Traitement endoscopique des complications biliaires de la chirurgie laparoscopique Cours de Chirurgie
Introduction
:
La cholécystectomie laparoscopique (CL) a pris en quelques années
la place de la cholécystectomie ouverte (CO) pour enlever les
vésicules lithiasiques symptomatiques.
Les études multicentriques
ont montré l’efficacité et la sécurité de la CL.
La CL présente
plusieurs avantages sur la CO : douleurs postopératoires moins
importantes, hospitalisation plus courte, guérison plus rapide, retour
plus rapide à la vie professionnelle et meilleur résultat esthétique
abdominal.
Cependant, la CL comporte un risque accru de
complications biliaires responsables de complications graves
et parfois même du décès du patient.
Le but de ce travail est de
préciser le rôle de l’endoscopie dans le traitement des fistules
biliaires simples et des lésions de la voie biliaire principale (VBP)
survenant après CL.
Nous n’envisageons pas le traitement de la
lithiase résiduelle, de la sténose oddienne ou des tumeurs biliaires
méconnues lors de la CL, car il ne s’agit pas à proprement parler de
complications, mais plutôt de lésions méconnues lors de la CL.
Fistules biliaires simples
:
Elles se définissent comme une fuite de bile sans lésion de la VBP.
Ces fistules biliaires simples proviennent le plus souvent du
moignon cystique et sont la conséquence d’un clippage incomplet
ou d’une brûlure diathermique.
Plus rarement, les fistules biliaires
proviennent de la fossette vésiculaire ou de petits canaux hépatiques
aberrants.
Le diagnostic de fistule biliaire est facile à faire si elle s’extériorise
par le drain sous-hépatique laissé en place après la cholécystectomie.
Ce drainage externe sous-hépatique permet d’ailleurs la fermeture
spontanée de la fistule dans la majorité des cas s’il n’existe pas
d’obstacle sur la VBP en aval tel que lithiase résiduelle ou sténose
oddienne.
En effet, il s’agit en général de fistule à faible débit
inférieur à 200 mL/j.
Cependant, dans la quasi-totalité des cas,
aucun drainage externe n’est laissé en place au cours de cette
chirurgie mini-invasive et la fuite biliaire non extériorisée se traduit
alors par de vagues douleurs abdominales qu’il ne faut pas attribuer
trop vite au pneumopéritoine, par des nausées, un fébricule.
L’examen clinique met en évidence une sensibilité de l’hypocondre
droit.
Les examens de laboratoire révèlent une hyperleucocytose et
le bilan hépatique est en général normal ou discrètement modifié.
Si
on n’observe pas une guérison rapide et complète après CL, il faut
pratiquer une échographie abdominale qui met en évidence une
collection biliaire sous-hépatique.
La cholangiopancréatographie
rétrograde endoscopique (CPRE) est alors indispensable car elle
permet : d’affirmer le diagnostic de fistule biliaire simple en
montrant une VBP intacte, de localiser le siège de la fistule (moignon
cystique, fossette vésiculaire, petit canal hépatique aberrant), de
rechercher un éventuel obstacle en aval de la fistule et de traiter
avec succès la quasi-totalité de ces fistules biliaires simples.
Plusieurs techniques endoscopiques peuvent être utilisées pour
traiter les fistules biliaires simples : sphinctérotomie endoscopique
(SE), dilatation endoscopique de la papille, mise en place de
prothèse biliaire.
La SE peut être envisagée même s’il n’existe pas d’obstacle distal
sur la cholangiographie.
En effet, à l’état physiologique, il existe un
gradient de pression de 10 mm de mercure entre l’arbre biliaire et la
lumière duodénale et ce gradient peut être suffisant pour
entretenir la fistule.
La SE entraîne une réduction suffisante de la
pression dans la VBP pour permettre la fermeture de la fistule.
Cependant, il faut rappeler que la SE présente des risques de complications immédiates et à distance, et il semble donc
préférable de conserver une papille intacte chez ces sujets en général
jeunes.
La SE peut se justifier en cas de lithiase résiduelle, mais si
les calculs sont peu nombreux (trois au moins) et de petite taille
(inférieurs à 10 mm), la dilatation endoscopique de la papille
constitue une alternative intéressante.
En effet, les études
manométriques ont montré une récupération partielle de la fonction
du sphincter d’Oddi 1 mois après la dilatation endoscopique de la
papille.
