Idées ou conduites suicidaires et conduite à tenir en situation d’urgence Cours de psychiatrie
Orientation diagnostique
:
La démarche diagnostique s’attache d’abord à reconnaître
le « texte suicidaire », c’est-à-dire à faire le diagnostic
positif d’idées de suicide ou d’un geste suicidaire.
Il s’agit ensuite de reconnaître le « contexte suicidaire »,
à savoir porter un diagnostic étiologique en distinguant
les facteurs psychopathologiques, les facteurs biographiques
et les facteurs situationnels.
A - Diagnostic positif
:
1- Reconnaître l’idée de suicide
:
Une majorité de suicidés ou de suicidants « en ont parlé
avant », généralement en faisant part de leur projet à un
membre de leur entourage.
Le risque est alors de ne pas
prendre au sérieux l’expression de telles intentions
d’autant plus qu’elles ne sont pas toutes sous-tendues
par le même désir de mort.
D’autres dimensions
(appel, fuite, hétéro-agressivité et ordalie) peuvent
en effet masquer cette intentionnalité.
Certains patients, en particulier les personnes âgées,
gardent secrètes leurs intentions.
Il faut alors savoir
rechercher systématiquement celles-ci devant l’existence
de symptômes dépressifs ou devant un changement
récent de comportement perçu par l’entourage (dons
d’objets personnels particulièrement investis, rédaction
d’un testament, modification d’une assurance vie, repli
sur soi…).
Poser la question de l’existence d’idées de
suicide ou d’un projet suicidaire chez un déprimé n’augmente
pas le risque suicidaire mais en permet au
contraire une meilleure évaluation.
Il importe de plus de
distinguer le caractère plus ou moins actif de ces idées :
– évocation passive de la mort (par accident ou par
maladie) qui apparaît comme une solution aux difficultés
actuelles et comme un soulagement ;
– survenue d’idées de suicide passagères que le sujet se
sent capable de contrôler et donc de chasser ;
– présence d’idées de suicide actives et prévalantes,
s’imposant au sujet comme la seule solution aux difficultés
et par lesquelles il se sent envahi de façon insupportable
;
– élaboration d’un projet suicidaire planifié avec possibilité
de réalisation (scénario suicidaire bien établi,
disponibilité des moyens…).
Ces deux dernières situations
nécessitent la mise en place d’une intervention
immédiate.
2- Reconnaître le geste suicidaire
:
Reconnaître le geste suicidaire nécessite de la part du
médecin d’en cerner le caractère et d’en identifier certaines
caractéristiques.
• Le caractère suicidaire du geste n’est pas toujours
évident car il peut être masqué :
– au niveau de l’intentionnalité par le désir de fuir une
situation insupportable, souvent verbalisé sous la forme
d’un désir de dormir ; par le désir d’interpeller l’autre,
seul moyen d’attirer son attention sur sa propre souffrance
devenue intolérable ; par celui de faire du mal à
l’autre ;
– au niveau du geste lui-même par des conduites à
risque chez l’adolescent et le jeune adulte (alcoolisations
répétées et massives, overdoses toxicomaniaques,
conduites sexuelles à risque, conduite à grande vitesse…),
d’autant plus préoccupantes qu’elles apparaissent être
l’unique moyen pour le sujet de connaître et de faire
reconnaître par les autres sa propre valeur ; par des syndromes
de désinvestissement de la personne âgée (refus
de manger et de boire, clinophilie, retrait social, rejet
des traitements médicamenteux et refus de certaines
interventions chirurgicales pourtant jugées indispensables,
syndrome de glissement) ; par une automutilation présentée
comme un accident ou une prise médicamenteuse
excessive chez un sujet âgé passant pour une erreur ou
un accident vasculaire cérébral.
• Les caractéristiques du geste suicidaire permettent
souvent une orientation diagnostique en faveur :
– d’un trouble de la personnalité de type psychopathique
ou état limite (impulsivité du geste) ;
– d’une pathologie dépressive endogène mélancolique
(froide détermination) ;
– d’une pathologie psychotique schizophrénique (caractère
immotivé et bizarre du geste).
B - Diagnostic étiologique
:
Il s’agit d’analyser le contexte du geste suicidaire en
s’appuyant sur des facteurs de risque psychopathologiques,
biographiques et situationnels.
