Atteintes ophtalmologiques d'origine médicamenteuse
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
Les effets indésirables des médicaments sont liés ou non à leurs propriétés
pharmacologiques.
Dans le premier cas, ces effets sont en général prévisibles,
indissociables de l’action thérapeutique et souvent dose-dépendants, en tenant
compte d’une sensibilité individuelle constitutionnelle ou acquise.
En revanche, dans le deuxième cas, ils sont en général imprévisibles, sans rapport
avec la dose et la durée du traitement, et relèvent de réactions
immunoallergiques ou de manifestations idiosyncrasiques sur un terrain
génétique particulier.
Des facteurs liés au médicament, au malade ou à
l’environnement, interviennent également.
La connaissance des effets indésirables des médicaments est essentielle dans toute
démarche étiologique.
Ils sont abordés dans le traité de toxicologie oculaire de
Grant et Schuman paru en 1993 et résumés dans cet article qui est la suite de
nos travaux publiés dans le rapport du Bulletin des sociétés d’ophtalmologie de
France en 1985 et de la Société française d’ophtalmologie en 1997.
Il ne
sera pas fait de rappel pharmacologique et les références bibliographiques seront
limitées aux articles principaux et à celles dernièrement parues.
Conjonctive
:
Son atteinte entre essentiellement dans le cadre d’une pathologie du contact,
sous plusieurs formes.
A - Manifestations immunoallergiques :
1-
Allergie de type IV ou de contact
:
Le tableau est celui d’une kératoconjonctivite ou d’une métaplasie proche du
bord libre palpébral ou d’une blépharoconjonctivite.
Les médicaments incriminés sont la phényléphrine, les anesthésiques de contact, la néomycine,
la gentamicine, la pénicilline, des conservateurs et, par voie générale, le
cyclophosphamide, l’isotrétinoïne, la rifampicine.
2- Allergie de type I ou immédiate :
Elle survient principalement chez le grand atopique et donne une
conjonctivite anaphylactique avec une kératite ponctuée superficielle et un
angiooedème palpébral.
Elle se rencontre après administration générale de
pénicillines, d’acide acétylsalicylique et surtout locale de procaïne,
d’atropine, de phényléphrine et de timolol.
Une exacerbation des symptômes
est parfois provoquée par un produit photosensibilisant.
B - Pemphigoïdes oculaires et syndrome
oculo-muco-cutané :
Ils seront envisagés avec l’appareil lacrymal car c’est le syndrome sec qui fait
toute leur gravité.
Pigmentations et surcharges
Elles sont le plus souvent secondaires à un usage topique de produits
actuellement peu utilisés de façon prolongée :
– bleu de méthylène évoquant une pseudomélanose ;
– épinéphrine engendrant la formation de petits nodules marron foncé sousépithéliaux
au niveau de la conjonctive tarsale inférieure ;
– sels d’argent et de mercure provoquant une coloration gris ardoisé de la
conjonctive, de la périphérie de la cornée et de la peau ;
– la minocycline et la rifampicine par voie générale peuvent colorer la
conjonctive sans intéresser la cornée.
Cornée
:
Les lésions comprennent les surcharges habituellement sans conséquences
sérieuses et les kératites toxiques parfois graves.
L’injection de médicaments
dans la chambre antérieure et les interférences entre médicaments et prothèses
de contact ne sont pas envisagées.
A - Surcharges :
Elles intéressent aussi la conjonctive mais à un degré moindre et elles sont
assez semblables entre elles.
Il y a une accumulation d’inclusions
cytoplasmiques de lipofuchsine ou de phospholipides.
Les dépôts cornéens
engendrent rarement des phénomènes d’éblouissement et n’altèrent pas
l’acuité visuelle.
1- Amiodarone :
Les dépôts épithéliaux apparaissent après une période moyenne de 4 mois de
traitement journalier pour former une « cornea verticillata ».
Ils évoluent en
trois stades : le premier est constitué de fins dépôts brun jaunâtre dessinant
une ligne horizontale dans l’aire de la fente palpébrale qui est à différencier
d’une ligne de Stähli ; le deuxième est fait de dépôts plus importants en lignes
épaisses avec des ramifications en « moustache de chat » ; le troisième
comprend de nombreuses lignes en « feuille de fougère » s’étendant dans
l’aire pupillaire.
2- Autres médicaments :
Amodiaquine, chloroquine et quinidine.
Ces structures quinoléiques
entraînent des dépôts épithéliaux blanc jaunâtre ou grisâtre dessinant un
tourbillon, accompagnés d’oedème superficiel et d’épaississement des
nerfs.
Ces
phénothiazines entraînent une pigmentation dense de couleur jaune, tant au
niveau cornéen épithélial qu’au niveau de la conjonctive.
