Classes III squelettiques
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Le terme de « classe III » nous a paru préférable à celui de « prognathie
mandibulaire » plus couramment utilisé, parce qu’il ne préjuge pas du siège
des « anomalies » (déformations-malformations).
Le traitement des classes III a été révolutionné par l’emploi du masque
orthopédique de Delaire.
La date de cette publication va correspondre au 30e
anniversaire de la mise au point de cette technique.
Dans ce travail seront successivement étudiés :
– la définition de la classe III (évolution des concepts) ;
– les principes fondamentaux de la croissance craniofaciale, qu’il est
indispensable de connaître pour traiter cette dysmorphose ;
– l’examen clinique, qui est essentiel, tant pour le diagnostic que pour
l’appréciation esthétique du résultat thérapeutique ;
– l’examen radiographique, avec une référence particulière à l’analyse
céphalométrique architecturale qui permet de bien préciser tous les aspects
anatomiques, facilitant le diagnostic étiopathogénique.
Seront étudiées, ensuite, les modalités thérapeutiques en insistant tout
particulièrement sur l’intérêt des traitements précoces.
Une abondante iconographie permettra aux lecteurs d’apprécier les résultats
obtenus.
Les traitements précoces éviteront, dans la plupart des cas, le recours
à la chirurgie chez l’adulte.
Définition - Évolution des concepts Syndrome classe III
:
Les conceptions sur la classe III ont beaucoup évolué depuis les travaux de
Angle, le premier à avoir proposé la classification des dysmorphoses en trois
classes I, II et III.
Il est en effet rapidement apparu que la classe III comportait
des variétés anatomiques et étiopathogéniques distinctes.
A - Définition
:
Selon Angle (1907), cité par Izard, la classe III est caractérisée par
« l’occlusion mésiale de la mâchoire et de l’arcade inférieures, telle qu’elle
est indiquée par l’occlusion des premières molaires mandibulaires au moment
de leur éruption. »
Cette définition implique la permanence de la position des molaires par
rapport à leurs bases osseuses et la « stabilité » du maxillaire, ce qui fait que :
– les termes de « classe III » et « prognathie mandibulaire » ont été et sont
encore souvent utilisés indifféremment ;
– le traitement « classique » des classes III a essentiellement pour but de
diminuer les dimensions de la mandibule (par l’orthopédie ou par la
chirurgie).
Mais, dès 1950, Izard écrivait : « Les dents de 6 ans supérieures n’ont pas
une position suffisamment fixe pour être les clefs de l’occlusion.
Le diagnostic
basé sur la classification d’Angle est incomplet et peut être erroné...
La mésiogression molaire supérieure peut faire croire à une rétrognathie
inférieure inexistante, ou faire ignorer une prognathie inférieure réelle.
La mésiocclusie molaire inférieure de la classe III peut exister, soit avec un
arrêt de développement supérieur, soit avec une prognathie mandibulaire, soit
avec les deux associés. »
Izard individualisait donc trois variétés différentes de classe III, en fonction
du siège et de la nature des anormalités squelettiques : arrêt du développement
maxillaire, prognathie mandibulaire, arrêt du développement maxillaire plus
prognathie mandibulaire.
B - Multiplicité des classes III :
À la suite de Izard, beaucoup de cliniciens ont aussi insisté sur la pluralité des
formes cliniques des classes III, avec ou sans rétrusion maxillaire, protrusion
mandibulaire, latérodéviation de la mandibule ou du maxillaire, excès ou
insuffisance de hauteur de l’étage inférieur de la face, infraclusion ou
supraclusion incisive, etc.
Ces conceptions ont été confirmées par les études céphalométriques
ultérieures, en particulier par celles de Jacobson, Sandborn, Dietrich,
Ellis et McNamara et Delaire.
Ainsi, en se basant essentiellement sur les valeurs de SNA, SNB, ces
différents auteurs ont confirmé cette multiplicité et montré que :
– le nombre des variétés anatomiques s’accroît avec celui des facteurs pris
en compte dans les études statistiques ;
– la rétrusion maxillaire prédomine dans la plupart des cas, en particulier
chez le sujet jeune.
Dans toutes ces études, les chiffres sont abondants.
Dans un but de
simplification à l’extrême, ne seront retenus que les deux groupes : protrusion
mandibulaire et rétrusion maxillaire.
Toutes ces études confirment donc la prédominance des rétromaxillies par
rapport aux protrusions mandibulaires.
