Aspects cliniques des leucémies aiguës Cours
d'hématologie
Introduction
:
Les leucémies aiguës (LA) sont des affections malignes caractérisées
par l’accumulation de blastes par blocage du processus normal
d’hématopoïèse.
On distingue en fonction de la lignée atteinte et
selon la classification franco-américano-britannique (FAB) :
– les LA lymphoblastiques (LAL) : L1, L2, L3 (ou de type Burkitt) ;
– les LA myéloïdes (LAM) :
– M0 : LAM indifférenciée ;
– M1 : LA myéloblastique sans maturation ;
– M2 : LA myéloblastique avec maturation ;
– M3 : LA promyélocytaire ;
– M4 : LA myélomonocytaire (et sa sous-variété LAM4 à
éosinophiles) ;
– M5 : LA monocytaire ;
– M6 : érythroleucémie ;
– M7 : LA à mégacaryoblastes.
Exceptionnellement, les cellules malignes peuvent exprimer les
marqueurs des deux lignées ; il s’agit des LA biphénotypiques.
Nous
occulterons dans cet article certaines entités rares comme les LA
à éosinophiles, à basophiles ou à mastocytes et les
leucémies/lymphomes liés au human T-cell lymphoma virus 1.
Les
LA sont des pathologies graves nécessitant une prise en charge
rapide et spécialisée.
Données épidémiologiques :
A - DISTRIBUTION :
La répartition des deux types de LA est diamétralement opposée
entre l’enfant (85 % de LAL et 15 % de LAM) et l’adulte (85 % de
LAM et 15 % de LAL). Globalement, l’incidence des LAM augmente
avec l’âge.
Ainsi, une étude épidémiologique danoise de 1985
retrouvait 0,5 cas/100 000 habitants/an à 4 ans, 4,1 cas à 50 ans et
14,9 cas à 80 ans.
Plus de 50 % des patients atteints de LAM ont
plus de 60 ans.
Dans une étude publiée en 1999 et effectuée aux
États-Unis, on retrouve des résultats superposables d’incidence
spécifique selon l’âge : 3,5/100 000 à 50 ans, 15/100 000 à 70 ans et
35/100 000 à 90 ans.
Le taux de LAM croît de manière exponentielle
après 50 ans et l’âge moyen au diagnostic dans ce pays est de 63
ans.
On peut penser que la fréquence des LAM va être en
progression constante étant donné l’allongement de l’espérance de
vie des populations des pays industrialisés.
La fréquence des LAM3
par rapport aux autres types FAB est significativement plus faible
chez le sujet âgé par rapport aux patients plus jeunes (1,3 % versus
11,7 %).
Les LAM représentent 1,2 % des décès par cancer aux
États-Unis.
Les LAL concernent donc essentiellement l’enfant (pic
entre 1 et 5 ans), représentant l’affection maligne la plus fréquente à
cet âge (30 % des cancers), mais un deuxième pic de fréquence est
observé après 65 ans.
Ce profil suggère la possible existence de deux
types différents de maladie favorisée par des facteurs étiologiques
distincts.
Les LA sont légèrement plus fréquentes chez les sujets de
sexe masculin (sex-ratio autour de 1 pour les LAM et discrète
prédominance masculine dans les LAL) et les cas pédiatriques
représentent environ 10 % de la totalité des malades.
B - FACTEURS FAVORISANTS :
Dans la très grande majorité des cas, les LA surviennent sans
élément étiologique identifiable.
Cependant, on connaît certains
facteurs favorisants qui, bien que rarement retrouvés, sont considérés comme indiscutables : le benzène, les radiations
ionisantes, certaines chimiothérapies et quelques désordres
génétiques ou familiaux.
Ils doivent être recherchés à
l’interrogatoire.
Le benzène représente incontestablement un agent
augmentant le risque de LA.
Les anomalies hématologiques
provoquées par ce toxique ont été décrites dès 1897 et le premier cas
de LA rapporté en 1928.
L’exposition professionnelle benzénique
concernait surtout initialement les travailleurs des industries du
caoutchouc ou de la chaussure, alors qu’actuellement elle est surtout
liée aux métiers en contact avec les hydrocarbures.
Les radiations
ionisantes sont également une cause bien démontrée de LA (et
globalement de tous les types de leucémie, leucémie lymphoïde
chronique exceptée) à partir des populations japonaises victimes de
la bombe atomique, des patients irradiés pour des pathologies
bénignes ou malignes et des pionniers de la radiologie.
