Diagnostic de la cirrhose du foie Cours d'Hépatologie
Introduction
:
Il y a deux principales présentations de la cirrhose : patente
lorsqu’elle est compliquée (ascite par exemple), on dit alors qu’elle
est décompensée.
Le diagnostic est alors relativement aisé mais
quelques erreurs sont encore possibles.
Dans la majorité des cas, la
cirrhose est latente ou non compliquée ou compensée.
Le diagnostic
est a priori moins aisé ; c’est dans ces circonstances que le diagnostic
positif prend une place prépondérante.
De nouveaux moyens
diagnostiques sont désormais à la disposition du plus grand
nombre.
Il y a deux types de diagnostic : académique ou histologique et
pragmatique ou non invasif.
Le diagnostic de référence de la
cirrhose est l’examen histologique puisque la définition de la
cirrhose est histologique : transformation de l’architecture normale
par un processus diffus caractérisé par de la fibrose concentrique
isolant des nodules d’hépatocytes de régénération.
Il y a deux grandes causes de cirrhose : l’alcool et les virus ; il en
découle des présentations et des circonstances de découverte
souvent différentes.
Dans cette mise au point, l’accent est mis sur les éléments de
diagnostic positif précoce de la cirrhose et les signes ayant la
meilleure valeur informationnelle.
Circonstances de découverte
:
Le diagnostic est souvent tardif ou méconnu.
La cirrhose est une
affection au début qui est souvent pas (forme latente) ou peu symptomatique.
Les signes cliniques précoces sont soit fréquents
mais aspécifiques, soit plutôt spécifiques du foie mais assez rares.
Ceci explique que la cirrhose est souvent diagnostiquée
au stade des complications lorsque l’hépatopathie chronique n’était
pas connue.
En effet, au moment du diagnostic, on note une ou
plusieurs complications chez 63 à 66 % des malades.
D’un autre
point de vue, parmi l’ensemble des complications de la cirrhose,
l’hémorragie digestive révélerait la cirrhose une fois sur trois et le
carcinome hépatocellulaire une fois sur deux.
Il semble cependant
possible de dépister de façon plus précoce la cirrhose puisque dans
une étude italienne sur la cirrhose au sein de la population générale,
la cirrhose était asymptomatique dans 85 % des cas.
Dans deux études, danoise et américaine, 33 et 40 %, respectivement,
des cirrhoses étaient méconnues au moment du décès.
Diagnostic précoce de la cirrhose
:
La question qui se pose au clinicien est triple : quand, comment et
pourquoi diagnostiquer précocement la cirrhose ?
A - QUAND ?
Le plus tôt possible, le mieux étant même avant le stade de cirrhose.
L’alcool représente en France la principale cause de cirrhose. Selon
plusieurs enquêtes, environ 20 % de la population française adulte
mâle a une consommation alcoolique à risque ou excessive.
Dans
cette population, le risque de développer une cirrhose serait de 19 %
selon la moyenne de cinq études.
Ce risque étant significatif à
partir de 45 ans, une vigilance accrue devrait être réalisée chez
tous les consommateurs excessifs dès l’âge de 40 ans.
Le même seuil
est observé au cours des hépatites virales.
Il y a deux circonstances chronologiques :
– un diagnostic rétrospectif : la cirrhose révèle l’hépatopathie
chronique, il s’agit alors de prouver la cirrhose et c’est dans ce
contexte que la ponction-biopsie hépatique (PBH) est proposée
(diagnostic positif et étiologique) ;
– un diagnostic prospectif : l’hépatopathie chronique étant connue,
il s’agit de dépister l’apparition de la cirrhose, les moyens non
invasifs ont alors davantage de place.
À quel rythme doit être fait ce dépistage ?
Pour l’hépatite C
évolutive (sans rémission), la recommandation des consensus est
une PBH tous les 3 à 5 ans.
Dans ce contexte, les moyens non
invasifs ont deux intérêts : ils peuvent être répétés plus
fréquemment (par exemple, un test biologique sanguin annuel) et
leur rythme peut être adapté à l’évolutivité individuelle de
l’hépatopathie.
B - COMMENT ?
Par les moyens les plus simples en termes d’acceptabilité.
Il est
possible d’individualiser dans la population générale des
populations à risque selon deux approches :
– d’après le diagnostic de la cause, en premier lieu l’alcoolisme dont
on connaît les difficultés diagnostiques et en deuxième lieu les
populations à risque d’hépatite virale : antécédents de transfusions
ou de toxicomanie ;
– selon une découverte « fortuite » d’une anomalie clinique ou
biologique hépatique à l’occasion d’un bilan de santé ou pratiqué
pour une autre raison.
