Effets des thérapeutiques sur la croissance mandibulaire
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Selon l’ancienne conception américaine du facial pattern édictée dans
les années 1940, la croissance craniofaciale était prédéterminée dès
la naissance par la donne génétique et ne pouvait en aucun cas être
modifiée par des appareils orthopédiques.
Les travaux de Lebourg,
de Cauhépé (in Deshayes) et de Delaire ont ensuite montré
la fausseté de ces théories initiales et, au fur et à mesure que la
croissance craniofaciale nous a révélé certains de ses secrets, les
traitement orthopédiques se sont affinés et permettent maintenant
de corriger de nombreuses anomalies squelettiques de l’enfant.
Dès les premiers moments de la vie, nous avons pu remarquer que
chaque pièce du puzzle craniofacial est étroitement dépendante de
sa voisine et que, de ce fait, toute action thérapeutique a des
répercussions sur l’ensemble de l’équilibre cranio-cervico-facial.
Deshayes a pu montrer le rôle important des articulations en
s’appuyant sur le concept de Sutherland de la mobilité crânienne.
En effet, cette particularité physiologique de la souplesse des
articulations permet aux dispositifs orthopédiques d’obtenir des
effets thérapeutiques que l’on peut maintenant expliquer et exploiter.
En orthopédie dentofaciale, la correction des décalages squelettiques
repose sur les possibilités d’action orthopédique des dispositifs
utilisés grâce à la stimulation ou au freinage de la croissance
maxillomandibulaire.
Dans le traitement des anomalies squelettiques de classe II, l’objectif
est de limiter la croissance maxillaire et de favoriser la croissance
mandibulaire
En comprenant les mécanismes de croissance, les auteurs successifs
ont affiné leurs moyens thérapeutiques.
En suivant ce cheminement
et secondairement à nos observations de cas déjà traités, nous avons
à notre tour mis en oeuvre une thérapeutique (la thérapeutique
Distal Active Concept [DAC]), peut-être originale, mais qui n’est que
le résultat de réflexions relatives à nos connaissances actuelles sur la
croissance craniofaciale confrontée aux différentes thérapeutiques
orthopédiques actuellement mises en oeuvre dans notre spécialité.
Après un rappel du mode d’action du traitement orthopédique des
classes II sur la croissance craniofaciale, nous abordons l’effet du
traitement des classes II sur la croissance mandibulaire, thème de
notre propos.
Thérapeutique et croissance
de la base du crâne
:
La synchondrose sphéno-occipitale joue un rôle actif prolongé
jusqu’à l’âge de 20 ans selon certains auteurs.
Deshayes a montré
son rôle essentiel dans les syndromes de classe III, où l’on remarque
un tableau en flexion et un tableau en extension dans les anomalies
de classe II.
La flexion de la base du crâne (ou l’extension) entraîne sur
l’ensemble des os voisins des mobilisations qui se répercutent sur le
squelette facial.
Deshayes a expliqué que les traitements chez le jeune enfant ont
des telles répercussions sur le nouvel agencement osseux qu’il est
ainsi possible d’opérer des corrections du décalage des bases dans
des délais étonnamment rapides, qui ne sont pas le seul reflet
d’accroissements squelettiques en valeur absolue.
Il existe donc une
biomécanique craniofaciale où chaque pièce de la voûte, de la base
du crâne et du massif facial supérieur possède une mobilité
intrinsèque grâce à laquelle l’ensemble du puzzle craniofacial adopte
une répartition craniofaciale équilibrée.
Pour cette raison, les thérapeutiques fonctionnelles, lorsqu’elles sont
commencées assez tôt chez l’enfant, apportent des corrections plus
rapides et de plus grande amplitude que celles observées chez
l’adolescent.
Nous avons nous-mêmes observé des résultats similaires dans les
études statistiques comparatives que nous avons menées en
thérapeutique DAC.
Il a ainsi été observé que la mandibule
s’accroissait en moyenne de 7,6 mm en 6 mois de traitement chez
l’enfant, alors qu’elle ne s’accroissait que de 3,9 mm chez
l’adolescent après traitement multibagues pendant 2 années.
La
mesure céphalométrique utilisée Olp-Pg issue de l’analyse
céphalométrique de Pancherz est le témoin de la position du
pogonion dans le profil ; il ne s’agit pas de l’accroissement de la
mandibule en valeur absolue.
Ainsi, cette valeur serait le témoin
d’un phénomène de mobilité des os craniofaciaux et d’un nouvel
agencement des pièces squelettiques entre elles.
Une étude
structurale permettrait d’avoir une idée plus précise de la
réorganisation du schéma facial chez l’enfant traité.