C -
Étude multicentrique de Delaire :
1-
Mesures traditionnelles
:
Il a tout d’abord utilisé les angles SNA-SNB.
Les résultats obtenus ont été
très comparables à ceux des autres statistiques.
Il a en effet retrouvé les neuf
associations maxillomandibulaires les plus fréquentes dénombrées par Ellis
et McNamara.
Mais les moyennes générales et l’ordre de fréquence de ces
associations varient selon l’âge des sujets.
Dans un échantillon d’enfants de moins de 7 ans, le classement des variétés
cliniques était le même que dans la population globale mais avec une
fréquence différente des groupes ou une très légère diminution du nombre des rétromaxillies et promandibulies, faisant suspecter une plus grande
responsabilité des phénomènes alvéolodentaires.
Après 13 ans, chez l’adolescent et l’adulte jeune, le nombre des protrusions
mandibulaires augmente, notamment lors de la puberté.
Cette aggravation
des promandibulies avec l’âge a déjà été signalée par Bjork, Graber.
Cette notion de l’aggravation spontanée (constante) des classes III doit être
prise en compte pour apprécier les résultats des traitements orthopédiques.
La stabilisation de la dysmorphose est déjà un témoignage d’efficacité
thérapeutique.
2- Valeur architecturale :
Tous les cas de l’étude multicentrique ont été étudiés à l’aide de l’analyse
architecturale.
Il a ainsi été possible :
– d’étudier plus exactement l’orientation du maxillaire, à l’aide de l’angle
C1/f1M au lieu de SNA, dont les variations objectivent non seulement les
changements d’orientation du maxillaire, mais aussi les déformations
alvéolaires de la région du pointAet les dimensions réelles de la mandibule.
Ceci se fait en mesurant sa longueur totale au lieu de SNB également trop
soumis aux variations du point B et aux changements de hauteur de l’étage
inférieur de la face ;
– d’analyser les autres facteurs pouvant contribuer à la constitution des
classes III, en particulier la forme du crâne (qui conditionne la typologie
faciale), la hauteur du maxillaire, les dimensions et orientations du ramus et
du corpus mandibulaire, la hauteur de l’étage inférieur de la face, le niveau et
l’orientation du plan d’occlusion, les déplacements et versions
alvéolodentaires, etc.
L’auteur conclut à la très grande prédominance de la rétromaxillie (75,56 %),
encore plus nette qu’en utilisantSNA(64,75 %) et à la fréquence de la bascule
en avant du ramus avec ouverture de l’angle mandibulaire.
La longueur mandibulaire n’est pas augmentée dans le plus grand nombre de
cas.
Cela montre l’importance des déformations mandibulaires et de
l’autorotation mandibulaire antérieure généralement d’origine fonctionnelle
dans le déterminisme des classes III.
D - Pourquoi la classe III est-elle un syndrome ?
Un syndrome est la réunion d’un groupe de symptômes (ou de signes) qui se
reproduisent en même temps dans un certain nombre de maladies.
C’est le cas des dysmorphoses dentomaxillaires de classe III qui groupent des
affections ayant le même type de malocclusion, mais dont les causes peuvent
être très différentes.
Certaines sont de véritables « syndromes malformatifs spécifiques », d’autres
sont seulement « typologiques » (constitutionnelles, ethniques, familiales,
individuelles), d’autres encore sont essentiellement « dysfonctionnelles » ou
« mixtes ».
Chaque cas doit donc bénéficier d’une étude complète, « personnalisée », de
tous les constituants squelettiques craniofaciaux.
Pour Delaire, la nécessité de ce diagnostic anatomique complet justifie
l’emploi systématique de l’analyse architecturale craniofaciale.
En résumé : les classes III forment un vaste « syndrome », groupant un très
grand nombre de variétés anatomocliniques (et étiopathogéniques)
différentes, dont la caractéristique commune est, selon Angle, la
mésiocclusion des molaires inférieures, par rapport aux molaires supérieures,
avec décalage équivalent des bases squelettiques maxillaire et mandibulaire.
Dans les cas les plus nets, la totalité de l’arcade mandibulaire est avancée par
rapport à l’arcade maxillaire.
Il est cependant de plus en plus fréquent
d’inclure, dans les classes III, les occlusions inversées limitées aux régions
incisivocanines, voire certains bout à bout incisifs.
Notions sur la croissance de la face
:
La bonne connaissance des mécanismes de la croissance faciale est
indispensable pour comprendre l’étiopathogénie des classes III et pour bien
appliquer leur traitement.