Il existe aussi des
dépôts sur la face postérieure de la cornée et sur le cristallin.
Clarithromycine, clofazimine, cytarabine, indométacine, isotrétinoïne,
tétracyclines, sels d’argent, sels d’or, tamoxifène : les cas de dépôts cornéens
sont rares.
B - Toxicité de surface
:
Les classes médicamenteuses et produits suivants en collyre peuvent avoir un
effet délétère par toxicité directe, ralentissement des phénomènes de
cicatrisation, hypoxie conjonctivale et diminution de l’esthésie cornéenne :
anesthésiques locaux, antiviraux, benzalkonium, bêtabloqueurs, corticoïdes,
phényléphrine et préparations de collyres antibiotiques renforcés et
d’antinéoplasiques.
Une utilisation inconsidérée et prolongée d’anesthésiques
locaux détermine un dépoli épithélial diffus, puis une ulcération centrale et
une segmentite toxique.
Appareil lacrymal
:
La pathologie lacrymale comprend les troubles de la sécrétion et de
l’évacuation des larmes.
Les troubles de la sécrétion sont très fréquents et
rassemblés sous la dénomination de « syndromes secs oculaires ».
L’hyposécrétion d’origine neurovégétative relève souvent de
l’automédication et de la banalisation de prescriptions retentissant sur le
système neurovégétatif.
L’hyposécrétion par altération de la glande lacrymale
ou du film lacrymal est plus rare, mais plus grave.
A - Hyposécrétion fonctionnelle
:
Les produits responsables sont multiples et les principaux sont cités en les
regroupant selon une classification pharmacologique.
La plupart ont une
action anticholinergique et induisent des troubles de l’accommodation, de la
convergence et une mydriase avec risque de glaucome par fermeture de
l’angle chez les sujets prédisposés.
Anticholinergiques (atropine, scopolamine) : ils agissent au niveau de
l’innervation parasympathique de la glande lacrymale par interférence au
niveau des médiateurs chimiques.
Médicaments ayant des effets parasympathicolytiques : ce sont des
antidépresseurs tricycliques (imipramine, amitriptyline), des neuroleptiques
(chlorpromazine, halopéridol), des benzodiazépines (diazépam,
oxazépam), des antiparkinsoniens (lévodopa, bromocriptine) et des
antihistaminiques de type H1 (prométhazine).
Bêtabloqueurs : leur action est surtout marquée chez le sujet âgé.
Par voie
locale, les bêtabloqueurs cardiosélectifs engendreraient peu d’effets
secondaires sur la glande lacrymale.
Isotrétinoïne : elle possède une action atrophiante sur les glandes sébacées
palpébrales, régressive à l’arrêt du traitement.
B - Hyposécrétion par altération de la glande lacrymale :
Syndrome oculo-muco-cutané
Il est mentionné à titre historique puisque le practolol, substance bêtaadrénergique,
responsable de la kératoconjonctivite sèche sévère, a été retiré
du marché mondial en 1975.
Pemphigoïdes oculaires
:
On distingue :
– une forme isolée strictement oculaire caractérisée par des brides au niveau
des culs-de-sac et un syndrome sec grave consécutif à une destruction des
glandes lacrymales accessoires et à une sténose des canalicules excréteurs de
la glande lacrymale principale.
Elle est secondaire à l’instillation prolongée
de collyre contenant de l’épinéphrine, de la pilocarpine, du chloramphénicol
ou des conservateurs ;
– une forme généralisée, s’intégrant dans le cadre des syndromes de Stevens-
Johnson et/ou de Lyell, avec une destruction massive de la glande lacrymale
et la constitution de symblépharon à la suite, principalement, de la prise de
sulfamides, de pyrazolés, d’hydantoïnes, de pénicillines et
d’allopurinol.
C - Atteinte de la voie lacrymale excrétrice :
Une obstruction des points lacrymaux et/ou des canalicules peut se rencontrer
après des instillations répétées de myotiques forts, d’épinéphrine,
d’antiviraux et également après administration par voie générale
d’antimétabolites comme le fluoro-5 uracil.
Modification de la réfraction, troubles
pupillaires et de l’accommodation :
A - Sympathomimétiques, anticholinergiques,
cholinergiques
:
Leurs effets sont bien connus quand ils relèvent de l’action principale du
médicament comme un spasme d’accommodation induit par un myotique
prescrit pour une hypertonie.
En revanche, l’implication d’un médicament est
à rechercher quand cette action neurovégétative n’est pas liée à son utilisation
en thérapeutique, comme c’est le cas pour les antalgiques morphinomimétiques, les antiparkinsoniens, les antidépresseurs, les
antihistaminiques de type H1, les neuroleptiques dépourvus d’effets
adrénolytiques et les molécules suivantes : disopyramide, isopropamide,
méprobamate, baclofène, prozapine et oximes.