Thérapeutique et croissance du massif
facial supérieur :
La croissance du massif facial supérieur est complètement
subordonnée à la croissance de la base du crâne, à l’expansion de la
fosse cérébrale moyenne subissant la poussée de l’encéphale, à la
prolongation faciale du mésethmoïde par le biais de la capsule
nasale et du septum nasal, tuteur cartilagineux, émis dans la face
par la base du crâne.
Selon Enlow, la croissance du massif facial supérieur est orientée
et dirigée par la croissance des tissus mous qui poussent et tirent la
face supérieure en bas et en avant, alors que le système sutural
craniofacial et périmaxillaire n’intervient que de façon adaptative en
ajustant les pièces squelettiques par des phénomènes de remodelage.
La croissance de la face et du crâne est dépendante, en arrière des
muscles cervicaux postérieurs et latéraux, et, en avant, du poids des
viscères thoracoabdominaux qui tirent sur le complexe hyoïdien
antérieurement.
Les os de la face supérieure subissent l’effet d’une biodynamique craniofaciale liée à un certain déterminisme en flexion ou en
extension de la base du crâne.
La mise en tension des membranes dure-mériennes conjointement à l’organisation spatiale des pièces
squelettiques craniofaciales transmise par l’ensemble des matrices
fonctionnelles génère aussi des effets rotationnels (Schudy,
Björk, Björk et Skieller, Dibbets, Lavergne et
Gasson).
Selon les théories de Moss, les matrices fonctionnelles gèrent une
part importante de l’architecture craniofaciale.
La matrice
fonctionnelle désigne tout facteur capable de façonner un élément
osseux.
Selon Moss, il existe deux types de matrices fonctionnelles :
– les matrices périostées, qui comprennent les muscles, les vaisseaux,
les nerfs, les glandes ; la réponse osseuse à une telle matrice se
traduit par des phénomènes d’apposition-résorption, entraînant sa
transformation en taille et en forme ;
– les matrices capsulaires, qui désignent un « espace fonctionnel »
entraînant un déplacement par le biais de la matrice périostée dans
l’espace fonctionnel ; la matrice capsulaire oropharyngée est liée à
une fonction particulière, la ventilation, qui stimule la croissance de
la partie moyenne de la face ; la croissance de l’oropharynx stimule
la croissance mandibulaire ; la matrice grandit et le squelette
répond ; la normalisation des fonctions musculaires et orofaciales
par le biais de la thérapeutique entretient la morphogenèse et
restaure l’équilibre facial.
En réponse au traitement, la variation de longueur des pièces
squelettiques elles-mêmes n’est pas la seule responsable de ces
modifications maxillomandibulaires ; le mobile maxillaire et
mandibulaire est aussi transposé.
D’ailleurs, il est nécessaire, après
traitement, d’envisager une contention squelettique pour maintenir
les résultats acquis.
Comme le précise Deshayes, tout phénomène de lésion de tension
suturale, toute lésion fonctionnelle, perturbe les phénomènes de
croissance.
Le traitement va réactiver les sutures atteintes et établir
des phénomènes de compensation en activant le rattrapage d’autres
joints suturaux plus actifs.
Les phénomènes de compensation font
partie des rattrapages naturels parfois installés par le traitement
orthopédique.
Dans le traitement orthopédique, les compensations dentoalvéolaires commencent à apparaître lorsque le potentiel de
croissance squelettique de telle ou telle structure ne s’exprime pas
ou ne peut plus s’exprimer.
A - CROISSANCE DU MASSIF FACIAL SUPÉRIEUR
ET ORTHOPÉDIE :
Il nous apparaît nécessaire de chercher à orienter la croissance faciale
en utilisant au maximum les propres possibilités adaptatives du
patient, et en orientant les tractions musculaires et les forces occlusales naturelles de l’individu par le biais de l’inclinaison des
pans cuspidiens provoquant l’intercuspidation.
Le plan de traitement doit être guidé par la perception dynamique
de l’évolution des structures osseuses et pas seulement par des
objectifs céphalométriques qui prennent peu en compte la
dynamique de la croissance faciale.
Il faut chercher à réorienter la croissance et non pas à modifier
certaines structures squelettiques sous l’aspect quantitatif.
Le
changement apporté par le traitement ne sera que relatif aux
variations de pièces squelettiques les unes par rapport aux autres.
Il
est peut-être illusoire d’imaginer que l’on va pouvoir réduire ou
« bloquer » la croissance du massif facial supérieur, notre seule
possibilité serait de changer les rythmes et les taux de croissance
relatifs des pièces squelettiques du puzzle craniofacial.
Peut-être
pourrons-nous réduire le taux de croissance et l’agencement des
pièces squelettiques du massif facial supérieur maxillaire tout en
augmentant le taux de croissance mandibulaire et sa proportion contre-balançante ?
