La cirrhose biliaire primitive (CBP) est une maladie chronique
cholestatique de cause inconnue, le plus souvent diagnostiquée chez
les femmes d’âge mûr.
Sur le plan morphologique, la maladie est
caractérisée par une inflammation portale et une nécrose des cellules
des canaux biliaires de petit et de moyen calibre.
La maladie se
traduit, sur le plan biochimique, par un syndrome de cholestase
longtemps anictérique et, sur le plan immunologique, par la
présence quasi constante d’anticorps antimitochondries (AMA).
La CBP est une maladie le plus souvent progressive, dont la vitesse de
progression est très variable d’un patient à un autre.
La phase
terminale est caractérisée par une hyperbilirubinémie et, sur le plan
morphologique, par une cirrhose.
Bien qu’inapproprié, le terme de
« cirrhose » biliaire primitive est consacré par l’usage.
Épidémiologie
:
Les études épidémiologiques ont montré que la prévalence de la
maladie était de l’ordre de 10 à 20/100 000 habitants, avec une forte
prédominance féminine (10 : 1), un âge médian de survenue entre
50 et 55 ans.
Fait particulier, la maladie, à notre connaissance, n’a
pas été décrite dans l’enfance ou dans l’adolescence.
La prévalence de la maladie dans les familles de patients ayant une CBP est de l’ordre de 4 %, c’est-à-dire considérablement plus élevée
que celle de la population générale.
De même, d’autres pathologies
auto-immunes ou d’autres anomalies de l’immunité sont fréquentes
chez les relatifs de premier degré des patients atteints de CBP. Une
association faible de la maladie avec l’antigène human leucocyte
antigen (HLA) DR8, dont la fréquence ne dépasse jamais 30 %, a été
observée.
De même, il a été trouvé une fréquence anormale de
l’haplotype C4AQ0.
Pathophysiologie et anomalies
immunologiques :
La lésion initiale est une destruction segmentaire et focale des
canaux biliaires interlobulaires.
Il en résulte une cholestase
chronique qui progresse vers la cirrhose biliaire.
De nombreuses
anomalies immunologiques sont présentes au cours de la maladie :
les plus caractéristiques sont l’élévation des immunoglobulines M
(IgM), la présence d’autoanticorps, en particulier d’AMA et
antinucléaires, une diminution de l’activité des lymphocytes T
suppressive, une diminution de la fonction macrophagique.
A - ANTICORPS ANTIMITOCHONDRIES
ET AUTRES ANTICORPS
:
Les AMA sont présents chez la majorité des patients atteints de CBP.
Il s’agit d’anticorps non spécifiques d’organe, non spécifiques
d’espèce. Ils peuvent être détectés par immunofluorescence
indirecte, à l’aide de test enzyme-linked immunosorbent assay (Elisa)
ou par western blot.
Les déterminants antigéniques des AMA sont des composants des
complexes de la pyruvate déshydrogénase (PDH) ou des 2-oxoacides
déshydrogénases.
D’autres autoanticorps sont fréquemment détectés chez les patients
ayant une CBP. Les anticorps antinoyaux sont présents chez environ 70 % des
patients.
Dans 10 à 15 % des cas, il s’agit d’anticorps anticentromères, le plus
souvent associés à un CREST syndrome (calcinose sous-cutanée [C],
syndrome de Raynaud [R], dysfonction de l’oesophage [E],
sclérodactylie [S] et télangiectasies [T]).
nviron 20 % des patients
ont des autoanticorps ayant un aspect cerclé en
immunofluorescence.
Chez un petit nombre de ces patients, ces
anticorps sont dirigés contre le récepteur de la lamine B, une protéine constitutive de la membrane nucléaire interne. Chez 15 à
20 % d’entre eux, ces anticorps sont dirigés contre une protéine de
210 kDa des pores du noyau.
L’expression clinique de la maladie
n’est pas différente, que ces autoanticorps soient présents ou non.
Un troisième type d’autoanticorps observé dans la CBP donne un
aspect moucheté en immunofluorescence, mais différent des
anticorps anticentromères.
Ces autoanticorps réagissent avec une
protéine nucléaire de 100 kDa (Sp100).