Les travaux de Delaire ont pour origine les conceptions de son maître
Lebourg qui avait compris la nature et le rôle fondamental des sutures
membraneuses dans la morphologie craniofaciale normale et pathologique,
et la possibilité d’utiliser leur physiologie dans le traitement des
dysmorphoses dentofaciales.
A - Croissance du maxillaire (Delaire)
:
1- Rappel des notions classiques :
Classiquement, la croissance sagittale du maxillaire est due à son
déplacement vers l’avant et à l’activité suturale compensatrice.
2- Constituants du maxillaire :
Divers auteurs pensent qu’il existe un accroissement spécifique des
constituants du maxillaire, et distinguent au squelette facial deux parties de
développement différent : la face postérieure ou « endoface », la face
antérieure ou « exoface ».
La partie antérieure du maxillaire s’accroît de façon particulière car le
maxillaire est un os membraneux.
Ceux-ci ne s’accroissent pas seulement par ossification compensatrice des
sutures qui les séparent, et par l’apposition-résorption osseuse, mais aussi par
l’écartement progressif de leurs tables interne et externe.
Les agents responsables de cette disjonction des corticales du frontal sont :
– la poussée en avant du septum cartilagineux médian ;
– les forces occlusales qui se manifestent dès que la denture temporaire est
fonctionnelle (vers 2 ans).
Dans son mouvement vers l’avant, la table externe de l’os frontal entraîne
avec elle les os propres du nez, l’arête nasale et les processus frontaux des
maxillaires, qui lui sont unis par les sutures frontomaxillaires.
Dans les classes III, où les forces occlusales incisivocanines font précocement
défaut, il existe donc habituellement un moindre développement des sinus
frontaux et une situation en retrait des articulations frontomaxillaires.
En
l’absence de normalisation de l’occlusion, ces anomalies morphofonctionnelles ne peuvent que s’exagérer.
B - Croissance maxillaire « reconsidérée »
:
Selon Delaire, la croissance maxillaire peut être schématisée comme suit.
1- Sagittalement :
– Dans les premières années de la vie, le maxillaire se déplace en bloc avec
l’os frontal sous l’influence des poussées exercées d’arrière en avant par les
lobes frontaux en expansion, les cartilages de la partie antérieure de la base
du crâne (capsule nasale, septum cartilagineux médian) et le massif lingual.
– Entre 4 et 10 ans, la corticale antérieure de l’os frontal se déplace
spécifiquement, entraînant les os maxillaires qui y sont appendus.
Les tractions du complexe musculoaponévrotique de la lèvre supérieure sur
le prémaxillaire, les pressions de la langue contre la voûte palatine et les forces
occlusales exercées sur les parties antérieures (incisivocanines) de l’arcade
dentaire contribuent à ces déplacements et aussi au développement des parties
antérolatérales du maxillaire.
Après 12 ans, le maxillaire se développe surtout par ses parties antérolatérales
grâce au déplacement spécifique de ses corticales externes.
À noter que le déplacement sagittal du maxillaire s’accompagne normalement
d’un mouvement de rotation vers l’avant qui, dans les mois qui suivent la
naissance, intéresse tout le bloc maxillaire.
À la puberté, en revanche, cette
rotation intéresse électivement la face antérieure ou l’exomaxillaire.
2- Verticalement :
Dans les premières années de la vie, le maxillaire descend en totalité sous
l’influence de la poussée des globes oculaires en expansion et des tractions
musculaires qui s’exercent sur ses parties inférieures.
Par la suite, à ce déplacement s’ajoute l’abaissement spécifique de la voûte
palatine et des bas-fonds sinusiens, qui prend de plus en plus d’importance.
3- Transversalement
:
Jusqu’à 4 ou 5 ans, les os maxillaires supérieurs sont écartés par les parties
latérales de la capsule nasale en accroissement et les apophyses ptérygoïdes.
Entre 7 et 10 ans, puis après, le maxillaire s’accroît par ses parties latérales
(en dehors des fosses nasales) grâce à l’expansion des sinus maxillaires.
Toute
atteinte pathologique gênant l’expansion de ceux-ci provoquera une
insuffisance de développement maxillaire.
Les déplacements latéraux et l’expansion transversale du maxillaire, de la
voûte palatine, des sinus maxillaires et de l’arcade dentaire supérieure
résultent essentiellement des pressions exercées par la langue contre la voûte
palatine et des forces masticatoires supportées par l’arcade dentaire
supérieure.