Chaque mouvement n’est que relatif aux
structures adjacentes.
La distalisation véritable d’une molaire maxillaire en période de
croissance n’est que relative aux pièces squelettiques adjacentes et à
leur croissance.
Nous ne pouvons que ralentir sa mésialisation et,
par l’intermédiaire de la propulsion mandibulaire, favoriser la
croissance de la mandibule et son repositionnement par rapport à la
base du crâne.
Le traitement orthopédique doit s’insérer dans les rythmes
biomécaniques de la croissance et les concepts de la biodynamique craniofaciale.
Le modèle cybernétique de croissance craniofaciale
établi par Petrovic montre les relations étroites des différentes
structures craniofaciales nous laissant ainsi entendre qu’aucune
action thérapeutique ne peut cibler qu’une seule structure comme le
ferait une ostéotomie, mais que l’orthopédie dento-cervico-faciale
intervient sur l’ensemble du puzzle craniofacial en activant de façon
sélective les différentes pièces tout en agissant sur l’ensemble.
Nous pouvons d’ores et déjà conclure que :
– en cas d’anomalie fonctionnelle, il faut intervenir dès que possible
pour restaurer les fonctions perturbées ;
– le rétablissement d’un bon équilibre occlusal, d’une bonne
fonction masticatrice associée à la normalisation des autres praxies
entraîne des effets squelettiques maxillomandibulaires visant à
rétablir l’équilibre structural.
B - TRACTIONS EXTRAORALES :
L’utilisation des forces extraorales, très largement diffusées pour leur
effet orthopédique, orthodontique ou pour leurs possibilités de
compensation des mouvements parasites générés par la
biomécanique orthodontique, est limitée ou abandonnée dans la
thérapeutique DAC pour les raisons suivantes :
– le confort du patient et sa coopération sont très sollicités ; le port
d’un appareil extraoral 15 heures par 24 heures constitue une
contrainte particulièrement importante au quotidien pour le patient ;
– les pressions et tensions suturales péricrâniennes sont parfois
génératrices de troubles du développement ; nous considérons que
toute force lourde (de 500 g à 1 500 g) sur une suture membraneuse
peut avoir des effets perturbateurs de la mobilité crânienne
physiologique ; la thérapeutique orthopédique doit donc s’exercer
dans un cadre physiologique ne dépassant pas certaines pressions
qui iraient au-delà des possibilités adaptatives des systèmes
suturaux ;
– les appuis péricrâniens seraient moins justifiés à l’heure des
nouvelles technologies et des nouveaux matériaux ; les miniimplants
utilisés comme ancrage en orthopédie dentofaciale
présentent encore certaines limites, mais sont sûrement une solution
d’avenir ;
– la mise en oeuvre de forces orthodontiques importantes peut créer
des effets iatrogènes sur le ligament dentoalvéolaire, puis
secondairement sur la morphologie radiculaire.
Pour ces différentes raisons, nous avons aboli de notre clinique
quotidienne les appareils extraoraux qui sont pour nous des
mécaniques invasives générant parfois des effets iatrogènes.
Le
concept des forces orthopédiques lourdes a probablement évolué,
comme le concept des forces orthodontiques lourdes utilisées
autrefois en Edgewise.
Nous considérons que l’orthopédie doit orienter et diriger la
croissance craniofaciale pour atteindre un équilibre facial ; elle ne
doit pas s’opposer directement et fortement à la direction de
croissance initiale.
Thérapeutique
et croissance mandibulaire :
A - GÉNÉRALITÉS :
La croissance de cet os est complexe, tant par son mode d’ossification
(origine membraneuse et cartilagineuse) que par ses modifications
morphologiques.
C’est le seul os mobile de la face ; il est relié à la
partie postérieure de la base du crâne par l’intermédiaire des cavités
glénoïdes qui se déplacent en bas et en arrière pendant la croissance.
De ce fait, la croissance mandibulaire doit donc être quantitativement
plus importante que celle du maxillaire, afin de conserver une
articulation dentodentaire équilibrée entre maxillaire et mandibule.
Selon les courbes de Björk, la croissance condylienne se poursuit
au-delà de la croissance suturale de la face et un peu au-delà de la
croissance staturale, jusqu’à 22 ans chez le garçon et 18 ans chez la
fille.
Pour certains auteurs, la croissance mandibulaire se poursuivrait
encore plus tard.
B - EMBRYOLOGIE :
Le chondrocrâne joue un rôle important dans la croissance faciale, à
l’intérieur de laquelle il envoie des éléments tuteurs doués d’une
croissance active pendant la vie embryonnaire et au-delà.
Ces
expansions faciales sont la capsule nasale en avant et le cartilage de Meckel en arrière.
