Accidents ischémiques cérébraux

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Définitions et classification :

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont définis par la survenue d’un déficit neurologique soudain d’origine vasculaire.

Environ 80 % d’entre eux ont une origine ischémique (accidents ischémiques cérébraux, AIC), tandis que dans 20 % des cas il s’agit d’une lésion hémorragique (hématome intraparenchymateux ou hémorragie méningée).

On distingue parmi les AIC, les accidents ischémiques transitoires (AIT) et les accidents ischémiques constitués, désignés par le terme d’infarctus cérébraux.

Les AIT sont des épisodes de dysfonctionnement neurologique transitoire, d’installation brutale et de récupération complète en moins de 24 heures, en rapport avec une ischémie cérébrale ou rétinienne ; le plus souvent leur durée est de quelques minutes, il s’agit alors d’un diagnostic d’interrogatoire.

Ils représentent un signal d’alarme important et imposent la réalisation d’examens étiologiques urgents, afin de pouvoir instaurer les mesures thérapeutiques adaptées avant la constitution d’un infarctus cérébral définitif.

Les infarctus cérébraux, plus fréquents, sont secondaires à une ischémie du parenchyme cérébral durable, et sont responsables d’un déficit neurologique de durée supérieure à 24 heures.

Accidents ischémiques cérébraux

Les infarctus cérébraux peuvent subir secondairement une transformation hémorragique.

Parmi les infarctus cérébraux, il peut être distingué les accidents dits « rapidement régressifs » (car responsables d’un déficit modéré régressant en moins de 3 semaines) et des accidents majeurs responsables de décès ou d’un déficit majeur d’emblée avec constitution d’un handicap sévère.

Le scanner cérébral sans injection de produit de contraste est, encore en 1997, l’examen essentiel dans le diagnostic d’un AIC.

Épidémiologie :

ans les pays industrialisés, les AVC constituent un problème de santé publique considérable ; à l’échelle mondiale, ils représentent la deuxième cause de mortalité après la pathologie ischémique cardiaque et sont à l’origine de handicaps chroniques importants.

A – ÉPIDÉMIOLOGIE DESCRIPTIVE :

Quelques remarques élémentaires peuvent être faites à partir des taux d’incidence et de mortalité par AIC.

– L’incidence et la mortalité liées aux AIC augmentent avec l’âge.

– Dans les décennies récentes, une diminution progressive de la mortalité par AVC a été observée dans de nombreux pays ; elle serait en partie le résultat d’une amélioration de la survie après AVC.

À titre d’exemple, l’incidence moyenne annuelle des AIC est passée de 189/100 000 personnes-années en 1955-1959 à 127/100 000 personnes-années en 1985-1989 dans la population de Rochester.

Cette diminution d’incidence pourrait en partie traduire la mise en place de mesures de prévention primaire (en particulier, le traitement de l’hypertension artérielle (HTA)). En France, environ 50 000 décès par an sont imputables à un AVC.

– Il existe des variations importantes de ces indices parmi les différents pays.

– Il existe une prépondérance masculine moins marquée que pour la pathologie coronarienne, la moyenne d’âge de l’AIC étant plus élevée et les femmes vivant plus longtemps.

B – ÉPIDÉMIOLOGIE ÉTIOLOGIQUE :

La recherche de facteurs de risque d’AIC est compliquée par l’hétérogénéité étiologique sous-jacente.

Malgré cette difficulté, de nombreux facteurs de risque, dont certains peuvent être prévenus, ont été retrouvés associés au risque d’AIC, avec une liaison d’intensité variable en fonction des facteurs considérés ; certains de ces facteurs n’ont pas un effet indépendant, comme par exemple pression artérielle et régime riche en sel, surpoids ou alcool.

Parmi ces facteurs de risque, le plus puissant est la pression artérielle.

Plusieurs études ont montré que la pression artérielle systolique et diastolique sont toutes deux corrélées de manière indépendante au risque d’AVC ; le risque augmente de manière linéaire avec le niveau de la pression artérielle sans valeur seuil, c’est-à-dire même pour des chiffres compris dans les valeurs habituelles : une élévation de 10 mm de la pression artérielle diastolique augmente de 50 % environ le risque d’AVC.

De même, les essais thérapeutiques ont démontré qu’une réduction de la pression artérielle diastolique de 5-6 mmHg diminue le risque d’AVC de 33-50 %.

Mécanisme des accidents ischémiques cérébraux :

Les AIC sont la conséquence d’une hypoxie du parenchyme cérébral.

Deux grands mécanismes peuvent en être la cause, l’occlusion artérielle et la baisse du débit sanguin cérébral (DSC) d’origine hémodynamique.

