Complications vasculaires des affections hématologiques

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Introduction :

Les complications vasculaires des hémopathies sont nombreuses, et leurs causes sont diverses.

Nous décrivons ici les principales d’entre elles, ainsi que leur symptomatologie et les implications thérapeutiques qui en résultent.

Vascularites et hémopathies malignes :

Les vascularites associées aux lymphoproliférations peuvent être révélatrices de l’hémopathie maligne. Elles sont divisées en deux groupes : les vascularites cutanées et les vascularites systémiques. Par ailleurs, l’hémopathie elle-même peut simuler une vascularite.

A – ASSOCIATION VASCULARITE CUTANÉE ET PATHOLOGIES HÉMATOLOGIQUES :

Les vascularites leucocytoclasiques sont de loin les plus fréquentes.

Elles compliquent un grand nombre d’hémopathies : la leucémie à tricholeucocytes, les lymphomes non hodgkiniens B (LNH-B) et T (LNH-T) dont la lymphadénopathie angioimmunoblastique, la maladie de Hodgkin, la leucémie lymphoïde chronique (LLC), le syndrome de Sézary, les dyscrasies plasmocytaires, les syndromes myélodysplasiques, les myélofibroses et les leucémies aiguës.

Complications vasculaires des affections hématologiques

Le caractère paranéoplasique de la vascularite ne peut pas toujours être affirmé, mais l’évolution parallèle entre les deux pathologies suggère un lien de causalité.

– La fréquence des vascularites cutanées associées aux LNH est évaluée à 1,6 %.

Les LNH-B sont les plus représentés, et parmi eux les lymphomes folliculaires et les lymphomes lymphocytaires/LLC-B.

La vascularite leucocytoclasique n’est pas due à une cryoglobulinémie.

On en distingue deux types évolutifs : soit la vascularite précède ou apparaît de façon concomitante au LNH et les deux pathologies évoluent chacune pour leur propre compte, soit la vascularite est d’apparition plus tardive dans l’histoire du LNH, en général au moment de la rechute ou pendant une progression du lymphome, et les deux évoluent parallèlement.

Les LNH-T périphériques s’associent également à une vascularite cutanée leucocytoclasique.

La lymphadénopathie angio-immunoblastique s’accompagne de rash dans environ la moitié des cas, mais une vascularite leucocytoclasique n’est rapportée que dans cinq cas.

Une vascularite leucocytoclasique a été rarement décrite dans les LNH-T cutanés et le mycosis fungoïde/syndrome de Sézary.

Une vascularite lymphocytaire sans nécrose fibrinoïde des petits vaisseaux est rapportée dans une série de 11 patients atteints de LNH-B, LNH-T et LLC-B.

– Alors que la fréquence de la leucémie à tricholeucocytes n’excède pas 2 % de l’ensemble des leucémies, le nombre de vascularites qui lui sont associées est important : une revue récente de la littérature en regroupe 42 cas.

La vascularite leucocytoclasique est la plus fréquente. Elle survient dans des délais variables mais précède la leucémie à tricholeucocytes dans 47 % des cas.

La présence d’une cryoglobulinémie circulante est signalée dans trois cas sur 14.

Une infection est présente chez 62 % des patients, ce qui suggère la responsabilité d’agents infectieux.

– Les manifestations cutanées non spécifiques sont rapportées dans 15 à 50 % des maladies de Hodgkin, et les plus fréquentes sont le prurit et les lésions prurigineuses.

Les vascularites sont rares : 10 cas de vascularite leucocytoclasique ont été rapportés.

La vascularite est indépendante du type histologique de la maladie de Hodgkin et n’est pas un facteur de mauvais pronostic, contrairement aux lésions spécifiques.

– La fréquence des vascularites dans les syndromes myélodysplasiques (SMD) est évaluée à 8 % et concerne en majorité l’anémie réfractaire avec excès de blastes.

La vascularite est le plus souvent une vascularite leucocytoclasique cutanée. Elle peut révéler le SMD.