Comme la capsule nasale et le septum nasal pour
le maxillaire, le cartilage de Meckel est l’inducteur et le tuteur de la
croissance mandibulaire.
Dans la mandibule, vers le troisième ou quatrième mois, des
cartilages apparaissent secondairement : il s’agit des noyaux
cartilagineux angulaire, coronoïdien et condylien.
Leur existence est
de courte durée, 6 à 8 mois pour le cartilage angulaire, persistance
jusqu’à la naissance pour le cartilage coronoïdien et disparition vers
21 ans pour le cartilage condylien.
À partir du noyau condylien initial, les chondroblastes forment une
masse ayant une forme de carotte dont le grand axe oblique en bas
et en avant arrive jusqu’à l’épine de Spix.
À la naissance, il occupe
le quart supérieur de l’épiphyse condylienne, mais il existe encore
quelques îlots cartilagineux dans la zone spigienne.
Ceci prouve que
le cartilage condylien participe aussi à la formation de la région susspigienne.
Ces noyaux cartilagineux assurent une croissance rapide
de l’os, mais ils ne sont qu’un centre secondaire adaptatif de
croissance selon Stutzmann et Petrovic.
À l’âge adulte, lorsque cesse l’activité du cartilage condylien, il
persiste un revêtement cartilagineux intra-articulaire qui peut
expliquer certaines reprises de croissance en pathologie
(acromégalie).
C - CROISSANCE DU CONDYLE :
La région condylienne est le seul lien de la mandibule avec le massif
facial supérieur, par la cavité glénoïde qui dépend de la base du
crâne et du massif pétreux : c’est le relais craniomandibulaire.
Définition : le condyle a une origine double d’os enchondral et
surtout membraneux.
Le cartilage condylien reste fertile toute la vie.
L’os enchondral est entouré par un manchon d’os membraneux
d’autant plus important que l’on s’éloigne de la tête du condyle.
1- Particularités biologiques du cartilage condylien
et thérapeutique :
La croissance enchondrale entraîne une multiplication des préchondroblastes sur la face articulaire de la tête condylienne.
Le
remodelage cortical antérieur et postérieur du condyle est à l’origine
de la rotation mandibulaire et des phénomènes d’inclinaison du
ramus.
Cette croissance condylienne est adaptative ; le modelage articulaire
(Mongini et Schmid) s’effectue en même temps.
La dépression intracapsulaire provoquée par l’étirement musculaire physiologique
pendant la croissance sollicite la croissance condylienne.
On cherche
à reproduire ce type de situation lors de la mise en place du
traitement orthopédique par le positionnement de cales de
surélévation en verre ionomère sur les molaires mandibulaires.
Dans la règle du tripode de Degroote, si l’on veut augmenter la
croissance condylienne :
– il est nécessaire de créer des contacts molaires par des appareils
interposés épais au niveau des molaires ;
– il faut créer des conditions de dépression intracapsulaire ;
– il faut laisser les possibilités de fonction mandibulaire (Petit in
Château).
Petrovic (in Chateau) et Charlier ont démontré par les cultures
d’organe que l’hormone somatotrope, plus exactement son
intermédiaire, la somatomédine, ne stimulait guère dans les
conditions expérimentales la croissance condylienne, alors qu’elle
stimulait fortement celle des cartilages épiphysaires des os longs.
Selon Petrovic et Stutzmann, cette hormone a un rôle indirect sur
la croissance condylienne ; elle stimule l’accroissement du maxillaire
et la croissance condylienne s’effectue par un servomécanisme de
régulation de l’ajustement occlusal qui fait varier l’activité du
ptérygoïdien latéral.
L’arcade maxillaire est la grandeur à suivre.
Sa position sagittale
dépend de la croissance antéropostérieure du massif facial supérieur.
Au plan cybernétique, la position sagittale de la mandibule, de
l’arcade mandibulaire est la grandeur à réguler.
L’articulation temporomandibulaire est le comparateur périphérique du
servosystème dans ce modèle cybernétique.
L’intercuspidation complète est stable ; en l’absence
d’intercuspidation complète, il apparaît un signal d’écart qui produit
une augmentation de l’activité du ptérygoïdien latéral et des autres
muscles masticateurs qui permettent à la mandibule d’ajuster son
arcade dans une position occlusale optimale ou suboptimale.
In vivo, Petrovic, grâce ses travaux sur le jeune rat, a montré une
diminution de la multiplication des préchondroblastes après la
résection du muscle ptérygoïdien latéral.
Ce muscle contribue à la
régulation de la décroissance condylienne.
Ceci démontre
l’importance de la musculature pendant la croissance mandibulaire.