4- Prémaxillaire
:
Il s’accroît aussi par déplacement antérolatéral des deux hémi-prémaxillaires,
puis de leur corticale externe sous l’influence des germes dentaires, des
pressions linguales, des forces occlusales et des muscles naso-labio-géniens
insérés sur le septum cartilagineux nasal.
En résumé : les parties profondes (centrales) et antérolatérales
(périphériques) du maxillaire humain se développent différemment.
Les parties profondes se développent, surtout avant 3 ou 4 ans, sous
l’influence de l’accroissement des cartilages de la base du crâne et de leur
expansion intrafaciale.
Les actions musculaires contribuent à ce déplacement
en bloc des pièces squelettiques.
Les parties antérolatérales (ou « exo-péri-maxillaire » de Delaire) font partie
du même ensemble cortical externe que la partie frontale antérieure de la base
du crâne et se développent de la même façon.
Ce développement « exofacial » dépend essentiellement des fonctions
orofaciales, en particulier de la manducation (mastication, pressions linguales
lors de la trituration alimentaire et déglutition).
Dans les classes III, l’absence d’une bonne occlusion antérieure (incisivocanine) provoque
l’hypodéveloppement des parties antérolatérales du maxillaire.
Pour corriger
ces dysmorphoses, il faut donc non seulement avancer le maxillaire (« en
bloc » et plus spécifiquement ses corticales antérolatérales), mais aussi
normaliser les fonctions manducatrices qui stabiliseront et amélioreront
encore les résultats.
C - Croissance de la mandibule (Delaire)
:
1- Conception classique actuelle :
L’ensemble de la croissance mandibulaire provient essentiellement de
l’activité de croissance du cartilage condylien (celle-ci est secondaire et
influençable).
C’est sur lui que les traitements orthopédiques doivent agir
pour diminuer la croissance mandibulaire dans les classes III, l’augmenter
dans les classes II.
2- Croissance mandibulaire reconsidérée
:
Le ramus et le condyle sont des formations secondaires. Leur rôle est de
compenser l’abaissement du corps mandibulaire, de le stabiliser et de le
mobiliser.
L’essentiel de la croissance mandibulaire se produit aux extrémités
postérieures du corpus.
Le cartilage condylien possède à la fois
des capacités périostées adaptatives (secondaires) et cartilagineuses
prolifératives (primaires).
Ces nouvelles conceptions sur la croissance mandibulaire ne sont pas sans
conséquences pratiques.
En effet, elles s’accordent avec les conceptions de
Moss, attribuant une certaine individualité aux « unités squelettiques » de
toutes les pièces osseuses.
On comprend mieux ainsi :
– la grande fréquence des ouvertures de l’angle mandibulaire dans les classes III (entre les unités « ramus » et « corpus » mandibulaires) et la possibilité de
les réduire par certaines thérapeutiques orthopédiques ;
– la croissance différente du ramus et du corpus et la possibilité d’agir
électivement sur elles ;
– le rôle fondamental des fonctions et postures sur le développement des
différentes parties de la mandibule.
D - Considération complémentaire sur la croissance faciale
:
Dans l’étiopathogénie des dysmorphoses dento-maxillo-faciales, il ne faut
pas tenir compte simplement de la forme du maxillaire et de la mandibule,
mais aussi de la base du crâne et du rachis.
La variation d’ouverture ou de
fermeture de l’angle sphénoïdal et les anomalies de longueur du segment nasion-basion constituent le facteur crânien, bien connu, des dysmorphoses.
La responsabilité du rachis cervical est moins connue, mais certaines
anomalies cervicales favorisent les classes III en agissant :
– soit par fermeture de l’angle sphénoïdal et avancée des articulations temporomandibulaires (ATM) ;
– soit par déformation de la paroi postérieure du pharynx et modification de
la lumière pharyngée, provoquant elle-même la projection mandibulolinguale.
E - Rôle des fonctions dans le développement de la face,
leur responsabilité dans les dysmorphoses
de classe III :
– Les pièces squelettiques se créent, se développent, se disposent entre elles,
sous l’influence des actions dynamiques, provenant des diverses postures et
fonctions de l’extrémité céphalique.
– Inversement, les fonctions dépendent de l’état des supports squelettiques
sur lesquels s’insèrent les muscles qui assurent les postures et fonctions.
Donc, squelette et fonctions ne peuvent être disjoints. Ils forment ensemble
un « complexe morphofonctionnel ».