Ces autoanticorps sont
présents chez environ 20 % des patients, indépendamment du fait
qu’ils aient ou non des AMA positifs.
B - EFFECTEURS IMMUNS ET ÉPITOPES IMPLIQUÉS DANS
LA RÉACTION IMMUNE CONDUISANT À LA NÉCROSE
DES CELLULES BILIAIRES :
Les principales cibles de la réaction immune sont les cellules
épithéliales biliaires. De nombreux arguments suggèrent que les AMA ne sont pas cytotoxiques.
La destruction des canaux biliaires
par nécrose ou apoptose est liée à l’activation des lymphocytes CD4
et à la cytotoxicité des CD8, ou secondaire aux cytokines produites
par ces deux types de lymphocytes.
Le réseau de cytokines
impliquées est extrêmement mal défini et des résultats
contradictoires ont été publiés.
Il existe de nombreux arguments suggérant que l’(les) antigène(s)
reconnu(s) par les AMA pourrai(en)t être la cible de l’attaque des
cellules biliaires par les lymphocytes T.
En effet, le composé E2 de la PDH, ou une molécule ayant une réaction croisée, est hyperexprimée
sur les cellules biliaires, en particulier au pôle luminal, que les
malades aient ou non des AMA.
Les lymphocytes T des patients
ayant une CBP ont une activité cytotoxique vis-à-vis des cellules
biliaires autologues.
Les cellules CD4 spécifiques de la PDH sont
présentes dans l’infiltrat inflammatoire portal.
Le mécanisme
conduisant à l’hyperexpression de l’épitope M2 au pôle luminal de
l’épithélium biliaire est inconnu.
Les mécanismes expliquant la réponse immune ne sont pas connus.
Comme dans d’autres affections inflammatoires chroniques, des
arguments en faveur d’une étiologie bactérienne ou virale ont été
avancés.
Diagnostic et évolution
:
A - SYMPTÔMES ET EXAMEN CLINIQUE
:
Pendant une longue période allant de 5 à 10 ans, voire plus, la
maladie est asymptomatique.
Elle est reconnue par la découverte
d’une hépatomégalie ou d’anomalies des tests hépatiques soit
fortuitement, soit à l’occasion de manifestations extrahépatiques
connues comme pouvant être associées à une CBP.
Environ 90 %
des patients sont des femmes.
L’expression clinique de la sévérité
de la maladie est similaire dans les deux sexes.
Le prurit est observé
chez environ 50 % des patients au moment du diagnostic.
Il est
généralement intermittent, survient surtout le soir et la nuit.
Chez 5
à 10 % des patients, le prurit est observé lors des 3 derniers mois
d’une grossesse et soulève le diagnostic différentiel de cholestase
gravidique.
Les arguments contre ce diagnostic sont la persistance
du prurit et des anomalies biologiques hépatiques après
l’accouchement.
L’ictère précède exceptionnellement le prurit.
Actuellement, dans près de la moitié des cas, le diagnostic de CBP
est porté en l’absence de tout symptôme, en présence d’altération
des tests enzymatiques hépatiques, en particulier une élévation de
l’activité des transaminases (alanine aminotransférase [ALAT],
aspartate aminotransférase [ASAT]), de la gammaglutamyltranspeptidase
(cGT) ou des phosphatases alcalines.
Chez certains
patients, le diagnostic de CBP est fait à l’occasion du bilan d’une
maladie auto-immune : syndrome sec, phénomène de Raynaud,
maladie de la thyroïde...
Dans environ 10 % des cas, la CBP est
diagnostiquée devant un tableau de cirrhose : hépatomégalie,
splénomégalie, ascite, hémorragie digestive.
L’examen physique est d’une grande importance, certains signes
ayant une valeur pronostique et traduisant la sévérité de la maladie :
ictère, hépatomégalie, splénomégalie, ascite, oedèmes.
Les autres
signes habituellement observés sont : l’hyperpigmentation, les zones
de lichénification liée au prurit, le xanthélasma.
B - TESTS BIOCHIMIQUES
:
La grande majorité des patients ont des tests hépatiques caractérisés
par une élévation modérée de l’activité des ALAT et des ASAT, une
élévation marquée de l’activité cGT et des phosphatases alcalines,
une élévation des Ig prédominant sur les IgM.