B - Chloroquine :
Une parésie de l’accommodation apparaît en général 2 heures après
l’ingestion d’une dose totale unique de 500 mg.
Elle est transitoire et de
mécanisme inconnu.
C - Sulfamides et autres médicaments
:
Myopie aiguë transitoire sans trouble de l’accommodation et de la motricité
pupillaire.
Historiquement, ce sont les sulfamides antibactériens qui ont
provoqué les premiers cas, décrits en 1939, de myopie aiguë transitoire.
Le
tableau clinique est stéréotypé.
Une myopie bilatérale de 1 à 9 dioptries
s’installe brutalement 1 à 10 jours après la prise du médicament, le plus
souvent chez une femme jeune.
Il n’y a pas de relation entre la posologie et
l’effet myopigène, mais fréquemment une prise initiale « préparante » a eu
lieu avant la prise déclenchante.
La myopie disparaît complètement à l’arrêt
du médicament, dans un délai de 2 à 7 jours.
La myopie résulterait d’un
oedème allergique du corps ciliaire qui relâche la zonule, si bien que le
cristallin augmente d’épaisseur, s’arrondit et se déplace en avant.
Les médicaments actuellement incriminés sont des sulfamides : acétazolamide, chlortalidone, hydrochlorothiazide, sulfaméthoxazole et, plus
rarement : le métronidazole, les tétracyclines, la prométhazine, l’ACTH
(adrenocorticotrophic hormone), l’acide acétylsalicylique, la spironolactone,
la bromocriptine, la quinine et l’isotrétinoïne.
Hypertonies et glaucomes
:
La contre-indication « glaucome » ou « glaucome par fermeture de l’angle »
est celle qui est le plus fréquemment mentionnée dans le dictionnaire Vidal.
A - Glaucome par fermeture de l’angle (GFA)
:
Le problème est de ne pas méconnaître un état anatomique prédisposant au GFAavant de prescrire une substance à effet mydriatique.
Dans une enquête
à propos de 169 crises avérées de GFA, Bechetoille et Carré dénombrent
des facteurs déclenchants médicamenteux dans la moitié des cas : 50 % par
voie générale, 34 % sous forme de collyres utilisés pendant un examen
ophtalmologique et 16 % lors d’administration d’atropine au cours d’une
anesthésie générale.
Beaucoup de médicaments possèdent une action parasympatholytique ou
sympathomimétique, ce sont : les anorexigènes, les anticholinergiques ainsi
que le disopyramide et le néfopam, les antidépresseurs, surtout ceux ayant une
structure chimique tricyclique à action noradrénergique et sérotoninergique,
les antihistaminiques de type H1 essentiellement représentés par le groupe de
l’éthanolamine puis de la phénothiazine et de la propylamine, les antitussifs,
les iridodilatateurs locaux : atropine, homatropine, tropicamide,
cyclopentolate et phényléphrine, les neuroleptiques représentés par les
phénothiazines et les thioxanthènes et les vasoconstricteurs en ophtalmologie
et en otorhinolaryngologie à base d’éphédrine et de ses dérivés ou de
structures du groupe de l’antazoline.
B - Glaucome cortisonique (GC) :
Le test de provocation à la dexaméthasone révèle chez le sujet normal une
élévation de la pression intraoculaire de 6 à 10 mmHg dans 30 % des cas, et
supérieure à 15 mmHg dans 5 %des cas.
Cette susceptibilité de transmission
polygénique et multifactorielle est responsable du GC en raison d’une
accumulation de glycosaminoglycanes dans le trabéculum par déficience de
leur dépolymérisation.
Le GC se présente sous une forme chronique et plus exceptionnellement sous
une forme aiguë à angle ouvert ou pseudocongénitale ou inflammatoire au
cours d’une uvéite.
Il survient plus facilement chez l’enfant et les sujets
atteints d’une myopie supérieure à cinq dioptries, d’un syndrome de
dispersion pigmentaire, d’un diabète, d’un glaucome primitif à angle ouvert
ou d’antécédents glaucomateux.
L’administration locale d’une goutte, quatre
fois par jour, est plus iatrogénique que l’administration par voie générale.
Des
cas ont été rapportés, après traitement prolongé par inhalation ou
pulvérisations nasales.
La dexaméthasone et la bétaméthasone sont les
corticoïdes les plus hypertonisants, alors que la fluorométholone et la
médrysone sont les moins hypertonisants.
À l’arrêt des corticoïdes, le tonus redevient normal en quelques semaines ou
mois si le traitement n’a pas excédé 2 mois.
