Le choc hémorragique est une hypoperfusion tissulaire
aiguë et durable par diminution de la masse sanguine
circulante, entraînant une souffrance cellulaire, secondaire
à l’inadéquation entre les apports et les besoins en
oxygène, dont la durée et la gravité conditionnent le
pronostic vital.
La correction de la volémie et le
contrôle de l’hémostase restent la priorité du traitement.
En Europe et aux États-Unis, le choc hypovolémique du
polytraumatisme représente la première cause de mortalité
chez les adultes jeunes.
Étiologie
:
La recherche de l’origine de l’hémorragie est dominée
par les données de l’anamnèse et de l’examen clinique :
circonstances de survenue (contexte traumatique ou
non), antécédents (éthylisme, grossesse, ulcère gastrique
ou duodénal, acte chirurgical ou médical hémorragique),
prises médicamenteuses (anti-inflammatoires
non stéroïdiens, traitements anticoagulants).
Le diagnostic étiologique est évident devant une perte
sanguine extériorisée, mais peut être difficile en cas
d’hémorragie non extériorisée.
La réalisation de touchers
pelviens et d’examens complémentaires (radiographie
thoracique, échographie, tomodensitométrie,
endoscopie et artériographie) peut alors permettre de
localiser l’origine du saignement.
• Dans un contexte traumatique, la nature hypovolémique
d’un choc est toujours évoquée en priorité.
Il peut
s’agir d’un traumatisme thoracique (hémothorax, tamponnade,
rupture de l’isthme aortique), abdominal
(hémorragie intrapéritonéale : rupture de rate ou de foie ;
hémorragie rétropéritonéale : fracture du bassin, rupture
de pancréas) ou des membres inférieurs (fracture du
fémur, même fermée : saignement jusqu’à 1,5 L).
La recherche d’une pathologie médicale préexistante et
pouvant être à l’origine du traumatisme ne doit pas être
oubliée (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral).
• Dans un cadre non traumatique, l’hémorragie peut être intrapéritonéale (grossesse extra-utérine rompue), rétropéritonéale
(rupture d’un anévrisme de l’aorte abdominale,
dissection aortique, hémorragie sous anticoagulant,
pancréatite hémorragique), digestive intraluminale (une
hématémèse, un méléna, du sang au toucher rectal ou
ramené par la sonde gastrique doivent amener à suspecter
une lésion oesogastroduodénale, une lésion du grêle
ou du colon) ou bronchopulmonaire (rupture d’artère pulmonaire).
Physiopathologie
:
La survenue de l’état de choc et son aggravation dépendent
de la vitesse d’apparition et de l’importance de
l’hémorragie, de l’efficacité des mécanismes compensateurs
et des possibilités de contrôle de l’hémostase.
La
symptomatologie est une intrication des manifestations
cliniques de l’hypovolémie et de la diminution brutale du
pouvoir oxyphorique du volume circulant (baisse de l’hémoglobine)
et du transport en oxygène.
1- Phase de choc compensé
:
La réduction du volume sanguin entraîne une diminution
du retour veineux et du débit cardiaque par diminution du
volume d’éjection systolique.
La réponse hémodynamique
au cours d’une hypovolémie est biphasique.
• La pression artérielle (PA) peut être maintenue par
une stimulation sympathique, dont les barorécepteurs
aortiques et carotidiens constituent le mécanisme afférent
principal.
La vasoconstriction artériolaire et veineuse
s’accompagne d’une redistribution vasculaire privilégiant
les circulations cérébrales et coronaires aux dépens des
territoires non vitaux (musculo-cutané et splanchnique).
Cette vasoconstriction favorise également les mouvements
d’eau du secteur interstitiel vers le secteur vasculaire
contribuant à la reconstitution partielle du volume
circulant.
Cette adaptation circulatoire ne persiste que
dans le cadre d’une hémorragie faible à modérée.
• La phase sympatho-inhibitrice survient pour une réduction
massive et brutale de la masse sanguine supérieure à
30-50 %.
Elle est caractérisée par une bradycardie « paradoxale » et une diminution de la pression artérielle par
inhibition centrale de l’activation sympathique.
Cette bradycardie
signe l’imminence d’un collapsus circulatoire
et impose un remplissage vasculaire urgent.
2- Choc décompensé
:
La baisse de l’apport en oxygène aux tissus due à la diminution
de l’hémoglobine et à la baisse de la pression de perfusion
locale provoque une augmentation de l’extraction
tissulaire en oxygène.
Celle-ci est visualisée par une
baisse de la saturation veineuse en oxygène (SvO2) avec
augmentation de la différence artério-veineuse en oxygène.
La vasoconstriction secondaire à l’hypovolémie va
en retour aggraver l’hypoperfusion et l’hypoxie tissulaire.
