Atteintes rénales provoquées par les analgésiques Cours de Néphrologie
Introduction
:
Selon leur composition chimique, les analgésiques sont utilisés, d’une part
pour soulager la douleur, et d’autre part, pour leur action antipyrétique ou anti-inflammatoire,
propriétés pharmacologiques présentes à la fois chez les
dérivés de l’acide salicylique et les pyrazolones.
Les dérivés p-aminophérol
sont reconnus pour leurs propriétés analgésiques et antipyrétiques, mais n’ont
qu’une faible action anti-inflammatoire.
En revanche, les AINS sont
essentiellement réservés aux traitements anti-inflammatoires.
En Europe et aux États-Unis, les analgésiques dits classiques (les
salicylates, et les dérivés du paracétamol et du pyrazolone) ainsi que les
AINS sont parmi les produits pharmaceutiques le plus largement
commercialisés, la plupart étant en vente libre en pharmacie.
Même si le
bilan de ces deux catégories de produits pharmaceutiques est positif, les
pathologies qui en découlent représentent un problème de santé non
négligeable.
En termes de profil toxicologique, ces médicaments
comptent à leur passif la toxicité rénale, le dysfonctionnement gastrointestinal,
les troubles cardiovasculaires, la toxicité hépatique, des
troubles de coagulation et des réactions d’hypersensibilité.
Par
ailleurs, en ce qui concerne les analgésiques classiques contenant de la phénacétine, on a signalé un risque accru de développement de tumeurs
malignes du rein et des voies urinaires.
Du point de vue thérapeutique, l’importance des effets secondaires provoqués
par ces traitements est inégale, pour ce qui est de la néphrotoxicité des
analgésiques classiques et des AINS.
D’une part, l’utilisation
quotidienne et prolongée de mélanges d’analgésiques peut provoquer une
néphropathie dite classique, c’est-à-dire une pathologie rénale chronique
caractérisée par une nécrose papillaire et une néphrite interstitielle chronique.
D’autre part, les troubles associés à l’utilisation des AINS sont, dans l’ordre
décroissant de leur fréquence, les déséquilibres hydroélectrolytiques, la
détérioration aiguë de la fonction rénale, le syndrome néphrotoxique, parfois
mais pas nécessairement lié à la néphrite interstitielle, la limitation de l’effet
diurétique des médicaments (provoqué par les diurétiques agissant au niveau
de l’anse de Henle), et éventuellement, une nécrose papillaire.
En plus des troubles rénaux provoqués par les analgésiques classiques et les AINS, bien connus, nous envisageons ici l’atteinte rénale liée à l’usage de
l’acide 5-ASA.
Les propriétés anti-inflammatoires spécifiques de ce composé
font qu’on l’utilise en première ligne pour le traitement des maladies
inflammatoires de l’intestin.
La structure moléculaire du 5-ASA est très
proche de celle de l’acide salicylique, de la phénacétine et du paracétamol.
Depuis quelques années, plusieurs cas ont été rapportés mettant en évidence,
chez les malades atteints d’une maladie inflammatoire de l’intestin, la
corrélation entre la consommation du 5-ASA, et le développement d’une
néphrite tubulo-interstitielle fibrosante.
Épidémiologie
:
A - Néphropathie analgésique « classique »
:
Bien que de nombreux cas de néphropathies provoquées par les analgésiques
aient été décrits, et ce partout dans le monde, les informations concernant
l’étendue du problème restent limitées.
Certaines données sont recueillies au
niveau national et publiées annuellement par l’ EDTA(European dialysis and transplant association), et par l’ANZDATA (Australian and New-Zealand
dialysis and transplant registry), ainsi que par l’USRDS (United States renal
data system).
En 1990, plus de 94 000 malades européens étaient traités par dialyse à long
terme, avec un diagnostic de néphropathie provoquée par les analgésiques
dans 3 % des cas.
Parmi cette population traitée par dialyse, les taux de
néphropathie sont les plus élevés en Suisse (21 %), en Belgique (16 %), en
Autriche (8 %) et en Allemagne (6 %), alors que pour la France, la Suède,
l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne, le taux de fréquence ne dépasse pas
2 %.