En effet, la plupart des maladies chroniques
du foie, surtout celles s’accompagnant d’une cytolyse, sont
susceptibles d’évoluer vers une cirrhose.
En pratique, entrent dans
ce cadre les augmentations chroniques de l’activité sérique des aminotransférases supérieures à 1,5 fois la limite supérieure de la
normale (N).
Cependant, un dépistage de masse non ciblé, à partir
de tests fonctionnels hépatiques, chez des sujets asymptomatiques,
n’est pas actuellement recommandé en raison de leurs faibles
sensibilité et spécificité.
D’autre part, le coût d’exploration des
faux positifs est jugé prohibitif.
Enfin, la question la moins résolue
est celle des faux négatifs. Il est classique de dire que 20 % des
cirrhoses auraient des tests biologiques normaux.
En amont, on
dispose également de peu de données sur le taux de faux négatifs
pour le diagnostic biologique sanguin de maladie alcoolique du foie
chez l’alcoolique.
Ce taux serait de 40 % pour l’alanine aminotransférase (ALAT) et l’aspartate aminotransférase (ASAT).
Ce taux semble supérieur pour l’hépatite C mais on sait que, en cas
d’ALAT normale, la vitesse de progression de la fibrose est deux
fois moindre.
C - POURQUOI ?
Pour une raison essentielle : la cirrhose est une lésion en principe
irréversible et elle diminue l’espérance de vie du fait de ses
complications.
Mais l’intérêt de ce diagnostic ne serait pas tant
pronostique que thérapeutique.
Ceci peut être apprécié d’après le
traitement de la cause et des complications de la cirrhose.
L’abstinence au cours de la cirrhose alcoolique diminue de moitié la
mortalité à 5 ans.
Toutefois, il semble que le sevrage est d’autant
plus facile à obtenir qu’il y a une complication de la cirrhose.
Le
traitement de la cause est également efficace au cours de
l’hémochromatose génétique et des maladies auto-immunes au stade
de cirrhose.
En revanche, il est difficile d’arrêter la réplication d’un
virus responsable d’une cirrhose.
D’autre part, un dépistage précoce
permet de prévenir certaines complications.
Il est actuellement bien
démontré que l’on peut diminuer l’incidence de la première
hémorragie digestive de la cirrhose par les bêtabloquants.
De plus,
le risque est maximal au cours des premières années d’évolution de
la cirrhose.
L’endoscopie participe donc à la fois au diagnostic
précoce de la cirrhose et au traitement préventif.
En revanche, le
dépistage du carcinome hépatocellulaire tel qu’il est pratiqué
actuellement (échographie et dosage de l’alphafoetoprotéine
semestriels) semble peu rentable.
La connaissance d’une cirrhose
permet de diminuer de nombreux autres risques dont les risques
iatrogènes (par exemple, encéphalopathie hépatique induite par les
sédatifs).
Enfin, outre l’amélioration de la survie, un dépistage précoce en
agissant sur plusieurs facteurs (traitement de la cause de la cirrhose
et prévention de ses complications) pourrait permettre de réduire le
coût économique de cette maladie.
L’impact d’une maladie peut être
mesuré par les années de vie productives perdues (AVPP) avant
l’âge de 65 ans qui quantifient le décès et l’incapacité avant l’âge de
la retraite et les limites de productivité de travail.
Chaque cas de
cirrhose représente en moyenne 12 AVPP contre trois AVPP pour les
maladies coronariennes et quatre AVPP pour le cancer.
Bien que
les deux dernières maladies causent davantage de décès, l’impact
économique de la cirrhose survenant plus tôt dans la vie, durant les
années de vie productives et entraînant de nombreuses
hospitalisations, est donc de trois à six fois plus grand par cas que
les autres affections précitées.
Moyens diagnostiques
:
A - MOYENS INVASIFS
:
1- La ponction-biopsie hépatique est-elle fiable ?
L’examen histopathologique d’un fragment hépatique, le plus
souvent prélevé par ponction-biopsie, est l’examen de référence.