La dilatation endoscopique de la papille expose au même risque de
complications immédiates que la SE et n’a qu’un effet transitoire,
probablement trop court pour permettre la fermeture de la fistule
biliaire.
Cette technique n’est donc pas à conseiller.
La mise en place de prothèse biliaire plastique de 10 French (F) sans
SE est la meilleure option pour traiter les fistules biliaires après CL.
Si une précoupe est nécessaire pour obtenir l’accès à la voie biliaire,
il est inutile de la compléter par une SE pour introduire la prothèse.
Le risque de pancréatite dû à l’obstruction de l’orifice pancréatique
par la prothèse placée à travers une papille intacte n’a jamais été
observé.
La plupart des fistules biliaires se ferment en 7 à 21 jours et
la prothèse peut être retirée après 3 à 6 semaines.
Lors de
l’ablation de la prothèse, qui peut être réalisée en ambulatoire, on
pratique une opacification biliaire qui permet de s’assurer de la
fermeture de la fistule biliaire.
Le drainage percutané guidé par échographie de la collection biliaire intra-abdominale est nécessaire dans 16 et 31 % des cas.
Le
drainage percutané peut entraîner à lui seul la fermeture de la
fistule à condition qu’il n’existe pas d’obstruction biliaire en aval.
Cependant, si la fistule biliaire est reconnue précocement et si la
collection biliaire communique largement avec la fistule, il n’est pas
nécessaire en général d’associer un drainage percutané au traitement
endoscopique.
Quelle que soit la technique endoscopique utilisée (SE ou prothèse),
la fermeture des fistules biliaires simples est obtenue dans 89 à
100 % des cas.
En cas de fistule biliaire symptomatique, nous
conseillons donc une CPRE en urgence qui permet d’éliminer (ou
de traiter) une lithiase résiduelle méconnue et d’assécher la fistule
en quelques jours par mise en place d’une prothèse biliaire sans
sphinctérotomie.
Lésions de la voie biliaire principale
:
Les lésions de la VBP sont caractérisées par une interruption des
voies biliaires extrahépatiques quel que soit le niveau.
La fréquence
des lésions de la VBP atteint 0,5 à 0,6 %.
Ces séries
suggèrent que la fréquence des lésions de la voie biliaire au cours
de la CL est trois à quatre fois plus élevée que lors de la CO.
Si
toutes les lésions de VB sont prises en compte, leur taux varie de 0,6
à 1,5 %.
Ces lésions de la voie biliaire ne sont pas reconnues au
cours de la laparoscopie dans 79 et 88,5 % des cas et sont en
général plus sévères que celles observées après CO.
Trois variétés de lésions de la voie biliaire sont observées après CL :
fistule biliaire majeure avec ou sans sténose biliaire associée, sténose
biliaire isolée sans fuite biliaire et section complète de la voie biliaire
avec ou sans excision d’une partie de la voie biliaire.
Les fistules biliaires majeures proviennent de la VBP, du canal
hépatique commun et du canal hépatique droit et sont dues à une
plaie canalaire latérale secondaire à la dissection thermique
(électrocoagulation ou laser) ou mécanique (ciseaux) du pédicule
cystique.
Ces fistules peuvent entraîner une sténose canalaire
provoquée par l’inflammation et la fibrose.
Les sténoses de la VBP peuvent être dues à une lésion thermique
secondaire à l’utilisation du laser ou de la diathermie pour
sectionner le pédicule cystique ou pour pratiquer l’hémostase de
l’artère cystique, à des lésions vasculaires secondaires à une
dissection trop étendue entraînant des lésions ischémiques, ou à la
pose non contrôlée de clip pour arrêter un saignement pédiculaire.
La section complète de la VBP s’observe lorsqu’il y a confusion entre
VBP et canal cystique.
Cette confusion est favorisée par l’existence
de phénomènes inflammatoires modifiant les rapports anatomiques,
par l’existence d’anomalies anatomiques (canal cystique court ou
absent, canal cystique accolé à la VBP ou canal cystique s’abouchant
sur le bord gauche de la VBP), mais elle peut aussi se voir en cas
d’anatomie normale.
Cette section complète de la VBP est souvent
associée à l’excision d’une partie de la VBP et à une lésion de l’artère
hépatique.
