient le facteur de virulence majeur des
infections à E. coli.
Elles se lient à un récepteur digalactose
(globoside) contenu dans les glycolipides de surface des cellules
urothéliales, mais aussi dans les glycosphingolipides des
substances de groupe sanguin P.
Ces récepteurs sont aussi présents
sur les cellules épithéliales du côlon, ce qui explique en partie la
capacité de ces souches à y persister, et donc à réinfecter l’appareil
urinaire tant qu’elles n’ont pas été éliminées par un traitement
antimicrobien approprié.
La proportion de souches exprimant les fimbriae P varie avec la
gravité de l’infection : 67 % pour la pyélonéphrite, 25,3 % dans
les cystites de la femme adulte, 20 % pour les BA et 10,8 % pour les
souches fécales de porteurs sains.
La proportion de souches
porteuses de fimbriae P est probablement plus importante sur le site
infecté où elles sont adhérentes aux cellules, que dans les urines où
les autres souches restent libres.
Les types antigéniques sont variés et déterminés par l’opéron pap
(pyelonephritis associated pili) du chromosome bactérien, contenant
11 gènes différents (papA à papK).
Le gène papA code la sousunité
fimbriale alors que papE, papG et papF déterminent la
spécificité de l’adhésine.
Parmi une multiplicité de fimbriae P,
trois classes de protéines d’extrémité se lieraient à des récepteurs
digalactose de structures spatiales différentes déterminant le site de
l’infection d’E. coli.
La protéine de classe I ne serait pas uropathogène chez l’homme.
Celle de classe III, qui adhère à
l’antigène Forssman et aux glycolipides globo A, déclencherait une
cystite.
Une protéine terminale de classe II permettrait à E. coli
de remonter dans l’uretère et d’entraîner une pyélonéphrite aiguë.
La prédominance des souches porteuses de fimbriae P dans les ITU
résulterait d’une capacité à persister plus longtemps dans le côlon
des patients prédisposés, mais surtout d’une plus grande virulence
intrinsèque.
Les souches sans fimbriae P (pap-négatives), bien
que capables d’entraîner une ITU, ne le font plus lorsqu’elles sont
concurrencées dans la flore fécale par des souches porteuses de
fimbriae P, qui deviennent alors les seules responsables.
Dans
l’ensemble, les fimbriae P entraînent une réaction inflammatoire
locale plus intense, contribuent à l’infection rénale extensive,
et pourraient être impliquées dans l’induction d’une réponse
immunitaire de l’hôte.
En revanche, elles ne seraient pas
indispensables à la persistance de la bactérie dans le tractus
urinaire.
Les adhésines MR non-P n’ont pas d’affinité spécifique pour le
récepteur digalactose.
Elles sembleraient associées aux souches
responsables d’ITU nosocomiales et pourraient donc jouer un rôle
dans l’infection du bas appareil.
Fimbriae MS ou fimbriae de type 1.
Ces pili sont exprimés par la
plupart des E. coli, pathogènes ou non.
Ils se lient au mannose
présent dans les membranes cellulaires de l’hôte mais aussi dans le
mucus, la protéine de Tamm-Horsfall, l’IgA sécrétoire et la
fibronectine.
Ils favorisent l’adhérence et la phagocytose par les
polynucléaires.
Bien que plus fréquents sur les souches d’ITU, les pili de type 1
jouent un rôle encore incertain dans le développement de l’ITU
.
Ils adhèrent aux cellules vaginales et pourraient jouer un rôle
plus important dans la colonisation vésicale que dans l’ITU
invasive, notamment chez le patient sondé.
Autres types de fimbriae. Les pili de type 1C sont structurellement
très proches du type 1, mais n’entraînent pas d’hémagglutination.
+ Adhésines non fimbriales (AFA : « afimbrial adhesins»)
:
Chez certaines souches d’E. coli, l’hémagglutination dépend de
protéines de la paroi bactérienne se liant aux protéines de l’hôte.
Un exemple est l’adhésine Dr, qui se lie à l’antigène de groupe
sanguin Dr.
Par rapport aux fimbriae P, les adhésines AFA semblent
davantage associées à la cystite banale, notamment grâce à une plus
grande affinité pour les cellules épithéliales du bas appareil riches
en récepteurs de ce type.
+ Autres mécanismes d’adhérence :
Production de facteur soluble. E. coli pourrait produire un facteur
soluble qui romprait la couche de mucus protégeant la muqueuse
vésicale.
Son rôle chez l’homme n’est pas établi.
Disposition en biofilm.
Les biofilms sont des couches denses de
bactéries liées par une matrice à laquelle participent probablement
la protéine de Tamm-Horsfall, la fibronectine et le fibrinogène.
La
flore normale peut se disposer en biofilm protégeant la surface
muqueuse réceptrice.
Les bactéries pourraient aussi se développer
en biofilms dans la vessie pour résister aux mécanismes de défense
de l’hôte ainsi qu’à l’action des antibiotiques.
+ Bactéries autres que E. Coli
:
S. saprophyticus, cause fréquente d’ITU de la femme jeune, devrait
sa pathogénicité dans le tractus urinaire à une plus grande
adhérence par rapport à S. aureus ou S. epidermidis.
Des fimbriae
nombreuses ont été décrites chez Proteus mirabilis.
* Facteurs de virulence en dehors de l’adhérence :
+ Mécanismes d’acquisition du fer
:
Le fer est indispensable au développement des bactéries.
Or, la
quantité disponible dans le corps humain (non liée à la ferritine ou
l’hémoglobine) est très faible.
Certains facteurs de virulence
favorisent l’acquisition du fer.
Les sidérophores sont des systèmes de chélation du fer.
L’aérobactine est
le système le plus efficace.
Les gènes d’E. coli codant l’aérobactine
sont situés sur le chromosome bactérien, mais aussi dans les
plasmides dont certains codent également la résistance aux
antibactériens.