D’après le prélèvement, on peut considérer la cirrhose comme :
– certaine en présence d’au moins un nodule régénératif entouré de
fibrose ;
– probable en présence d’au moins deux des critères suivants :
fragmentation du spécimen, fibrose entourant la plus grande partie
du fragment, distorsion du réseau de réticuline, signes de
régénération ;
– possible en présence d’une architecture remaniée ou d’une fibrose intralobulaire.
La fiabilité de la PBH est prise en défaut pour le diagnostic de
cirrhose.
Le taux de faux négatifs est en moyenne de 24 %. Pour
les biopsies effectuées sous le contrôle de la vue au cours d’une
laparoscopie, ce taux est en moyenne de 25 %.
La laparoscopie a
elle aussi un taux de faux négatifs de 20 % mais le cumul de
l’examen macroscopique et de la PBH sous laparoscopie réduit ce
taux à 2 %.
Quand le fragment est recueilli par voie transjugulaire, le diagnostic
de cirrhose est plus difficile car requérant plus d’expérience.
Ainsi,
si dans les centres de référence le fragment hépatique était jugé
adéquat dans 81 à 97 % des cas, le spécimen était non fragmenté
ou assez long pour un diagnostic chez seulement 64 % des malades
avec fibrose ou cirrhose.
Cependant, la voie transjugulaire est
souvent nécessaire au cours de la cirrhose dans les circonstances
suivantes : troubles significatifs de la coagulation, ascite et
atrophie.
Ainsi, la biopsie hépatique, qui représente le gold standard en termes
de diagnostic de cirrhose, a ses limites.
Une estimation récente a
même suggéré que la biopsie serait moins performante qu’une échographie-doppler pour le diagnostic de cirrhose avec une
sensibilité respective de 62 et 87 %.
2- La ponction-biopsie hépatique est-elle acceptable ?
Le caractère vulnérant de la PBH (morbidité de 0,3 % et mortalité de
1/10 000), l’inconfort (la douleur) ainsi que la contrainte d’une
hospitalisation et son coût, font que cette technique est inadaptée au
dépistage précoce de la cirrhose ou au diagnostic ambulatoire.
3- La ponction-biopsie hépatique est-elle indispensable ?
Cette question récurrente est débattue.
En fait, la question actuelle
est de savoir si les moyens non invasifs peuvent réellement
supplanter la PBH pour le diagnostic de cirrhose.
B - MOYENS NON INVASIFS
:
1- Clinique
:
Les signes cliniques de la cirrhose sont la conséquence des
modifications morphologiques du foie, de l’insuffisance hépatique
et de l’hypertension portale.
Le foie n’est pas toujours hypertrophié ; sa consistance ferme et son
bord inférieur tranchant sont caractéristiques de la cirrhose.
L’insuffisance hépatique peut se manifester par un ictère, une
encéphalopathie hépatique ou des troubles endocriniens
(aménorrhée, impuissance) ou des troubles cutanés (angiomes
stellaires, érythrose palmaire).
L’hypertension portale se manifeste par une ascite, une circulation
veineuse collatérale abdominale et une splénomégalie.
2- Biologie
:
On distingue :
– les marqueurs de la conséquence de la cirrhose, essentiellement
ceux de l’insuffisance hépatique ; ce sont donc des marqueurs
indirects de cirrhose ;
– ceux de la cause histologique de la cirrhose, la fibrose.
Les
marqueurs de fibrose peuvent être des molécules impliquées dans
les processus dynamiques de la fibrose au sein de la matrice
extracellulaire : fibrogenèse et fibrolyse ; ce sont les marqueurs
directs de fibrose.
Par opposition, le clinicien distingue les
marqueurs indirects de fibrose car reflets mais non partie intégrante
de la fibrose.
* Marqueurs indirects
:
De très nombreuses anomalies biologiques on été décrites au cours
de la cirrhose dont les plus communes sont indiquées ci-après.
Parmi les tests hépatiques conventionnels, une valeur diagnostique
significative a été observée pour les tests sanguins suivants :
albumine, taux de prothrombine (TP), gammaglobulines,
plaquettes.
Le TP a une très bonne performance diagnostique
(proportion de malades correctement classés = vrais positifs et
négatifs) de cirrhose (86 %), non influencée par d’autres variables
telles que l’existence d’une hépatite alcoolique et par ailleurs son
dosage est reproductible.
L’apolipoprotéine A1 (Apo-A1) est un bon marqueur de fibrose
hépatique et de cirrhose chez les malades alcooliques.