La dette en oxygène s’installe et le métabolisme
cellulaire est alors détourné vers la voie anaérobie avec
acidose et production de lactate.
L’altération de la fonction
hépatique aggrave l’hyperlactatémie par diminution
de l’épuration du lactate produit en périphérie.
La libération
de produits de la souffrance cellulaire induit au
final une vasodilatation périphérique responsable du collapsus,
de la décompensation du choc, et de l’amorce de
son irréversibilité.
Diagnostic
:
A - Diagnostic clinique
:
1- Diagnostic positif
:
• La tachycardie, témoin de la stimulation sympathique,
peut être absente en cas de traitement chronotrope négatif
ou remplacée par la bradycardie réflexe vasovagale « paradoxale
».
La fréquence cardiaque ne permet donc pas de
quantifier l’importance de l’hypovolémie.
• L’hypotension artérielle peut être retardée par l’augmentation
du tonus sympathique. Elle ne survient que
lorsque l’hypovolémie est importante (perte de volume sanguin
> 30 %).
À la phase initiale de l’hypovolémie, un pincement
de la différentielle est observé par baisse de la composante
systolique et augmentation de la composante
diastolique.
La pression artérielle moyenne, reflet dans une
certaine mesure de la pression de perfusion tissulaire, est
un meilleur marqueur de l’importance d’un choc et n’est
modifiée que dans les chocs décompensés.
• L’hypoperfusion périphérique est révélée par l’existence
de marbrures des genoux, d’une pâleur marquée des téguments
et des muqueuses, d’une peau froide, moite et cyanosée
aux extrémités et d’une augmentation du temps de
recoloration capillaire.
• Une polypnée de type tachypnée avec réduction du volume
courant constitue un des signes précoces du choc et
témoigne de la compensation d’une part de la perte du pouvoir
oxyphorique du volume circulant et d’autre part de
l’acidose métabolique.
• L’oligurie (diurèse inférieure à 0,5 mL.kg -1.h -1) chez un
patient porteur d’une sonde urinaire est un témoin précoce
de l’hypovolémie et peut évoluer vers l’anurie.
• L’existence d’une agitation puis de troubles de la
conscience de type obnubilation jusqu’au coma signe un
bas débit cérébral et témoigne de l’extrême gravité du choc.
2- Diagnostic de gravité
:
La détermination clinique de l’importance d’une hypovolémie
reste difficile.
Seule l’hypotension artérielle est
considérée comme un signe de gravité. Une relation entre
l’importance de l’hémorragie et les manifestations cliniques
a été récemment proposée.
B - Diagnostic paraclinique
:
• La baisse du taux sanguin d’hémoglobine (Hb) n’est
d’emblée observée que dans les chocs hémorragiques
sévères.
Elle est de mauvais pronostic et proportionnelle
à l’hypovolémie.
La baisse de l’hématocrite est un mauvais
indice (l’hémodilution survenant secondairement).
• Des troubles de l’hémostase avec baisse des facteurs de
la coagulation (coagulopathie de dilution) sont contemporains
d’une hémorragie de grande abondance. Une perte de
100 à 150 % de la masse sanguine entraîne une thrombopénie
à 50 G.L-1, une baisse du taux de prothrombine (TP
o30 %) et du taux de fibrinogène (o 1g.L-1).
La libération de facteur tissulaire et la mise en jeu de
la voie extrinsèque de la coagulation peuvent provoquer
une coagulopathie intravasculaire disséminée
(CIVD).
• L’existence d’une acidose métabolique avec hyperlactatémie
a une valeur pronostique négative.
• La souffrance hépatocytaire se manifeste par une élévation
des transaminases, une hypoalbuminémie, une
hyperbilirubinémie et une hyperlactatémie par défaut
d’épuration.
• Une insuffisance rénale fonctionnelle est observée dans
la phase initiale du choc.
Elle peut évoluer vers l’organicité
par nécrose tubulaire aiguë si le choc persiste.
C - Exploration hémodynamique
:
Le cathétérisme intra-artériel par voie fémorale ou radiale
permet une mesure continue de la pression artérielle et
une analyse fréquente des gaz du sang.
La mesure de la
pression veineuse centrale permet de guider le remplissage
en l’absence de pathologie cardiaque.
Le cathétérisme
des cavités droites par sonde de Swan-Ganz avec
mesure continue de la saturation veineuse en oxygène
est indiqué pour le diagnostic et la conduite du traitement
en cas de non-réponse au remplissage, de choc
sévère et prolongé, d’insuffisance cardiaque et d’insuffisance
rénale.
L’échographie transoesophagienne permet
une évaluation de la précharge et de la contractilité
cardiaque et trouve un intérêt diagnostique en traumatologie
(épanchement péricardique, rupture de l’aorte,
contusion myocardique).