Son impact sur le pronostic du SMD est difficile à préciser mais, dans quelques cas, elle accompagne une transformation du SMD en leucémie aiguë.

– Parmi les syndromes myéloprolifératifs, la leucémie myéloïde chronique (LMC) et la maladie de Vaquez ont été rapportées en association à une vascularite leucocytoclasique.

– Les lésions cutanées non spécifiques des leucémies aiguës comprennent la vascularite leucocytoclasique.

Les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) semblent plus souvent associées aux vascularites que les leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL). La vascularite peut être révélatrice de la LAM, sans que le pronostic de celle-ci en soit affecté.

– Les dysglobulinémies (indépendamment d’une cryoglobulinémie) peuvent s’accompagner d’une vascularite leucocytoclasique : le myélome à immunoglobuline monoclonale d’isotype immunoglobuline A (IgA), la maladie de Waldenström, le syndrome de Schnitzler.

Une vascularite cutanée granulomateuse a été décrite en association avec plusieurs hémopathies : les LNH-B, la lymphadénopathie angio-immunoblastique, les syndromes myélodysplasiques.

Une périartérite noueuse cutanée pure a été décrite en association avec une leucémie myélomonocytaire chronique, avec une réponse spectaculaire sous corticothérapie générale.

B – ASSOCIATION VASCULARITE SYSTÉMIQUE ET PATHOLOGIES HÉMATOLOGIQUES :

Les cryoglobulinémies sont les vascularites systémiques les plus souvent retrouvées.

Les pathologies hématologiques sont représentées par les lymphoproliférations B (LNH-B, LLC-B), les LNH-T (lymphadénopathie angio-immunoblastique), la maladie de Hodgkin, les dysglobulinémies (maladie de Waldenström, myélome).

Tous les patients ayant une cryoglobulinémie ne sont pas symptomatiques.

La vascularite est leucocytoclasique, médiée par le dépôt de complexes immuns sous-endothéliaux, de l’agrégation et de la précipitation de la cryoglobuline dans la lumière vasculaire, avec activation des cellules endothéliales.

L’association entre périartérite noueuse (PAN) et leucémie à tricholeucocytes est rapportée dans 20 cas.

La PAN apparaît dans la majorité des cas au cours de l’évolution de la leucémie à tricholeucocytes, et après une splénectomie dans 80 % des cas.

Une agression vasculaire directe, liée à des auto-anticorps dirigés contre des antigènes de la leucémie à tricholeucocytes, et croisant avec des déterminants des cellules endothéliales, a été proposée.

L’infiltration des parois vasculaires par des cellules tumorales ne peut être exclue, et a été démontrée dans quelques cas avec des images de microanévrismes compatibles avec une PAN.

Cette association n’est pas fortuite, et la vascularite est, dans quelques cas, un vrai syndrome paranéoplasique avec guérison de la PAN parallèlement à la leucémie à tricholeucocytes.

Des cas isolés d’association entre PAN et syndrome myélodysplasique, maladie de Hodgkin, LNH, myélome sans ou avec crystalglobulinémie, maladie de Waldenström ont été décrits.

Le tableau clinique de PAN est plutôt celui d’une polyangéite microscopique et la recherche d’anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles est habituellement négative.

Un cas de maladie de Wegener a été signalé en association avec une maladie de Hodgkin.

Une angéite granulomateuse du système nerveux central peut compliquer la maladie de Hodgkin, mais aussi les LNH et les leucémies. Son diagnostic est porté sur une biopsie ou à l’autopsie.

Elle est caractérisée par une inflammation focale et segmentaire granulomateuse des petits vaisseaux leptoméningés et intracérébraux.

Une relation avec une infection par les virus du groupe Herpès a été suggérée mais non démontrée, et le traitement reste celui de l’hémopathie.

L’association d’une artérite temporale et d’un LNH-B ou d’une LLC est probablement fortuite.