Avant tout traitement orthognathique,
s’impose le bilan complet de toutes les postures et toutes les fonctions, en
attachant une importance particulière à l’état de la ventilation aérienne
supérieure dont la responsabilité dans le développement et les récidives des
dysmorphoses est insuffisamment connue.
1- Responsabilité des troubles de la ventilation aérienne supérieure
:
Ce n’est pas l’insufflation aérienne des fosses nasales dans le sinus maxillaire
qui à elle seule est capable d’assurer l’expansion sinusienne.
Les troubles du développement de la face consécutifs aux troubles ventilatoires proviennent essentiellement des actions déformantes indirectes
provenant des anomalies de posture et des autres dysfonctions céphaliques,
associées aux troubles de la ventilation.
– Posture craniorachidienne : le type de la dysmorphose est en majeure
partie conditionné par la posture rachidienne adoptée par le sujet pour ouvrir
son pharynx.
La ventilation buccale provoque parfois une rectitude du rachis
et une projection en avant de la mandibule avec tendance à la classe III
(Linder-Aronson).
Ainsi, beaucoup de classes III, avec langue basse et
avancée, hypertrophie des tonsilles palatines, sont consécutives à une
ventilation buccale habituelle.
– Posture vélopharyngée et mandibulolinguale : lors de la ventilation
buccale, la langue est toujours abaissée ; lorsque la langue ptosée bascule en
arrière, il se développe une classe II.
Inversement, lorsque la langue s’avance
et que sa pointe s’oriente du haut vers le bas, une classe III est observée.
La
langue peut aussi s’interposer entre la partie antérieure des arcades dentaires,
provoquant ainsi une augmentation de la dimension verticale.
Dans tous les
cas où la langue est abaissée, le maxillaire est moins développé sagittalement
et transversalement.
– Posture et enveloppe faciale antérieure : lors de la ventilation buccale, les
lèvres sont plus ou moins écartées et le tonus des muscles nasio-labio-géniens
et labiomentonniers est toujours profondément modifié. Selon les cas, ces
phénomènes créent ou exagèrent une classe II ou une classe III.
2- Responsabilité des autres fonctions dans les troubles
de la ventilation aérienne supérieure
:
Nous avons vu que les forces transmises au maxillaire par le couple mandibulolingual lors de la mastication et la déglutition normales déplacent
et augmentent les dimensions des pièces squelettiques (avant 7 ans), puis
développent l’exopériface (après 9 ans).
Le développement global du
maxillaire ne peut donc s’effectuer normalement que lorsque la manducation
est elle-même normale.
Chez le « respirateur buccal », la manducation est toujours plus ou moins
gravement perturbée.
La mimique faciale est réduite chez ces enfants peu
éveillés.
L’élocution peut être altérée en raison de la posture linguale basse.
Les effets déformants de ces troubles fonctionnels s’ajoutent à ceux des
anomalies posturales.
3- Spirale vicieuse dysmorphofonctionnelle :
Entre les troubles posturaux, les perturbations fonctionnelles et les anomalies
morphologiques (du squelette et des tissus mous), une spirale vicieuse
dysmorphofonctionnelle s’établit, qui altère progressivement l’ensemble des
postures, des fonctions et toutes les structures faciales, aboutissant à un
complexe dysmorphofonctionnel de plus en plus sévère.
Un exemple bien typique de « cascade dysmorphofonctionnelle » fait suite à
une obstruction nasale précoce non traitée. L’impotence nasale entraîne une
ventilation buccale.
Celle-ci provoque secondairement une endognathie
maxillaire, responsable à son tour d’un abaissement de la langue.
Celui-ci
s’accompagne de troubles de la déglutition et de la mastication, qui exagèrent
encore l’endognathie et provoquent des anomalies du développement sagittal
de la face (classe II ou classe III selon les prédispositions constitutionnelles).
Celles-ci entraînent des modifications de la mimique faciale et même de la
posture cervicocéphalique.
Finalement, toutes les fonctions de l’extrémité céphalique peuvent être
altérées (ce qui aurait pu être évité par une réhabilitation précoce de la
ventilation nasale).
F - Croissance générale de l’enfant :
Pour celle-ci, il nous faut retenir que « la croissance n’est pas un phénomène
progressif, c’est un processus discontinu avec des sauts, des périodes de
stagnation, d’accélération ou de ralentissement ».
Cette notion est importante à retenir car elle permet de choisir judicieusement
le moment thérapeutique idéal ou celui de sa reprise.