D - Diagnostic différentiel
:
Les autres états de choc hypovolémique par perte de
plasma, de fluides et d’électrolytes ont les mêmes signes
cliniques.
L’anamnèse, l’examen clinique et l’existence
d’une anémie, en dehors d’une anémie chronique, orientent
le diagnostic.
Certains chocs distributifs (anaphylactique,
septique, toxique, neurogénique) présentent une
composante hypovolémique qui sera appréciée par l’exploration
hémodynamique ou par l’échocardiographie.
Conduite à tenir et principes
du traitement
:
Les impératifs du traitement débuté avant l’arrivée du
patient à l’hôpital sont de maîtriser l’hémorragie, de compenser
la perte sanguine et d’assurer une oxygénation et une ventilation efficaces dans un temps le plus bref possible.
L’objectif thérapeutique est la restauration du transport
en oxygène permettant une bonne adaptation aux
besoins métaboliques tissulaires.
A - Traitement étiologique
:
Il est contemporain de la mise en route du traitement symptomatique.
Un geste chirurgical est parfois le seul moyen
pour obtenir l’hémostase (rupture d’anévrisme aortique,
hémorragie digestive haute par hypertension portale, plaie
pénétrante abdomino-thoracique).
Un geste médical comme
la sclérose de varices oesophagiennes, l’embolisation endovasculaire
et l’utilisation d’adjuvants pharmacologiques
peuvent permettre le tarissement d’une hémorragie.
B - Traitement symptomatique
:
• Mise en condition : la priorité est la mise en place de
voies veineuses périphériques de gros calibre (16 ou 14 gauge) aux membres supérieurs (surtout en cas d’hémorragies
abdomino-pelviennes) ou en jugulaire externe
afin de permettre un remplissage vasculaire.
En cas de
difficulté, une voie veineuse centrale sera envisagée
exclusivement avec des cathéters de gros calibre type Désilet (8 à 10 F) selon la technique de Seldinger par voie
fémorale.
La position de Trendelenburg (membres inférieurs
surélevés) permet de mobiliser rapidement environ
500 mL de sang.
Elle est une solution rapide et aisée
(et réversible) de compensation volémique.
Le pantalon antichoc permet d’augmenter rapidement la
pression artérielle par l’exercice d’une compression pneumatique
externe au niveau de l’abdomen (60 mmHg) et
des membres inférieurs (80 mmHg).
À ces niveaux de
pression, la ventilation contrôlée s’impose.
Ce pantalon
permet d’immobiliser des fractures de membres ou de
bassin.
Par contre, son utilisation sera discutée devant un
traumatisme thoracique. Àcette phase, il est indispensable de déterminer le groupe
sanguin ABO, Rhésus et la présence d’agglutinines irrégulières.
• Stratégie de remplissage : pour une perte sanguine estimée
à moins de 20 %, l’emploi de cristalloïdes est recommandé.
Pour une perte sanguine supérieure à 20 % ou une
pression artérielle moyenne d’emblée inférieure à
80 mmHg, les colloïdes sont utilisés d’emblée puis complétés
par une transfusion de sang (perte supérieure à 30 %
de la masse sanguine chez le sujet sain).
Pour une transfusion
en extrême urgence, du sang O négatif sera utilisé.
Pour une perte sanguine supérieure à 50 %, l’administration
d’albumine est associée.
Pour une perte sanguine
supérieure à 100 %, un apport de facteurs labiles de la coagulation
et de plaquettes est nécessaire.
– Le volume de remplissage vasculaire nécessaire est de
un tiers supérieur à la perte sanguine pour les hémorragies
modérées (< 1 500 mL) et du double de la perte sanguine
pour les hémorragies massives (O1 500 mL).
Pour
mémoire, la volémie d’un adulte est de 75 mL.kg-1 chez
l’homme et 70 mL.kg-1 chez la femme.
– Le remplissage vasculaire visant à rétablir une volémie normale doit être prudent en cas d’hémorragie non contrôlée
(traumatisés, rupture de varices oesophagiennes) où le
saignement peut être accentué par augmentation de la
pression artérielle, dilution des facteurs de la coagulation,
diminution de la viscosité sanguine et suppression des
mécanismes physiologiques d’adaptation.
Il en est de
même dans les situations où il existe une augmentation
de la perméabilité de la membrane capillaire (traumatisme,
embolie graisseuse, pancréatite, syndrome de
détresse respiratoire aiguë, coagulation intravasculaire
disséminée…).
Dans ce cas, les solutions avec pouvoir
oncotique perdent partiellement
leur efficacité par passage dans l’interstitium où
elles induisent ou aggravent un oedème pulmonaire et
majorent l’hypoxémie.
Par ailleurs, si tous les solutés de
remplissage augmentent le débit cardiaque par augmentation
de la précharge, ils n’améliorent pas forcément le
transport en oxygène.