L’augmentation de la
vitesse de sédimentation est constante (ou moyenne, aux alentours
de 60 à la première heure).
L’importance des modifications des tests
biochimiques est en partie liée au stade de la maladie et aux lésions
histologiques élémentaires.
Dans notre expérience, le degré
d’élévation des phosphatases alcalines et des cGT est lié au degré
de ductopénie.
L’élévation des aminotransférases et des IgG reflète
le degré de nécrose et d’inflammation périportale et lobulaire,
l’élévation de la bilirubine est présente lorsqu’il existe une cirrhose.
La thrombopénie (plaquettes < 150 000/µL) est le témoin précoce de
l’installation de l’hypertension portale.
L’altération du taux de
prothrombine (celui-ci est supérieur à la normale au stade non
cirrhotique de la maladie) et de l’albuminémie est observée à la
phase terminale de la maladie.
Comme dans d’autres maladies chroniques cholestatiques, il existe
fréquemment une hypercholestérolémie marquée par une franche
augmentation du high density lipoprotein (HDL) cholestérol.
C - HISTOPATHOLOGIE
:
La lésion caractéristique est la lésion de cholangite non suppurative
affectant les canaux biliaires interlobulaires et septaux.
L’infiltrat
inflammatoire est composé principalement de lymphocytes et de
cellules mononucléées en contact direct avec la membrane basale
des cholangiocytes en voie de nécrose.
L’inflammation portale peut
prendre l’aspect de granulomes épithélioïdes.
Ceux-ci sont plus
fréquents (50 %) aux stades initiaux de la maladie.
Il n’y a pas de
lésion artérielle.
En revanche, les veinules portales sont souvent
comprimées et occluses par la réaction inflammatoire.
Cette nécrose
biliaire aboutit à la destruction des canaux biliaires et à la paucité
qui est, au mieux, appréciée par la présence ou l’absence de canaux
biliaires rapportée à la présence d’une branche de l’artère hépatique.
Dans le foie normal, 70 à 80 % des artères portales sont
accompagnées de canaux biliaires.
La paucité est définie par un
pourcentage supérieur à 50 % d’artères portales non accompagnées
de canal interlobulaire. Une paucité sévère est définie comme
supérieure à 70 %.
Il s’agit d’un signe de mauvais pronostic.
L’évolution est caractérisée par une augmentation de l’inflammation
et de la fibrose portale et leur extension dans les régions périportales.
Les régions périportales deviennent irrégulières,
contenant des hépatocytes en nécrose entourés de cellules
inflammatoires et de macrophages.
Les lésions de piecemeal necrosis
sont en général modérées, parfois sévères, telles que celles observées
au cours des hépatites auto-immunes (10 à 30 %).
La prolifération
de ductules biliaires au contact des espaces portes est tout à fait
caractéristique.
Cette prolifération ductulaire semble être la
conséquence d’une métaplasie des hépatocytes périportaux et de
leur acquisition graduelle de caractéristiques phénotypiques des
cellules épithéliales biliaires.
À un stade de plus, il apparaît une distorsion de l’architecture
hépatique caractérisée par la présence de septa fibreux, de lésions
de cholestase périportale.
Enfin, se constitue progressivement une
véritable cirrhose, définie par l’existence de nodules de régénération.
Les lésions histologiques sont traditionnellement divisées en quatre
stades :
– le stade I est caractérisé par des lésions d’inflammation portale et
de lésions florides des canaux biliaires ; à ce stade il n’y a pas de
lésion lobulaire et périportale ;
– le stade II est caractérisé par l’existence de lésions périportales :
prolifération ductulaire, piecemeal necrosis et fibrose ;
– le stade III est caractérisé par l’existence de nombreux septa
fibreux, voire des lésions de bridging, sans cirrhose constituée ;
– le stade IV est caractérisé par l’existence d’une cirrhose constituée.
Ce système de classification par stades a des limitations importantes.
En effet, il est souvent difficile de distinguer un stade I d’un stade II,
un stade II d’un stade III et un stade III d’un stade IV.
Fréquemment,
la progression des lésions hépatiques est focale et peut évoluer à
différentes vitesses dans différentes parties du foie.