A – MÉCANISME OCCLUSIF :

1- Occlusion artérielle d’origine thromboembolique :

Il s’agit du mécanisme prédominant. La nature du matériel embolique est diverse : agrégat plaquettaire, thrombus fibrinocruorique, cristaux de cholestérol.

Leur origine est également variée : embolie d’artère à artère à partir d’une plaque d’athérome, embolie d’origine cardiaque, embolie tumorale, embolie paradoxale d’origine veineuse à travers un foramen ovale perméable, thrombus de stase en aval d’une dissection artérielle, embolie gazeuse…

L’occlusion artérielle est responsable d’une ischémie dans le territoire irrigué par cette artère ; elle est à l’origine d’un AIT lorsque l’artère se reperméabilise rapidement, et d’un AIC en cas d’occlusion prolongée.

Les conséquences cérébrales d’une occlusion artérielle sont fonction des possibilités de vascularisation du territoire correspondant à l’artère occluse par les réseaux de suppléance anastomotique.

Beaucoup plus rarement, l’occlusion d’une veine cérébrale (thrombophlébite cérébrale) peut être responsable d’un infarctus cérébral, souvent secondairement hémorragique.

2- Lipohyalinose artériolaire secondaire à l’hypertension artérielle :

3- Spasme artériel, pouvant compliquer la phase aiguë d’une hémorragie sous-arachnoïdienne :

B – MÉCANISME HÉMODYNAMIQUE :

1- Baisse du débit sanguin cérébral locale :

Une sténose carotide serrée (> 70 %) peut être responsable d’un infarctus dit « jonctionnel » par chute du DSC en aval de la sténose, maximale au niveau de la ligne de partage de deux territoires artériels.

La survenue et l’étendue de tels accidents sont fonction de la qualité du réseau anastomotique ; elle peut être favorisée par une perturbation hémodynamique systémique.

2- Baisse du débit sanguin cérébral systémique :

Une perturbation hémodynamique systémique (hypotension artérielle, trouble du rythme cardiaque) peut favoriser la survenue d’un infarctus jonctionnel en aval d’une sténose carotide ; si elle est prolongée et sévère (arrêt cardiaque prolongé), elle peut être responsable d’une hypoxie étendue du parenchyme cérébral.

Étiologie :

Les AIC peuvent survenir dans de multiples situations pathologiques, mais deux grandes causes, l’athérosclérose des artères cérébrales et les embolies d’origine cardiaque, permettent d’expliquer une grande partie des cas.

Malgré l’utilisation de moyens diagnostiques sophistiqués, une proportion d’AIC (30 % environ, proportion variable en fonction des registres) reste de cause inexpliquée.

A – ATHÉROSCLÉROSE DES ARTÈRES CÉRÉBRALES EXTRA- ET INTRACRÂNIENNES :

Elle est une cause fréquente d’AIC (20-30 % environ).

L’ulcération de la plaque d’athérome peut avoir pour conséquence la survenue d’un AIC en libérant des emboles de cristaux de cholestérol et/ou en entraînant la constitution d’un thrombus fibrinoplaquettaire au contact de la plaque ulcérée, ce dernier pouvant être à son tour le point de départ d’embolies ou aboutir à l’occlusion artérielle.

L’athérosclérose atteint les artères de gros et moyen calibre ; certaines portions du système artériel sont préférentiellement touchées. Au niveau des artères carotides, le bulbe, l’origine de la carotide interne, le siphon sont plus souvent et sévèrement atteints.

Le risque d’AIC ipsilatéral à une sténose athéroscléreuse de l’origine de l’artère carotide interne est fonction du degré de sténose, le risque étant le plus élevé pour les sténoses égales ou supérieures à 70 %, comme l’ont démontré les études NASCET (North American Symptomatic Carotid Endartrectomy Trial) et ECST (European Carotid Surgery Trial).

L’athérosclérose peut également atteindre les portions initiales des artères cérébrales antérieures et moyennes.

Plus récemment, il a été montré que la présence de plaques d’athérome ulcérées au niveau de la crosse de l’aorte augmentait le risque d’AIC, le risque d’embolie cérébrale étant corrélé à leur sévérité.

L’athérosclérose peut aussi toucher la circulation postérieure à différents étages ; l’origine de l’artère vertébrale et la portion prévertébrale de l’artère sousclavière sont les plus souvent et sévèrement touchées, mais la terminaison de l’artère vertébrale, le tronc basilaire et l’origine des artères cérébrales postérieures peuvent aussi être concernées.

Le risque d’AIC en rapport avec l’athérosclérose de la circulation postérieure a été considérablement moins bien évalué que pour la circulation antérieure.