Le même type de lésion peut s’observer lorsque le canal
cystique s’abouche dans le canal hépatique droit ou dans un canal
sectoriel droit (VI, VII), lorsqu’il existe une confluence basse par
glissement.
Cette lésion de la VBP est responsable d’une obstruction
biliaire ou, au contraire, d’une fistule biliaire, selon que le clippage
de la VBP est pratiqué en amont ou en aval de l’implantation du
canal cystique.
On rapproche de ce type de lésion le clippage
de la VBP secondaire à une traction latérale excessive sur la
vésicule : le canal cystique est correctement identifié, mais une
portion de la VBP est retirée entre les clips du fait de la traction.
Le diagnostic de lésion de la VBP après CL repose sur l’apparition
de signes d’obstruction ou de fistule biliaire.
L’obstruction biliaire est en général facile à reconnaître : survenue
d’un ictère rapidement important avec douleurs fréquentes, cholestase biologique, dilatation des voies biliaires à l’échographie.
Cette symptomatologie traduit une sténose isolée de la VBP sans
fistule biliaire ou une section complète de la VBP avec clippage en
amont de l’implantation du cystique.
L’obstruction biliaire survient
rapidement en cas de clippage de la VBP ou plus tardivement
(2 semaines à 4 mois) en cas de lésions thermiques ou ischémiques
de la VBP.
Les lésions d’un canal sectoriel droit, voire du canal
hépatique droit, peuvent se traduire tardivement par des signes
moins évocateurs tels que douleur récidivante de l’hypocondre droit
et/ou épisodes fébriles à répétition.
Il faut signaler que l’obstruction
biliaire n’est pas obligatoirement le signe d’une lésion de la VBP
mais peut aussi être liée à une lithiase résiduelle ou à la migration
intracholédocienne de clips.
La CPRE est donc indispensable pour
préciser le type de lésion et, par conséquent, choisir la stratégie
thérapeutique adaptée.
La fuite biliaire non extériorisée est plus difficile à reconnaître car
les symptômes sont parfois absents ou non spécifiques dans les
suites opératoires immédiates.
Cependant, les fistules biliaires à gros
débit se traduisent en général par des douleurs abdominales, des
vomissements, de la fièvre, une distension abdominale, une défense
abdominale.
Le diagnostic précoce est important car le tableau
clinique peut s’aggraver rapidement après quelques jours avec
apparition d’iléus réflexe, de péritonite, d’infection et d’insuffisance
rénale.
La fistule biliaire se voit en cas de plaie latérale de la voie
biliaire ou de section complète de la voie biliaire (VBP, canal sectoriel
droit, canal hépatique droit) s’il n’y a pas eu de clippage en amont de l’insertion du cystique.
L’échographie abdominale met en
évidence un épanchement biliaire intra-abdominal, et les voies
biliaires sont de calibre normal car l’arbre biliaire est décomprimé
par la fistule.
La CPRE permet de faire un diagnostic précis dans le
cas de fistule majeure de la voie biliaire et de mettre en évidence
une éventuelle sténose associée de la VBP.
En revanche, en cas de
section complète de la VBP, la cholangiographie transhépatique (ou
la fistulographie en cas de fistule externe) est indispensable pour
préciser l’extension proximale vers le hile de la lésion.
La section
complète d’un canal sectoriel droit, voire du canal hépatique droit,
peut passer inaperçue sur la CPRE si on ne s’assure pas que la
totalité de l’arbre biliaire intrahépatique a été opacifié.
La
laparotomie sans la connaissance précise du type de lésion de la
voie biliaire doit être évitée.
Le traitement endoscopique des lésions de la VBP après CL ne peut
être envisagé que si les voies biliaires sont opacifiées en amont de la
lésion et si l’ensemble de l’arbre biliaire intrahépatique a été
visualisé.
Ce traitement n’est donc possible qu’en cas de fistule
biliaire majeure avec ou sans sténose, en cas de sténose isolée de la VBP sans fistule biliaire et en cas de clippage latéral de la VBP.
Le traitement endoscopique des fistules biliaires avec ou sans
sténose est réalisé par la mise en place d’une prothèse plastique
court-circuitant la lésion.
Lorsque le fil guide passe à travers l’orifice
fistuleux et ne peut être placé dans les voies biliaires proximales, on
pratique une cholangiographie transhépatique pour réaliser la
technique du « rendez-vous » afin de mettre en place la prothèse.