Clinique
:
Il est essentiel de bien connaître l’analyse d’un visage, car les traitements que
nous effectuons ont d’importantes conséquences esthétiques.
Ceci est traité
largement dans d’autres publications.
Le diagnostic de la classe III est un diagnostic clinique.
Le type de description
sera l’enfant de 5 à 6 ans en denture de lait ; à cet âge les symptômes ne sont
pas encore très marqués.
C’est la raison pour laquelle ils doivent être relevés
avec attention.
Il faut regarder comment l’enfant se comporte, évolue, parle,
propulse ; comment il vit...
A - Examen exobuccal :
1-
De face
:
Le diagnostic se fait dans la salle d’attente ou quand le patient rentre dans le
cabinet de consultation.
C’est un insuffisant maxillaire, la partie moyenne de
son visage est plate, elle ne s’est pas développée.
Il n’a pas de joues alors
qu’un enfant de son âge a des joues bien arrondies et bien modelées.
La région paranasale ou nasogénienne est creuse, marquant fortement le pli de jonction
entre les ailes narinaires et les joues.
C’est le signe quasi pathognomonique
de l’arrêt de développement maxillaire.
La lèvre supérieure est fine, blanche et peu marquée ; il y a peu de lèvre rouge,
contrastant avec la lèvre inférieure rouge, épaisse et éversée.
Le visage, peu
éveillé et sévère, donne à l’enfant plus que son âge.
Le nez est plutôt petit, les
orifices narinaires apparents.
Dans un tiers des cas le parent qui accompagne
l’enfant est lui-même prognathe !
La « vue d’avion » est une position privilégiée pour mettre en évidence le
manque de développement maxillaire.
L’enfant est sur le fauteuil et le
praticien en arrière de celui-ci.
Le creux paranasal, la lèvre supérieure fine,
sont en arrière de la lèvre inférieure épaisse, qui est en arrière du menton.
La
partie inférieure du visage seule a du relief.
2- De profil
:
L’examen est très révélateur ; la région sous-orbitaire, les pommettes,
apparaissent en recul, sans relief. Le pli nasogénien est très marqué.
La rétrusion de la lèvre supérieure est nette, elle est fine avec peu de vermillon,
alors que la lèvre inférieure, rouge, est éversée et en avant.
L’angle nasolabial, plus ouvert que normalement, rend compte de l’étirement
de la courbure sous-narinaire.
Le nez, qui n’a pas de soutien, paraîtra plutôt
convexe.
La palpation de l’étage moyen confirme l’insuffisance de développement
maxillaire, tant au niveau du rebord orbitaire, du relief malaire, que des aires paranasales.
La palpation de la mandibule, l’index sur la branche horizontale, le pouce sur
la branche montante, permettra de sentir une éventuelle encoche préangulaire
et le degré d’ouverture de l’angle.
3- Chez l’enfant plus âgé :
Ces signes s’accentuent ; de déficient maxillaire il passe au syndrome prognathique.
En effet, le maxillaire bloqué par la mandibule n’a plus aucune
chance de grandir, alors que la mandibule continue de se développer.
La lèvre
inférieure est de plus en plus marquée et éversée, le menton apparaît plus fort.
La distance du cou au menton, qui était normale puisque le problème était
maxillaire, devient plus importante.
L’avancée de l’étage inférieur attirant les
parties molles des joues donne une impression fausse d’aplasie malaire.
B - Examen endobuccal :
1-
Vue de face
:
L’occlusion incisive est souvent inversée avec tendance à l’inversion de
l’occlusion canine, prémolaire ou molaire uni- ou bilatérale.
Au maximum, il
existe une endognathie maxillaire bilatérale inscrivant l’arcade maxillaire
dans l’arcade mandibulaire ; ceci signe la gravité de l’insuffisance de
développement du maxillaire tant dans le sens antéropostérieur que
transversal.
Il y a alors une supraclusion.
Par opposition, dans le sens vertical il peut exister, si la langue est très active,
une infraclusion antérieure.
Parfois, l’occlusion incisive n’est pas inversée, mais la vestibuloversion
compensatrice est très nette.
Quelquefois, les incisives latérales maxillaires
seules peuvent être linguales ; elles n’ont pas de place dans ce maxillaire
étroit ; ceci signe un encombrement dentomaxillaire sans macrodontie.
Plus souvent, les incisives mandibulaires sont en linguoversion, sauf quand
une pulsion linguale vestibulise fortement celle-ci.