L’irradiation
à faibles doses comme lors des radiographies diagnostiques ou
l’exposition in utero constituent des situations pour lesquelles le
risque n’est pas précisément déterminé.
Les résidents vivant à
proximité des sites nucléaires n’ont pas, semble-t-il, un risque majoré
de survenue de LA ; le risque pour le personnel travaillant dans
ces structures est, soit équivalent à celui de la population
générale, soit, dans d’autres études, légèrement augmenté.
Bien
qu’il y ait des publications suggérant un effet possible des radiations
électromagnétiques, en particulier dans les LAL chez des enfants
habitant à proximité de transformateurs électriques ou pour des
LAM chez des adultes exposés sur leur lieu de travail, il n’y a
aucun argument épidémiologique de confirmation à ce jour.
Le
tabagisme, initialement non inclus dans la liste des possibles
facteurs, pourrait légèrement majorer le risque de survenue de
LA.
Sur le plan professionnel, un risque accru de LA (non
constamment retrouvé) a été rapporté chez les travailleurs de
raffineries, les embaumeurs, les peintres, les ouvriers de
papeterie.
Les solvants, certains produits chimiques et les
pesticides ont également été reliés aux LA.
Parmi toutes ces LA
sur situations favorisantes, le cas le plus fréquent en pratique
clinique est la découverte d’une LAM sur un terrain d’hémopathie
préexistante, le plus souvent une myélodysplasie.
Ce cas de figure
(constituant les LAM dites « secondaires ») atteint une fréquence
extrême chez les sujets âgés, ce qui représente une des principales
explications au mauvais pronostic des LA dans cette tranche de la
population.
Sémiologie clinique :
L’ancienneté des troubles est rarement supérieure à 1 mois et le
début est en général assez brutal : fatigue, fièvre présente chez plus
de 50 % des patients.
Un amaigrissement significatif ou des
phénomènes douloureux (excepté au niveau des os) ne font pas
partie en règle du tableau clinique.
Avant de commencer l’examen
clinique à proprement parler, l’évaluation de l’index de performance
selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est
un temps essentiel du fait de sa grande valeur pronostique.
Il est
généralement plus mauvais au diagnostic chez les patients âgés que
chez les plus jeunes (>= 2 dans environ la moitié des cas après 60 ans
contre environ un tiers des cas avant cet âge).
L’âge constitue un
facteur pronostique majeur, autant dans les LAM que dans les LAL.
A - SIGNES EN RAPPORT AVEC L’INSUFFISANCE
DE L’HÉMATOPOÏÈSE :
L’anémie peut s’exprimer par une pâleur, une asthénie, une dyspnée
d’effort, voire de repos, des vertiges, des palpitations, des crises
d’angor et par un souffle systolique fonctionnel à l’auscultation.
Elle
est très fréquente et de profondeur variable.
La neutropénie explique la grande fréquence des infections, se
traduisant souvent par une fièvre avec ou sans foyer cliniquement
décelable.
Les sites cliniques infectieux les plus fréquents sont la
bouche (mucites), la sphère oto-rhino-laryngologique (angines
parfois ulcéronécrotiques), la peau (abcès), la région périnéale et le
poumon.
Le fait caractéristique est la non-régression de ces
manifestations sous antibiothérapie.
Parfois, la fièvre n’est
pas de cause infectieuse, mais spécifique de l’hémopathie, et elle
disparaît après engagement de la chimiothérapie.
La thrombopénie (< 20 X 109/L chez 25 % des patients) peut être
responsable en dessous d’un certain seuil, de purpura, d’ecchymoses
(en particulier aux points de ponction veineuse), de saignements
muqueux, d’épistaxis ou de gingivorragies.
Un tableau
hémorragique est présent chez environ 50 % des patients porteurs
d’une LAL.
Il peut menacer la vie lorsqu’il concerne le tractus
digestif, le poumon, l’appareil génito-urinaire ou le système nerveux
central.
Parfois, le désordre à l’origine de la sémiologie
hémorragique est plus global, lié à une coagulation intravasculaire
disséminée (CIVD), au cours de laquelle des phénomènes
thrombotiques peuvent coexister.
La fréquence des CIVD est extrême
au cours des LAM3.
B - SYNDROME TUMORAL :
Il est la conséquence de la masse tumorale leucémique.
1- Hypertrophie des organes hématopoïétiques
:
Les adénopathies superficielles sont davantage observées dans les LAL, particulièrement chez l’enfant (80 % des cas).
Les adénopathies médiastinales sont très évocatrices de LAL de type T et peuvent
occasionner un syndrome compressif.