Il serait envisageable que la pression antibiotique
puisse sélectionner des souches plus virulentes par l’association des
facteurs plasmidiques de résistance aux antibiotiques et de la
production de l’aérobactine.
L’entérobactine est dotée d’une plus grande affinité pour le fer.
Elle
est aussi moins stable que l’aérobactine puisque la libération du fer
nécessite son hydrolyse alors que l’aérobactine est continuellement
recyclée.
Les hémolysines sont des protéines capables de lyser les érythrocytes.
La
principale est l’á-hémolysine.
Elle libère le fer mais est aussi
cytotoxique, ce qui renforcerait les dommages tissulaires en
stimulant la réponse inflammatoire.
La production d’hémolysine s’accompagnerait d’une pathogénicité
accrue et presque constamment d’une hémagglutination MR
et/ou de la production de fimbriae P.
Pour certaines souches, la
production d’hémolysine est supprimée dans un environnement
riche en fer et stimulée dans un environnement pauvre.
Les
souches responsables de cystite seraient plus fréquemment
productrices d’hémolysine que les souches de BA ou les souches
fécales, mais moins souvent que celles de pyélonéphrite.
+ Facteurs antigéniques :
Sérotype O. L’antigène O est un constituant de la membrane polysaccharidique externe des bactéries à Gram négatif.
Les sérotypes O responsables de l’ITU sont moins nombreux que ceux
retrouvés dans la flore fécale.
Les antigènes O1, O2, O4, O6,
O7, O16, O18 et O75 sont exprimés par environ 80 % des souches uropathogènes.
La colonisation vaginale par ces souches
exposerait davantage à l’ITU.
Résistance au pouvoir bactéricide du sérum.
Les bactéries sont tuées
par l’activité lytique du système du complément contenu dans le
sérum humain.
La résistance au pouvoir bactéricide du sérum,
commune parmi les souches O6, O7, O18 et O50, est plus fréquente
parmi les souches de pyélonéphrite et de cystite que parmi les
souches fécales ou surtout de BA.
Polysaccharides capsulaires : l’antigène K et la résistance à la
phagocytose.
Certaines bactéries élaborent une enveloppe de
polysaccharides acides capsulaires, appelés antigènes K, les
protégeant contre la phagocytose et l’attaque du complément.
La quantité d’antigène K déterminerait le degré de virulence d’une
souche.
L’antigène capsulaire K1 est le plus commun chez E.
coli.
Son rôle serait mineur dans les cystites, plus
important dans la pyélonéphrite.
+ Autres facteurs présumés
:
Production de cytotoxine et de protéases.
Un facteur cytotoxique
nécrosant a été décrit chez certains E. coli.
Les souches
productrices d’immunoglobulines A(IgA)-protéases pourraient être
plus virulentes dans l’appareil urinaire.
Mobilité bactérienne. E. coli est mobile du fait de flagelles (antigène
H).
Le rôle exact de cette mobilité dans la virulence reste débattu.
Facteur de paralysie des contractions urétérales.
Le lipide A des fimbriae P d’E. coli aurait un effet paralytique sur le péristaltisme
urétéral, favorisant l’ascension vers le rein.
Production d’uréase.
L’ammoniaque, produit par hydrolyse de l’urée,
augmente in vitro l’adhérence à l’épithélium vésical.
* Facteurs de virulence et tableaux cliniques :
+ Dans la cystite aiguë
:
Il n’y a pas de profil bactérien type.
Les souches d’E. coli ne
représentent pourtant pas un échantillon aléatoire de la flore fécale,
mais possèdent certains facteurs de virulence qui leur permettent
d’entraîner ce type d’infection.
Elles diffèrent des souches
communément responsables de pyélonéphrite.
L’hémolysine, les fimbriae de type 1 et les fimbriae P de type prsGJ96 seraient plus
fréquentes.
On a rapporté une forte corrélation entre l’antigène
K1 et la présence de fimbriae P.
Les autres facteurs de virulence
sont importants pour la survie du micro-organisme chez l’hôte.
La
cystite pourrait être causée par des souches moins virulentes chez
les femmes utilisant une contraception par diaphragme.
Il existe
cependant des chevauchements de caractéristiques entre les souches
de porteurs sains, de cystite et de pyélonéphrite.
+ Dans la BA :
On a pensé que la présence de fimbriae et la production
d’aérobactine permettaient à E. coli de pérenniser une infection
asymptomatique.
On sait toutefois que certaines souches de BA
n’expriment pas les fimbriae ou en réduisent secondairement
l’expression.
Enfin, des souches expérimentales dépourvues
d’adhésines ont pu s’établir chez l’homme présentant une
dysfonction vésicale, entraîner une bactériurie significative et
persister plusieurs années.
L’adhérence ne serait donc pas
obligatoire pour persister dans le tractus urinaire, alors que la
résistance au composant urinaire de la famille des polyamines le
serait.
Il est en fait probable que les micro-organismes sont
capables d’exprimer un certain nombre de caractères d’adhérence,
dont certains sont les fimbriae et d’autres des propriétés de surface,
permettant la liaison avec l’urothélium.
En particulier, les
interactions électrostatiques et hydrophobiques sont sûrement
importantes, mais encore mal connues.
Enfin, pour éviter
l’élimination liée à la réaction inflammatoire, il est possible que les
organismes adhérents soient dans l’obligation de former un biofilm
dans la vessie.
2- Facteurs liés à l’hôte :
L’obstruction, où qu’elle siège sur l’appareil urinaire, est le facteur
majeur favorisant l’infection urinaire.
En fait, l’importance des
facteurs propres à l’hôte apparaît clairement dans le cadre des
infections récidivantes, qui surviennent le plus souvent chez des femmes jeunes dont l’arbre urinaire est anatomiquement normal.
La bactérie doit trouver chez l’hôte les récepteurs nécessaires à
l’adhérence pour que l’ITU se développe.