D - DIAGNOSTIC
:
Le diagnostic de CBP ne pose généralement pas de problème. Pour
établir le diagnostic de CBP, les critères suivants sont impératifs :
– signes biochimiques de cholestase, c’est-à-dire habituellement une
élévation à la fois de l’activité des phosphatases alcalines et de la
cGT ;
– présence d’AMA à un titre supérieur ou égal à 1/100 par
immunofluorescence ;
– signes histopathologiques de cholangite non suppurative et
destruction des canaux biliaires de petite ou moyenne taille.
La taille de la biopsie hépatique est critique.
En effet, la probabilité
d’observer une cholangite et une destruction des canaux biliaires
augmente avec le nombre d’espaces portes en raison de la
distribution hétérogène des lésions.
Pour apprécier correctement la cholangite et la ductopénie, au moins 15 espaces portes et plusieurs
sections devraient être examinés.
Chez environ 5 à 10% des patients, les AMA sont absents ou
présents à un titre faible (£ 1/100 par immunofluorescence).
Chez
ces patients, des anticorps antinoyaux, anti-GP210 et/ou anti-SP100
peuvent être présents.
Cependant, leur recherche n’est actuellement
faite que dans certains laboratoires spécialisés.
Chez la majorité des
patients ayant des AMA négatifs en immunofluorescence, les AMA
sont positifs en western blot.
E - DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
:
– Certains patients ont à la fois les caractéristiques de la CBP et de
l’hépatite auto-immune de type 1 (overlap syndrome).
Chez de tels
patients, l’activité des transaminases n’est pas toujours
anormalement élevée, il existe des lésions de piecemeal necrosis
modérées à sévères, c’est-à-dire des lésions inflammatoires
dépassant la lame bordante dans la majorité des espaces portes ou
touchant plus de 50 % du périmètre du pourtour des espaces portes,
une élévation anormalement élevée des IgG, voire des anticorps
antiactine ou antinucléaires, souvent homogènes.
Chez certains
patients, les caractéristiques de l’hépatite auto-immune apparaissent
alors que le patient se présentait initialement comme ayant une CBP
typique.
Ces formes mixtes doivent être bien reconnues car elles
justifient non seulement un traitement par acide ursodésoxycholique
(AUDC), mais aussi corticostéroïdes ou autres immunosuppresseurs.
– Certains médicaments peuvent induire une cholestase, une
cholangite et une ductopénie.
Les médicaments le plus souvent
incriminés sont les phénothiazines, l’halopéridol, l’imipramine,
l’amoxicilline et l’acide clavulanique.
Ces patients n’ont
généralement qu’une forme aiguë de cholestase, parfois avec prurit,
résolutive plusieurs semaines ou plusieurs mois après l’arrêt du
traitement.
Les AMA sont absents.
Une ductopénie, une fibrose,
voire une cirrhose peuvent se constituer.
– La cholangite sclérosante primitive est une inflammation
chronique et une fibrose pouvant toucher les voies biliaires intra- ou
extrahépatiques.
Dans cette circonstance, les AMA sont négatifs,
l’aspect cholangiographique est tout à fait caractéristique, la biopsie
hépatique montre une fibrose péricanalaire concentrique conduisant à l’atrophie
progressive, voire à la disparition des canaux biliaires.
– La sarcoïdose
peut poser un réel problème diagnostique.
Généralement, sarcoïdose et CBP ont des caractéristiques distinctes
qui permettent une distinction facile des deux entités.
Cependant, la
sarcoïdose peut être compliquée de cholestase chronique sévère et
d’hypertension portale, une forme clinique qui mime tout à fait la
CBP. Enfin, la sarcoïdose et la CBP peuvent, semble-t-il, coexister
chez un même patient.
– La ductopénie
idiopathique de l’adulte est un terme proposé par Ludwig et al pour décrire une forme de cholestase chronique
d’étiologie inconnue survenant à l’âge adulte et associée à une
disparition des canaux biliaires intrahépatiques.
Chez ces patients, les AMAsont négatifs, il n’y a pas de prise médicamenteuse connue,
la cholangiographie montre un arbre biliaire normal.
– Certains lymphomes peuvent se révéler exceptionnellement par
un syndrome de cholestase, une inflammation portale et une
ductopénie. Les anticorps antimitochondries sont négatifs.