Une atteinte de l’artère temporale dans la PAN associée à la leucémie à tricholeucocytes a été signalée dans cinq cas.

Le purpura de Schönlein-Henoch peut être révélateur de pathologies hématologiques tels un LNH à grandes cellules ou un myélome.

Une vascularite systémique particulière a été décrite chez les patients atteints d’un syndrome myélodysplasique.

Elle est caractérisée par une fièvre, une atteinte articulaire, une vascularite cutanée, des oedèmes périphériques et des infiltrats pulmonaires.

L’histologie cutanée retrouve le plus souvent une vascularite leucocytoclasique, ou un infiltrat inflammatoire périvasculaire.

C – HÉMOPATHIE SIMULANT UNE VASCULARITE :

Le tableau clinique de la leucémie à tricholeucocytes peut ressembler à une PAN, et il a été montré une invasion directe de la paroi vasculaire par les cellules tumorales.

Le lymphome malin intravasculaire ou angioendothéliomatose maligne simule volontiers une vascularite systémique.

Ce lymphome, caractérisé par la prolifération de lymphocytes, le plus souvent de type B, clonaux dans la lumière des petits vaisseaux, atteint de façon privilégiée le système nerveux central et la peau.

Thromboses et affections hématologiques :

A – STASE VEINEUSE :

Les compressions vasculaires par une masse tumorale importante sont une cause fréquente de thrombose veineuse en particulier dans les LNH de haut grade où elles représentent 51 % des thromboses.

Les syndromes myéloprolifératifs sont associés à un syndrome d’hypercoagulabilité en partie par une augmentation de la viscosité sanguine.

Les thromboses veineuses sont particulièrement fréquentes chez les sujets âgés, peuvent survenir dans tous les territoires, mais en particulier les thromboses des veines sushépatiques (syndrome de Budd-Chiari) ou des veines mésentériques sont évocatrices même en l’absence de thrombocytose ou de polyglobulie.

Les thromboses de la microcirculation artérielle avec ischémies digitales et cérébrales sont fréquentes dans la thrombocytémie essentielle et la maladie de Vaquez.

L’hémoglobinurie paroxystique nocturne est également une cause classique de syndrome de Budd-Chiari.

Les dysglobulinémies et en particulier de la maladie de Waldenström sont compliquées d’hyperviscosité.

Cependant, les myélomes et la maladie de Waldenström sont plus exposés aux hémorragies qu’aux thromboses.

La leucostase est caractérisée par la formation d’agrégats de leucocytes et de thrombi dans la microcirculation, en particulier cérébrale et pulmonaire.

Elle est l’apanage des leucémies myéloïdes chroniques et des leucémies aiguës.

B – CRISTALGLOBULINÉMIES :

Les thromboses des petits vaisseaux liées à une cristallisation intravasculaire d’une immunoglobuline monoclonale sont à l’origine d’ischémie tissulaire et de nécrose.

Le tableau clinique mime celui d’une vascularite systémique nécrosante.

C – ANTIPHOSPHOLIPIDES :

La présence d’un anticoagulant circulant de type antiprothrombinase est notée dans 7 % des syndromes lymphoprolifératifs.

La prévalence de la positivité des antiphospholipides dans les pathologies hématologiques est de 30 %, en particulier dans les LAM et les LNH.

Leur rôle en tant que marqueur de l’activité de la maladie hématologique a été proposé.

La fréquence des LNH dans une cohorte de patients avec antiphospholipides est plus élevée que dans la population générale. En revanche, le rôle des antiphospholipides dans le risque thrombotique chez ces patients est peu probable.

D – ANOMALIES DES PLAQUETTES :

L’augmentation de l’adhésivité ou de l’agrégation plaquettaire est plus importante que la thrombocytose dans la génération des thromboses. Une augmentation de l’adhésivité plaquettaire est fréquente dans les myélomes. Une augmentation de la réactivité plaquettaire secondaire à des anomalies clonales (syndromes myéloprolifératifs, hémoglobinurie paroxystique nocturne) ou des interactions entre les plaquettes et les cellules tumorales conduit aux thromboses.