La bactérie fixée doit
coloniser le vagin, puis l’urètre, enfin la vessie et, dans certains cas,
le haut appareil urinaire.
* Colonisation du vestibule, de la zone périurétrale
et de l’urètre distal
:
Elle précède l’apparition de la bactériurie.
La capacité pour la
bactérie d’adhérer aux cellules urothéliales est liée à la présence de
récepteurs spécifiques et à des facteurs favorisants dont certains
apparaissent génétiquement déterminés.
+ Flore bactérienne
:
Les uropathogènes sont normalement absents du vagin et de l’urètre
terminal.
Les lactobacilles, bacilles à Gram positif commensaux
habituels du vagin, produisent de l’acide lactique qui maintient un
pH acide et inhibe la croissance des uropathogènes, mais aussi
un peroxyde d’hydrogène qui pourrait servir de défense.
Certains
composants de la paroi des lactobacilles empêcheraient l’adhérence
aux cellules uroépithéliales en bloquant les sites d’attachement.
La colonisation du périnée, de l’introitus vaginal et de la muqueuse
urétrale par une souche uropathogène d’origine fécale précède
l’ITU.
Les études de génétique bactérienne permettent de valider
ce concept.
La colonisation vaginale précédant celle de l’urètre,
la flore urétrale peut être explorée par une culture du vestibule.
Les souches d’E. coli de la flore fécale servent de réservoir de germes
responsables des ITU, notamment de la cystite, en fonction de la
dominance d’une souche mais aussi du nombre de facteurs de
virulence.
Tous les facteurs de virulence de la flore uropathogène
sont présents dans la flore rectale.
Les infections à S. saprophyticus seraient plus fréquentes chez les
professionnelles de la viande et les utilisatrices des piscines
publiques.
+ Récepteurs uroépithéliaux :
Le récepteur digalactose est présent dans tout l’arbre urinaire, sauf
dans le glomérule et dans l’anse de Henle.
Il n’y a pas de
différence de densité de récepteurs suivant le sexe.
Son
abondance dans l’épithélium du vagin et du trigone rend compte de
l’importance des phénomènes d’adhérence bactérienne dans la
pathogénie des infections du bas appareil urinaire.
Il est présent en
quantité importante dans les canaux collecteurs du rein, ce qui
expliquerait la fréquence des fimbriae P dans les pyélonéphrites à E.
coli.
Les récepteurs au mannose sont uniformément répartis sur tout
l’arbre urinaire.
+ Variations de réceptivité
:
Les cellules urothéliales prélevées au milieu du cycle menstruel
pourraient avoir une réceptivité accrue, expliquant en partie le
pic de fréquence des ITU observé entre le 8e et le 15e jour du
cycle.
Des récepteurs aux oestrogènes et à la progestérone ont été
mis en évidence dans les cellules trigonales des femmes
ménopausées ou non.
La contraception par un produit spermicide imprégnant les
préservatifs ou en complément du diaphragme augmente la
colonisation vaginale par E. coli, probablement du fait de l’action
détergente du nonoxynol 9.
Ce facteur favorisant doit être
systématiquement recherché dans les infections récidivantes.
Bien
que la plupart des uropathogènes soient d’origine fécale, une
infection génitale peut aussi être le réservoir de germes à éradiquer
pour éviter les récidives.
En revanche, une toilette inadaptée ou la direction de l’essuyage
après défécation ne semblent pas des facteurs de risque prouvés.
Il en est de même pour le type de protection menstruelle,
l’utilisation de déodorants, de douches vaginales, de sous-vêtements
serrés, et de la fréquence de la toilette périnéale.
Après la ménopause, le pH s’élève, les lactobacilles disparaissent et
le vagin est colonisé par des entérobactéries.
Le traitement local
par les oestrogènes rétablit alors un pH vaginal acide, permet une
recolonisation par le lactobacille et la disparition des entérobactéries,
aboutissant à une diminution significative de la fréquence des ITU.
L’antibiothérapie accroît le risque d’ITU dans les semaines qui
suivent.
Ceci est particulièrement vrai pour les bêtalactamines,
qui altèrent la flore urogénitale endogène et prédisposent à la
colonisation vaginale par un uropathogène ; à l’inverse, le
cotrimoxazole a peu d’action sur la flore vaginale normale.
+ Facteurs génétiques
:
La colonisation chez les patientes sujettes aux récidives est souvent
intermittente mais plus importante et durable que chez les témoins.
Chez ces patientes, les infections ont tendance à survenir par
crises groupées, ce qui suggère la présence limitée dans le
temps de facteurs favorisants.
La virulence des souches de rechute
ne diffère pas de celle d’un premier épisode.
Enfin, la virulence
des souches de cystite n’est pas différente entre patientes jeunes ou
âgées, en bonne santé ou malades.
Les caractéristiques de l’épithélium récepteur sont en fait plus
importantes que celles de la bactérie.
En effet, les germes
responsables d’épisodes récidivants n’adhèrent pas mieux aux
cellules vaginales de sujets témoins, alors que les cellules
vaginales des patientes sujettes aux récidives ont une capacité
d’adhérence plus grande vis-à-vis des souches standards d’E. coli
que les cellules identiques de sujets contrôles.
Cette réceptivité
accrue à l’adhérence bactérienne fut la première différence
biologique majeure démontrable chez les femmes sujettes aux ITU
récidivantes.
Cette capacité d’adhésion est aussi une caractéristique
des cellules buccales, ce qui prouve l’intervention majeure d’un
facteur génotypique, d’autant plus que l’antigène HLA-A3
(human leukocyte antigen) apparaît plus fréquent chez les femmes
sujettes aux récidives.
D’autres éléments plaident en faveur de l’origine génétique de cette
réceptivité accrue.
Les antigènes de groupe sanguin constituent une
partie importante des récepteurs de la membrane cellulaire.