À partir de la gammaglutamyl-transpeptidase (cGT), du TP et de l’Apo-A1 a été
étudiée la valeur diagnostique d’un index appelé PGA où chacune
de ces trois variables est représentée par un score de 0 à 4 selon son
résultat.
Cet index permettait de bien classer 66 % des sujets.
Quand
l’index était inférieur ou égal à 2, la probabilité de cirrhose était de
0 % et, supérieur ou égal à 9, elle était de 86 %.
L’intérêt de cet
index a été confirmé par deux autres équipes et sa performance
a été améliorée par l’adjonction d’autres marqueurs tels que le
peptide du procollagène III ou de l’alpha-2 macroglobuline.
Toutefois, son utilité a été contestée et sa performance semble
actuellement dépassée.
* Marqueurs directs
:
Les marqueurs sériques de fibrose les plus étudiés ont été le propeptide du procollagène III, l’acide hyaluronique, le propeptide
du collagène IV, la laminine et le fragment 7S du collagène IV.
Le
marqueur sérique direct de fibrose le plus performant semble être
l’acide hyaluronique (ou hyaluronate).
Cette performance
diagnostique est probablement liée au fait que ce constituant de la
matrice n’est corrélé qu’à la fibrose et n’est que peu influencé par
les autres variables histopathologiques telles que l’activité et la
nécrose, contrairement au PIIINP par exemple.
Ont été également
étudiés, les molécules fibrolytiques, comme les matrix
metalloproteinases (MMP) ou leurs inhibiteurs, les tissue inhibitor of
metalloproteinases (TIMP).
La MMP-2 serait aussi performante que le hyaluronate dans les hépatopathies chroniques virales.
3- Endoscopie
:
Dans une étude française récente, la performance diagnostique des
varices oesophagiennes pour la cirrhose était de 77 %.
La performance diagnostique des varices oesophagiennes pour la
cirrhose a été peu étudiée.
Paradoxalement, la valeur de la gastropathie d’hypertension portale, dont le principal signe est la
mosaïque, a été plus étudiée.
La sensibilité de la gastropathie
était très variable.
Dans tous les cas, la spécificité était de plus de
90 %.
Dans une étude française récente, l’intérêt respectif des
signes gastriques et oesophagiens a été évalué de façon
indépendante : si l’évaluation des varices oesophagiennes permettait
de bien classer 88 % des malades avec hépatopathie chronique, la
mosaïque gastrique permettait un petit gain diagnostique significatif
à 92%.
La performance diagnostique de l’échoendoscopie est
inférieure à celle de l’endoscopie.
4- Imagerie radiologique
:
De nombreux examens radiologiques (artériographie, échographie,
scanner, imagerie par résonance magnétique) du foie ont une
sémiologie qui permet d’évoquer le diagnostic de cirrhose.
Toutefois, seul l’intérêt de l’échographie pour le diagnostic de
cirrhose a été évalué.
Il y a deux catégories de signes qui permettent
d’évoquer la cirrhose :
– les signes directs des anomalies morphologiques hépatiques :
l’hypertrophie du lobe caudé (segment I), l’hétérogénéité diffuse du
parenchyme et la surface nodulaire diffuse ;
– les signes d’hypertension portale : ascite (l’échographie permet de
détecter une minime quantité d’ascite insoupçonnée par l’examen
clinique), splénomégalie, circulation collatérale et dilatation de la
veine porte.
Dans les différentes études réalisées, la valeur informationnelle de
cette sémiologie était évaluée de façon controversée, notamment
pour la sensibilité qui variait de 12,5 à 95 %.
Il est donc nécessaire
d’avoir recours à d’autres études, ce d’autant que la meilleure
sensibilité a été observée avec une sémiologie relativement
sophistiquée et fastidieuse telle que la mesure de trois dimensions
du lobe caudé, dont la concordance interobservateurs est
médiocre.
En revanche, la spécificité de cette sémiologie était
généralement excellente.
La plupart de ces études avaient des biais.
Une étude récente prenant en compte ces biais a montré une
performance diagnostique de 84 %.
Cependant, la performance
diagnostique diminuait de 7 % pour le signe le plus performant
lorsqu’on tenait compte de l’absence de recueil du signe (pour des
raisons anatomiques : gaz...).
Dans l’ensemble, il semble que
l’échographie permette de bien classer trois malades sur quatre pour
le diagnostic de cirrhose.
L’échographie-doppler est un examen potentiellement très intéressant
pour le diagnostic de cirrhose vu la multiplicité des anomalies
vasculaires.