1- Facteurs psychopathologiques
:
Quatre-vingt-dix pour cent des suicidés présentaient une
maladie psychiatrique repérée par la méthode de l’autopsie
psychologique ; la prévalence de la morbidité psychiatrique
pour les suicidants est un peu moins élevée mais
augmente avec l’âge.
En tout état de cause, le risque de
conduites suicidaires est nettement augmenté en cas de
troubles psychiatriques, notamment dans la dépression.
• Les syndromes dépressifs : il s’agit d’un risque permanent
mais d’autant plus grand que :
– le tableau est celui d’une dépression mélancolique, surtout
dans les formes avec des idées d’auto-accusations
délirantes ou dans les formes anxieuses.
Les troubles
unipolaires exposeraient plus au risque suicidaire que
les troubles bipolaires.
Les dépressions réactionnelles
ou névrotiques augmentent également le risque de passage
à l’acte.
Les idées de suicide prennent généralement
l’expression d’idées noires et le geste suicidaire
(intoxication médicamenteuse volontaire, phlébotomie)
peut révéler l’état dépressif sous-jacent ;
– la sémiologie dépressive comporte la présence d’une
agitation anxieuse, d’une insomnie sévère, d’un repli sur
soi, d’une demande incontrôlée de soulagement immédiat,
d’une perte de plaisir (anhédonie) et d’un sentiment
de désespoir ;
– l’évolution de la maladie dépressive est récente. Le
risque suicidaire serait plus sévère dans les premières
années suivant le diagnostic de la maladie dépressive ;
– la comorbidité
associe anxiété et (ou) conduites d’assuétude (alcool) ;
– les conditions
de vie sont dominées par l’isolement.
• Les psychoses
: dans la schizophrénie,
le risque suicidaire est toujours présent (10 % des schizophrènes
décèdent par suicide), soit à la phase initiale
de la maladie (bouffée délirante aiguë inaugurale), soit
à la phase d’état (prise de conscience de la psychose),
soit lors d’une phase dépressive (dépression postpsychotique).
Dans les délires chroniques non schizophréniques,
les conduites suicidaires sont moins
fréquentes ; néanmoins, elles peuvent survenir lors
d’hallucinations auditives impératives (psychose hallucinatoire
chronique), lors de la phase de dépit chez
l’érotomane, ou lors d’une décompensation dépressive
chez le paranoïaque.
• Les conduites d’assuétude : il paraît utile de distinguer
les équivalents suicidaires (overdose toxicomaniaque
ou conduites d’alcoolisation massives aboutissant
au coma éthylique) et les tentatives de suicide.
Ces dernières surviennent électivement lors d’un état
confusionnel par absorption massive ou à l’occasion d’une dépression et (ou) d’une crise aiguë d’angoisse
liées au sevrage.
Enfin, la comorbidité alcoolique
augmente le risque dans les autres pathologies psychiatriques,
essentiellement par effet désinhibiteur.
• Les tableaux névrotiques : le risque est rare dans la
névrose obsessionnelle même si le sujet peut être envahi
par des ruminations suicidaires ; il est peu élevé également
dans les troubles phobiques sauf lors de raptus
anxieux ; les phobies d’impulsion suicidaire n’aboutissent
classiquement jamais au passage à l’acte.
Le risque
est plus élevé dans certains troubles anxieux comme les
attaques de panique, surtout en cas de comorbidité
dépressive ou alcoolique. La névrose hystérique est la
névrose présentant le risque suicidaire le plus élevé ; les
tentatives de suicide sont fréquentes, caractérisées par
leur hyperexpressivité, leur tendance à la récidive et à
l’escalade, leur fonction de revendication affective et
pas seulement de désir de mort ; le danger est alors de
minimiser et de banaliser le geste.
• Les troubles de la personnalité : 2 types de personnalités
pathologiques sont particulièrement impliqués, la
psychopathie et les états limites.
Les psychopathes se
caractérisent par leur impulsivité, leur intolérance à la
frustration, leur impossibilité à différer la satisfaction,
leurs conduites dépendantes (alcool, toxiques), qui sont
autant de facteurs favorisant le passage à l’acte.
Les états-limites ou borderline sont fréquemment sujets à
des angoisses d’abandon, des effondrements dépressifs
les rendant particulièrement vulnérables aux conduites
suicidaires.