Au cours des 10 dernières années, l’incidence de cette pathologie a
baissé dans tous les pays de l’Europe de l’Ouest.
Dans la plupart des pays de
l’Europe de l’Est, en revanche, les fréquences signalées sont restées faibles
jusqu’en 1990, entre autres parce qu’une limite d’âge était imposée aux
demandeurs d’une thérapeutique de substitution rénale. EnAustralie, pendant les années 1970, la fréquence annuelle de néphropathie
provoquée par les analgésiques était de 22 % ; taux considéré comme le plus
élevé du monde, il a été ramené à 9 % en 1992, quand en 1989 on a limité la
vente libre des analgésiques en pharmacie.
Aux États-Unis, entre 1989
et 1993, chez les patients bénéficiant d’un traitement de substitution rénale
chronique, le diagnostic de néphropathie provoquée par analgésiques n’a été
retenu que dans 0,8 % des cas.
Frappés par l’extrême variabilité, même au sein d’un seul pays, des taux de
fréquence de néphropathie, l’ensemble des observateurs s’accorde à
reconnaître que le degré d’abus des analgésiques dans une population donnée
est le facteur qui explique à la fois leurs fréquences importantes et les écarts
interrégionaux des taux observés.
Cependant la question reste posée :
pourquoi dans certains pays et pas dans d’autres existe-t-il une tendance à
l’abus des analgésiques ?
Sans doute s’agit-il des différences de législation
s’appliquant à la vente libre des médicaments comportant des analgésiques,
ainsi que des différentes pratiques galéniques (incorporation dans
l’analgésique de produits à effet d’accoutumance : caféine, codéine,
barbituriques).
Ces facteurs ont sans doute joué un rôle important dans la
consommation habituelle et éventuellement abusive des analgésiques.
On a cru longtemps que la phénacétine était le principal, voire le seul, facteur
explicatif d’une néphropathie classique provoquée par les analgésiques.
Dans
la dernière décennie, cependant, cette pathologie est décelée par de nombreux
cliniciens chez des patients qui n’ont jamais pris de la phénacétine.
La
recherche scientifique, par des méthodes expérimentales et épidémiologiques,
a pu démontrer clairement des risques rénaux associés à la prise d’autres
mélanges analgésiques.
Du point de vue épidémiologique, le potentiel néphrotoxique des différentes espèces d’analgésiques et des différents
éléments incorporés dans les mélanges est bien documenté, notamment dans
la revue de cas publiée dans les années 1990 et fondée sur les enquêtes menées
en Australie, aux États-Unis, en Allemagne, et en Espagne.
La meilleure preuve d’une relation de cause à effet dans ce domaine est
fournie par deux études de cohorte, qui démontrent que les risques d’atteinte
rénale augmentent respectivement de 8,1 et de 6,1, par excès de mélanges
d’analgésiques.
Ces résultats sont soutenus par l’étude d’un groupe de 226 malades, chez qui
l’abus des analgésiques est bien documenté, et où le diagnostic de néphropathologie provoquée par les analgésiques est clairement établi.
Ces
cas concernent un recrutement effectué dans le cadre de critères de diagnostic
clairement énoncés, en Belgique et dans 11 autres pays européens.
Chez
tous ces malades, le diagnostic de néphropathie par analgésiques a été validé
par une imagerie rénale à haute performance, selon les techniques les plus
récentes.
L’historique de
l’abus des analgésiques chez les sujets inclus dans l’étude étant
documenté selon la même méthodologie (interviews, photos couleurs
des analgésiques sur le marché).
Tous les malades
(sauf sept) atteints de néphropathie reconnaissent avoir abusé de
produits analgésiques.
Parmi les 46 malades n’ayant jamais consommé de la phénacétine, les effets
néphrotoxiques sont liés à la consommation d’analgésiques dans les
associations suivantes : acide salicylique-paracétamol, acide salicyliquepyrazolone
et deux pyrazolones, dans des formules incorporant caféine et ou
codéine.
Les informations disponibles, recueillies dans plusieurs publications,
suggèrent qu’une consommation habituelle de compositions d’analgésiques,
avec ou sans phénacétine, est liée à une néphropathie spécifique.