Or,
l’adhérence semble liée au phénotype non sécréteur (n’exprimant
pas les antigènes des groupes sanguins dans les sécrétions
corporelles).
Les femmes des groupes Lewis Lea-b- et Lea+b-, donc de
phénotype non sécréteur, ont une plus grande fréquence d’infections
récidivantes que celles de phénotype Lea-b+.
Chez les nonsécréteurs,
l’absence de fucosyltransférase empêcherait l’expression
de surface des antigènes de groupe sanguin A, B et H, exposant les
récepteurs digalactose et favorisant ainsi le stade initial de
l’infection qui déclencherait, sur ce terrain, une réaction
inflammatoire anormalement élevée.
L’importance du statut
sécréteur pourrait toutefois être remis en question au profit de la
spécificité de la protéine terminale.
Les patientes présentant une
infection vésicale par un E. coli exprimant l’adhésine de classe III
sont fréquemment de groupe A et sécrétrices, donc porteuses de
l’antigène A et de l’antigène Forssman sur leurs cellules
urothéliales.
Ces deux antigènes peuvent jouer le rôle de
récepteur pour les adhésines de classe III.
Dans l’ensemble, l’importance des facteurs génétiquement
déterminés chez l’hôte est largement acceptée.
* Infection vésicale ascendante :
L’inoculation vésicale est facilitée par la contiguïté des orifices
périnéaux, la brièveté de l’urètre féminin, l’absence des sécrétions
prostatiques bactéricides.
Le rôle des rapports sexuels qui ouvrent
largement l’urètre, notamment s’il persiste des brides hyménéales
cicatricielles, est essentiel.
Le début de l’activité sexuelle est souvent
marqué par les premières infections, classique « cystite de la jeune
mariée ». Une bactériurie transitoire est possible après le rapport.
Les rapports fréquents et rapprochés sont un facteur de risque.
L’effet protecteur de la miction postcoïtale n’a pas été confirmé.
L’activité sexuelle des femmes souffrant d’infections récidivantes ne différant pas des autres, c’est toutefois la colonisation vaginale et
non le rapport qui constituerait le facteur prédisposant.
Si l’effet protecteur des mictions fréquentes est admis, le régime
turbulent de la miction dans l’urètre féminin a été considéré comme
un facteur favorisant l’ascension des bactéries vers la vessie.
En
fait, la résistance urétrale des bactériuriques ne serait pas différente
de celle des témoins.
Le rôle du sondage est évident : le cathétérisme occasionnel
déclenche une infection chez 1 % des patients et l’infection sur sonde
à demeure est quasi constante.
* Facteurs de protection contre l’infection vésicale
:
Les bactéries pénétrant dans la vessie normale sont habituellement
rapidement éliminées grâce aux facteurs protecteurs urinaires et
vésicaux.
+ Facteurs urinaires :
Composition de l’urine. Les osmolalités extrêmes, le pH très acide, de
fortes concentrations d’urée et d’acides organiques peuvent inhiber
la croissance bactérienne.
L’urine contiendrait en outre un facteur
antibactérien apparenté à la famille des polyamines, auquel 70 %
des souches fécales d’E. coli seraient sensibles.
Les souches
insensibles pourraient constituer l’origine potentielle des ITU.
L’urine de la femme en renfermerait de moindres quantités que
l’urine de l’homme.
La présence de glucose dans l’urine favorise la multiplication d’E.
coli.
L’infection ne serait cependant pas plus fréquente au cours
du diabète non compliqué.
Les urines de femmes gravides ont
un pH favorable à la croissance à tous les stades de la gestation.
Protéine de Tamm-Horsfall. C’est une glycoprotéine sécrétée dans
l’urine par les cellules de la branche ascendante de l’anse de Henle
et du tube contourné distal.
Lorsque l’uromucoïde est présent en
grande quantité, il agirait comme un mécanisme de défense non
spécifique en piégeant les bactéries munies de fimbriae de type 1,
permettant leur expulsion par la miction.
À faibles concentrations,
la protéine de Tamm-Horsfall favorise au contraire l’adhérence des
fimbriae de type 1 aux cellules urothéliales par un mécanisme
inconnu.
Les patients âgés, dont on sait la plus grande sensibilité
à l’infection urinaire, ont une production de protéine de Tamm- Horsfall diminuée.
Au stade initial de colonisation vésicale, la protéine de Tamm-Horsfall pourrait se lier d’un côté à E. coli et de l’autre aux cellules
urothéliales.
Seules les bactéries capables de se lier aussi directement
aux cellules urothéliales permettraient le développement de
l’infection.
Les autres n’entraîneraient qu’une BA ; enfin celles qui
pourraient se lier mais ne posséderaient que peu de facteurs de
virulence seraient éliminées par exfoliation.
Immunoglobulines urinaires.
Leur rôle n’est pas totalement établi.
Certains sujets présentant des ITU récidivantes ont une production
d’IgA sécrétoires abaissée.
Or, les IgA réduisent l’adhérence
bactérienne aux cellules vaginales et urothéliales in vitro et facilitent
l’emprisonnement des bactéries dans la couche de mucine.
L’élaboration de protéases inactivant les IgA sécrétoires par certaines
souches de bacilles à Gram négatif pourrait donc être un important
facteur de virulence.
Les patients séropositifs ou sidéens
présentent plus de bactériuries, asymptomatiques ou non.
+ Facteurs vésicaux :
Couche de mucopolysaccharides. Une couche de glycosaminoglycanes
recouvre les cellules urothéliales et les protégerait de l’adhérence
bactérienne.
La dégradation mécanique de cette couche protectrice
(sondage, calcul, rapport vigoureux) pourrait constituer un facteur
favorisant.
L’adhérence bactérienne aux cellules urothéliales des
patients sondés est augmentée.
Activité antibactérienne de l’urothélium. Les cellules épithéliales
produiraient des molécules bactéricides pour E. coli, en moins
grande quantité chez les sujets prédisposés aux ITU que chez les
sujets sains.