Les LAL3 s’accompagnent
fréquemment d’une masse ganglionnaire abdominale de croissance
rapide.
La splénomégalie est un élément commun au
cours des LAL (75 % des cas), surtout de l’enfant, et des LAM (50 %)
dans les variétés monocytaires (une hépatomégalie associée peut
se rencontrer jusque dans 50 % des LAL et un peu moins souvent
dans les types M4 et M5).
Cette hypertrophie de la rate s’observe très fréquemment dans les transformations des syndromes myéloprolifératifs, leucémie myéloïde chronique en particulier, cas
au cours desquels elle peut atteindre un fort volume.
2- Syndrome de leucostase :
Dans les formes hyperleucocytaires des LAM (en pratique pour des
chiffres excédant 100 X 109/L), on peut rencontrer des phénomènes
de leucostase s’exprimant principalement dans la circulation
cérébrale (céphalées, torpeur pouvant aller jusqu’au coma, ataxie,
troubles visuels avec signes au fond d’oeil) et pulmonaire
(hypoxémie, dyspnée, anomalies radiologiques : opacités diffuses
bilatérales).
Ces signes sont la traduction de phénomènes
thrombotiques (occlusion des artérioles cérébrales et pulmonaires
par les agrégats blastiques) ou hémorragiques (en particulier
intracérébraux).
Le syndrome de leucostase concerne environ
10 % des patients et est très rapidement fatal en l’absence de
cytoréduction rapide (chimiothérapie associée aux leucaphérèses).
La rareté du phénomène de leucostase dans les LAL, même à des
taux de lymphoblastes circulants très élevés, s’explique par la plus
petite taille, la plus grande déformabilité de ces cellules et l’absence
de phénomène d’adhésion entre elles, contrairement à ce qui est
observé dans les LAM.
3- Localisations extrahématologiques :
*
Localisation neuroméningée :
L’atteinte du liquide céphalorachidien (LCR) s’observe plus
spécialement dans tous les types de LAL (et à des fréquences
extrêmes dans la LAL3), les LAM à composante monocytaire
(LAM4, LAM4 à éosinophiles, LAM5) et de façon générale en cas
d’hyperleucocytose ou d’élévation importante des
lacticodéshydrogénases (LDH).
Au cours de la LAM4 à
éosinophiles, le risque théorique d’atteinte du LCR ou de localisation
cérébrale atteint 35 %.
Les localisations méningées se rencontrent
plus souvent en rechute qu’au diagnostic, surtout s’il n’y a pas eu
de prophylaxie par injections intrathécales de cytostatiques.
L’expression clinique est variable : signes d’hypertension
intracrânienne (céphalées, nausées, vomissements, oedème papillaire
au fond d’oeil), atteinte des nerfs crâniens, syndrome méningé,
troubles des fonctions supérieures, troubles du comportement
alimentaire (boulimie), signe de la houppe du menton (anesthésie
de la région mentonnière témoignant d’une atteinte de la base).
Néanmoins, la majorité des patients avec atteinte du LCR sont
asymptomatiques.
* Atteinte osseuse :
C’est un élément relativement fréquent dans les LAL de l’enfant
(environ un cas sur cinq) et beaucoup plus rare dans les LAM, sauf
en cas d’acutisation d’un syndrome myéloprolifératif ou
myélodysplasique.
L’atteinte osseuse se traduit par des douleurs
localisées aux os longs ou plus diffuses, spontanées ou provoquées
(pression du sternum).
Lorsqu’elles constituent la manifestation
inaugurale, ces douleurs sont parfois faussement étiquetées douleurs
de croissance, rhumatisme inflammatoire, ostéomyélite....
Lors
des LAL de l’enfant, les radiographies objectivent des signes
évocateurs : les bandes claires métaphysaires.
Le mécanisme causal
inclut une expansion de l’espace intramédullaire ou un
envahissement direct du périoste par les cellules leucémiques.
* Atteintes cutanéomuqueuses :
La présentation prédominante consiste en des nodules ou des
placards violacés multiples, non prurigineux, durs et indolores.
Ils
correspondent histologiquement à une infiltration blastique du
derme.
Ce tableau atteint jusqu’à 10 % des malades porteurs d’une
LAM, en général de type M4 ou M5.
Il est en relation avec une
modification des propriétés d’adhésion des cellules leucémiques et
s’accompagne volontiers d’autres atteintes extramédullaires, en
particulier méningées.
Le traitement associe chimiothérapie
systémique et électronthérapie.