Récemment,
le comité ad hoc du National kidney foundation des États-Unis en
association avec des spécialistes scientifiques européens, a clairement
démontré que ce type de néphropathie est la conséquence de la consommation
excessive de compositions médicamenteuses contenant au moins deux
analgésiques associés à la caféine et/ou de la codéine.
B - Insuffisance rénale provoquée par les AINS
:
Des études expérimentales et cliniques ont démontré clairement les effets
aigus de cette classe de médicaments sur le rein.
En l’absence de
méthodologies précises, la fréquence réelle de néphrotoxicité provoquée par
les AINS est inconnue, mais pourrait néanmoins, étant donné l’ampleur de la
consommation de ces médicaments, se révéler être très faible.
Selon une étude
collaborative prospective, 15,6 % des patients atteints d’insuffisance rénale
aiguë d’origine médicamenteuse consommaient des AINS, mais ce taux se
réduisait à 2,8 % pour l’ensemble des patients atteints d’insuffisance rénale
aiguë.
Tous les AINS sont susceptibles de provoquer des troubles rénaux sous une
forme quelconque, même s’il est impossible d’identifier les risques respectifs
de chaque produit.
D’autre part, la déshydratation, les pathologies coronarovasculaires, la cirrhose du foie, le syndrome néphrotique, l’âge,
l’hypertension et l’utilisation simultanée des diurétiques et de l’aspirine sont
reconnus comme facteurs de risque accru d’insuffisance rénale aiguë provoquée par la consommation des AINS.
De surcroît, bon nombre
d’autres molécules ont pu être identifiées qui donnent lieu à d’importantes
interactions avec les AINS
Même si les réactions rénales aiguës provoquées par l’usage des AINS sont
bien caractérisées au niveau biologique, il n’existe aucune preuve que l’usage
de ces AINS soit un facteur d’aggravation du risque de l’insuffisance rénale
chronique.
Un cas-contrôle effectué par Perneger et al fait état d’un risque
d’insuffisance rénale terminale multiplié par 8,8 chez les patients ayant
consommé au moins 5 000 doses d’AINS.
Ces données doivent cependant
être utilisées avec prudence, en raison de défauts inhérents à la conception de
l’étude (entretiens téléphoniques) et de l’incohérence partielle des résultats
(OR [odds ratio] = 0,67 %pour les doses entre 1 000 et 4 999).
Trois ans plus
tôt, Sandler et al constataient un risque de maladie rénale chronique de 2,1
(95 % CI ; 1,1-4,1) chez des sujets consommant les AINS tous les jours. De
façon surprenante, cependant, le risque ne serait significatif que pour les
patients mâles âgés de plus de 65 ans.
En Belgique, dans le cadre d’une étude
contrôle explorant les facteurs de risque d’insuffisance rénale chronique liés
aux conditions de travail, aucune augmentation de OR associée à la
consommation régulière des AINS n’a été constatée (OR : 0,94 ; 95 % CI ;
0,60-1,48).
C - Pathologie rénale provoquée par le 5-ASA
:
Une relation entre la consommation du 5-ASA, et le développement d’une
néphrite tubulo-interstitielle chronique chez les malades atteints de maladie
inflammatoire de l’intestin, est depuis quelques années largement
admise, qui fait la synthèse des cas rapportés.
Cette pathologie
est plus répandue chez les hommes que les femmes, dans un rapport de
15/2, l’âge des malades se situant entre 14 et 45 ans.
Contrairement à
la néphropathie provoquée par les analgésiques, où les lésions
rénales ne se manifestent en général qu’après plusieurs années de
consommation excessive, la néphrite interstitielle associée au
5-ASAs’est, dans 7 des 17 cas rapportés, manifestée au cours de la
première année de traitement.
Dans la plupart
des cas, la fonction rénale était normale avant le traitement par le
5-ASA. Récemment, pour mieux cerner la fréquence de cette
pathologie, il a été demandé à des néphrologues en Belgique, en
France et aux Pays-Bas de rapporter tous les cas où des symptômes
d’atteinte rénale étaient associés à une maladie inflammatoire de
l’intestin, qu’ils soient traités ou non par le 5- ASA.