Pour une durée de traitement
comprise entre 2 mois et 1 an, la normalisation spontanée ne survient que dans
50 % des cas environ et très rarement au-delà de 1 an de traitement.
Il est nécessaire de mesurer le tonus avant de débuter un traitement au long
cours par corticoïdes, puis 4 semaines après.
Si une hypertonie apparaît, la
conduite à tenir sera décidée en fonction du contexte ophtalmologique et
général.
C - Hypertonies oculaires à angle ouvert
en dehors du glaucome cortisonique :
Plusieurs substances provoquent une élévation du tonus oculaire chez des
sujets ayant un angle iridocornéen ouvert.
Ce sont :
– les anticholinergiques : ils augmentent la résistance à l’écoulement de
l’humeur aqueuse par relâchement du trabéculum ;
– la caféine : elle appartient au groupe des méthylxanthines et contrebalance
l’effet des médicaments bêtastimulants adrénergiques ;
– les curares dépolarisants : ils entraînent une élévation du tonus pendant une
dizaine de minutes avant l’effet de curarisation ;
– la kétamine : elle provoque, entre autres, une augmentation transitoire du
tonus oculaire ;
– les prostaglandines : celles utilisées pour déclencher un accouchement ou
un avortement élèvent le tonus pendant 1 à 2 heures avant de l’abaisser de
façon durable pendant 6 à 24 heures.
Cataractes
:
C’est en 1935 que le premier cas de cataracte toxique humaine fut rapporté
avec un anorexigène : le dinitrophénol.
L’opacification iatrogène du cristallin
chez l’homme est rarement démontrée en dehors des corticoïdes et de
quelques autres médicaments, d’autant qu’à partir d’un certain âge, de
nombreux facteurs métaboliques et nutritionnels interviennent également.
A - Amiodarone :
Elle détermine de fins dépôts sous-capsulaires antérieurs blanchâtres sans
retentissement appréciable sur la vision, ce qui ne contre-indique pas la
poursuite du traitement.
B - Anticholinestérasiques :
Seul le collyre à l’iodure d’écothiopate est encore commercialisé, et il peut
engendrer de fines vacuoles sous-capsulaires antérieures puis des opacités
sous-capsulaires postérieures et nucléaires.
C - Antinéoplasiques
:
Le busulfan provoque des opacités sous-capsulaires postérieures chez de
jeunes patients pour une dose totale supérieure à 2 g.
Il en est de même pour
le mitotane.
D - Corticoïdes
:
L’atteinte cristallinienne commence dans la région sous-capsulaire
postérieure et comprend de minuscules opacités blanc jaunâtre séparées par
de petites vacuoles donnant un aspect de conglomérat granuleux rappelant la
« mie de pain ».
Des opacités sous-capsulaires antérieures peuvent
apparaître et dessiner un écusson grisâtre.
La cataracte est plus fréquente en
cas de traitement local oculaire que général et survient aussi après des
inhalations prolongées.
La cataracte est multifactorielle et dépend de la
durée et de la posologie de la corticothérapie, de la susceptibilité du cristallin
et du caractère cataractogène de la maladie traitée.
Elle ne semble pas en
relation avec la nature du corticoïde utilisé.
Le délai d’apparition est très
variable et se situe en moyenne à 1 année pour une dose journalière de 15 mg
de prednisolone ou son équivalent.
Si le traitement est poursuivi, le délai
nécessaire à la constitution d’une cataracte totale oscille de quelques mois à
plusieurs années.
À l’arrêt du traitement, des opacités peuvent encore
apparaître de façon retardée ou bien rester stationnaires, régresser ou évoluer
vers une cataracte totale.
E - Chlorpromazine :
Chef de file des phénothiazines, elle a une action photosensibilisante et
entraîne la formation d’opacités poussiéreuses finement granulaires dans
l’aire pupillaire, d’abord sous la capsule antérieure, puis dans le cortex antérieur adjacent.
Les granules ont une couleur variant du blanc au jaune
brun et se disposent en étoile.
L’atteinte cristallinienne survient
lentement chez 25 % des patients recevant pendant une dizaine d’années au
moins 300 mg/j et elle engendre rarement une baisse de l’acuité visuelle.
La
toxicité des autres phénothiazines n’est pas certaine car elles sont toujours
associées, en cas de cataracte, à la chlorpromazine.
F - Autres médicaments :
L’allopurinol, les contraceptifs oraux, la déféroxamine, l’isotrétinoïne, la
phénytoïne, la pipérazine, les sels d’or, l’oxygène, les rayons ultraviolets A,
lors de PUVAthérapie utilisant le méthoxypsoralène et le mercure
inorganique, ont été signalés à l’origine de quelques cas d’opacités
cristalliniennes lors de posologies élevées et de traitements prolongés.