B – EMBOLIES D’ORIGINE CARDIAQUE :

Classiquement, 15 à 20 % des AIC sont la conséquence d’une embolie d’origine cardiaque ; cette proportion est en fait plus importante chez le sujet jeune (23-36 %) et chez le sujet âgé de plus de 60 ans, chez qui les embolies d’origine cardiaque représentent la première cause d’AIC (environ 30 %).

Certains arguments cliniques et/ou radiologiques permettent de suspecter une origine cardiaque, mais compte tenu de leur faible spécificité, le diagnostic d’AIC d’origine cardiaque repose sur la mise en évidence d’une source cardiaque potentielle d’embolie ; il dépend donc étroitement de l’exhaustivité du bilan étiologique réalisé.

La fréquence de cette cause impose de réaliser un bilan cardiologique adapté en fonction du terrain de survenue de l’accident (l’âge et les antécédents cardiaques en particulier).

En dehors de l’électrocardiogramme systématique à la recherche d’une fibrillation auriculaire ou d’une ischémie myocardique en évolution, l’échographie cardiaque est un examen dont l’utilité est à discuter au cas par cas, en particulier lorsque l’examen clinique cardiologique est anormal, suggérant la possibilité d’une cardiomyopathie ou d’une valvulopathie, ou lorsque l’on suspecte une endocardite ou encore en présence d’une fibrillation auriculaire.

Devant un infarctus cérébral de cause indéterminée et un examen cardiologique normal, l’apport diagnostique de l’échocardiographie transoesophagienne (ETO) n’a pas encore été définitivement montrée utile d’un point de vue thérapeutique.

L’ETO permet de visualiser avec plus de sensibilité que l’échocardiographie transthoracique l’oreillette et l’auricule gauches, le septum interauriculaire, l’aorte ascendante et sa crosse.

Le risque d’AIC est variable en fonction du type de cardiopathie ; la responsabilité dans la survenue d’AIC de certaines cardiopathies fréquentes chez le sujet âgé (comme la fibrillation auriculaire non valvulaire) ou comportant un faible risque d’AIC (comme le prolapsus mitral) peut être difficile à affirmer.

Il est également à signaler qu’athérosclérose et pathologie cardiaque coexistent chez de nombreux patients, et que la réalisation d’un bilan cardiologique ne dispense pas d’une exploration des vaisseaux du cou et vice versa.

C – LACUNES :

Les artérioles perforantes de calibre inférieur à 400 ím (branches lenticulostriées, pontiques, thalamiques) peuvent être le siège d’un épaississement de leur paroi, ou lipohyalinose, secondaire à l’HTA, pouvant conduire à l’occlusion de l’artériole et à la constitution d’un infarctus de petite taille, dit infarctus lacunaire ou lacune (diamètre de l’infarctus < 15 mm) (15-20 % des AIC).

D’autres mécanismes peuvent être à l’origine d’infarctus lacunaires : un microembole d’origine cardiaque, une plaque d’athérome occlusive à l’origine d’une artère perforante, ou encore un embole à partir d’une plaque d’athérome.

D – DISSECTIONS DES ARTÈRES CERVICALES ET CÉRÉBRALES :

Elles sont responsables d’environ 20 % des AIC de l’adulte jeune, mais peuvent survenir à tout âge.

Elles concernent tout d’abord l’artère carotide interne sus-bulbaire, puis l’artère vertébrale et enfin plus rarement les artères cérébrales.

Elles sont la conséquence du clivage de la paroi artérielle par un hématome sous-intimal ou sous-adventiciel.

Deux facteurs peuvent favoriser leur survenue :

– un traumatisme artériel déclenché par des mouvements forcés cervicaux (accident de la voie publique, manipulations cervicales, sport,…) ;

– une anomalie artérielle favorisante (dysplasie fibromusculaire, maladie de Marfan) peut être retrouvée dans certains cas.

Le diagnostic suspecté cliniquement devant des signes locaux ou des signes d’ischémie cérébrale, est confirmé par la mise en évidence d’un élargissement de calibre de l’artère disséquée par un hématome intramural, lequel peut conduire à l’occlusion de l’artère de par son volume, ou du fait du thrombus luminal formé en regard.

Ce thrombus luminal constitue également une menace permanente d’embolie cérébrale.

Les examens à réaliser en urgence, avant l’apparition de signes d’ischémie cérébrale si possible, sont l’examen ultrasonore des vaisseaux du cou, et surtout l’imagerie par résonance magnétique (IRM) couplée à l’angiographie par résonance magnétique (ARM), l’angiographie conventionnelle n’étant plus réservée qu’aux quelques cas où les examens précédents ne confirment pas le diagnostic suspecté cliniquement, en particulier dans le territoire postérieur.