Miction et vidange vésicale. Une vidange vésicale fréquente et
complète permet l’élimination très rapide des bactéries.
La
colonisation par ensemencement volontaire d’E.coli dépourvue de
fimbriae s’est avérée impossible chez les patients avec bas appareil
normal.
On a rapporté que les femmes qui se retenaient plus de
1 heure après avoir ressenti le besoin pressant d’uriner avaient un
risque d’ITU significativement plus élevé.
La dysurie, un résidu postmictionnel par obstacle sous-vésical ou dysfonction neurogène
favorisent l’infection vésicale.
Les diverticules vésicaux, le
reflux et les uretères borgnes qui ne se vidangent pas sont aussi des
facteurs favorisants.
Plus rares sont les fistules vésicovaginales ou
colovésicales où l’inoculation vésicale est directe.
Vieillissement.
La prévalence de la bactériurie augmente avec l’âge,
mais reste toujours plus fréquente chez la femme.
La mauvaise
vidange vésicale reste le facteur prédominant.
Les autres facteurs
sont multiples : plus grande fréquence des sondages, réponse
immunitaire réduite, diminution de la sécrétion de protéine de Tamm-Horsfall.
* Propagation au haut appareil
:
Une inoculation silencieuse du haut appareil existerait dans 15 à
50 % des cystites aiguës, avec une fréquence d’autant plus
grande que des facteurs de risque seraient présents.
Cette
propagation au haut appareil pourrait être une conséquence de
l’effet antipéristaltique de l’endotoxine bactérienne, expliquant
sa survenue sur un arbre urinaire normal.
Si le reflux contribue à
l’établissement de l’ITU et à sa propagation dans le haut appareil,
les autres anomalies (obstruction, lithiase, anomalies rénales
congénitales et acquises) détermineraient plus la localisation de
l’ITU sur le haut appareil que son acquisition.
3- Interaction hôte-bactérie dans la cystite
:
* Réaction inflammatoire
:
La bactérie adhérant au tractus urinaire déclenche une réaction
inflammatoire caractérisée par un afflux rapide de leucocytes et une
sécrétion réactionnelle de cytokines par les cellules urothéliales.
Expérimentalement, la réaction inflammatoire favorise
l’élimination des bactéries du tractus urinaire.
+ Polynucléaires :
Plus de 90 % des cellules présentes dans l’urine infectée sont des
polynucléaires neutrophiles.
Ils permettent de limiter l’invasion
tissulaire, mais leur présence dans l’urine elle-même n’a pas de rôle
propre.
Pauvres en récepteurs digalactose, ils adhèrent peu aux
bactéries porteuses de fimbriae P.
Les cellules urothéliales participeraient à l’afflux de leucocytes en
sécrétant de l’interleukine 8(IL8), mais aussi en exprimant certaines
molécules d’adhésion impliquées dans cette migration transpariétale
(ICAM-1 [integrin cellular adhesion molecule]).
L’IL8 est un facteur
chimiotactique pour les polynucléaires neutrophiles. Son taux
urinaire est directement corrélé à l’importance de la leucocyturie.
+ Cytokines
:
L’IL6 et l’IL8 urinaires sont élevées chez les patients présentant une ITU.
Une première vague sécrétoire d’IL1, IL1â, IL6 et IL8 est produite par les cellules urothéliales en réponse à l’invasion
bactérienne.
Les souches porteuses de fimbriae P entraîneraient
une réponse locale plus élevée.
Par leurs sécrétions propres et un
jeu d’influences réciproques avec les cellules urothéliales, les
polynucléaires, macrophages et lymphocytes attirés dans la
muqueuse fournissent une seconde vague de cytokines.
+ Monoxyde d’azote (NO)
:
L’urothélium présente une activité NO-synthase qui augmente de
façon considérable au cours de la cystite bactérienne, interstitielle,
radique, ou après BCG.
Les leucocytes des patients présentant
une ITU montrent une forte activité NO-synthase.
Le rôle du NO dans la cystite n’est pas clair.
Ses puissantes
propriétés cytotoxiques pourraient jouer un rôle dans la destruction
des bactéries et contribuer à la réponse inflammatoire.
Il est
possible que la production de NO explique la persistance des
symptômes irritatifs de la cystite aiguë, alors même que le compte
bactérien est considérablement réduit par le traitement
antibiotique.
* Réaction immunitaire :
Il existe une réponse anticorps minime de la muqueuse vésicale.
Bien que des lymphocytes T soient présents dans l’infiltrat de la
cystite, le rôle de l’immunité cellulaire semble réduit, sinon dans la
production de cytokines pro-inflammatoires stimulant la réponse de
la muqueuse urothéliale.
C - DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE DE L’INFECTION URINAIRE
:
L’ECBU, et notamment l’isolement du germe par la culture, reste la
référence incontestable.
Des débats existent encore quant à
l’importance de la charge bactérienne nécessaire pour parler
d’infection vraie.
Des considérations économiques et d’efficience
amènent enfin à discuter, notamment dans le cadre de la cystite
aiguë simple, la place à accorder à l’ECBU.
1- Examen cytobactériologique urinaire
:
* Qualité du résultat de l’ECBU :
Il dépend de la qualité du recueil.
L’expérience prouve chaque jour
que le recueil d’urines non contaminées par la flore périnéale est
plus difficile chez la femme que chez l’homme.
L’explication de la
technique du recueil, encore insuffisamment faite par les médecins
et les laboratoires d’analyses, est pourtant le meilleur gage de qualité
de l’examen.
Le prélèvement devrait être effectué au laboratoire, dans un flacon
stérile, sur les urines du matin ayant séjourné plusieurs heures
dans la vessie.
En fait, une patiente symptomatique doit être
prélevée puis traitée le plus rapidement possible.
La toilette
préalable des mains, de la vulve et de la région périméatique à l’eau
et au savon réduit de 20 % les cultures positives par
contamination.