F - MALADIES ASSOCIÉES
:
La sclérodermie, surtout dans sa forme mineure, est observée chez
environ 10 % des patients (sclérodactylie ou CREST syndrome). Les
formes systémiques sont souvent limitées à des anomalies motrices
oesophagiennes mineures ou à une diminution de la capacité de
diffusion de l’oxyde de carbone dans les poumons.
Le syndrome de Sjögren est fréquent au cours de la CBP, mais souvent
sous une forme mineure.
Les atteintes auto-immunes de la thyroïde sont présentes chez environ
15 % des patients.
L’hyperthyroïdie peut donner lieu à une hyperbilirubinémie et une aggravation du syndrome de cholestase
réversible.
L’atrophie villositaire due à une intolérance au gluten a été
quelquefois rapportée au cours de la CBP (1 à 3 % des cas).
Dans
notre expérience, l’association est inférieure à 1 % des cas.
La CBP
doit être suspectée chez un patient ayant une maladie coeliaque et
ayant des tests hépatiques anormaux, a fortiori un syndrome de
cholestase.
À noter que la maladie coeliaque a également été
rapportée au cours de la cholangite sclérosante.
Dans cette situation,
et contrairement à ce qui est observé au cours de la CBP, les lésions
hépatiques peuvent régresser avec le régime sans gluten.
La fréquence de la lithiase biliaire a été estimée entre 30 et 40 %.
Elle
est plus fréquente lorsque les patients ont une cirrhose.
La migration
des calculs peut donner lieu à une aggravation de la cholestase et
un ictère.
Dans ce contexte, il faut noter que le traitement de
l’hypercholestérolémie par les fibrates peut conduire à la formation
de calculs qui peuvent disparaître à l’arrêt du traitement.
Une
sursaturation de la bile en calcium a été rapportée au cours des
traitements au long cours par la cholestyramine.
L’atteinte pulmonaire n’est pas rare mais généralement infra-clinique.
Une fibrose pulmonaire peut être observée chez les patients ayant
un CREST syndrome ou un syndrome de Sjögren.
Le syndrome hépatopulmonaire, caractérisé par une hypoxémie et une dilatation
vasculaire, peut être observé en cas de CBP avancée.
Une
hypertension artérielle pulmonaire peut se développer chez les
patients ayant une CBP comme dans d’autres formes de cirrhose.
L’atteinte pulmonaire peut poser le problème d’une sarcoïdose.
Les
caractéristiques distinctives de ces deux affections sont indiquées ciaprès.
Les néphropathies : une acidose tubulaire rénale est classiquement
observée à l’état latent.
Une susceptibilité anormale aux infections
urinaires a été rapportée, mais non confirmée par certaines études.
Les neuropathies et les affections neuropsychiatriques.
Certaines études
suggèrent que les neuropathies touchent à la fois le système nerveux
périphérique et autonome.
Dans la plupart des cas, les
manifestations (anxiété, fatigue, dépression) sont infra-cliniques et
s’observeraient lorsqu’il existe un syndrome de Sjögren.
Les maladies cancéreuses : le cancer du sein serait plus fréquent au
cours de la CBP.
Cependant, l’incidence des autres cancers ne diffère
pas des fréquences attendues.
Grossesse et cirrhose biliaire primitive : la survenue de manifestations
cliniques et biologiques de cholestase au cours d’une grossesse peut
témoigner d’une CBP latente. Une aggravation du syndrome de
cholestase est fréquemment mais non constamment observée en cas
de grossesse chez les femmes atteintes de CBP.
G - COMPLICATIONS
:
Le prurit est présent chez environ 40 à 50 % des patients.
Il est
habituellement modéré mais peut être sévère ou très gênant dans
environ 5 % des cas.
La pathogénie du prurit n’est pas connue. Les
antagonistes opiacés modulent la perception du prurit et induisent
un syndrome de manque chez les patients atteints de CBP, suggérant
un rôle possible des endorphines.
L’ostéopénie est principalement due à une ostéoporose alors que
l’ostéomalacie est rare.
L’ostéopénie est présente chez 10 à 35 % des
patients au moment du diagnostic. Cette fréquence ne semble pas
différente de celle observée au cours d’autres maladies du foie.