Nous disposons actuellement de plusieurs études sur
les performances diagnostiques de la vitesse circulatoire de la veine
porte et/ou l’index de pulsatilité de l’artère hépatique.
La sensibilité
pour le diagnostic de cirrhose est de 66 % et la spécificité de 90 % en
utilisant la mesure de la vitesse circulatoire de la veine porte.
Récemment, une étude comportant 212 malades avec hépatopathie
compensée vient de conforter ces données en montrant que deux
variables indépendantes, surface nodulaire et vitesse du flux portal,
permettaient le diagnostic de cirrhose avec une sensibilité de 87 %
et une spécificité de 98 %.
L’étude doppler concomitante de
l’artère hépatique et de la veine porte améliore également les
performances de l’échographie-doppler pour le diagnostic de
cirrhose avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 93 %.
L’apport du doppler pour le diagnostic de cirrhose mérite donc
d’être développé, sous réserve d’un apprentissage rigoureux de la
technique et de la prise en compte des facteurs de
reproductibilité.
Dans notre expérience, nous n’avons pas
retrouvé d’indices informationnels aussi élevés avec la vélocimétrie
portale.
Une nouvelle sémiologie a été récemment évaluée.
La mesure du
temps de transit hépatique aurait une excellente performance
diagnostique.
De même, l’analyse du spectre des veines
hépatiques serait performante.
5- Ensemble des examens cliniques et paracliniques
:
Nous venons de voir que nombre de signes avaient une bonne
spécificité mais une sensibilité médiocre.
Il n’y a donc pas d’examen
permettant à lui seul le diagnostic de cirrhose.
Il était donc licite de
s’intéresser à plusieurs examens à la fois. Nous disposons de six
études dont trois italiennes.
– La première étude, française, a été réalisée chez 779 malades
alcooliques.
La technique utilisée (arbres décisionnels et analyse
discriminante) a permis de sélectionner neuf des 50 variables
cliniques et biologiques étudiées : ascite, splénomégalie, angiomes
stellaires, âge, TP, Apo-A1 et b + c-globulines.
La performance
diagnostique de ces neuf variables pour la cirrhose était de 93 %, la
valeur prédictive positive de 89 % et la valeur prédictive négative
de 94 %.
– La deuxième étude, déjà citée, a été réalisée chez 277 malades
avec ASAT supérieure à 2 N et sans décompensation de
l’hépatopathie.
Les signes ayant une valeur diagnostique
indépendante étaient : foie ferme, thrombopénie (plaquettes
< 140 G/L) et un diamètre de veine porte supérieur ou égal à 13 mm
avec absence de variation respiratoire des vaisseaux portes.
Un score
établi à partir de ces trois variables permettait une sensibilité de 50 %
et un classement correct de 70 % des malades pour le diagnostic de
cirrhose.
– La troisième étude, rétrospective, a été réalisée chez 412 malades
atteints d’hépatopathie compensée à l’aide de 18 variables.
Dans
chaque type d’examen, les variables qui avaient la meilleure valeur
prédictive étaient les suivantes, en analyse univariée : clinique :
hauteur splénique supérieure à 18 cm, surface hépatique irrégulière ;
biologie sanguine : plaquettes inférieures ou égales à 110 G/L,
gammaglobulines supérieures ou égales à 24 g/L ; échographie :
absence de variation respiratoire des vaisseaux portes, diamètre de
la veine porte supérieur ou égal à 14 mm.
À l’aide d’une
combinaison de cinq variables, le pourcentage de malades bien
classés était de 70 %.
– La quatrième étude, prospective, réalisée chez 114 malades avec ALAT supérieure à 2 N a individualisé trois variables prédictives
indépendantes : plaquettes, longueur splénique et vitesse maximale
du flux portal ; la valeur prédictive positive de deux signes était de
98 % et la valeur prédictive négative des trois signes (tous normaux)
était de 96 %.
La performance diagnostique de la vitesse maximale
du flux portal était de 88 %, prise isolément, et de 95 % en
association des deux autres variables.
– La cinquième étude, française, réalisée chez 243 malades atteints
d’hépatopathies virales ou alcooliques, a testé 63 variables cliniques,
biologiques, échographiques et endoscopiques.
En analyse multivariée, trois variables (acide hyaluronique, varices
oesophagiennes et fermeté du foie) avaient une performance
diagnostique pour la cirrhose de 92 %, avec une valeur prédictive
positive de 98 % et une valeur prédictive négative de 86 %.