Le syndrome de Sweet se définit cliniquement par l’association
fièvre, neutrophilie et lésions cutanées érythémateuses très
corticosensibles.
Sur la biopsie de peau, on retrouve un infiltrat
dense de neutrophiles matures.
Il peut accompagner ou préfigurer
de plusieurs années la survenue d’une LAM.
Enfin, une autre présentation cutanée possible des LAM est le pyoderma gangrenosum.
L’hypertrophie gingivale est un aspect fréquent et caractéristique des
variétés monoblastiques.
* Atteintes gonadiques :
Elles sont classiquement décrites au cours des LAL de l’enfant.
L’atteinte du testicule (hypertrophie indolore) est beaucoup plus
fréquente que celle de l’ovaire.
Il s’agit d’un tableau clinique
davantage observé en situation de rechute qu’au diagnostic
initial.
* Chloromes ou sarcomes granulocytaires
:
Il s’agit de tumeurs faites de myéloblastes de siège variable : os,
peau, orbite, sinus, tractus digestif ou génito-urinaire...
Elles se
rencontrent dans jusqu’à 3 % des LAM et peuvent soit précéder
l’apparition de la LA de plusieurs mois, soit se manifester de façon concomitante au diagnostic ou comme mode de rechute de
l’hémopathie.
Le terme de chlorome s’explique par la couleur
verdâtre classiquement retrouvée à l’examen histologique
macroscopique.
La prise en charge passe par un traitement
systémique de la LA avérée ou sous-jacente.
L’utilité d’une approche radiothérapique locale doit être discutée au cas par cas.
* Autres atteintes :
D’autres organes peuvent être concernés moins classiquement par le
processus leucémique.
L’atteinte des reins conduisant à une
hypertrophie due à une infiltration blastique corticale n’est pas
exceptionnelle au cours des LAL.
Les LAL T peuvent
s’accompagner d’un épanchement pleural.
Les localisations à l’oeil
sont en général associées avec une localisation méningée.
Toutes ses
parties peuvent être atteintes : nerf optique, choroïde ou rétine.
Cliniquement, il s’agit fréquemment d’anomalies brusques de la
vision. Des infiltrats visibles au fond d’oeil peuvent être rencontrés
lors des LAL.
En cas de thrombopénie, cet examen permet
d’observer des hémorragies.
En fait, des infiltrats blastiques
tumoraux ont été décrits de façon exceptionnelle dans pratiquement
tous les autres sites de l’organisme.
Explorations paracliniques :
A -
HÉMOGRAMME
:
La sémiologie complète comporte une anémie (90 à 95 % des cas) arégénérative généralement normocytaire, une neutropénie, une
thrombopénie (90 % des cas), une blastose et un chiffre variable de
leucocytes : normal (de 15 à 20 % des cas), diminué (25 % des cas)
ou augmenté (de 50 à 60 % des cas).
L’absence de blastes sanguins
est possible et n’exclut pas le diagnostic de LA.
B - CYTOLOGIE ET HISTOLOGIE MÉDULLAIRES :
L’examen clé est le myélogramme, qui met en évidence une
infiltration blastique supérieure à 30 %, définissant le diagnostic de
LA.
Plus récemment, la classification de l’OMS a établi ce seuil à
20 % incluant l’entité « anémie réfractaire avec excès de blastes en
transformation ».
La moelle est en général hypercellulaire, mais
des aspects hypoplasiques, voires aplasiques, ne sont pas
exceptionnels.
L’aspiration du suc médullaire est parfois
impossible (dry tap) en cas de fibrose.
Ce cas de figure est fréquent
lors de la LAM de type mégacaryoblastique (LAM7).
La réalisation
d’une biopsie médullaire est alors impérative.
La nécrose médullaire
est rare ; son rôle pronostique est discuté.
C - CYTOCHIMIE :
Les études cytochimiques complètent l’interprétation purement
cytologique.
Les colorations de routine concernent essentiellement
deux types d’activités enzymatiques : les myéloperoxydases,
caractéristiques des LAM, et les estérases qui sont positives sur les
cellules granuleuses et monocytaires.
D - IMMUNOTYPAGE :
L’immunotypage des blastes de LAM par cytométrie de flux apporte
des éléments diagnostiques et pronostiques importants.
Le
caractère B (et son degré maturatif) ou T correspond à des entités
cliniques bien définies dans les LAL.
Ainsi, par exemple, la LAL B
mature ou LAL3 se caractérise par une prédominance masculine
marquée (83 % des cas) et un jeune âge de survenue (66 % des
patients ont moins de 35 ans).