Les antiseptiques ne doivent pas être utilisés, car
ils peuvent réduire artificiellement le compte bactérien.
Afin
d’éviter la contamination par la flore de l’urètre et du vestibule,
l’urine doit être recueillie à mi-jet, la patiente favorisant l’émission
directe en écartant les lèvres vulvaires.
La ponction sus-pubienne ou
le sondage, méthodes invasives, sont exceptionnellement utilisées
lorsque le recueil à mi-jet s’avère impossible.
L’idéal est d’effectuer l’examen dans l’heure qui suit le recueil.
Si
cela s’avère impossible, le compte bactérien peut être stabilisé par la
réfrigération à 4 °C ou l’addition d’acide borique à 1,8 %.
Ce
dernier préserve en outre la morphologie cellulaire, notamment des
leucocytes.
L’examen doit, de toute façon, être effectué dans les 24
heures.
* Examen microscopique des urines
:
Il recherche la bactériurie et la pyurie.
Alors qu’il ne prend que
quelques minutes et devrait être systématique, il est encore trop
souvent négligé.
+ Bactériurie
:
Un échantillon d’urines fraîches non centrifugées contenant des
bactéries visibles est potentiellement infecté.
Une coloration de Gram
augmente encore la sensibilité et la spécificité et permet
d’orienter l’antibiothérapie probabiliste.
Pour un seuil de bactériurie
supérieur ou égal à 105 UFC/mL, la valeur prédictive négative d’une
coloration de Gram est supérieure à 99 %.
Les résultats dépendent
de l’opérateur, avec une limite inférieure de l’ordre de 3,5 X 105 UFC/mL ce qui, notons-le déjà, ne permettra pas de détecter les
bactériuries faibles.
+ Pyurie ou hyperleucocyturie :
La pyurie, définie par un nombre de leucocytes supérieur ou égal à
10/mm3 ou 104/mL, est un élément majeur du diagnostic.
Elle est bien corrélée à la bactériurie et au caractère symptomatique :
96 % des sujets présentant une bactériurie symptomatique ont une
pyurie, contre 50 % de ceux avec BA et moins de 1 % de ceux sans
bactériurie.
La pyurie sans bactériurie (pyurie aseptique) est le plus souvent due
à une antibiothérapie préalable mais peut aussi être liée à une
pollakiurie extrême, à une diurèse excessive (surtout si le compte
bactérien est peu élevé), à des organismes difficiles à cultiver ou à
des agents de maladies sexuellement transmissibles comme
Chlamydia trachomatis ou Neisseria gonorrhoeae.
La tuberculose
reste une cause classique de pyurie aseptique, mais il faut aussi
savoir évoquer la lithiase urinaire et les tumeurs de vessie.
La bactériurie sans pyurie peut être liée à la lyse des leucocytes dans
l’urine alcaline ou à une contamination.
Même si elle ne peut
totalement l’exclure, l’absence de pyurie rend l’infection peu
probable et incite à envisager un autre diagnostic.
+ Hématurie :
Elle est présente sur un mode microscopique chez environ 50 % des
patientes présentant une ITU aiguë, et sur un mode quelconque au
cours de 40 % des cystites.
C’est un indicateur très spécifique chez
les femmes présentant des douleurs mictionnelles car elle est peu
fréquente au cours des syndromes génitaux responsables de troubles
cliniques voisins.
* Compte de germes
:
Le critère statistique proposé par Kass reposait sur la comparaison
d’urines de femmes ambulatoires asymptomatiques à celles de
patientes hospitalisées pour pyélonéphrite.
Les valeurs de 102 à 104 UFC/mL, majoritaires chez les patientes asymptomatiques,
semblaient correspondre aux contaminations, et celles supérieures
ou égales à 105 UFC/mL, communes chez les patientes atteintes de
pyélonéphrite, à l’infection vraie.
Il proposa d’adopter la valeur seuil
de 105 UFC/mL pour définir l’infection urinaire vraie.
En fait, 35 à 45 % des femmes présentant des symptômes du bas
appareil ont des comptes bactériens moins élevés.
La présence de 102
UFC/mL dans l’urine de mi-jet chez une femme symptomatique
prédit l’infection vésicale avec une sensibilité de 95 %.
La
proportion de patientes symptomatiques avec cultures réputées
négatives s’en trouve réduite de 46 %.
Lorsque le traitement est
différé de 48 heures, 48 % ont alors un compte supérieur ou égal à
105 UFC/mL, alors que 5 % seulement ont une disparition de la
bactériurie.
L’abaissement simultané de la spécificité à 85 % rend
toutefois plus délicate la distinction entre infection et contamination.
Un seuil de significativité supérieur ou égal à 105 UFC/mL reste
donc applicable aux patientes asymptomatiques, alors que les
comptes moins élevés, compris entre 102
et 105
UFC/mL sont à
prendre en compte chez les patientes symptomatiques et
hyperleucocyturiques.
Cet examen, autrefois réalisé en 18 heures, peut maintenant l’être en
moins de 5 heures avec des automates assurant une sensibilité de
l’ordre de 103-104 UFC/mL.
* Culture et antibiogramme
:
Pour les
entérobactéries, environ 30 % des souches isolées sont résistantes à
l’ampicilline et 20 % au cotrimoxazole.
La présence de plusieurs espèces bactériennes est très suspecte de
contamination.
Une bactériurie préexistante semble en effet protéger
de l’infection simultanée par une autre souche.
Un mécanisme
compétitif pour les éléments nutritifs ou les sites d’adhésion est
évoqué.
L’identification et l’antibiogramme, classiquement réalisés en
48 heures, peuvent être effectués en environ 24 heures avec les
nouveaux automates.
2- Place des bandelettes réactives :
Leur utilité principale est d’éliminer les urines ayant une faible
probabilité d’être réellement infectées, ce que permet déjà l’examen
macroscopique des urines fraîches montrant des urines limpides.