La bléomycine, le carbutamide, le chlorpropamide, l’indapamide et la
simvastatine font l’objet, à ce jour, d’une simple suspicion.
Rétine et uvée
:
Les atteintes toxiques de la rétine sont nombreuses et variées.
La description
de la rétinopathie chloroquinique est détaillée pour rendre compte, d’une
manière générale, de la progression des lésions, de leur caractère souvent
irréversible et de la nécessité d’effectuer régulièrement une surveillance.
A - Produits responsables :
1- Canthaxanthine :
Elle détermine une rétinopathie en « paillettes d’or » constituée d’une
multitude de fines particules réfringentes, brillantes, de taille variable, de
couleur jaune, qui se répartissent progressivement en un large anneau autour
de la macula dans les couches internes de la rétine.
Le retentissement
visuel est minime, même en cas d’utilisation prolongée.
2- Chloroquine :
Produit de référence des antipaludéens de synthèse, la chloroquine se fixe
dans tous les tissus et notamment les tissus pigmentés en donnant un tableau
de phospholipidose.
La rétinopathie évolue en plusieurs stades. Prémaculopathie avec perte du reflet fovéal et modification de la répartition
du pigment sous forme d’un fin pointillé ou de marbrures.
Stades incipiens traduisant les premiers signes fonctionnels de l’intoxication :
périfovéolopathie pure, altération chromatique d’axe bleu-jaune et souvent
augmentation d’amplitude du tracé électrorétinographique (ERG),
principalement de l’onde a.
Maculopathie confirmée : on note une baisse de l’acuité visuelle avec une
gêne en vision paracentrale, un scotome annulaire entre 2 et 6° de part et
d’autre du point de fixation, une dyschromatopsie d’axe rouge-vert, une
diminution des réponses à l’ERG.
L’épithélium pigmentaire (EP) prend un
aspect finement granuleux, les limites de la macula deviennent floues et
l’aspect en « bave d’escargot » apparaît.
Puis, l’image caractéristique en « oeil
de boeuf » ou en « oeil de queue de paon » se constitue, avec une plage centrale fovéolaire sombre entourée d’une couronne plus claire d’atrophie de l’EP et
d’une deuxième couronne foncée faite de mottes pigmentaires.
L’angiographie révèle les altérations atrophiques par un effet fenêtre périmaculaire à extension péripapillaire.
Rétinopathie évoluée : elle survient en cas de poursuite du traitement, mais
parfois aussi après l’arrêt de celui-ci.
L’héméralopie, le rétrécissement du
champ visuel, l’extinction de l’ERG, précèdent la cécité.
La dépigmentation
s’installe en périphérie rétinienne, puis le calibre des vaisseaux diminue et la
papille s’atrophie.
* Prévention
:
Les règles de prescription sont fondamentales car il n’y a pas de traitement
curatif et la maculopathie est irréversible.
Il est conseillé de ne pas dépasser
4 mg/kg/j.
Ainsi un traitement d’une dizaine d’années est possible avec un
risque faible.
La surveillance ophtalmologique demeure indispensable en raison de la
grande variabilité de la susceptibilité individuelle.
Ses modalités sont toujours
discutées, après un examen initial complet, la surveillance, 2 fois par an,
repose sur l’acuité, la périmétrie statique, le sens chromatique, le fond d’oeil
et, éventuellement, l’ERG et l’angiographie.
3- Hydroxychloroquine :
Elle possède une action anti-inflammatoire et antalgique plus forte que celle
de la chloroquine dans les affections du collagène.
Elle est responsable de
rétinopathies toxiques tout à fait semblables à celles de la chloroquine.
En
respectant une dose maximale de 6,5 mg/kg/j, la sécurité ophtalmologique
est satisfaisante, mais impose la même surveillance qu’avec la
chloroquine.
4- Rifabutine :
De nombreux cas d’uvéite ont été décrits chez des patients sidéens, en
moyenne 65 jours après le début d’un traitement par rifabutine.
C’est une
uvéite antérieure aiguë avec réaction fibrineuse et parfois hypopion.
Elle
régresse avec un traitement local, guérit rapidement à l’arrêt de la rifabutine
et sa pathogénie reste inconnue.
Sa survenue paraît favorisée par
l’association, à la rifabutine, de clarithromycine ou d’autres macrolides et
peut-être aussi de fluconazole.
Il est alors recommandé de réduire les doses
de rifabutine à 6 mg/kg/j.
5- Thioridazine :
C’est la seule des phénothiazines actuellement commercialisées qui induit
avec certitude une rétinopathie dose-dépendante.