Un contrôle endoscopique est réalisé 6 semaines plus tard.
En cas d’absence de fuite biliaire, la prothèse est retirée s’il n’existe pas de
signes de sténose canalaire secondaire liée à l’inflammation et à la
fibrose dus à la fuite biliaire.
S’il existe une sténose de la voie biliaire,
deux prothèses de 10 F sont mises à travers la sténose et laissées en
place pendant 1 an, avec changement tous les 3 mois pour prévenir
l’angiocholite liée à l’obstruction de la prothèse.
Ce traitement
endoscopique a été réalisé avec succès dans 71 et 79 % des cas.
Le traitement de ces plaies latérales de la voie biliaire par suture
d’emblée sur drain de Kehr expose au risque de sténose secondaire
au niveau de la fistule.
En effet, si ce traitement permet la fermeture
de la fistule, il ne permet pas de prévenir la sténose secondaire car
le drain de Kehr est laissé en place durant une période trop courte.
C’est ainsi qu’une sténose secondaire de la VBP est survenue dans
73 % des cas chez 11 patients présentant une fistule biliaire traitée
par suture d’emblée.
Chez ces patients, certains auteurs préfèrent
retirer le drain de Kehr après 6 semaines pour réaliser une CPRE et
mettre en place une prothèse s’il existe une sténose.
Le traitement endoscopique des sténoses de la VBP isolées sans
fistule est également réalisé par la mise en place de prothèse, mais
les résultats sont décevants.
La plupart des échecs sont dus à
l’impossibilité de franchir la sténose avec le fil guide pour mettre en
place la prothèse, notamment lorsqu’il existe un clippage de la voie
biliaire.
Cependant, lorsque la prothèse peut être mise en place, les
résultats du traitement endoscopique sont pratiquement identiques
au traitement chirurgical mais la prothèse doit être laissée en place
plusieurs mois et changée périodiquement comme nous l’avons vu.
Dans une étude rétrospective comparant la chirurgie avec un suivi
de 50 ± 3,8 mois et l’endoscopie avec un suivi de 42 ± 4,2 mois, on a
constaté un taux de récidive de la sténose de 17 % dans les deux
groupes de patients.
Il semble donc prudent, si on choisit le
traitement chirurgical, de fixer l’anse anastomotique avec un repère
métallique à la paroi abdominale afin de garder la possibilité d’un
abord endoscopique en cas de récidive de la sténose.
Les sections complètes de la voie biliaire ne peuvent être traitées
que par la chirurgie.
Ces interventions de reconstruction biliaire sont
longues et difficiles car elles nécessitent parfois plusieurs
anastomoses biliodigestives intrahépatiques.
La chirurgie précoce
(1 à 6 semaines) se complique de fistule biliaire immédiate et de
sténose anastomotique tardive dans 80 % de cas, alors que ces
complications surviennent dans 14 % des cas si l’intervention est
retardée (8-12 semaines).
Le schéma thérapeutique suivant est
proposé dans les sections complètes de la VBP : réalisation d’une
cholangiographie transhépatique qui doit opacifier la totalité de
l’artère intrahépatique, suivie de mise en place de un ou deux drains
biliaires externes permettant au chirurgien de repérer le ou les
canaux sectionnés ; tomographie axiale computérisée avec injection
de contraste dans les drains biliaires et drainage percutané de
l’épanchement biliaire intra-abdominal ; chirurgie habituellement
retardée de plusieurs jours sur un patient apyrétique et stable.
Conclusion
:
La CPRE est le premier examen à demander en cas de suites biliaires
compliquées au décours d’une CL.
Elle permet de faire un bilan
lésionnel précis et de choisir l’attitude thérapeutique la mieux adaptée.
Les fistules biliaires simples sans interruption de la VBP et les fistules
biliaires majeures par plaie latérale de la VBP peuvent être traitées avec
succès dans la plupart des cas par la mise en place de prothèse biliaire
par voie endoscopique.
Le traitement endoscopique des sténoses de la
voie biliaire est plus difficile et nécessite un calibrage prolongé par mise
en place de prothèse.
Les sections complètes de la voie biliaire doivent
être opérées après drainage percutané des voies biliaires et du cholépéritoine lorsqu’il existe un syndrome septique.
La prise en charge
des complications biliaires de la CL nécessite donc la connaissance
précise du mécanisme des lésions et une approche pluridisciplinaire.