Les atteintes cliniques possibles sont :
des adénopathies (77 %), s’exprimant souvent sous forme de masses
tumorales de croissance très rapide et de siège abdominal, une
localisation neuroméningée (9 %), une masse médiastinale (3 %) et
un envahissement osseux ou rénal.
Les LAL T représentent 10 à
15 % des LAL et sont plus fréquentes dans le sexe masculin (environ
trois quarts des cas).
Elles s’associent à une hyperleucocytose
supérieure à 30 X 109/L chez deux tiers des malades, à un
élargissement médiastinal (50 % des cas) et à une atteinte du LCR
(15 %).
E - CYTOGÉNÉTIQUE ET BIOLOGIE MOLÉCULAIRE :
Le caryotype est devenu un examen obligatoire dans toute LA car il
constitue un des plus puissants facteurs pronostiques.
Ses résultats,
qui doivent être obtenus suffisamment tôt, permettent de déterminer
certaines entités pathologiques et d’engager une thérapeutique plus
spécifique.
Ainsi, dans la LA à promyélocytes (LAM3),
on retrouve presque toujours la t (15;17) qui s’associe en règle à une
sensibilité à l’acide tout-trans rétinoïque, alors que les rares formes
avec t (11;17) sont résistantes à cet agent.
L’inversion du
chromosome 16 est associée aux LAM4 à éosinophiles.
La t (8;21) se
retrouve typiquement dans les LAM2 (localisations extramédullaires
fréquentes, très bonne évolution avec une consolidation par
cytarabine à hautes doses).
Ces trois entités appartiennent à un sousgroupe
pronostique très favorable : forts taux de réponse et
fréquence faible de chimiorésistance, ce qui permet de ne pas
proposer systématiquement une allogreffe en première rémission
complète à ce type de patients.
Certaines anomalies cytogénétiques
peuvent orienter vers un diagnostic de LAM secondaire comme, par
exemple, les délétions touchant les chromosomes 5 ou 7 (alkylants),
l’anomalie 11q23 (inhibiteurs de la topo-isomérase II) ou de manière
plus générale tous les remaniements complexes.
Ces
remaniements défavorables s’observent de façon croissante avec
l’âge.
Globalement, la présence d’anomalies clonales est détectée
dans 50 à 90 % des LAM.
Concernant les LAL, l’hyperdiploïdie
confère un bon pronostic (30 % des cas chez l’enfant, seulement 9 %
chez l’adulte).
À l’inverse, la t (9;22) ou chromosome Philadelphie
(Phi) est un élément de connotation pronostique très péjorative.
Sa
fréquence augmente avec l’âge : de 3 % environ dans les séries
pédiatriques, elle s’élève à 40 % chez les adultes. Pour ces cas,
une guérison ne peut être espérée à l’heure actuelle qu’avec une
greffe allogénique de cellules souches.
L’étude cytogénétique est
avantageusement complétée dans certains cas par les techniques de
biologie moléculaire (amplification par polymérisation en chaîne ou
hybridation in situ par fluorescence).
F - CULTURES DE PROGÉNITEURS ET RECHERCHE D’UN
PHÉNOTYPE DE RÉSISTANCE À LA CHIMIOTHÉRAPIE
:
Les cultures de moelle et la détermination du phénotype multidrug resistance (MDR) sont effectuées par certaines équipes
et utilisées à but pronostique.
G - ÉTUDE DU LIQUIDE CÉPHALORACHIDIEN :
La ponction lombaire est impérative dans tous les cas de LAL,
lorsqu’il existe des signes cliniques évocateurs et lors des LAM
hyperleucocytaires ou de type M4 ou M5.
Dans les autres types de LAM, elle est pratiquée plus ou moins systématiquement selon les
centres.
Elle permet de faire l’injection intrathécale de cytostatiques.
L’étude cytologique est complétée par des analyses biochimiques,
dont le dosage de la protéinorachie (majorée en cas d’atteinte
spécifique) et de la glycorachie.
La cytocentrifugation permet de
sensibiliser la recherche de cellules malignes dans le LCR.
Il est
théoriquement conseillé d’effectuer la ponction lombaire après la
disparition des blastes sanguins sous chimiothérapie pour éliminer
la possibilité de contamination du LCR par les cellules leucémiques.
H - BILAN D’HÉMOSTASE :
La CIVD est quasi constamment observée dans les LAM3, mais tous
les types, en particulier les LAL et LAM4 et 5, peuvent en
comporter.