Pour une dose quotidienne
de 800 à 1 000 mg, la toxicité se manifeste après un délai de 2 mois environ
par une sensation de coloration brunâtre des objets, une héméralopie, une
baisse de l’acuité visuelle et le développement d’une pigmentation noire au
pôle postérieur, d’aspect granulaire puis nummulaire.
L’évolution à l’arrêt du
traitement est variable, mais souvent défavorable dans les formes étendues
par la constitution d’une atrophie choriorétinienne diffuse.
Avec des doses
quotidiennes inférieures à 800 mg, la rétinopathie est rare mais possible après
1 année d’utilisation, d’où la nécessité d’une surveillance périodique.
6- Vaccin antihépatite B
:
Des cas d’uvéite postérieure bilatérale, d’épithéliopathie en plaques, de
syndrome des taches blanches multiples évanescentes et d’occlusion de la
veine centrale de la rétine sont décrits 3 jours à 6 semaines après une première,
une seconde vaccination ou un rappel.
La campagne de vaccination
contre l’hépatite virale B a été élargie, en 1994, avec comme objectif sa
généralisation, si bien que les conditions de recueil d’effets secondaires
éventuels sont actuellement maximales.
B - Atteintes rétiniennes rares et/ou d’imputabilité douteuse :
Elles ont été rapportées avec les contraceptifs oraux (atteinte des vaisseaux
rétiniens), le fer (rétinopathie pigmentaire à début périphérique), la fluphénazine (oedème maculaire), le méthotrexate (atteinte maculaire), le
méthoxyflurane (lésions punctiformes blanc jaunâtre disséminées), l’acide
nicotinique (maculopathie cystoïde), la D-pénicillamine (altération
épithélium pigmentaire), les produits radio-opaques (embolie artère centrale,
hémorragies), l’association sulfaméthoxazole-triméthoprime (méningite
aseptique, ischémie, uvéite), la trifluopérazine (rétinopathie pigmentaire), le
vigabatrin (pigmentation maculaire), et les collyres à base d’épinéphrine et
de latanoprost (oedème maculaire chez l’aphaque ou pseudophaque de
chambre antérieure) ainsi que ceux à base de myotiques (décollement de
rétine).
Neuropathies optiques
:
Les neuropathies optiques (NO) d’origine médicamenteuse sont
généralement progressives et bilatérales.
Elles touchent électivement le
faisceau central et évoluent souvent vers l’atrophie optique, même si
l’intoxication cesse.
L’atteinte des fibres optiques est, soit directe et de
caractère fréquemment atrophique d’emblée, soit indirecte et souvent
oedémateuse au début.
Le bilan étiologique d’une NO doit systématiquement
rechercher une origine iatrogénique parmi les nombreuses autres causes
possibles.
En effet, beaucoup de substances se sont montrées toxiques envers
le nerf optique et ont été retirées des pharmacopées (bénoxaprofène,
broxyquinoléine, perhexiline...).
A - Produits responsables de neuropathies optiques :
1- Amiodarone :
Un oedème papillaire avec parfois hypertension intracrânienne (HIC) a été
décrit, de même qu’une pâleur de la papille après une durée de traitement
variant de 1 à 72 mois.
L’évolution est le plus souvent favorable.
L’histologie
révèle une accumulation d’inclusions lamellaires intracytoplasmiques,
principalement dans les axones de grand diamètre.
Ces inclusions
correspondraient à une combinaison non dégradable de lipides avec
l’amiodarone, en raison de son amphiphilie, et elles induiraient soit un oedème
papillaire par blocage du flux axoplasmique, soit une NO
rétrobulbaire (NORB).
2- Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
:
Une étude récente de 144 cas possibles rapportés au National Registry of
Drug-Induced Ocular Side Effects rapporte 120 cas de NO antérieures ou
rétrobulbaires et 24 cas d’oedème papillaire associé parfois à une HIC.
On
peut noter que 86 des 144 cas seraient en relation avec l’usage d’AINS de type
arylcarboxylique.
L’imputabilité reste cependant incertaine en raison du
grand nombre de prescriptions et de la possibilité d’une autre étiologie.
3- Clioquinol :
C’est un dérivé de la quinoléine qui actuellement n’est commercialisé que
sous forme de crème en association avec de la cortisone, depuis que sa toxicité
a été reconnue envers le nerf optique et la moelle épinière.
Il a été responsable
de cas deSMONsyndrome (subacute myelo-optico-neuropathy).
Ainsi un
traitement de courte durée est recommandé pour les différentes molécules de
cette famille qui sont toujours utilisées : chlorquinaldol, nitroxoline et surtout
tilbroquinol et tiliquinol.
4- Disulfirame :
L’atteinte optique survient après plusieurs mois de traitement chez des sujets
abstinents par rapport à l’alcool mais toujours tabagiques.