– La sixième étude, publiée uniquement sous forme de résumé, a
évalué de façon rétrospective la valeur informationnelle de variables
cliniques et biologiques chez 191 malades atteints d’hépatopathies
chroniques non alcooliques.
L’élaboration d’un score CDS (cirrhosis
discriminant score) prenant en compte l’existence d’ascite,
d’angiomes, le taux de plaquettes, le rapport ALAT/ASAT et le TP
permettait, avec un score de 7,5, de classer correctement les malades
avec cirrhose dans 75 % des cas et les malades sans cirrhose dans
86 % des cas.
La probabilité d’avoir une cirrhose était supérieure à
90 % lorsque le score CDS était supérieur ou égal à 10, inférieure à
7 % lorsque le score était inférieur ou égal à 5.
– Une étude doit
être envisagée à part car ayant évalué uniquement des variables
cliniques et biologiques conventionnelles dans une population de 101
malades atteints d’hépatite chronique active sévère avec ou sans
décompensation sans analyse multivariée : la
présence simultanée d’une thrombopénie (< 100 G/L), d’un coma et
d’une ascite avait une sensibilité de 56 % et une spécificité de 85 %
pour la cirrhose ; l’adjonction d’un allongement du temps de
prothrombine (> 3 s) permettait une sensibilité de 74 % et une
spécificité de 72 %.
En définitive, la valeur diagnostique indépendante d’un foie ferme,
d’une thrombopénie, d’une baisse du TP, d’une augmentation du
diamètre du tronc porte et de la splénomégalie est retrouvée dans
plusieurs de ces six études.
Toutefois, l’intérêt des variables
suivantes, peu étudiées, semble être important : vitesse du flux
portal et surface nodulaire hépatique en échographie-doppler
hépatique, varices oesophagiennes et gastropathie en endoscopie, et
marqueurs sériques de fibrose tels que l’acide hyaluronique.
En
synthèse, il semble possible de bien classer 80 à 95 % des malades
avec hépatopathie par rapport au diagnostic de cirrhose par des
moyens non invasifs.
Perspectives
:
Le diagnostic de la cirrhose ne peut progresser qu’à deux conditions.
En premier lieu, il faut maîtriser les problèmes des faux négatifs de
la PBH comme l’ont proposé Gaïani et al en définissant les faux négatifs par des données échographiques et cliniques évolutives.
En d’autres termes, il n’y aurait plus d’examen de référence, la PBH,
mais une combinaison de critères.
En deuxième lieu, il faut associer
la sémiologie la plus performante (et non la plus classique) tels les
nouveaux marqueurs biologiques de fibrose et l’imagerie doppler.
Enfin, un diagnostic précoce et non invasif performant devrait
permettre un dépistage de la cirrhose dans les populations à risque.
Diagnostic selon la cause
:
Il semble que la valeur diagnostique d’un signe soit fonction de la
cause de l’hépatopathie.
Ainsi, la thrombopénie serait plus
performante dans les hépatopathies virales, notamment C.
Des
modèles prédictifs de fibrose sévère ont été développés pour
l’hépatite chronique virale B.
Dans une étude récente, ne comportant que des malades atteints
d’hémochromatose génétique (homozygotes C282Y), le taux sérique
d’ASAT, la ferritinémie et l’hépatomégalie permettaient de prédire
l’existence d’une fibrose sévère chez 93 % des malades avec une
sensibilité de 83 % et une spécificité de 97 %.
Conclusion
:
La sémiologie de la cirrhose est très riche mais seuls quelques signes
sont utiles comme critères diagnostiques.
Le diagnostic de référence
était l’examen histopathologique mais il a des limites.
Il semble
désormais possible de pouvoir s’affranchir de la PBH, du moins dans
certaines circonstances.
Il est désormais possible d’approcher 90 % de précision pour le
diagnostic de cirrhose chez les malades avec hépatopathie chronique, par
des moyens non invasifs.
Les signes les plus performants semblent être,
pour la clinique : un foie ferme, pour la biologie : la thrombopénie, la
diminution du TP, et le hyaluronate, pour l’échographie-doppler :
l’augmentation du diamètre de la veine porte, la vélocimétrie portale et
pour l’endoscopie : les varices oesophagiennes (mais c’est un examen
« semi-invasif »).
D’autres données issues de l’échographie-doppler ou
de la biologie de la fibrose semblent prometteuses.