Les déficits en vitamines A, D et K, lorsqu’ils sont présents,
surviennent généralement dans les formes sévères de la maladie.
Ce
déficit est principalement dû à une malabsorption. Les
manifestations cliniques du déficit sont très rares.
Le déficit en
vitamine A doit être corrigé avec précaution car un surdosage peut
aggraver l’atteinte hépatique et, en particulier, la fibrose.
Le déficit
en vitamine D doit toujours être recherché et corrigé, compte tenu
du risque d’ostéopénie.
L’hypertension portale est fréquente au cours de l’évolution de la CBP.
Elle se développe généralement lorsque se constitue la cirrhose.
L’hypertension portale ou la rupture de varices oesophagiennes peut
être une manifestation initiale de la maladie, mais tout à fait
exceptionnelle (dans moins de 5 % des cas).
L’hypertension portale
peut survenir en l’absence de cirrhose, elle peut être alors la
conséquence d’une hypertension présinusoïdale (peut-être
secondaire à l’inflammation portale et à la compression des petites
veinules portales).
Les patients ayant une CBP et une hypertension
portale compliquée d’hémorragie digestive doivent être traités en
premier lieu par les bêtabloquants et, en cas d’échec, par la sclérose
ou la ligature de varices.
Si ces mesures sont un échec, une
transplantation hépatique doit être préférée au shunt portocave.
Le carcinome hépatocellulaire apparaît comme une complication très
rare.
Il survient lorsque le foie est cirrhotique.
La raison
généralement avancée pour expliquer la faible incidence du
carcinome hépatocellulaire est la formation relativement tardive,
dans le cours de la maladie, des nodules de régénération.
Histoire naturelle et pronostic
de la maladie
:
Sur une période de 4 ans, 10 à 30 % des patients initialement
asymptomatiques deviennent symptomatiques.
Bien que la durée de
la phase asymptomatique de la maladie soit extrêmement variable,
on peut estimer qu’elle est en moyenne de 6 ans. La survie à 5 ans
des patients asymptomatiques est de 90 %.
Celle-ci est
significativement plus faible que celle d’une population contrôle
appariée.
La durée de la phase symptomatique est également
extrêmement variable d’un patient à un autre et peut atteindre
10 ans.
La survie moyenne à 5 ans des patients symptomatiques est
de l’ordre de 50 % avec des extrêmes allant de 30 à 70 %.
La phase
terminale de la maladie est traditionnellement définie lorsque la
bilirubinémie dépasse 100 µmol/L, avec ou sans signes
d’hypertension portale (hémorragie digestive à type
d’encéphalopathie).
En 1979, Shapiro et al montraient l’importance de la bilirubinémie
comme facteur pronostique de survie chez les patients atteints de CBP.
Les auteurs notaient qu’après une phase relativement stable, la
bilirubinémie augmentait brutalement dans les mois qui précédaient
le décès.
Les patients ayant un taux de bilirubine supérieur à
34 µmol/L avaient un délai moyen de survie de 4 ans, ceux ayant
un taux supérieur à 102 µmol/L de 2 ans, et ceux atteignant un taux
de 170 µmol/L ou plus de 1,4 an.
L’extraordinaire importance de la
bilirubine, pour apprécier à court et à long terme la survie, a été
confirmée par toutes les études ultérieures.
Des modèles ont été
proposés pour améliorer la valeur pronostique de la bilirubine.
Ces
modèles, du fait de leur complexité ou de l’absence de supériorité
par rapport à la bilirubine seule, ne sont pas entrés dans la pratique
courante.
Il est important de noter que la valeur pronostique de la
bilirubine reste identique, que les patients soient traités ou non, en
particulier par l’AUDC.
Traitement médical et transplantation hépatique :
Le traitement de base est représenté par l’AUDC.
Après
administration orale, l’AUDC est absorbé dans l’intestin, il est
conjugué dans le foie à la glycine et à la taurine et sécrété dans la
bile.
Il subit ensuite une circulation entérohépatique par
réabsorption active au niveau de l’intestin terminal.
Administré à la
dose de 10 à 15 mg/kg/j, cet acide biliaire devient l’acide biliaire
prédominant dans le sérum et dans la bile.