En effet, l’hémodilution induite par
le remplissage diminue la concentration artérielle en oxygène
en diminuant le taux d’hémoglobine.
– Les solutés de remplissage sont représentés par les cristalloïdes
et les colloïdes.
Les solutés cristalloïdes (Ringer
Lactate, sérum salé isotonique 0,9 %) ont un faible pouvoir
d’expansion volémique : un quart du volume perfusé
reste dans le secteur vasculaire.
Le Ringer Lactate, soluté
de référence à utiliser en première intention, a un effet
hémodynamique transitoire ne durant que 30 minutes
environ.
Les solutés colloïdes sont soit naturels [plasma
frais congelé (PFC), albumine 4 et 20 %)] soit de synthèse
[dextrans, gélatines, hydroxyéthylamidon (HEA)].
Ils ont un pouvoir oncotique propre.
Le plasma frais
congelé homologue ne doit être utilisé que pour compenser
des déficits en facteurs de la coagulation (au-dessous
de 30 %).
L’albumine à 4 % a un pouvoir d’expansion légèrement
inférieur au volume administré.
Sa durée d’efficacité
est de 6 à 8 heures.
Ses indications sont les contre-indications
des colloïdes de synthèse (femme enceinte,
dépassement des doses recommandées de colloïdes de synthèse)
et en cas d’hypoprotidémie (<35 g.L-1).
Parmi les colloïdes
de synthèse, il est recommandé d’utiliser les hydroxyéthylamidons,
en raison d’effets secondaires inférieurs à ceux
des gélatines (anaphylaxie) et de leur origine végétale.
L’expansion volémique est de 1,5 fois le volume perfusé.
Le
volume perfusable est limité en AMM (autorisation de mise
sur le marché) à 33 mL.kg-1 en raison d’effets sur l’hémostase
primaire (allongement du temps de saignement et fragilisation
du caillot).
– L’administration de ces produits de remplissage peut être
insuffisante et la transfusion de sang et dérivés devient alors
nécessaire.
L’apport d’érythrocytes est fonction de la tolérance
clinique à l’anémie et du terrain.
Le taux d’hémoglobine
n’est pas un critère de transfusion en dehors des hémorragies
importantes, où un taux o7 g.100 mL-1 chez le sujet
sain et o 10 g.100 mL-1 chez un patient sans réserve cardiaque
nécessite un recours à la transfusion sanguine pour
assurer un transport en oxygène tissulaire correct.
Une unité
d’érythrocytes élève de 1 g.100 mL-1 le taux d’hémoglobine.
L’apport d’unités plaquettaires (1 U.10 kg-1) est nécessaire
lorsque le taux de plaquettes est inférieur à 50 G.L-1.
C - Traitements adjuvants
:
L’oxygénothérapie nasale est systématique.
Le recours à
l’intubation trachéale et à la ventilation mécanique est
nécessaire en cas de troubles de la conscience, d’hypoxémie
ne répondant pas à l’oxygénothérapie ou de polytraumatisme.
L’utilisation de substances vasoactives
(dopamine, dobutamine) en association avec le remplissage
vasculaire peut être utile pour rétablir une situation
hémodynamique correcte.
Le recours à l’adrénaline est
exceptionnel (états de choc dépassés ne répondant pas au
traitement).
Un trouble de l’hémostase préexistant ou secondaire peut
être à corriger.
D - Surveillance du traitement
:
• Critères d’efficacité : cliniquement, l’efficacité du
traitement est jugée sur la restauration d’une pression
artérielle moyenne (> 80 mmHg), la diminution de la
fréquence cardiaque (< 90 b.min-1) et une diurèse de 0,5
à 1 mL.kg-1.h-1 (sauf en cas d’insuffisance rénale aiguë
organique).
Cette correction des paramètres n’est pas
toujours associée à un état circulatoire optimal.
L’objectif de pression artérielle n’est à assurer qu’en
situation d’hémostase maîtrisée.
Le cathétérisme pulmonaire
permet de surveiller l’optimisation du transport
artériel en oxygène.
L’oxygénation tissulaire globale
peut être évaluée par la lactatémie artérielle (sa
correction est un marqueur d’évolution favorable), la
SvO2 (normalisation tardive) et l’extraction tissulaire
en oxygène.
• Complications : elles regroupent les effets secondaires
des produits de remplissage et l’apparition des défaillances
d’organes secondaires à une hypoxie tissulaire
prolongée.
Une surveillance étroite clinique et biologique
comportant des ionogrammes sanguins et urinaires, une créatininémie-créatininurie, des gaz du sang, la détermination
du taux de prothrombine, du temps de céphaline
activée, des plaquettes et du fibrinogène, de l’hémoglobinémie,
de l’hématocrite et la fonction hépatique doit
être réalisée.