Des 71
questionnaires remplis et retournés par les néphrologues, 44
n’eurent rien à signaler, alors que les 27 autres transmirent des
informations détaillées sur 40 cas de maladie inflammatoire de
l’intestin associés à une insuffisance rénale.
Parmi ces 40 cas
rapportés, 25 étaient traités par le 5-ASA, dont 15 atteints de
néphrite interstitielle, démontrée par biopsie. Alors que l’on note quelques cas de néphrites tubulointerstitielles
chroniques, et ce parmi les patients n’ayant jamais reçu de
traitement au 5-ASA, il faut noter que d’autres malades, traités par le 5-ASA,
sont effectivement atteints d’insuffisance rénale (associée à une
glomérulonéphrite ou une amyloïdose).
Nous ne sommes pas actuellement en mesure d’évaluer le risque
d’insuffisance rénale due à la consommation du 5-ASA.
Cette situation risque
de se prolonger : la consommation médicamenteuse par ces patients est
irrégulière, alors que l’inflammation épisodique aiguë provoque
l’augmentation ponctuelle des dosages, et/ou du nombre des médicaments
prescrits, dont certains à potentiel toxique rénal reconnu.
De plus, plusieurs
types d’atteintes rénales sont décrits chez les patients atteints de maladies
inflammatoires de l’intestin.
Des études épidémiologiques supplémentaires
sont nécessaires afin d’estimer l’incidence et l’identification des atteintes
rénales chez des sujets atteints de maladies inflammatoires de l’intestin, sous
traitement ou non du 5-ASA dans des régions possédant un registre de ces
maladies.
Pathogenèse
:
A - Néphropathie analgésique dite « classique »
:
La pathogenèse de la néphropathie dépend d’une part de la capacité du rein à
concentrer les molécules dans les papilles, et d’autre part des effets
toxicologiques cumulés dus aux associations d’analgésiques.
L’évolution par
étapes de la pathologie est présentée ici.
Dans le cas de la consommation de
la phénacétine et/ou du paracétamol avec de l’aspirine, elle serait la suivante :
la phénacétine est convertie dans l’intestin grêle et au niveau du foie en acétaminophène en première étape de métabolisme.
L’acétaminophène est
ensuite capté par le rein et éliminé.
Pendant son excrétion, l’acétaminophène
se concentre dans les papilles du rein au cas d’antidiurèse physiologique, à
des taux cinq fois supérieurs à la concentration intracellulaire des autres
tissus.
La composante hydroperoxidase de la prostaglandine du complexe
enzymatique synthase prostaglandineHconvertit l’acétaminophène dans son
métabolite réactif (sans doute moyennant une réaction d’oxydation à un
électron, et par soustraction d’hydrogène).
Il se forme ainsi le phénoxy,
radical de l’acétaminophène, qui subit une oxydation supplémentaire, et se
transforme en l’intermédiaire hyperréactif NAPBQ (N-acétyl-pbenzoquinéimine).
Ce métabolite réagit presque instantanément avec le
glutathion réduit.
Au cas où l’acétaminophène est présent à ce stade, les
papilles produisant suffisamment de glutathion pour détoxifier l’intermédiaire
hyperréactif.
En revanche, si l’acétaminophène ingéré par le malade est
associé à l’aspirine, cette dernière substance est convertie en salicylate qui,
lui, se concentre à la fois dans le cortex et les papilles du rein.
Ce salicylate est
un agent puissant de déplétion de glutathion.
En présence de cette déplétion,
le métabolite hyperréactif de l’acétaminophène provoque l’apparition de
peroxydes lipidiques et déclenche l’arylation des protéines
tissulaires, l’étape finale pouvant être une nécrose papillaire.
Dans quelle mesure des analgésiques tels que l’acétaminophène ou l’aspirine
jouent un rôle contributif dans l’évolution de l’insuffisance rénale chronique
reste encore une question controversée.
B - Insuffisance rénale induite par les AINS
:
La plupart des troubles rénaux rencontrés en clinique et considérés comme
secondaires à l’utilisation des AINS peuvent être imputés à l’action de ces
composés sur la production rénale de prostaglandines.