• Les psychoses organiques (démence, confusion) : les
conduites suicidaires sont relativement rares à la période
d’état de la démence sauf chez un patient désorienté qui
commet un acte dangereux par perte de contrôle ; on
peut rapprocher d’une conduite suicidaire certains accidents
chez le confus.
Le risque est plus important au
début de l’évolution surtout lors d’un syndrome dépressif
réactionnel à la prise de conscience de la détérioration.
• Le syndrome pré-suicidaire de Ringel
est constitué de la triade : constriction de la personnalité,
inhibition de l’agressivité, fuite dans les fantasmes des idées de
suicide.
2- Facteurs biographiques
:
Ils sont bien identifiés : antécédents de tentative de suicide,
sexe, âge, statut familial et socioprofessionnel,
situation géographique, certaines maladies somatiques.
Il s’agit bien de facteurs de risque permettant d’identifier
des populations à haut risque suicidaire.
Toutefois, le
haut risque est loin de la certitude et ces facteurs biographiques
ne suffisent donc pas à eux seuls pour justifier la
mise en place de mesures de protection immédiates,
comme une hospitalisation par exemple.
En revanche,
des actions médico-sociales visant à agir sur les facteurs
accessibles sont indiquées.
• Les antécédents de tentative de suicide représentent
l’élément biographique le plus à risque : 30 à 40 % des
suicidants récidivent, généralement dans l’année qui suit
l’épisode index, et 10 % décèdent par suicide dans les
10 ans (1 % par an).
Par ailleurs, les antécédents familiaux
de décès par suicide sont également un facteur de
risque ; en dehors des maladies maniaco-dépressives à
caractère héréditaire, ce risque apparaît plutôt lié à des
phénomènes psychologiques identificatoires.
• Le sexe et l’âge : les tentatives de suicide concernent
deux tiers de femmes pour un tiers d’hommes ; pour le
suicide, le rapport entre les sexes est inversé : deux tiers
d’hommes.
Certaines périodes de la vie sont plus à risque,
en particulier l’adolescence et la vieillesse ; si les tentatives
de suicide sont beaucoup plus fréquentes chez l’adolescent
et l’adulte jeune, le risque de suicide accompli
augmente avec l’âge, surtout après 50 ans.
• Le statut familial et socioprofessionnel : l’isolement
affectif expose plus les veufs, célibataires, divorcés
ou séparés ; les situations de désinsertion ou de fragilisation
socioprofessionnelle (chômage, emploi précaire,
retraite récente) représentent également un facteur de
risque.
• La situation géographique : les suicides sont plus fréquents
en milieu rural et les tentatives plus fréquentes en
milieu urbain ; certaines régions sont plus à risque
comme la Bretagne ou la Normandie.
• Certaines maladies somatiques : les affections chroniques
favorisent les conduites suicidaires d’autant plus
qu’elles sont hyperalgiques, fonctionnellement handicapantes
ou réputées incurables.
3- Facteurs situationnels
:
Certaines situations déclenchantes sont souvent évoquées
comme étant à l’origine du passage à l’acte ; leur
diversité rend leur recensement exhaustif impossible
mais elles sont généralement de l’ordre de la perte ou du
conflit :
– rupture affective sentimentale ou conjugale, veuvage ;
– perte de la santé lors de la survenue d’une maladie
grave ;
– perte des repères habituels du sujet liée à des changements
importants au niveau professionnel (retraite,
mutation, conflit…), social (déménagement…), familial
(départ des enfants…) ou même financier.
Conduite à tenir en situation
d’urgence
:
En situation d’urgence, la conduite à tenir relève plus de
la prévention secondaire et de la prévention tertiaire que
de la prévention primaire.
La prévention primaire concerne en effet des sujets ne
présentant pas actuellement de risque suicidaire mais
des facteurs de risque (pertes relationnelles, familiales,
affectives ; crises psychiques comme les échecs, les
conflits, certaines maladies ; périodes de la vie comme
l’adolescence ou la vieillesse ; isolement et solitude).
Ces situations ne justifient pas la mise en place de
mesures de protection immédiates, telles qu’une hospitalisation,
mais mettent l’accent sur l’importance d’une
intervention psychosociale précoce dans les situations
de crise.
La prévention secondaire vise à stopper le processus
suicidaire engagé dans sa phase active (suicidaires).
La prévention tertiaire s’attache à éviter la récidive suicidaire
chez des sujets qui sont passés à l’acte (suicidants).