Dans les infections aiguës, les bandelettes réactives peuvent
conforter la présomption clinique et autoriser un traitement rapide.
Elles restent encore peu utilisées.
* Détection des leucocytes :
Les leucocytes sont porteurs d’une leucocyte-estérase spécifique,
détectable même après leur dégénérescence.
Les bandelettes
détectent la leucocyturie significative (> 103/mm3) avec une
sensibilité variant de 82 à 95 %.
Des taux élevés d’albumine et
certains médicaments comme la nitrofurantoïne et la gentamicine
peuvent toutefois perturber les résultats.
* Détection de la bactériurie :
De nombreux micro-organismes impliqués dans les ITU peuvent
réduire les nitrates de l’urine en nitrites.
Le test à la nitrate-réductase
permet leur détection.
Les urines doivent toutefois avoir séjourné
plusieurs heures dans la vessie.
Or, la pollakiurie est souvent
importante dans la cystite aiguë.
La sensibilité du test aux nitrites
est donc faible dans ce cadre, d’autant que certains germes ne
réduisent pas les nitrates (entérocoques, S. saprophyticus,
Acinetobacter sp., certains Pseudomonas sp.) et que d’autres peuvent
donner des résultats faussement négatifs qui peuvent être dus à un
défaut d’apport alimentaire, à une diurèse importante ou un séjour
trop bref dans la vessie.
* Tests combinés
:
La combinaison des résultats du test à la leucocyte-estérase et du
test à la nitrate-réductase présente une valeur prédictive négative
élevée, 97-99 %, en méconnaissant toutefois les comptes
bactériens peu élevés.
Si l’association des deux tests positifs est plus
spécifique, la prise en compte d’au moins un test positif sur deux
est plus sensible et permet de repérer les sujets dont les urines
doivent bénéficier d’examens plus poussés.
C’est cette dernière
attitude qui est recommandée.
D - NOSOLOGIE DES INFECTIONS DU TRACTUS URINAIRE
:
Sous le terme d’ITU sont regroupées des situations cliniques
différentes nécessitant des traitements différents.
La littérature anglosaxonne
a popularisé une classification des infections urinaires
permettant de moduler le bilan, le type et la durée du traitement en
fonction des risques potentiels.
L’infection compliquée est celle qui
présente des facteurs de risque majorés pour l’acquisition de
l’infection, pour que surviennent des conséquences symptomatiques
ou sérieuses ou pour un échec du traitement.
Les autres
sont dites non compliquées.
En l’absence de ces facteurs, la cystite aiguë est considérée comme
une infection non compliquée.
Cependant, une inoculation
silencieuse du haut appareil existerait dans 15 à 50 % des cas.
Cette pyélonéphrite latente ou silencieuse expliquerait en partie
l’échec de certains traitements à dose unique.
La pyélonéphrite
aiguë, bien qu’intéressant le haut appareil, est aussi une infection
non compliquée s’il n’existe aucune anomalie fonctionnelle ou
anatomique, en ce sens qu’elle guérira parfaitement sans séquelles
par un traitement court.
Les inconvénients de cette classification tiennent à son caractère
ambigu, apparenté à la « devinette diagnostique », regroupant
de nombreux syndromes ayant peu de rapports entre eux.
En outre,
l’appellation est incorrecte : on intitule compliquée une infection qui
ne l’est pas, mais présente seulement une probabilité moins grande
de réponse rapide et complète au traitement.
Un traitement usuel
guérirait probablement 80 à 90 % des patients présentant ces
caractéristiques. Enfin, comment désigner la complication vraie ?
C’est pourquoi il nous paraît préférable d’utiliser les termes plus
précis d’infection cliniquement haute ou basse, simple ou avec
facteurs de risque, en réservant le terme d’infection compliquée à
celle qui l’est réellement : persistance de l’infection ou rechute
précoce, obstruction, suppuration, septicémie, choc septique.
E -
ASPECTS CLINIQUES :
1- Cystite aiguë
:
*
Démarche clinique :
La diagnostic est rapidement évoqué devant les douleurs
mictionnelles.
Une femme jeune en période d’activité génitale, sans
passé pathologique, non gravide et non ménopausée qui se plaint
de la survenue brutale de douleurs à la miction associées à de la
pollakiurie ou des besoins impérieux sans fièvre ni douleurs du flanc
présente a priori une cystite aiguë simple.
Des douleurs pelviennes
ou sus-pubiennes sont fréquentes.
Cette démarche diagnostique
reste probablement vraie chez la femme ménopausée.
En fait, une telle symptomatologie peut aussi correspondre à une
urétrite aiguë à C. trachomatis, à N. gonorrhoeae, à une infection
génitale à virus herpès simplex, à Candida ou à Trichomonas vaginalis.
Il est le plus souvent possible de différencier ces tableaux par
l’interrogatoire, un examen clinique général et pelvien, et quelques
tests simples.
Une hématurie macroscopique, habituellement
terminale mais parfois totale, peut accompagner la
symptomatologie.
La sensibilité sus-pubienne à la palpation n’est
présente que chez 10 % des patientes, mais serait très spécifique de
la cystite.
L’examen pelvien doit éliminer une vaginite et/ou une
cervicite, un écoulement urétral, des ulcérations herpétiques.
Les
urines fraîches sont troubles, parfois malodorantes.
La présence de
leucocytes à la bandelette apporte l’élément sémiologique
indispensable pour affirmer le diagnostic.
* Examens complémentaires dans la cystite aiguë :
Seul l’ECBU mérite d’être discuté, tous les autres examens sont
inutiles.
La culture bactérienne avec compte de germes reste
l’examen de référence, indispensable au cours de toute infection
urinaire avec facteurs de risque.
Dans la cystite aiguë simple, au
contraire, les résultats sont le plus souvent de faible utilité,
notamment avec le traitement à dose unique, et entachés de 10 %
d’erreurs si le nombre classique de 105 UFC/mL est retenu comme
critère de bactériurie significative.