E – SUBSTANCES PROCOAGULANTES :

L’augmentation de facteurs procoagulants participe à la constitution des thromboses : synthèse par les leucémies et les lymphomes du facteur tissulaire, synthèse par les LAM du « cancer procoagulant » qui active directement le facteur X.

F – ANOMALIES DES PROTÉINES DE LA COAGULATION :

Il s’agit du déficit acquis en protéine S libre et de l’inhibiteur circulant de la protéine C au cours du myélome.

Les deux situations sont accompagnées de thromboses veineuses à répétition.

Hémorragies et affections hématologiques :

A – COAGULATION INTRAVASCULAIRE DISSÉMINÉE :

L’expression clinique de la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) va de l’absence de manifestation clinique (CIVD a minima) jusqu’au syndrome hémorragique et/ou aux thromboses (veineuses ou artérielles) localisées ou diffuses.

Les hémopathies s’accompagnant de CIVD sont : les LAM, les lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens, la LMC, la LLC et le myélome.

Les mécanismes physiopathologiques comprennent un relargage d’enzymes et de protéines procoagulantes par les blastes, qui ont eux-mêmes une activité fibrinolytique, de substances analogues à l’antithrombine et de produit anti-héparine-like par les cellules de la LMC, de phospholipides ou thromboplastine-like par les lymphocytes de la LLC.

B – ANOMALIES DES PROTÉINES DE LA COAGULATION :

Une diminution de la synthèse des facteurs vitamine K dépendants est fréquente dans les leucémies aiguës et les LLC liées à une atteinte hépatique spécifique.

C – DYSFONCTIONNEMENTS PLAQUETTAIRES :

Les anticorps antiplaquettes au cours des syndromes lymphoprolifératifs et les immunoglobulines monoclonales des dyscrasies plasmocytaires sont responsables de thrombopénies et de dysfonctionnements plaquettaires.

Un défaut d’agrégation à l’adénosine diphosphate et à l’épinéphrine, une anomalie de relargage du facteur 3 plaquettaire et un déficit en á-granules plaquettaires sont les anomalies les plus fréquentes dans les syndromes myéloprolifératifs.

Les anomalies de l’agrégation plaquettaire avec un retentissement clinique sont très fréquentes dans les syndromes myéloprolifératifs, avec en ordre de décroissance : maladie de Vaquez (70 %), myélofibrose (50 %), LMC (30 %), et se retrouvent beaucoup plus rarement dans les leucémies aiguës (relargage anormal du facteur 3 plaquettaire), la LLC, et les syndromes lymphoprolifératifs.

D – TROUBLES DE LA PAROI VASCULAIRE :

Surtout présents dans les leucémies aiguës, les troubles de la paroi vasculaire peuvent contribuer à une hémorragie massive.

L’augmentation de la perméabilité vasculaire est liée à une infiltration de la paroi des vaisseaux par les blastes, une augmentation de la viscosité liée à la leucostase, et à l’existence de foyers d’hématopoïèse extramédullaire au sein de la paroi vasculaire.

Pathologie iatrogène :

Les principaux mécanismes expliquant la thrombogénicité des chimiothérapies sont : le relargage par les cellules tumorales d’agents procoagulants et de cytokines, un effet toxique direct sur l’endothélium vasculaire et la diminution d’anticoagulants naturels (AT III, protéines S et C) en partie par une hépatotoxicité.

Les corticoïdes augmenteraient le risque de thrombose, par extrapolation avec le statut d’hypercoagulabilité retrouvé dans la maladie de Cushing.

Conclusion :

Les affections hématologiques, et en particulier les hémopathies malignes, sont accompagnées de complications vasculaires diverses que nous avons détaillées ici, et qui sont constituées principalement par les vascularites, les thromboses, les hémorragies et les effets vasculaires des chimiothérapies.

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