Selon Petrovic, le processus d’accroissement de la mandibule se fait
grâce à deux procédés :
– une contribution périostique, relativement stable et subordonnée
aux tractions musculaires dont les mécanismes d’accroissement
osseux exclusivement appositionnels sont lents et grossiers ;
– une contribution cartilagineuse (condylienne, coronoïde et
angulaire) intégrée aux boucles de régulation locale ; elle est mise
en jeu rapidement et a pour objet des ajustements de croissance fins.
Petrovic (in Château) a mis en évidence la possibilité de stimuler
ou de réduire la quantité de croissance condylienne, modifiant ainsi
la longueur mandibulaire.
Le concept de la modulabilité de la croissance du cartilage condylien
au moyen de dispositifs orthopédiques et fonctionnels formulé à
partir d’expériences faites chez le jeune rat (Charlier, Petrovic,
Stutzmann), puis par la suite corroboré chez le singe (Stockli,
McNamara), est applicable à l’espèce humaine selon Levignac.
L’aptitude à répondre à un facteur biomécanique est liée à la
spécificité tissulaire, et non à l’espèce.
Selon la structure histologique du cartilage condylien, le
compartiment de croissance est constitué de squelettoblastes qui se
différencient en préchondroblastes de type II qui peuvent se
multiplier sous l’effet de facteurs biomécaniques locaux.
Ceci
explique la possibilité de stimuler la croissance du cartilage
condylien.
De telles variations n’ont pas été décelées lorsque des
cartilages primaires (cartilages de type I : os longs, métacarpiens,
métatarsiens, synchondrose sphéno-occipitale), provenant de
mammifères ou d’enfants, ont été exposés, en cultures
organotypiques, à des pressions similaires plus fortes.
Les cartilages
primaires ne sont pas influençables par les facteurs
environnementaux, contrairement au cartilage condylien de type II.
2- Croissance condylienne et orthopédie
:
Selon Petrovic, un appareil orthopédique peut susciter, soit la
stimulation par un hyperpropulseur, soit le freinage par une fronde
mandibulaire, de l’activité mitotique des préchondroblastes.
Le
cartilage condylien, par voie de conséquence, présentera une
accélération ou un ralentissement de croissance selon l’appareil
utilisé.
Le rôle physiologique du ptérygoïdien latéral est de contribuer au
mouvement d’antépulsion mandibulaire, mais aussi de contrôler la
croissance du cartilage condylien.
Selon le modèle cybernétique présenté par Petrovic, on remarque
que la croissance du massif facial supérieur génère un dérèglement occlusal, provoquant un « signal d’erreur » qui entraîne l’activité du
ptérygoïdien latéral en vue d’un ajustement occlusal optimal.
Le processus de croissance est influencé par l’activité de la
musculature faciale et par les forces exercées par les tissus mous.
Une glossoplastie par réduction entraîne une diminution des
préchondroblastes et un ralentissement de la croissance condylienne.
Le cartilage condylien est un cartilage secondaire qui n’est pas un
moteur de croissance, mais il joue un rôle de croissance
multidirectionnelle, adaptative et appositionnelle associée à des
phénomènes de rotation.
3- Allongement et direction de croissance
du col du condyle :
Le condyle a une croissance par à-coup.
Les travaux de Petrovic
mettent en évidence un rythme de croissance avec un pic en avril et
en septembre.
Björk a montré que l’angle condylomandibulaire est de – 6° en
moyenne (rotation antérieure) par rapport à la tangente postérieure
du ramus, mais il peut varier de – 26° à + 16° selon les individus.
Il
peut aussi varier pendant la croissance.
Généralement, la trajectoire
du condyle n’est pas linéaire mais courbe, avec des variations
individuelles.
L’allongement du condyle répond au principe de la croissance
osseuse par apposition endostée et résorption périostée.
L’allongement du condyle en haut et en arrière répond au principe
de croissance en « V » décrit par Enlow.
L’apposition endostée regarde en direction de la croissance, la
résorption périostée regarde en direction opposée. Le condyle
s’allonge de façon adaptative.
L’expansion des parties molles périarticulaires entraîne le déplacement primaire mandibulaire.
La
croissance du condyle est adaptative afin de réintégrer l’articulation temporomandibulaire.
La croissance modelante n’est homogène ni dans l’espace, ni dans le
temps.
Des variations sont soumises aux phénomènes de rotation
mandibulaire antérieure ou postérieure qui peuvent alors inverser
les phénomènes de remodelage du ramus et du condyle.
En effet,
lorsque le face grandit, les phénomènes d’apposition-résorption
peuvent s’inverser.
On remarque alors une résorption du rebord
postérieur du condyle et une apposition antérieure en cas de rotation
antérieure.
Bien que le traitement puisse interférer sur la direction
de croissance, la réponse au traitement peut varier selon les
variations individuelles au moment du traitement.