Or, la cystite aiguë simple de la femme est une infection bénigne,
sans gravité immédiate et sans conséquence démontrée à terme sur
la fonction rénale.
Les germes responsables sont peu nombreux
et leur profil de sensibilité hautement prévisible.
Le taux de modification du traitement après résultat n’est que de
8 %.
Enfin, moins de 5 % des femmes présentant une cystite aiguë
ont une pathologie significative du haut appareil.
Il est donc
raisonnable de traiter sans ECBU.
La justification économique
vient ensuite. L’ECBU systématique avant traitement des infections
basses augmente les coûts de 40 %, mais ne diminue la durée totale
des symptômes que de 10 %.
Le développement d’un arbre
décisionnel sans ECBU a permis de diminuer les coûts de 35 %, sans
augmentation des hospitalisations, des visites d’urgence, ou des
traitements antibiotiques de seconde intention.
En France, où le
coût des examens de laboratoire est prépondérant, l’utilisation de
bandelettes réactives pour décider du traitement et contrôler son
efficacité permettrait une économie de plusieurs centaines de
millions de francs par an.
De la même manière, l’ECBU après traitement d’une infection basse
n’est pas justifié si la symptomatologie s’est totalement amendée et
que les urines sont redevenues limpides et négatives à la bandelette.
La fréquence des infections symptomatiques ultérieures n’est pas
réduite par sa réalisation systématique et le coût de la BA détectée
s’avère très élevé, alors même que l’utilité de son traitement n’a
jamais été démontrée chez la femme non gravide.
L’ECBU après
traitement n’est donc utile qu’en cas d’échec clinique : persistance
des symptômes ou rechute précoce.
* Rechutes et récidives :
Les récidives qui surviennent peu de temps après le traitement
nécessitent un ECBU et un traitement classique.
Les récidives plus
tardives peuvent être traitées comme les infections sporadiques.
Les
femmes âgées rechutent plus volontiers que celles en période
d’activité génitale.
2- Cystites aiguës récidivantes
:
Leur symptomatologie n’est pas différente.
Leur répétition,
susceptible d’altérer la qualité de vie, impose la recherche d’une
étiologie, rarement découverte il est vrai, et une attitude
thérapeutique différente.
*
Histoire naturelle :
La cystite récidivante est définie par la survenue d’au moins quatre
épisodes par an.
Ces infections sont fréquentes chez des femmes
jeunes en bonne santé avec un appareil urinaire physiologiquement
et anatomiquement normal.
À partir du quatrième épisode
annuel, le recours à l’ECBU initial est toutefois recommandé pour
détecter des problèmes microbiologiques spécifiques comme un
bacille à Gram négatif inhabituellement résistant, un cocci à Gram
positif ou des Chlamydiae.
Les épisodes tendraient à se grouper
dans le temps, avec un risque de récidive majoré dans la période
suivant immédiatement l’épisode initial, mais moindre en
hiver.
En l’absence d’anomalie anatomique ou fonctionnelle du
tractus urinaire, on n’a pas démontré d’évolution vers l’hypertension
artérielle ou la pyélonéphrite chronique.
* Rechute ou réinfection ?
On a pensé que la très grande majorité des récidives étaient des
réinfections, à partir de nouvelles souches de la flore fécale.
En
fait, des études prospectives à long terme utilisant non seulement
les sérotypes, mais aussi l’étude des facteurs de virulence et les
empreintes génétiques, ont démontré que les souches d’E. coli
responsables d’ITU pouvaient, malgré un traitement adéquat
éliminant le germe sur plusieurs cultures successives, entraîner une
nouvelle ITU 1 à 3 ans plus tard. Un à deux tiers des récidives
seraient en fait des rechutes.
Il semble donc que le concept
classique de la réinfection doive être révisé et que la plupart des
récidives de cystite soient des rechutes, la souche infectante initiale
pouvant persister dans la flore fécale après élimination du tractus
urinaire, pour recoloniser l’introitus et la vessie.
* Quel bilan chez les femmes présentant des infections récidivantes ?
L’activité sexuelle et l’utilisation d’une contraception par
diaphragme et spermicide sont les facteurs de risque les plus
clairement mis en évidence pour les ITU sporadiques.
Il est
donc important de rechercher ce type de contraception.
La plupart
des femmes avec cystite récidivante sans facteurs de risque n’ont en
revanche aucune anomalie anatomique ou fonctionnelle du tractus
urinaire.
Il semble donc raisonnable de limiter les investigations.
Il est classique de recommander un examen urologique, à la
recherche de brides hyménéales, de modifications du méat et du
canal de l’urètre, d’une atrophie vulvaire.
La recherche de bacilles
de Koch (BK) dans l’urine est nécessaire. Pour certains, il faut
discuter la réalisation d’une échographie pelvienne et du haut
appareil, d’une radiographie de l’arbre urinaire, voire, dans certains
cas, d’une urographie intraveineuse (UIV) et même d’une
cystographie rétrograde et d’une cystoscopie.
La découverte
d’anomalies significatives influençant le traitement est cependant
très rare.
Au total, une femme sans antécédents dans l’enfance,
présentant des crises sporadiques rapidement guéries par un
traitement court oral, sans hématurie microscopique ni bactériurie
résiduelles, ne nécessite aucune investigation complémentaire.
À
l’opposé, une hématurie persistante après la guérison de l’infection,
même sur le mode microscopique, justifie un bilan urologique
complet comprenant UIV et cystoscopie.
3- Bactériurie asymptomatique :
La BA est définie comme la présence d’une bactériurie supérieure
ou égale à 105 UFC/mL d’un ou plusieurs micro-organismes à deux
examens d’urine consécutifs en l’absence de symptômes attribuables
à cette infection.
Nous verrons ces différents aspects au chapitre
traitant des formes particulières.