L’arcade maxillaire est
étroite, ogivale, contrastant avec l’arcade mandibulaire large, arrondie, qui est
le lit de la langue.
Il faut bien différencier ici l’occlusion inversée d’une occlusion de
convenance qui, de bout à bout, passe en occlusion inversée.
Pour ceci, il faut
rechercher la position de relation centrée, qui est alors en bout à bout.
L’enfant
propulse pour être en position plus confortable par rapport à l’occlusion, mais
aussi à la ventilation (en cas d’importantes tonsilles palatines, le passage de
l’air est facilité par l’avancée de la mandibule).
Le décalage étant ici moins
important, le traitement sera plus rapide.
2- Vue latérale :
L’occlusion canine est de classe III avec versant cuspidien séparé.
Les pointes cuspidiennes des canines, surtout mandibulaires, ne sont pas abrasées car elles
ne sont pas fonctionnelles.
L’occlusion molaire est de classe III d’Angle, sauf s’il s’agit d’une
insuffisance du prémaxillaire.
On peut apprécier le degré d’orientation des incisives maxillaires et mandibulaires, et noter le décalage antéropostérieur
entre les arcades.
C - Examen des fonctions et des postures labiale,
linguale, pharyngée et rachidienne :
Cet examen est fondamental ; ce sont les anomalies de posture et les
dysfonctions qui sont à l’origine des troubles squelettiques.
Définition : la posture est la situation au repos de l’organe ou du squelette ; la
fonction est son mouvement.
1- Postures :
– Enveloppe faciale antérieure : au repos, les lèvres peuvent ne pas être
jointives ; il n’y a pas de contact bilabial ; en occlusion forcée, elles entraînent
une crispation labiomentonnière, signant un excès vertical.
– Pharyngée : le voile peut être atone et rouge ; il peut être plus vertical que
normalement.
Les tonsilles palatines sont souvent hypertrophiques.
On notera
leur volume de 1 à 4.
– Linguale : la langue au repos est le plus souvent basse.
La pointe de la
langue est située en arrière des incisives mandibulaires, quand elle ne
s’interpose pas entre les arcades dentaires.
Cette langue basse déforme le
corps de la mandibule en creusant son logement sous la ligne oblique interne.
Les indentations sur les bords latéraux signent un volume important de la
langue, ou il peut tout simplement s’agir d’une « boîte linguale » petite par
rapport au volume de la langue qui est normale.
– Craniorachidienne : il faut examiner la façon dont la tête est portée par le
rachis.
Certains enfants ayant du mal à respirer par le nez avancent plutôt leur
mandibule.
Souvent la tête est « dans les épaules », penchée en avant ; le cou
est court.
2- Fonctions orofaciales de ventilation, de mastication et de phonation
:
– Ventilation : elle est le plus souvent buccale comme le confirme
l’interrogatoire des parents.
L’enfant dort la bouche ouverte et a soif le matin.
L’examen de la cavité buccale et pharyngée montre une hyperhémie globale
avec sécheresse buccale.
Cette ventilation buccale peut être objectivée par des
mesures de la physiologie ventilatoire (exemple : aérophonoscope de
Delaire).
Une cloison nasale très déviée peut altérer fortement la perméabilité
nasale ; il faudra y remédier.
– Fonction alimentaire : ces enfants mangent lentement, font du bruit, ont du
mal à mastiquer les aliments.
La déglutition du bol alimentaire et de la salive
est anormale, avec pérennisation de la succion-déglutition du nourrisson.
La
dynamique linguale est basse, avec apex lingual se positionnant en arrière des
incisives mandibulaires, ou entre les arcades dentaires.
– Phonation : elle sera examinée brièvement car il ne semble pas que son
trouble soit responsable d’apparition de dysmorphose squelettique
(contrairement à la déglutition).
La phonation peut être normale mais souvent
il existe un trouble phonétique sur les constrictives.
Analyse radiographique
:
Elle comportera une téléradiographie de profil éventuellement
de face si l’on soupçonne un problème d’asymétrie, et une radiographie
panoramique.
Chaque orthodontiste a l’habitude de son analyse, qu’il fait très rapidement et
qui lui permet d’appréhender le cas.
Nous utilisons personnellement : les angles SNA, SNB, SND, le
téléradiomètre de Chateau, qui permet de déterminer rapidement les valeurs
AT, AoBo, I/F et i/M, et la ligne de McNamara.
Cette approche doit être complétée par une analyse plus précise.