La rétention d’eau et du chlorure de sodium sont les effets les plus fréquents,
mais ne doivent pas être considérés comme la preuve de la toxicité des AINS,
car ils ne sont que la modification d’un mécanisme de contrôle physiologique,
sans qu’il y ait, pour autant, de désordre fonctionnel proprement dit au niveau
du rein.
L’hyperkaliémie est une complication rare des AINS, dont le risque est plus
important chez les personnes qui souffrent déjà d’atteintes rénales, de
défaillance cardiaque, de diabète, ou de maladie de Kahler.
Il en est de même
pour les patients recevant des suppléments de potassium, ceux qui reçoivent
un traitement diurétique d’épargne potassique, ou qui ont utilisé de façon
intercurrente un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.
Le
mécanisme par lequel lesAINS provoquent une hyperkaliémie met en jeu une
inhibition de la libération de rénine normalement médiée par la
prostaglandine, d’où un état d’hypoaldostéronisme hyporéninémique.
De
plus les AINS, et en particulier l’indométacine, peuvent avoir un effet direct
sur l’absorption cellulaire du potassium.
Dans ce cadre, lesAINS peuvent provoquer une insuffisance rénale aiguë chez
les patients atteints de divers troubles rénaux et extrarénaux, responsables
d’une diminution de la circulation sanguine rénale.
Les prostaglandines
rénales jouent un rôle important dans la maintenance de l’homéostase chez
ces sujets, si bien que la perturbation des mécanismes contre-régulateurs peut
produire une insuffisance rénale importante.
Une insuffisance rénale aiguë peut dans ce cadre s’imputer à l’interruption
par les AINS de l’équilibre délicat nécessaire entre les mécanismes
constricteurs contrôlés par les hormones et les effets vasodilatateurs associés
aux prostaglandines.
La réaction rénale salurétique du diurétique de l’anse de Henle est en partie la
conséquence de la production des prostaglandines dans le rein.
La médiation
de cette réponse est une augmentation du flux sanguin médullaire rénal,
entraînant ipso facto une diminution de la capacité de concentration rénale,
ce qui explique qu’une prise concomitante d’unAINS puisse limiter la diurèse
provoquée par les diurétiques de l’anse de Henle.
Tous lesAINS
peuvent provoquer un autre type d’atteinte rénale, caractérisée par
un syndrome néphrotique, associé à une néphrite interstitielle.
L’histologie caractéristique de cette forme du syndrome néphrotoxique
provoqué par les AINS est une glomérulonéphrite minimal change
accompagnée de néphrite tubulo-interstitielle.
Cette combinaison quelque
peu exceptionnelle, lorsqu’elle est constatée dans le cadre clinique de
l’utilisation prolongée desAINS, est presque pathognomonique du syndrome
néphrotoxique provoqué par les AINS.
La démonstration récente de l’existence d’isoformes fonctionnellement
distinctes de l’enzyme cyclo-oxygénase est une découverte d’importance
thérapeutique considérable.
Il apparaît que la cyclo-oxygénase dans une de
ses formes agit directement au niveau de la muqueuse gastrique et le rein, où
elle est impliquée dans la génération des prostaglandines (cox1).
L’autre
forme de cyclo-oxygénase, fonctionnellement distincte, et inductible, serait
impliquée dans la production des prostaglandines aux sites mêmes
d’inflammation et de douleur (cox 2).
Au niveau thérapeutique, il s’ensuit
qu’un AINS, dont l’effet inhibiteur serait exclusivement ou quasi
exclusivement limité à l’isoenzyme cyclo-oxygénase actif au site même de
l’inflammation, pourrait produire les effets thérapeutiques souhaités, en
évitant les effets secondaires indésirables sur le rein ou sur la voie
digestive.
C - Pathologie rénale associée aux 5-ASA
:
L’utilisation du 5-ASA par les patients atteints de maladies inflammatoires
de l’intestin peut provoquer le développement d’une forme particulière de
néphrite tubulo-interstitielle chronique, que caractérise une infiltration
cellulaire importante de l’interstitium par les macrophages, les cellules T et
B, ainsi que par une fibrose. Un aspect particulier de ce type de néphropathie
toxique est la persistance, bien documentée, de l’inflammation de
l’interstitium rénal, même plusieurs mois après l’arrêt du traitement.