La base rationnelle de
l’utilisation de cet acide biliaire et la première démonstration de ses
effets bénéfiques dans la cirrhose biliaire primitive ont été montrées
en 1987.
L’hypothèse qui a conduit à l’utilisation de cet acide
biliaire dans les maladies cholestatiques, et en particulier dans la
CBP, peut être résumée de la manière suivante : les lésions
hépatiques et la progression de la maladie peuvent être en partie
expliquées par la toxicité des acides biliaires vis-à-vis des cellules
biliaires et hépatiques.
En effet, de nombreux arguments
expérimentaux montrent que les acides biliaires sont capables, à
concentration élevée, d’induire une cholestase, une nécrose
hépatocellulaire et une cirrhose.
L’AUDC est un acide biliaire
hydrophile, non toxique, capable de prévenir expérimentalement les
lésions hépatiques induites par les acides biliaires endogènes (acide
cholique, chénodésoxycholique et lithocholique).
Nous avons donc
postulé que les modifications de la composition des acides biliaires
endogènes pourraient conduire à une amélioration des fonctions
hépatiques et des lésions élémentaires au cours de certaines
maladies cholestatiques.
De nombreux travaux expérimentaux et cliniques ont eu pour but
de préciser les mécanismes d’action de l’AUDC et ses applications
dans le traitement des maladies cholestatiques, et en particulier de
la CBP.
Les données actuelles suggèrent que les effets anticholestatiques de l’AUDC
sont expliqués par les mécanismes suivants : diminution des concentrations sanguines et
hépatiques des acides biliaires toxiques par un effet combiné sur la
réabsorption des acides biliaires endogènes, et augmentation de leur
sécrétion biliaire canaliculaire ; effet direct protecteur vis-à-vis des
membranes cellulaires ; l’AUDC a également un rôle
immunomodulateur : il diminue en particulier l’expression des
molécules HLA au niveau des hépatocytes et des cellules biliaires.
Enfin, il a été montré récemment que l’AUDC prévenait la mort
cellulaire par apoptose, que celle-ci soit induite par des toxiques ou
par des mécanismes immunologiques.
L’effet antiapoptotique est
observé aussi bien vis-à-vis des hépatocytes que des cellules biliaires.
Au cours de la CBP, l’administration d’AUDC améliore les tests
biochimiques, en particulier l’activité des transaminases, des cGT,
des phosphatases alcalines, de la bilirubinémie, ainsi que le taux des
Ig, en particulier les IgM.
Cet effet est observé dès les 6 premiers
mois de l’administration.
Une amélioration du prurit est également
observée.
Au plan histologique, l’AUDC améliore principalement les
lésions inflammatoires biliaires et prévient l’aggravation de la
paucité biliaire.
La progression de la fibrose est ralentie, surtout dans
les stades précoces.
Ces modifications expliquent que l’AUDC
ralentit la progression de la maladie et l’apparition des
complications sévères, et diminue ainsi le recours à la
transplantation comme cela a été montré par l’analyse combinée de
trois des principaux essais thérapeutiques portant sur
548 malades.
Dans les formes précoces de la maladie (stades histologiques I-II) et
sans altération majeure de la bilirubinémie (bilirubinémie
< 34 µmol/L), l’AUDC peut être prescrit d’emblée à la dose de 10 à
15 mg/kg/j et poursuivi sans interruption.
En revanche, dans les
formes sévères (stades III et IV histologiques ou avec
hyperbilirubinémie supérieure à 34 µmol/L) ou avec prurit, il
convient de débuter le traitement par des doses de 200 mg/j avec le
but d’atteindre la dose optimale de 1 g/j ou plus après le troisième mois, et en prenant soin de vérifier régulièrement les tests
hépatiques, la bilirubinémie et, si possible, la concentration sérique
des acides biliaires individuels.
A - ÉVOLUTION ET AUTRES CHOIX THÉRAPEUTIQUES
:
Chez environ la moitié des malades, l’AUDC normalise
complètement ou quasi complètement la biologie hépatique.