D - CROISSANCE DU CORPUS MANDIBULAIRE :
La mandibule foetale s’accroît dans tous les sens à partir du trou
mentonnier, puis très vite dans certaines directions privilégiées
induites par le modelage fonctionnel.
On assiste à un ensemble de processus locaux qui permettent
l’adaptation morphologique et dimensionnelle de la mandibule à sa
nouvelle position.
L’allongement du corpus de la mandibule est sous
l’effet modelant des matrices environnantes musculaires et de la
matrice pénétrante représentée par le paquet vasculonerveux
incitateur de la croissance, qui lui-même s’allonge.
Le corpus porteur de la denture voit sa dimension sagittale
augmenter par :
– la résorption du bord antérieur trigonocoronoïdien (coroné, face
externe du ramus) ;
– les massives appositions à la face médiopostérieure de la
tubérosité linguale (zone alvéolaire linguale postérieure de l’arcade
dentaire) ;
– la résorption passant sous la tubérosité linguale et la ligne mylohyoïdienne s’étendant jusqu’à la région canine et formant la
fossette sous-maxillaire ;
– l’apposition sur la face externe du ramus, du corpus et du rebord
antéro-inférieur de la symphyse mandibulaire.
E - SYMPHYSE MANDIBULAIRE :
La synchondrose symphysaire contribue à l’accroissement en largeur
de la mandibule pendant les premiers mois de la vie.
Selon Delaire,
c’est une suture ouverte postérieurement pendant les premiers mois
de la vie, ce qui lui permet de répondre aux importantes variations
de volume lingual.
D’après Scott, elle cesse d’être active dès la
fin de la première année.
L’épaississement de la symphyse se fait normalement par apposition
sur la face postérieure de la corticale interne.
Il y a également
apposition sur le bord antéro-inférieur et résorption au-dessus du
point B, à l’origine de la dérive linguale physiologique de l’incisive
mandibulaire (le point B est le point le plus postérieur de la
concavité du bord antérieur de la symphyse).
L’apposition sur le
bord inférieur augmente la hauteur de la symphyse et s’étend
jusqu’à la partie antérieure du rebord de la mandibule.
La maturation du menton en taille et en épaisseur se fait doucement
au cours de la croissance faciale après la période postnatale.
La
combinaison d’un dépôt périosté continuel autour de la base du
menton avec une résorption périostée au-dessus du point B associé
à un dépôt interne dans la région alvéolaire agrandit
progressivement la symphyse et change son contour.
Ces phénomènes de remodelage symphysaire mettent en évidence
l’effet indirect des extractions orthodontiques sur le contour osseux.
En effet, l’appui sur la zone antérieure d’arcade chez un sujet en
croissance pour « mésialer » les premières molaires mandibulaires
après extraction des secondes prémolaires inférieures accentue les
phénomènes de résorption périostée au-dessus du point B, alors que la zone basse symphysaire poursuit, elle, sa croissance sagittale, sous
l’effet de l’apposition osseuse physiologique.
La dérive linguale
physiologique de l’incisive mandibulaire est accentuée.
Ainsi, on
peut noter en fin de traitement un recul en translation de la région dentoalvéolaire mandibulaire antérieure, quelle que soit l’intensité
du torque coronovestibulaire prescrit sur l’incisive mandibulaire, qui
ne constitue qu’un frein à la linguoversion coronaire de cette dent,
mais en aucun cas une limitation à son recul.
Ainsi apparaissent les
profils creux postorthodontiques.
En conséquence, l’indication
d’extractions orthodontiques doit rester une indication du traitement
des dysharmonies dentomaxillaires majeures.
F - PROCÈS ALVÉOLAIRES :
D’origine membraneuse, l’os alvéolaire se modèle selon les lois
histologiques d’apposition et résorption en fonction des tractions et
des pressions qu’il subit.
Les procès alvéolaires jouent un rôle de
rattrapage du jeu de croissance entre le maxillaire et la mandibule.
Leur croissance dépend de la divergence faciale du sujet.
Ils ont un
rôle compensateur : dans le sens sagittal, ils diminuent au niveau occlusal l’importance du décalage des bases ; on constate ce même
type d’adaptation dentoalvéolaire dans le sens transversal ainsi que
dans le sens vertical, où l’on peut citer le phénomène de O’Meyer
(in Chateau) : « la croissance verticale des procès alvéolaires au
maxillaire est deux fois plus importante au niveau postérieur qu’au
niveau antérieur.
À la mandibule, le phénomène inverse s’observe. ».
Pendant l’éruption dentaire, en dehors du phénomène purement
passif, on note une dérive dentaire orientant la croissance des procès
alvéolaires.
Ce phénomène actif peut être orienté par le traitement
orthopédique.