Le mécanisme de détérioration rénale par le 5-ASA pourrait être analogue à
celui qu’induisent les salicylates : hypoxie des tissus rénaux par le découplage
de la phosphorylation oxydative au niveau des mitochondries rénales, ou
inhibition de la synthèse des prostaglandines rénales, ou encore
« susceptibilisation » du rein à l’attaque oxydative elle-même due à la
réduction des concentrations de glutathion rénal après l’inhibition du shunt
des pentose-phosphates.
Les manifestations extra-intestinales de la maladie inflammatoire chronique
de l’intestin sont connues.
Les complications rénales les plus fréquentes sont
les calculs oxalates et leurs conséquences, entre autres la pyélonéphrite,
l’hydronéphrose et, à plus long terme, l’amyloïdose.
Comme avec beaucoup
d’autres médicaments, une néphrite interstitielle aiguë réversible a été décrite.
La glomérulonéphrite associée aux maladies inflammatoires chroniques de
l’intestin a une expression clinique hétérogène.
Des formes à lésions minimes,
des formes membranaires, membranoprolifératives, une glomérulosclérose
focale, ainsi qu’une glomérulonéphrite proliférative à croissant ont été
décrites.
Observations cliniques
:
A - Néphropathie analgésique « classique »
:
La néphropathie analgésique est une pathologie rénale à évolution lente le
plus souvent asymptomatique jusqu’au moment où 70 à 85 % de la fonction
rénale sont perdus.
Les symptômes constatés sont ceux que l’on observe en
cas d’insuffisance rénale progressive, et sont essentiellement non spécifiques.
Les patients atteints de néphropathie analgésique témoignent d’un
dysfonctionnement tubulomédullaire caractérisé par une diminution de la
concentration et de l’aptitude à l’acidification.
Les coliques néphrétiques avec
hématuries macroscopiques sont observées et imputables à l’élimination
d’une papille nécrosée.
Dans la plupart des cas, la protéinurie est limitée et le
volume d’urine reste élevé.
La pyurie stérile, des infections récurrentes du
tractus urinaire, ont été décrites chez des patients atteints de néphropathie par
analgésiques.
Puisque la néphropathie provoquée par les analgésiques dite « classique » se
manifeste par des symptômes en majorité non spécifiques, son diagnostic peut
poser un problème.
Jusqu’aux années 1980, l’argument le plus important en
faveur d’une néphropathie analgésique était l’histoire, souvent biaisée, d’une
consommation excessive d’analgésiques, dans un cadre général d’absence
d’autre étiologie de l’insuffisance rénale.
Il a été possible, récemment, de
définir des critères de diagnostic de cette pathologie, basés sur les résultats de
la scanographie sans injection de produit de contraste.
Ces critères de
diagnostic, sélectionnés en Belgique et ensuite soumis à évaluation dans
22 centres européens (étude ANNE : Analgesic nephropathy network
Europe), prennent en compte la décroissance de la masse rénale des deux reins
lorsqu’elle est observée en conjonction avec des contours bosselés
ou des calcifications papillaires.
Ces critères se
sont avérés être un outil diagnostique très performant.
Même chez les patients atteints
d’insuffisance rénale débutante ou modérée, ces critères d’imagerie ont une
sensibilité de 92 %, et une spécificité de 100 %.
On peut considérer qu’une nécrose papillaire rénale associée à des
calcifications est la caractéristique la plus spécifique de la néphropathie
provoquée par les analgésiques..
D’autres formes de nécrose papillaire rénale,
telles que la néphropathie diabétique, l’uropathie obstructive, et l’anémie
drépanocytaire se distinguent facilement de la nécrose à
calcification papillaire, caractéristique de la néphropathie analgésique
« classique ».
B - Insuffisance rénale provoquée par les AINS
:
Parmi les réactions rénales provoquées par l’usage des AINS, on note
l’insuffisance rénale aiguë, laquelle est due à des facteurs hémodynamiques,
et la néphrite interstitielle aiguë idiosyncrasique, avec ou sans lésions
glomérulaires, ainsi que l’hyponatrémie par dilution.