Elle se caractérise par une baisse du fibrinogène, des
plaquettes, de certains facteurs de la coagulation et la présence de
complexes solubles.
L’acide tout-trans rétinoïque permet en règle
un contrôle rapide de ce problème au cours des LAM3. Dans les
autres types cytologiques, le clinicien peut utiliser, selon les cas, les
transfusions de plaquettes, le plasma frais, les faibles doses
d’héparine ou les concentrés d’antithrombine III.
I - DOSAGES BIOCHIMIQUES :
Ils permettent de déceler des anomalies métaboliques :
hyperkaliémie (en cas d’acidose et dans les formes
hyperleucocytaires) ou hypokaliémie (tubulopathie au lysozyme) ;
acidose lactique ; augmentation du lysozyme sanguin et urinaire,
reflet de l’inflation du pool monocytaire ; hyperuricémie (reflet de
l’hypercatabolisme cellulaire et possible cause, d’emblée ou suite au
traitement cytoréducteur, de néphropathie lorsque le pool
leucémique est important avec une cinétique proliférative élevée
[LAL3 en particulier]).
Le taux de LDH constitue un élément
pronostique dans les LAM et dans les LAL [29].
De fausses
hypoglycémies sont possibles en cas de forte blastose.
J - RADIOGRAPHIE PULMONAIRE :
Elle est obligatoire pour déceler un élargissement médiastinal,
présent chez 70 % des patients atteints de LAL T, des signes de
leucostase en cas de forte hyperleucocytose, des images d’infection...
K - AUTRES EXPLORATIONS :
*
Bilan immunohématologique :
Un groupe sanguin complet en prévision des inévitables
transfusions et un typage human leukocyte antigen dans l’optique
d’une possible allogreffe de cellules souches hématopoïétiques sont
indispensables.
* Bilan microbiologique
:
En cas de fièvre, le patient doit subir les prélèvements selon les
données cliniques et, de façon systématique, une batterie
d’hémocultures.
* Bilan cardiaque :
L’électrocardiogramme et l’échocardiographie sont indispensables,
surtout avant prescription d’anthracyclines.
Quelques formes cliniques
particulières :
A - FORMES PAUCI- OU ASYMPTOMATIQUES :
Elles sont par exemple découvertes fortuitement à la suite d’un
hémogramme dit « de routine ».
Dans certains cas de LAM, en
général chez des sujets âgés, on peut rencontrer un tableau
relativement peu menaçant faisant parler de LA indolentes
(smouldering leukemias des publications de langue anglaise).
Ces
patients ont en général un bon index de performance, une absence
de forte hyperleucocytose ou de thrombopénie et un relativement
faible taux de blastes médullaires et sanguins.
Dans ces situations,
des survies prolongées de bonne qualité peuvent être observées en
l’absence de tout traitement spécifique.
B - LEUCÉMIES AIGUËS LYMPHOBLASTIQUES
DU NOURRISSON
:
Il s’agit de formes graves, heureusement peu fréquentes, se
présentant en général avec un fort syndrome tumoral
(hépatosplénomégalie), une hyperleucocytose marquée, une atteinte
neuroméningée, des altérations chromosomiques péjoratives
(translocations impliquant les loci 11q23 ou 9p21-22) et une
chimiorésistance.
C - LEUCÉMIES AIGUËS CHEZ LA FEMME ENCEINTE
:
Cette situation difficile, assez rare, implique différentes approches
selon l’âge de la grossesse.
Si cette dernière en est à son début (en
pratique au premier trimestre), une interruption est en règle
proposée afin de pouvoir mettre en oeuvre la chimiothérapie
d’induction potentiellement toxique pour le foetus.
Au cours du
deuxième trimestre, il faut discuter au cas par cas, le risque
tératogène étant beaucoup moins marqué et la thérapeutique antileucémique pouvant être effectuée tout en maintenant la grossesse.
Enfin, au troisième trimestre, il faut, en fonction du
contexte clinique, soit différer la chimiothérapie après
l’accouchement, soit le déclencher pour pouvoir commencer
rapidement l’induction.
En aucun cas un traitement sous-optimal ne
doit être proposé à ces femmes jeunes dont la maladie est
potentiellement curable.
La grossesse ne semble pas
significativement modifier le profil évolutif des LA.
Des cas
exceptionnels de transmission de la LA de la mère au foetus ont été
rapportés.
Diagnostic différentiel :
Le diagnostic de LA est en général facile pour un couple clinicien-
/biologiste compétent.