La mandibule, selon Moss, est divisée en six unités microsquelettiques, chacune en relation avec une matrice
fonctionnelle.
Pour Moss, la zone des procès alvéolaires est la
cinquième unité microsquelettique de la mandibule, considérée
comme une matrice fonctionnelle de sollicitation de la croissance
basale de la mandibule.
Ceci montrerait l’importance de l’orientation
de croissance des procès alvéolaires par la thérapeutique.
G - RAMUS :
La face latérale du ramus est le siège d’une apposition périostée.
Sur la face médiale (interne), l’apposition se poursuit vers le bas
jusqu’à coiffer la tubérosité linguale du corpus.
Le bord antéro-inférieur est le siège d’une résorption périostée.
Le bord postéro-inférieur est le siège d’une apposition périostée.
Résultante générale de la croissance ramale :
– la dérive latérale éloigne les structures goniaques l’une de l’autre
selon le principe du « V » de Enlow ; l’apposition périostée sur la
face linguale transporte la base des apophyses coronoïdes en
direction postérieure et médiane, et non strictement selon la
direction du « V » initial ;
– la dérive externe du ramus dans sa partie inférieure sert à
maintenir cette configuration curviligne du ramus.
Pour rester en bonne relation occlusale avec l’arcade maxillaire,
l’angle mandibulaire peut se fermer dans certains cas de rotation
mandibulaire antérieure.
On assiste alors à l’apparition de lignes
d’inversion qui modifient les phénomènes de résorption et
d’apposition des bords antérieurs et postérieurs du ramus.
H - APOPHYSE CORONOÏDE :
Comme les bords de l’échancrure sigmoïde, elle est le siège d’une
apposition périostée médiale et d’une résorption latérale.
La base de
l’apophyse coronoïde se trouve déplacée en direction médiale et ce
déplacement est plus marqué que celui du sommet, qui compense
ce décalage par un développement divergent vers le haut.
Ce
modelage, associé à une résorption du bord antérieur, entraîne un
triple mouvement vers le haut, l’arrière et l’intérieur.
Taux de croissance mandibulaire
et âge de traitement
:
Les courbes de taux de croissances publiés par Björk corrélant la
croissance staturale et la croissance condylienne ont été remises en
cause par les travaux de l’école de Rennes.
Guyomard et
Bonnefont, lors du Congrès de la Société française d’ODF en 1995,
ont rappelé leurs travaux de 1985.
Ils avaient en effet montré, en
reprenant l’atlas du Center for Human Growth and Development
de l’université du Michigan, que les accélérations et décélérations
de croissance interviennent à des moments autres que ceux décrits
par l’école danoise.
Ces périodes sont étalées sur une durée de
10 années entre 10 et 16 ans.
Ainsi, Bonnefont, Guyomard et
Manière ont pu montrer que la croissance condylienne
n’atteignait pas forcément son taux maximal vers 12 ans chez les
filles et 14 ans chez les garçons, comme le montrent les courbes
« lissées » de Björk.
En effet, le pic de croissance est très variable
d’un individu à l’autre et l’étude transversale de Bonnefont et al
a montré que la croissance mandibulaire procède par accélérations
successives, en dents de scie, de l’enfance jusqu’à l’adolescence.
Par
ailleurs, ces pics de croissance ne se superposent pas aux pics de
croissance staturale.
Altounian avait déjà remarqué en 1973 qu’il existe une
importante dispersion des différents signes de maturation osseuse
chez les sujets en croissance.
Une courbe moyenne ne peut en aucun
cas correspondre à celle d’un individu. De ce fait, si de nombreuses
études corroborent les travaux de Björk, d’autres études n’ont pas
démontré le synchronisme des courbes de croissance staturale et
faciale.
Il est donc inutile de baser le choix du début du traitement
sur l’examen de la croissance staturale.
L’important travail de Bathia et Leighton en 1993 ne confirme
ni le synchronisme ni l’accélération des taux de croissance
condyliens montrés par Björk au stade péripubertaire avec la courbe
du taux de croissance staturale.
Il avait été décrit par Tanner une poussée de croissance pendant
l’enfance vers 8 ans, poussée qu’il avait appelée la petite puberté,
correspondant à un pré-pic de croissance.
Pour notre part, et consécutivement aux différents travaux menés
par l’école lyonnaise, nous sommes convaincus de l’efficacité
orthopédique sur la croissance mandibulaire lorsque les traitements
sont commencés en denture mixte chez des enfants dont l’âge
chronologique varie de 7 à 10 ans.
La levée des obstacles occlusaux,
la mise sous traction condylienne et sous tension musculaire
constituent des éléments libérateurs du potentiel de croissance
mandibulaire, alors que le turn over cellulaire d’un os jeune est
particulièrement rapide et adaptable.