Le trouble le
plus fréquemment rencontré est une insuffisance fonctionnelle provoquée par
l’inhibition des prostaglandines rénales vasodilatatrices, dans le cadre
clinique d’un système de stimulation de la rénine par l’angiotensine.
La
déshydratation, les pathologies coronarovasculaires graves, la cirrhose du
foie, le syndrome néphrotique, l’âge, l’hypertension, l’utilisation
concomitante d’agents diurétiques ou d’aspirine, sont également des facteurs
reconnus de risques pour le développement d’une insuffisance rénale aiguë,
après usage d’AINS.
Chez un patient présentant une insuffisance rénale aiguë, avec ou sans
syndrome néphrotique, l’usage des AINS requiert un contrôle étroit.
Dans ce
cadre, il est important de distinguer les troubles hémodynamiques imputés auxAINS, de la néphrite interstitielle aiguë, l’implication étant non
seulement de pronostic, mais thérapeutique.
La néphrite interstitielle chronique avec nécrose papillaire rénale a été
associée par certains auteurs à l’action des AINS.
Cependant, si la nécrose
papillaire rénale provoquée par les AINS est bien documentée chez le rat, on
n’observe que rarement cette lésion chez l’homme.
Dans le cadre de l’étude
ANNE, 11 patients à insuffisance rénale terminale qui avaient consommé des AINS régulièrement, pendant plus de 5 ans, furent contrôlés par
scanographie.
Aucune calcification papillaire rénale n’a été observée.
Pathologies rénales associées au 5-ASA
La lésion rénale la plus fréquemment constatée est la néphrite tubulointerstitielle
chronique, fibrosante, avec atteinte de la fonction rénale.
L’infiltrat cellulaire est principalement constitué de macrophages, en plus de
cellules T et de cellules B.
Dans certains cas, il a été montré que cette
infiltration cellulaire ne disparaissait pas après l’arrêt du traitement, même
au-delà de 1 an.
Traitement
:
L’arrêt immédiat de la consommation des mélanges d’analgésiques s’impose
dès le diagnostic d’une néphropathie dite « classique ».
Il a été en effet
clairement montré que, chez les patients dont l’insuffisance rénale est
débutante ou modérée (clairance de créatinine supérieure à 25 mL/min), une
stabilisation de l’insuffisance rénale est obtenue par l’arrêt de l’abus des
mélanges d’analgésiques.
Les interventions thérapeutiques ultérieures restent
non spécifiques.
Les infections des voies urinaires doivent être traitées, et
l’augmentation de prise de liquides est conseillée pour faciliter le passage des
papilles nécrotiques détachées.
Un dépistage cytologique régulier de l’urine
est la seule méthode acceptable actuellement pour le diagnostic précoce des
tumeurs malignes du rein et du tractus urinaire.
Dans le cadre de la prescription des AINS, surtout chez les malades âgés
souffrant de diminution du volume plasmatique ou d’atteinte rénale, la
détection précoce des effets secondaires au niveau du rein est importante.
Elle
doit entraîner l’arrêt immédiat de prise des AINS avec mise en oeuvre du
traitement classique d’une insuffisance rénale aiguë, sachant que celle-ci est,
dans la plupart des cas, réversible.
Même chez les patients atteints
de néphrite interstitielle, ce dysfonctionnement rénal, et la protéinurie,
disparaîtront spontanément dans la plupart des cas, après l’arrêt du traitement.
En cas de complications significatives ou de retard dans la récupération de la
fonction rénale, les stéroïdes ont eu des résultats encourageants, même si leur
emploi systématique est discutable.
Quant à la maladie tubulo-interstitielle
chronique provoquée par le 5-ASA, on a pu démontrer que la fonction
rénale s’améliorait après arrêt du traitement. Cependant, surtout si le diagnostic de lésion
rénale a été tardif, la récupération de la fonction est inconstante ; pour
plusieurs de ces malades, l’une ou l’autre forme de thérapie de substitution
rénale s’est avérée nécessaire.
Prévention
:
En ce qui concerne les néphropathies analgésiques dites « classiques », des
lésions rénales chroniques n’ont été observées qu’après un usage quotidien et
excessif pendant une période de plusieurs années.