Pour ces sujets suicidaires et suicidants, il convient de
mettre en évidence, non seulement des facteurs de
risque, mais surtout des facteurs d’urgence impliquant
une intervention dans les 24 à 48 heures.
A - Les suicidaires (prévention secondaire)
:
Il s’agit d’interrompre le processus suicidaire avant sa
concrétisation en acte.
Pour cela, il faut d’abord écouter
le patient, puis rechercher systématiquement l’existence
d’idées de suicide dans les situations de crise et dans les
pathologies psychiatriques en phase aiguë et enfin ne
pas oublier que toute idée de suicide est à prendre au
sérieux.
Il est ensuite nécessaire d’identifier des facteurs
d’urgence et de proposer une conduite à tenir associant
soins et surveillance.
• Identifier par une démarche clinique et diagnostique
des facteurs d’urgence:
• Déterminer une conduite à tenir immédiate en présence
de facteurs d’urgence :
– l’hospitalisation en milieu spécialisé s’impose généralement,
après discussion avec le patient et sa famille, en
service libre ou en hospitalisation sur la demande d’un
tiers (article L. 333 du Code de la santé publique, loi du
27 juin 1990) en cas de refus de soins ;
– des mesures de surveillance stricte doivent être précisées ;
– la présence de troubles psychiatriques nécessite l’instauration
d’un traitement spécifique ; en cas de dépression,
les antidépresseurs s’imposent et le traitement
sédatif associé doit être discuté (antidépresseurs à polarité
sédative, anxiolytiques, neuroleptiques sédatifs).
• En l’absence de facteurs d’urgence :
– l’hospitalisation en service libre est discutée avec le
patient et son entourage ;
– en cas de non-hospitalisation, un suivi ambulatoire
doit être proposé ; il est effectué au mieux par un praticien
formé et travaillant en réseau.
Le traitement de la
crise et (ou) des troubles psychiatriques sous-jacents en
est l’objectif principal ;
– le soutien des relais associatifs d’écoute et d’accueil
est important.
B -
Les suicidants (prévention tertiaire)
:
Il s’agit d’éviter la récidive suicidaire à court ou moyen
terme. Dans cette optique, plusieurs étapes sont nécessaires
:
• évaluer un risque vital éventuel et prendre les
mesures thérapeutiques indispensables ;
• reconnaître le caractère suicidaire du geste, surtout
en cas d’équivalents suicidaires (certaines conduites à
risque) ;
• hospitaliser systématiquement aux urgences générales
quelle que soit la gravité somatique du geste
(phase d’urgence hospitalière), sauf cas particulier et en
pratique très rare où il existe un réseau d’intervenants
préexistant, bien identifié et structuré, immédiatement
mobilisable et connaissant bien le patient et son entourage.
Une hospitalisation courte de 72 heures paraît préférable
à un séjour inférieur à 24 heures.
L’évaluation doit être triple : somatique, psychologique
et sociale.
L’examen somatique initial évalue la gravité
immédiate et différée du geste suicidaire et permet de
définir le traitement et la surveillance adaptée.
L’évaluation psychologique nécessite l’intervention
d’un psychiatre et doit commencer le plus précocement
possible (dès que la vigilance le permet) ; elle s’attache
en particulier à rechercher des éléments faisant craindre
une récidive à court terme (échelle de Beck) ; il est également important de rencontrer
l’entourage proche. L’évaluation sociale précise le
contexte sociofamilial ;
• organiser la phase de posturgence soit sur le mode
institutionnel, soit sur le mode ambulatoire.
Phase de posturgence institutionnelle : l’hospitalisation
en milieu spécialisé est indispensable en cas de troubles
psychiatriques sévères et (ou) de facteurs d’urgence
nécessitant une surveillance attentive.
Pour les adolescents et les jeunes adultes, un accord
professionnel existe pour favoriser la prise en charge
hospitalière dans une unité ayant une organisation spécifique
pour accueillir ces jeunes patients.
Phase de posturgence ambulatoire : en l’absence d’indication
d’hospitalisation, un suivi structuré, planifié et
coordonné doit être mis en place, associant, selon les
situations cliniques, médecin généraliste, psychiatre et
réseau social.
Ce suivi permet la surveillance d’un éventuel
traitement chimiothérapique et l’instauration d’une
relation psychothérapique.