Elle est
réversible.
5- Éthambutol :
L’atteinte est dose-dépendante et le risque est très faible pour des doses de
15 mg/kg/j lorsque la fonction rénale est normale.
L’évolution est le plus
souvent favorable à l’arrêt du traitement avec guérison en quelques mois dans
les cas diagnostiqués précocement.
Les expériences chez le singe ont montré
que la carence en zinc aggrave le risque toxique et que les lésions de type
démyélinisant se développent d’abord au centre du chiasma et s’étendent
ensuite vers les nerfs optiques.
* Prévention :
Le traitement doit comporter une surveillance ophtalmologique.
On évitera
ce produit en cas d’antécédents de NO et on réduira les doses si la fonction
rénale est altérée.
La rigueur sera grande chez les patients alcoolotabagiques,
diabétiques et lors des traitements conjoints par isoniazide, disulfirame, antiinflammatoires
et antipaludéens de synthèse.
L’examen ophtalmologique
précédera le début du traitement en appréciant l’acuité visuelle, la vision des
couleurs, le champ visuel et les fonds d’yeux.
Un deuxième examen sera
réalisé entre le 15e et le 21e jour, puis un troisième au 2e mois, et ensuite tous
les 2 mois.
La survenue de toute modification exige l’arrêt immédiat de ce
médicament.
6- Hexachlorophène :
En raison d’une concentration élevée accidentelle (talc Morhange), il a
provoqué une intoxication de 204 nourrissons et le décès de 36 d’entre eux.
Il
existait des lésions de la substance blanche du système nerveux central (SNC)
et des voies optiques entraînant une HIC et un oedème papillaire.
7- Isoniazide :
La NORB, et rarement un oedème papillaire, surviennent après quelques mois
de traitement et ne sont pas toujours réversibles. Le risque est majoré en cas
de polychimiothérapie, de carence en zinc et chez les acétyleurs dits « lents ».
La vitaminothérapie B6 constitue un moyen efficace de prévention.
8- Vigabatrin :
Des cas de rétrécissement important du champ visuel (CV), dont un avec
pâleur papillaire, sont signalés lors de traitement pendant plus de 2 ans avec
des doses journalières habituellement supérieures à 2 g et en association avec
d’autres antiépileptiques.
L’atteinte du CV reste stationnaire après l’arrêt du vigabatrin.
Il est indiqué actuellement de pratiquer un relevé du CV, un
ERG et des potentiels évoqués visuels (PEV) avant de débuter la prescription
et d’effectuer une surveillance régulière.
9-
Autres produits parfois à l’origine de cas de NO
:
Ils sont nombreux.
Une atteinte de type NORB peut se rencontrer avec l’acétarsol, l’almitrine,
l’antimoine, le chlorpropamide, la ciclosporine, la ciprofloxacine, le
cisplatine, le clomifène, la dapsone, l’ergotamine, les fluorures, les
immunoglobulines, l’interféron alpha, le métronidazole, le minoxidil,
l’ofloxacine, l’oméprazole, la D-pénicillamine, la procarbazine, le
tamoxifène, le thiamphénicol, le vaccin contre l’hépatite B, la vincristine...
Une atteinte oedémateuse avec HIC est parfois imputable à l’aspirine, le chlorambucil, les corticoïdes, le danazol, la griséofulvine, l’isotrétinoïne, la
lévothyroxine, le lindane, le lithium, la minocycline, l’acide
nalidixique, la nitrofurantoïne, la pénicilline, le rétinol ou vitamine A, la
somatropine, la tétracycline.
Motricité oculopalpébrale
:
Leur fréquence est faible et les produits incriminés nombreux.
Il faudra
suspecter une origine iatrogénique, essentiellement dans les situations
suivantes.
Troubles divers
:
1- Insuffisances :
Les insuffisances de convergence, d’accommodation, d’amplitude de fusion,
du réflexe cortical de fusion, ainsi que les troubles de la coordination, la
décompensation d’une hétérophorie, la diplopie intermittente ou non, sont des
déficits en relation principalement avec les psychotropes : flunitrazépam,
méprobamate, phénobarbital, puis avec les antiépileptiques : carbamazépine,
phénytoïne et, plus rarement, avec diverses substances : antibiotiques du
groupe des aminosides, aprindine, bêtabloqueurs, ciclosporine, fluoro-5
uracil, interféron, interleukine, magnésium, quinidine, vinblastine,
vincristine.
S’il y a intoxication ou surdosage, une atteinte dissociée des
muscles oculomoteurs puis une ophtalmoplégie pourront apparaître.
2- Atteinte d’un ou des deux VI :
Celle-ci est secondaire à une HIC idiopathique relevant des médicaments qui
sont mentionnés dans le chapitre des NO.