La néphrotoxicité
analgésique « classique » peut être évitée efficacement en supprimant les
excès de consommation.
On peut s’attendre à ce que des méthodes
pédagogiques et volontaristes soient peu efficaces pour obtenir cette
limitation, étant donné la dépendance provoquée par les compositions
d’analgésiques à base de caféine et/ou de codéine.
La démarche la plus
rationnelle pour contrer l’éventualité de la néphropathie analgésique
« classique » est l’interdiction de la vente libre en pharmacie des analgésiques
composés contenant de la caféine et/ou de la codéine.
L’expérience australienne nous apporte la preuve que la fréquence de cette
pathologie diminue de manière drastique si on impose des limites à la
disponibilité en pharmacie de ces produits.
Même si l’usage des AINS peut être préconisé sans risque pendant une
période limitée chez les sujets jeunes et en bonne santé, leur utilisation
prolongée doit être évitée, surtout pour les patients à risque.
Les sujets à risque d’une insuffisance rénale aiguë sont les patients plus âgés et/ou ceux déjà
atteints d’un désordre au niveau du volume des fluides extracellulaires
(diurétiques et septicémie), de défaillance cardiaque, de cirrhose du foie et de
pathologie rénale préexistante.
Il est possible d’agir à
différents niveaux pour optimiser les dosages et maîtriser les risques dus à la
médication.
Selon l’ensemble des données en notre possession, le risque est
maximal pendant les premiers jours d’utilisation des AINS, moment où les
patients doivent alors être suivis avec le plus grand soin, à la fois au début du
traitement et si on augmente les doses.
La qualité de l’information donnée aux
patients concernant la prise des AINS influera sur leur observance du
traitement et aussi sur leur volonté d’informer le médecin traitant en cas
d’effets secondaires.
Dans le cas de la prise de médicaments multiples, il
faudra tenir compte des médicaments prescrits reconnus pour interagir avec
les AINS.
Même si l’incidence et les taux de risque de néphrite tubulo-interstitielle
chronique, associée au 5-ASA, ne sont pas connus, les cas rapportés
semblent montrer l’existence d’un lien et incitent à la mise en oeuvre de
mesures préventives.
Les patients traités par le 5-ASA doivent être
régulièrement suivis, pour le dépistage de signes d’atteinte rénale.
Avant le
commencement du traitement, le taux de créatinine sérique doit être
mesuré, et de nouveaux contrôles effectués tous les mois pendant les
3 premiers mois de traitement, tous les 3 mois pendant 9 mois, et
annuellement, après 1 an de traitement.
Conclusion
:
La néphropathie analgésique « classique » est une pathologie rénale
chronique caractérisée par une néphrite interstitielle chronique et des
calcifications papillaires.
Ce dernier aspect permet le diagnostic précis
de la pathologie sur la base d’une scanographie sans produit de
contraste.
La néphropathie analgésique est la séquelle d’une
consommation habituelle de mélanges d’analgésiques pendant
plusieurs années, mélanges contenant deux composants
analgésiques associés à des substances à potentiel d’accoutumance
telles que la caféine et/ou la codéine.
Tant que ces mélanges
d’analgésiques seront disponibles en pharmacie, le problème de la
néphropathie analgésique persistera.
Même si les insuffisances rénales aiguës associées avec la
thérapeutique par AINS sont bien établies, le risque de développer
une insuffisance rénale chronique est inconnu.
À la lumière des
données actuelles, l’utilisation prolongée des AINS devrait être
déconseillée. Lorsque sa prescription s’avère nécessaire, la
fonction rénale doit être explorée régulièrement, surtout chez les
patients à risque.
L’association supposée du 5-ASA avec la néphrite tubulo-interstitielle
fibrosante chez les patients atteints de maladie inflammatoire
chronique de l’intestin mériterait des examens épidémiologiques plus
poussés.
Les observations cliniques récentes nécessitent cependant
un suivi rénal régulier (taux de créatinine sérique) chez les patients
souffrant de maladie inflammatoire de l’intestin et subissant des
traitements par le 5-ASA.