Nous citerons néanmoins les diagnostics
différentiels énumérés classiquement dans les ouvrages
d’hématologie.
Lorsque le tableau associe au premier plan
adénopathies, splénomégalie, asthénie, fièvre associées ou non à des
anomalies de la formule sanguine, il faut distinguer les infections
virales type mononucléose infectieuse (virus d’Epstein-Barr) ou
cytomégalovirose d’une LAL et savoir reconnaître une leishmaniose
viscérale.
En cas d’hépatosplénomégalie et d’hyperleucocytose, les
données de l’hémogramme permettent d’éliminer les syndromes
myéloprolifératifs et lymphoprolifératifs chroniques.
Lorsque ce
syndrome tumoral est isolé, il ne doit pas être confondu avec une
pathologie métabolique (maladie de Gaucher).
Les LA à tableau pancytopénique doivent être différenciées des aplasies médullaires.
Le cytologiste averti distingue aisément les métastases médullaires
de tumeurs solides (neuroblastome en particulier) d’une LAL.
Le
syndrome myéloprolifératif néonatal transitoire des trisomiques 21
(réaction leucémoïde) régresse spontanément en quelques semaines
ou mois, mais peut déboucher rarement sur une authentique
LAM.
Enfin, certains lymphomes malins, en particulier lymphoblastiques ou de type Burkitt avec atteinte médullaire,
peuvent être impossibles à distinguer de leurs équivalents
leucémiques.
Ceci n’est pas gênant étant donné l’absence de réelles
différences thérapeutiques en pratique.
Prise en charge :
Le diagnostic de LA impose l’hospitalisation rapide du patient dans
un service spécialisé en hématologie.
Les modalités thérapeutiques
vont être déterminées selon les caractéristiques du patient (âge,
index de performance, comorbidité, avis du patient ou de son
entourage) et de la maladie (caractéristiques cytologiques,
génétiques ou moléculaires).
Très globalement, les
pourcentages de survie à 5 ans des différents types de LA sont les
suivants :
– LAL de l’enfant : de 65 à 75 % ;
– LAL de l’adulte : de 20 à 35 % ;
– LAM de moins de 55 ans : de 40 à 60 % ;
– LAM de plus de 55 ans : 20 %.
Le traitement de référence de première intention d’une LA inclut
une chimiothérapie dite d’induction.
Elle est suivie par une phase
de consolidation ou d’entretien, ou la pratique d’une allo- ou
autogreffe de cellules souches.
Chez certains sujets (patients âgés), il
n’est proposé parfois qu’une approche plus palliative
(chimiothérapie moins intensive ou prise en charge transfusionnelle
seule).
A - PRÉPARATION AU TRAITEMENT :
1- Information du malade
:
Le risque létal lié à la révélation du diagnostic de LA est en général
bien connu des malades et de leurs familles, et le choc
psychologique engendré par cet événement peut nécessiter le
concours d’une équipe spécialisée dans le soutien.
Un grand nombre
de patients atteints de LA sont inclus dans des essais cliniques et, à
ce titre, le thérapeute a l’obligation légale d’obtenir de leur part un
consentement éclairé signé (loi Huriet).
De toute façon, une
information intelligible concernant le diagnostic, les modalités
thérapeutiques, les conditions du séjour hospitalier doivent être
fournies.
On se doit de mettre l’accent sur les effets secondaires
possibles des chimiothérapies et des transfusions à court ou à long
terme.
2- Pose d’une voie veineuse centrale :
Celle-ci permet d’effectuer les transfusions de produits sanguins,
l’administration de la chimiothérapie et des différents traitements
(antibiotiques, antiémétiques...) et la pratique de divers
prélèvements sanguins (bilans, cytaphérèses).
B - SUIVI CLINIQUE DU PATIENT SOUS CHIMIOTHÉRAPIE :
Un examen clinique biquotidien complété par des contrôles
biologiques réguliers est effectué par l’hématologiste dans une
chambre « protégée », dans l’idéal chambre à flux laminaire.
Avant
l’instauration de l’aplasie, il est important de dépister tout foyer
infectieux latent, sans oublier la région périnéale.
Un syndrome de
lyse peut se rencontrer dans certains cas de LA de
cinétique rapide (LAL3) ou hyperleucocytaires par développement
rapide d’une hyperuricémie (risque d’insuffisance rénale aiguë),
d’une hyperkaliémie (risque d’arythmie) et d’une
hyperphosphatémie avec hypocalcémie (arythmie, crampes
musculaires).