E – ANGÉITES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL :

Il existe de nombreuses affections inflammatoires pouvant entraîner une lésion inflammatoire de la paroi des artères cérébrales.

L’examen permettant de porter le diagnostic est l’angiographie cérébrale retrouvant un aspect de rétrécissement segmentaire des artères.

Elles peuvent s’observer dans le cadre de pathologies variées comme la périartérite noueuse, l’angéite de Churg et Strauss, l’artérite de Horton, la granulomatose de Wegener, l’artérite de Takayashu, le lupus érythémateux disséminé, certaines pathologies infectieuses, l’angéite du post-partum, ou être associées à la prise de toxiques (crack, cocaïne, amphétamines, éphédrine) ; lorsque aucune cause n’est trouvée, on parle des exceptionnelles angéites isolées du système nerveux central.

F – AFFECTIONS HÉMATOLOGIQUES :

De multiples affections hématologiques peuvent être à l’origine d’AIC par différents mécanismes.

Nous citerons à titre d’exemple :

– les pathologies responsables d’hyperviscosité (polyglobulie, thrombocytémie, leucémies, gammapathies monoclonales,…) ;

– les pathologies responsables d’états prothrombotiques (grossesse et post-partum, cancer, syndrome néphrotique, anémies ferriprives,…) ;

– coagulopathies intravasculaires disséminées chroniques (cancer) ;

– anticorps antiphospholipides (isolés ou dans le cadre d’une maladie générale : lupus) ;

– hémoglobinopathies (drépanocytose) ;

– les thrombopénies induites par l’héparine de mécanisme immunoallergiques qui comportent un risque d’accidents ischémiques artériels ou veineux ;

– les déficits en protéines anticoagulantes C, S, ATIII, ainsi que les déficits en plasminogène ou fibrinogène, ou encore la mutation du facteur V Leiden, s’accompagnent néanmoins plus fréquemment de thromboses veineuse que de thromboses artérielles.

La survenue d’un AIC impose donc de réaliser un bilan d’hémostase minimal (numération formule sanguine [NFS], plaquettes, prothrombine [TP], temps de céphaline activé [TCA], fibrinogène) qui doit être approfondi dans certains cas (en particulier chez le sujet jeune : dosage de facteurs de la coagulation, bilan immunitaire,…).

G – AUTRES CAUSES :

– Infarctus migraineux : la migraine est actuellement considérée comme un facteur indépendamment associé à l’infarctus cérébral, mais le lien de causalité n’a jamais été démontré ; aussi, le diagnostic d’infarctus migraineux est souvent utilisé de manière abusive, car la migraine associée à l’infarctus cérébral, au devant du tableau clinique, masque souvent la vraie cause (dissection, artérite, etc).

Par conséquent, ce diagnostic doit rester un diagnostic d’élimination, et ne jamais être un diagnostic définitif.

– Maladies métaboliques : homocystinurie, maladie de Fabry, encéphalopathie mitochondriale (MELAS).

– Embolies gazeuses : accidents de décompression de plongée.

– Embolies graisseuses : fractures osseuses, chirurgie thoracique.

Conclusion :

Le diagnostic d’un AIC et sa classification en fonction du mécanisme et de l’étiologie, facilité par le développement des techniques d’imagerie cérébrale et d’exploration vasculaire, sont les préalables indispensables à la prise en charge d’un patient présentant un AIC afin de pouvoir instaurer les mesures thérapeutiques adaptées.

Les progrès dans ce domaine ont eu pour conséquence la diminution de la mortalité par AVC au cours de ces dernières années dans les pays occidentaux, diminution attribuée en partie à une amélioration de la survie.

Ces remarques justifient d’adopter face aux AIC, et aux AVC en général, une attitude plus active que dans le passé.

Néanmoins, bien souvent, et malgré l’utilisation de moyens diagnostiques sophistiqués, une proportion d’AIC (30 % environ, proportion variable en fonction des registres) reste de cause inexpliquée ; il est probable que le développement de techniques d’investigation nouvelles permettra de réduire cette part d’accidents inexpliqués.

Si la prise en charge des AIC a connu des progrès considérables, l’identification de facteurs de risque modifiables et la mesure de leur impact relatif, avec comme conséquence l’identification de sujets à haut risque, gardent une place essentielle ; elles permettent d’instaurer des mesures de prévention primaire et secondaire dont l’objectif est de réduire non seulement la morbidité et la mortalité en rapport avec les AIC, mais aussi en rapport avec d’autres pathologies cardiovasculaires (infarctus du myocarde, artérite,…).

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