3- Ptosis :
Il est l’expression, soit d’un syndrome myasthéniforme dû aux antibiotiques
du groupe des aminosides ou des polymyxines, aux bêtabloqueurs, au lithium,
à la D-pénicillamine, au phénobarbital, à la phénytoïne, à la quinidine, soit de
l’action sympatholytique du moxisylyte ou de la réserpine ou soit,
exceptionnellement, d’une neuromyopathie engendrée par la chloroquine, la
vinblastine ou la vincristine.
4- Nystagmus :
Les produits le plus souvent incriminés sont des psychotropes : amitriptyline,
doxépine, lithium, phénobarbital et primidone et des antiépileptiques :
carbamazépine, phénytoïne, acide valproïque.
Les produits utilisés en
cancérologie induisent assez fréquemment un nystagmus, ce sont : le cisplatine, la cytarabine, le fluoro-5 uracil, la procarbazine.
Plus rarement, un
nystagmus est provoqué par l’aprindine, le disulfirame, le flécaïnide, la
méphénésine, la méxilétine, la morphine et la vidarabine.
5- Crise oculogyre :
En dehors de quelques cas rapportés à la carbamazépine et à la lévodopa, ce
tableau de dyskinésie précoce est dû aux psychotropes : lithium, clozapine,
dropéridol, fluphénazine, halopéridol, loxapine, sulpiride et métoclopramide.
Le métoclopramide, qui est un neuroleptique utilisé comme
antiémétique et modificateur du comportement digestif, peut induire
précocement, surtout chez l’enfant, et sans que cet événement soit dosedépendant,
une dystonie aiguë avec rétrocolis.
6- Blépharospasme :
Il fait partie du tableau d’une dyskinésie tardive et on ne retrouve les mêmes
médicaments que pour les crises oculogyres auxquels s’ajoutent, rarement, la
bromocriptine, le disulfirame, le fluoro-5 uracil et la phéniramine.
Syndromes psychovisuels
:
Leur sémiologie est extrêmement riche et l’on en distingue deux groupes
indiqués ci-après.
A - Illusions visuelles :
L’altération de la perception consciente des objets réels se rencontre au cours
des traitements par opiacés, contraceptifs oraux (CO) et piroxicam.
Les CO
ont été incriminés dans la genèse de migraines ophtalmiques.
Les
chromatopsies observées avec le clomifène, les glucosides cardiotoniques et
l’acide nalidixique ont probablement leur origine au niveau de la rétine.
B - Hallucinations visuelles :
De nombreuses substances peuvent en provoquer et le risque représenté
par l’association de divers médicaments actifs sur le système nerveux central
est à souligner.
Les plus souvent en cause sont les psychotropes, les anticholinergiques et les bêtabloqueurs.
Ces deux dernières classes peuvent
engendrer des hallucinations après administration par collyre, notamment
pour les mydriatiques chez l’enfant.
Les autres substances sont : le baclofène,
la bromocriptine, le bromure de pyridostigmine, la ciclosporine, l’époétine
alfa, le ganciclovir, l’isoniazide, la kétamine, la lévodopa, la lidocaïne, la
pénicilline G, la pentazocine, la pipérazine, la ranitidine et la triprolidine.
Cécité corticale :
Elle coexiste fréquemment avec des hallucinations visuelles et peut survenir
au cours de traitements par antinéoplasiques, essentiellement avec le cisplatine, le carboplatine, la vincristine et la vindésine.
Il en est de même avec
la ciclosporine et le tacrolimus et au cours d’examens effectués avec
des produits de contraste iodés.
Tératogenèse
:
Le risque tératogène d’un médicament dans l’espèce humaine a été illustré
par le thalidomide et la chimiothérapie anticancéreuse.
Depuis, des cas ont
été signalés.
La carbamazépine, la phénytoïne, la quinine, la warfarine sont responsables
d’une hypoplasie du nerf optique.
L’acide valproïque, l’isotrétinoïne et la méthadone sont essentiellement
responsables d’une dysmorphie faciale.
Dans une étude couvrant une
période de 36 mois, sept enfants sur 29, nés de mères suivant un « programme
méthadone », présentaient un strabisme.
Le décret n° 95-278 du 13 mars 1995, paru au Journal officiel, charge
les centres régionaux de pharmacovigilance de recueillir les
informations relatives aux effets indésirables des médicaments, quelle
qu’en soit la gravité.
Ce décret fait, de surcroît, obligation légale à tout
médecin de déclarer les effets indésirables graves médicamenteux ou
inattendus.
Cette démarche devrait assurer une plus grande sécurité
d’utilisation des médicaments constituant notre pharmacopée.