Dans
25 % des cas, elle est fortement améliorée (phosphatases alcalines
inférieures à deux fois la limite supérieure de la normale),
transaminases normales ou faiblement élevées. Dans 25 % des cas
environ, les malades ont peu ou pas d’amélioration.
Dans cette
circonstance, une cause de résistance à l’AUDC doit être recherchée :
mauvaise compliance au traitement.
La non-compliance étant
écartée, il faut rechercher une maladie coeliaque associée, une
sclérodermie et surtout l’existence d’un overlap syndrome associant à
la fois hépatite auto-immune et CBP.
Le meilleur critère pour
affirmer l’overlap est histologique.
L’existence d’une nécrose
parcellaire modérée à sévère, d’autant qu’elle est associée à une
élévation marquée des IgG et des transaminases, doit inciter à
adjoindre au traitement par AUDC une thérapeutique adjuvante
anti-inflammatoire ou immunosuppressive.
Le traitement que nous
proposons dans ces cas est la prednisone ou la prednisolone à la
dose de 15 mg/j pour une durée minimale de 6 mois.
Chez certains
patients, la résistance est liée à une ductopénie sévère (plus de 75 %
des espaces portes sont dépourvus de canaux biliaires).
Ces formes
ne répondent ni à l’AUDC ni à l’association AUDC-corticoïdes, ou
exceptionnellement.
Il faut souligner que les ductopénies sévères
sont habituelles au cours des cirrhoses évoluées, mais peuvent se
voir également en l’absence de fibrose sévère.
Enfin, chez certains
patients, l’administration d’AUDC n’induit aucune modification de
la circulation entérohépatique des acides biliaires et modifie peu ou
pas les tests biologiques sans qu’il y ait d’explication actuellement
claire.
Un petit nombre de patients ont un prurit invalidant.
Chez ces
patients, l’administration de rifampicine peut être recommandée
(300 mg/j pendant 3 mois ou plus).
L’effet antiprurigineux pourrait
être dû à la fois à la capacité de ce médicament de favoriser
l’excrétion des acides biliaires par le rein et un effet
immunosuppresseur et anti-inflammatoire proche de celui des
corticostéroïdes.
Lorsque le prurit persiste, on peut proposer
l’administration de cholestyramine dont l’efficacité est généralement
modeste.
Un prurit invalidant est exceptionnellement une indication
à la transplantation hépatique.
Les médicaments immunosuppresseurs, azathioprine,
corticostéroïdes, ciclosporine, méthotrexate et colchicine ne sont pas
actuellement utilisés seuls dans la CBP.
Les associations AUDC et
corticostéroïdes ou méthotrexate font actuellement l’objet d’une
évaluation dans des essais cliniques.
B - PLACE DE LA TRANSPLANTATION HÉPATIQUE
:
L’hypertension portale et les hémorragies digestives par
hypertension portale obéissent aux mêmes règles thérapeutiques
qu’au cours des autres maladies hépatiques, en l’absence
d’hyperbilirubinémie.
La transplantation hépatique est la seule option thérapeutique pour
les malades ayant atteint le stade terminal de la CBP.
Ce stade
terminal se définit par l’existence d’une cirrhose compliquée d’ascite,
d’hypertension portale sévère et d’hyperbilirubinémie.
Une
transplantation doit être envisagée lorsque deux de ces trois
complications sont réunies. Une hyperbilirubinémie supérieure à
100 µmol ou croissante définit l’entrée dans la phase terminale de la
maladie devant faire porter l’indication de la transplantation.
Si les
indications sont correctement posées, la survie à 1 an dépasse
actuellement 75 % dans la plupart des centres ; un taux de survie de
71 % a été rapporté dans une des plus grandes séries.
La plupart
des décès se produisent dans les 3 premiers mois et ont pour cause
soit le rejet, soit l’infection.
L’ostéodystrophie tend à s’aggraver au
cours des 3 premiers mois après la transplantation, puis la perte
osseuse s’arrête et la masse osseuse se restaure quasi normalement
dans les 2 années suivantes.
Chez une grande proportion des
patients, les anomalies telles qu’une élévation de la concentration
des IgM ou du titre des AMA persistent, mais tendent à diminuer.
On admet qu’il existe une récidive de la maladie après
transplantation ; cependant, cette récidive semble mineure, sans
implication clinique majeure.