Prévision de croissance mandibulaire
et traitement :
L’étude des chapitres précédents sur la croissance craniofaciale
permet d’apercevoir certains processus du développement facial
avec lesquels nous devons compter dans la clinique quotidienne.
Dans la croissance sont imbriqués des phénomènes matriciels,
musculaires, fonctionnels, environnementaux et génétiques.
Le site
primaire de croissance est difficile à déterminer.
Dans la littérature,
les avis sont partagés et parfois contradictoires.
L’orthodontiste doit faire une analyse précise des anomalies.
Il est
ensuite nécessaire d’établir un projet thérapeutique qui doit prendre
en compte l’âge du patient, le degré de coopération envisageable, la
direction générale de croissance, le potentiel prédictible, les limites
de l’orthopédie dentofaciale et les phases de traitement.
Tweed faisait une étude de prévision de croissance avant traitement,
en observant les variations relatives des points A et B, sur deux céphalogrammes pris à une année d’intervalle.
Il étudiait ainsi la
réponse totale de croissance mandibulaire.
La réponse mandibulaire est le déplacement horizontal de la
mandibule par rapport à la base du crâne.
Ce déplacement peut être
assimilé à la sommation des phénomènes de croissance.
Le
traitement orthopédique peut au mieux améliorer ce
« déplacement » mandibulaire.
Dans les malocclusions de
classe II, l’intensité et la direction du déplacement total de la
mandibule vont conditionner l’harmonie du profil.
C’est donc plus
la participation horizontale que verticale qui nous intéresse.
On
attribue le terme de réponse mandibulaire au seul facteur horizontal
du déplacement total et les études de Björk, Lavergne et Gasson,
Petrovic, Dibbets, Lautrou ont pu montrer les différents effets
rotationnels de la face, ainsi que le mode d’action des traitements
orthopédiques.
De nombreuses études ont permis à l’orthodontiste d’envisager une
prévision de croissance pour le patient à traiter.
Mais ceci n’est que
statistique ; en effet, on note une grande variabilité individuelle de
la croissance de la mandibule humaine corrélée à la grande diversité
des bases biologiques.
Selon Petrovic, Stutzman, Lavergne (1985),
l’index mitotique est considérablement plus élevé dans la mandibule
en rotation de croissance antérieure que dans la mandibule en
rotation de croissance postérieure.
Mais cette constatation n’est
valable que statistiquement, et de nombreuses variations et
exceptions furent observées lorsqu’il s’est agi de cas individuels.
Pour Levignac, la réponse à un traitement orthopédique est
représentée par la multiplication des cellules de la zone souspériostée
du bord postérieur de la branche montante (six catégories
de croissance) et le niveau de vitesse de renouvellement d’os
alvéolaire.
Un tel phénomène de multiplication cellulaire peut être
mis en évidence par la résonance magnétique nucléaire, qui devient
alors un outil d’estimation et de prédiction du niveau de vitesse de
renouvellement d’os alvéolaire et de l’efficacité thérapeutique.
A - ÉTUDE DE LAVERGNE ET GASSON :
Toujours dans cette perspective prédictive, Lavergne et Gasson
ont défini 11 types de rotation de croissance de la face, désignés
individuellement par un symbole trinomial :
– une lettre (A : rotation antérieure ; P : rotation postérieure ; R :
rotation neutre) ;
– un chiffre, 1, 2 ou 3, relatif à la classe d’Angle ;
– une lettre, D, N ou M, indiquant la relation sagittale basale.
Cette analyse aboutit à 33 types rotationnels.
L’identification du
patient à l’un de ces types permet de prévoir son développement.
B - ÉTUDE DE BRICOUT-MOLLOT :
Cette étude donne les résultats comparatifs de deux méthodes de
prévision de croissance.
La première est la prévision de rotation
totale mandibulaire par la méthode de Lavergne et Gasson, la seconde est la méthode Leiba et Charron.
L’échelle Leiba et Charron est basée sur dix signes radiologiques de rotation
en partie définis par Björk et Ricketts.
L’étude de Bricout-Mollot a
montré la supériorité de l’analyse qualitative de l’échelle Leiba et
Charron sur la prévision de Lavergne et Gasson.
On pourrait
conclure que les données chiffrées céphalométriques complétées par
l’analyse radiologique qualitative confrontées au sens clinique et
critique du praticien donnent une meilleure fiabilité prédictive que
l’analyse céphalométrique pure.
La croissance mandibulaire reste tributaire de la donne génétique,
mais le traitement orthopédique, par l’intermédiaire des matrices
fonctionnelles, peut intervenir sur la croissance mandibulaire.
La
réponse squelettique au traitement est relative à l’âge du patient,
mais aussi au type de traitement mis en oeuvre.