L’analyse architecturale craniofaciale procure le plus grand nombre de
renseignements.
En effet, de nombreux auteurs critiquent les analyses
conventionnelles.
1- Quelles sont ces critiques ?
– Le peu de signification anatomophysiologique et même géométrique des
points de références, des lignes qui les unissent et des angles qu’elles forment
entre elles.
– L’absence de stabilité de ces points au cours de la croissance.
– L’absence de valeur des moyennes « normales » pour un cas particulier ;
l’absence de prise en compte de la forme du crâne.
– Surtout, l’incapacité à individualiser les arcades dentoalvéolaires, les bases
squelettiques et les principaux territoires squelettiques contribuant au
développement et à l’équilibre architectural craniofacial.
Cela rend ces analyses conventionnelles impropres à l’étude de la croissance
faciale et aussi à la compréhension de la physiopathogénie, donc au traitement
orthopédique des dysmorphoses dentofaciales.
2- Quels sont les avantages de l’analyse architecturale
et structurale de Delaire :
– Elle n’est pas statique ; elle est personnalisée, basée sur les conditions
d’équilibre optimales du squelette de l’individu.
C’est par rapport à cet
équilibre que l’on fait le diagnostic des anomalies et non par rapport à des
moyennes théoriques, statistiques, qui n’ont aucune valeur dans les cas
strictement individuels.
– Elle permet d’analyser les anomalies globalement et non séparément.
Ces
anomalies constituent des syndromes, des associations d’anomalies, qui
permettent d’objectiver les dysfonctions.
C’est en cela qu’elle est une analyse
d’expression clinique, car elle part des signes morphologiques pour faire un
diagnostic de dysfonction.
Ceci va alors permettre de traiter le patient de façon
très différente, suivant le diagnostic morphofonctionnel réalisé.
– Elle permet la compréhension des facteurs fonctionnels en faisant l’analyse
structurale des tissus durs et des tissus mous.
Toute anomalie des forces
exercées sur un os entraîne une anomalie des formes externes et des structures
internes.
En étudiant la forme et l’état « interne » de ces os, on peut en déduire
les facteurs fonctionnels responsables des anomalies.
Il en va de même pour
les parties molles.
– Elle permet de faire de nombreuses superpositions sur les lignes de
croissances, permettant de suivre parfaitement les effets de la thérapeutique.
3- Qu’est-ce que l’analyse architecturale et structurale craniofaciale ?
– Analyse architecturale.
Les tracés de l’appareil de « suspension du crâne »,
du « compas masticateur » du système « architectural » facial et les lignes de
diffusion et d’amortissement des forces occlusales sont très intriqués.
Plusieurs de leurs lignes constitutives sont communes et parallèles, et se
retrouvent dans l’analyse architecturale permettant ainsi de déterminer l’état
idéal de l’extrémité céphalique du sujet.
Par rapport à ce tracé de base,
les anomalies faciales éventuelles peuvent être bien précisées grâce aux huit
lignes de l’analyse orthognatique.
Nous ne pourrons
étudier les facteurs architecturaux des classes III qui peuvent être crâniens,
maxillaires, mandibulaires, alvéolaires, dentaires, voire rachidiens (se
reporter aux nombreuses publications de l’auteur).
Mais leur étude montre
leur grande diversité.
Ils ne sont jamais isolés et peuvent s’aggraver ou se
compenser mutuellement.
Ceci confirme la multiplicité des facteurs
anatomiques des classes III.
– Analyse structurale.
Pour évaluer la responsabilité « fonctionnelle » dans
le développement de la classe III, l’analyse céphalométrique architecturale
sera toujours systématiquement complétée par l’étude « structurale » de tous
les tissus durs (squelettiques) et mous adjacents (superficiels et profonds).
Ces
études morphologiques et structurales comparatives donnent des
renseignements intéressants sur les postures et le fonctionnement des lèvres,
de la langue, du voile, du pharynx.
Ces renseignements sont particulièrement
utiles chez les « respirateurs buccaux » et chez les sujets présentant un
dysfonctionnement desATM.
Au total, l’individualisation des « facteurs architecturaux de classe III », de
leurs associations et l’étude structurale des tissus durs et mous avoisinants
donnent des renseignements précieux sur la nature exacte, le siège,
l’importance, la responsabilité des anomalies dentosquelettiques et leur
étiopathogénie.
Elles confirment la multiplicité des formes anatomocliniques
du syndrome classe III et préparent leur traitement.