La prévention de cette complication passe par une
abondante et précoce hydratation intraveineuse mise en place avant
la chimiothérapie et par l’utilisation d’hypo-uricémiants.
Chez les
femmes en période d’activité génitale, il convient de prescrire une
hormonothérapie ayant comme double objectif une efficacité
anticonceptionnelle et le blocage des déperditions sanguines
menstruelles et des possibles métrorragies dans un contexte de
thrombopénie.
La prise en charge de l’aplasie fébrile des patients
traités par chimiothérapie comprend en premier lieu la mise en place
d’une antibiothérapie à large spectre, puis éventuellement la
prescription d’antifongiques ou d’antiviraux selon le contexte
clinique, radiologique ou microbiologique.
Le support transfusionnel
de la période d’aplasie inclut la pratique de transfusions de culots
globulaires en cas d’anémie (seuil aux alentours de 8 g/dL) et de
concentrés plaquettaires en situation de thrombopénie (<= 10 X 109/L).
Il convient de prévenir, de surveiller et de corriger si
nécessaire les effets iatrogènes des chimiothérapies (mucites, nausées
et vomissements, alopécie, neuropathies, toxicités viscérales, rénales
et hépatiques principalement).
Les hémorragies intra-alvéolaires
peuvent apparaître de façon relativement fréquente dans un contexte
de thrombopénie et/ou d’anomalies de l’hémostase associé à une
leucostase pulmonaire ou à des lésions alvéolaires infectieuses
(Aspergillus surtout) ou toxiques (chimio- ou radiothérapie).
La
sémiologie comporte dyspnée et toux évoluant spontanément vers
la détresse respiratoire ; on note une hypoxémie accompagnée d’une
chute brutale du taux d’hémoglobine.
La radiographie pulmonaire
objective des infiltrats alvéolo-interstitiels d’importance variable
pouvant aller jusqu’au poumon blanc.
Le diagnostic peut être
confirmé par la mise en évidence de sidérophages sur le liquide de
lavage bronchoalvéolaire.
L’entérocolite nécrotique fulminante est
une complication liée à la granulopénie et à certaines
chimiothérapies (aracytine à fortes doses notamment) observée chez
jusqu’à 10 % des patients sous thérapeutiques intensives.
Elle se
traduit par une fièvre, des douleurs et un ballonnement de
l’abdomen.
Le pronostic est sévère.
C - SURVEILLANCE POST-TRAITEMENT :
Elle a comme double but la détection des rechutes et la mise en
évidence d’effets secondaires à long terme des thérapeutiques.
Outre
la possibilité, de loin la plus fréquente, de rechute médullaire, il
convient de souligner au cours des LAL l’apparition possible de
rechutes au sein de sites dits « sanctuaires » car situés à l’abri des
traitements systémiques chimiothérapiques.
La rechute neuroméningée peut se traduire par des signes d’hypertension
intracrânienne, une paralysie des nerfs crâniens, des troubles
ophtalmologiques, des anomalies du comportement.
Les patients à
haut risque sont les malades atteints de LAL3, porteurs d’un
chromosome Phi, avec un taux élevé de LDH, une hyperleucocytose
marquée ou un fort index prolifératif.
Les testicules sont un site de
rechute chez quelques garçons porteurs de LAL.
Il s’agit en général
d’un gros testicule indolore. Une biopsie est nécessaire pour
confirmer le diagnostic.
Cette atteinte représente souvent un prémice
de rechute systémique.
Les principales toxicités tardives des
traitements antileucémiques peuvent toucher le coeur (arythmies et
cardiomyopathies liées aux anthracyclines, insuffisance coronarienne
due à la radiothérapie), le poumon (fibrose), le système endocrinien
(retard de croissance, hypothyroïdie, insuffisance gonadique et
infertilité), le rein (réduction du degré de filtration glomérulaire),
l’oeil (cataractes favorisées par l’irradiation corporelle totale lors des
conditionnements de greffes).
On se doit de souligner
malheureusement la possibilité d’apparition de leucémies
secondaires ou de tumeurs solides chez des patients considérés
comme guéris.
Les séquelles neuropsychologiques rencontrées chez
les malades à distance de la longue et difficile période thérapeutique
ne sont pas à mésestimer (troubles intellectuels, phénomènes anxiodépressifs reliés principalement à la crainte de la rechute).
Ils
sont une cause importante des difficultés d’insertion
socioprofessionnelle rencontrées par certains enfants, adolescents ou
adultes jeunes.
L’ensemble de ces éléments plaide en faveur d’un
suivi prolongé et régulier des patients traités pour LA.