Antivitamines K : utilisation pratique Cours
d'hématologie
Introduction
:
En attendant l’avènement d’autres molécules actives par voie orale
sur la coagulation, les traitements par les antivitamines K (AVK) ont
connu un regain d’intérêt, depuis qu’il est possible de mieux les
surveiller par l’international normalized ratio (INR) et qu’il a été
montré que, dans la majorité des indications, un traitement
d’intensité modérée (INR 2-3) était suffisant.
Plus des deux tiers des
indications relèvent de la cardiologie (valvulopathies, troubles de
rythme, syndromes coronariens), tandis que moins de 20 % relèvent
de la pathologie veineuse thromboembolique.
Dans les indications
relevant de la cardiologie, le traitement est prescrit souvent pour
une très longue durée, voire à vie.
Dans les indications pour
pathologie veineuse thromboembolique, le traitement est
généralement plus court, schématiquement de 3 mois à 1 an.
On
estime généralement qu’environ 1 % de la population française
bénéficie d’un traitement par les AVK, soit environ 600 000 patients.
L’allongement de l’espérance de vie et la grande fréquence des
troubles du rythme cardiaque chez le sujet âgé suggèrent que ce
nombre augmentera dans un proche avenir.
Dans la grande majorité
des cas, le traitement est prescrit par un spécialiste, mais sa conduite
pratique et sa surveillance sont assurées par le médecin généraliste
en collaboration avec un laboratoire d’analyse médicale de
proximité.
Les AVK sont caractérisées par une fenêtre thérapeutique
étroite et l’équilibre thérapeutique, parfois difficile à obtenir, s’avère
souvent précaire.
Malgré leur apparente facilité d’utilisation, ces
molécules demeurent d’un maniement difficile.
Pharmacologie des AVK :
A -
RÔLE DE LA VITAMINE K DANS LA SYNTHÈSE
DES FACTEURS DE LA COAGULATION ET MÉCANISME
D’ACTION DES MÉDICAMENTS ANTIVITAMINES K
:
La vitamine K intervient au stade post-ribosomique de la synthèse
de quatre facteurs de la coagulation, les facteurs II, VII, IX et X et de
deux inhibiteurs, la protéine C et la protéine S.
La vitamine K est un
cofacteur de la carboxylase qui transforme une dizaine de molécules
d’acide glutamique de l’extrémité NH2 terminale de la chaîne glycoprotéique de chacun de ces facteurs en acide
gammacarboxyglutamique, et permet ainsi la fixation des facteurs
de coagulation sur les surfaces catalytiques phospholipidiques via
l’ion calcique.
En l’absence de vitamine K, les facteurs ne sont pas gammacarboxylés et ne peuvent pas se fixer sur ces surfaces qui
sont nécessaires aux interactions des facteurs de la coagulation.
En
conséquence, la vitesse de la coagulation est ralentie.
La vitamine K est d’une part fournie par l’alimentation et d’autre
part synthétisée dans l’intestin par les bactéries saprophytes. C’est
une vitamine liposoluble, absorbée en présence de bile, qui parvient
au foie par le système porte.
On peut observer une carence en
vitamine K par défaut d’apport alimentaire, de synthèse endogène
(traitements antibiotiques oraux au long cours stérilisant la flore
microbienne saprophyte et troubles du transit intestinal) et
d’absorption (ictères par rétention en raison de l’absence de passage
de bile dans le tube digestif).
Pour jouer le rôle de cofacteur de la carboxylase hépatique, la
vitamine K doit être sous forme réduite alors que la vitamine K
naturelle est oxydée.
Les AVK empêchent ce mécanisme de
réduction de la vitamine K en inhibant l’activité de deux enzymes,
la vitamine K époxyréductase et la vitamine K réductase.
B - PHARMACOCINÉTIQUE ET PHARMACODYNAMIE :
L’absorption des AVK par le tractus digestif est presque intégrale.
La concentration plasmatique maximale est atteinte 2 à 6 heures
après l’absorption orale. Plus de 97 % des AVK absorbées circulent dans le plasma liés à l’albumine.
Cette forme liée est pharmacologiquement inactive.
Seule la forme libre est active, et va
gagner les cellules hépatiques où elle exerce son action inhibitrice
sur la vitamine K époxyréductase et la vitamine K réductase.
Lorsque la concentration de la forme libre diminue, une partie de la
forme liée à l’albumine s’en dissocie et devient active.
Ce mécanisme
de libération progressive à partir d’un réservoir explique en partie
l’effet prolongé des AVK.
Lorsque le niveau plasmatique de
l’albumine est abaissé (patient âgé ou dénutri), la quantité d’AVK
nécessaire à l’équilibre thérapeutique est moindre.
De même, tout
médicament déplaçant cette liaison à l’albumine a un effet potentialisateur.
L’élimination des AVK s’effectue après conjugaison
au niveau des mono-oxydases hépatiques, puis excrétion au niveau
rénal et hépatique.
Il existe plusieurs catégories d’AVK qui diffèrent par leur nature
chimique.
Le délai et la durée d’action de ces molécules sont
fonctions de la rapidité de leur absorption, de leur degré de liaison
à l’albumine plasmatique, de leur affinité pour le récepteur
hépatique et de la rapidité de leur catabolisme.
Il existe des
anticoagulants à demi-vie courte et des anticoagulants à demi-vie
longue.
Le délai d’action des AVK résulte également de la demi-vie propre
de chacun des facteurs dont la synthèse dépend de la vitamine K.
Ainsi le facteur VII et la protéine C dont les demi-vies sont courtes
(environ 6 heures) seront les deux premiers facteurs dont l’activité
diminue, tandis que la prothrombine (facteur II) dont la demi-vie
est beaucoup plus longue (72 heures) est le dernier facteur dont le
taux diminue.
L’activité antithrombotique des AVK serait
principalement liée à l’effet sur la prothrombine.
En général, on
estime qu’après administration ou modification d’une posologie
d’AVK, une situation stable ne sera atteinte qu’après quatre à cinq
demi-vies.
Pour le facteur II, le nouvel équilibre ne sera atteint
qu’après plus de 1 semaine.
La latence d’action étant surtout liée à la demi-vie des facteurs de
coagulation, un AVK à demi-vie courte ne sera pas beaucoup plus
rapidement efficace qu’un AVK à demi-vie longue.
La réversibilité
de l’action dépend à la fois de la demi-vie d’élimination du
médicament utilisé et de celle des facteurs vitamine K dépendants.
L’arrêt de la prise d’un AVK à demi-vie courte entraîne une
réversibilité d’action plus courte que pour les AVK à demi-vie
longue.
Cependant, en cas d’accident hémorragique, l’administration
de vitamine K1 permet facilement de neutraliser l’action de l’AVK.
Le délai de réversibilité spontanée n’est donc pas un critère de choix
en faveur des AVK à demi-vie courte.
Bien qu’il n’y ait que peu de
données cliniques permettant de recommander systématiquement le
choix des AVK à demi-vie longue, il existe un assez large
consensus professionnel pour considérer qu’ils permettent une
meilleure stabilité du traitement.
Différents types d’AVK
et leur posologie
:
Les AVK appartiennent à deux grandes classes : les coumariniques
(Sintromt, Apegmonet, Coumadinet) et les dérivés de
l’indanedione (Pindionet, Préviscant).
La posologie conseillée pour les AVK dépend des médicaments
utilisés et de la sensibilité du malade au médicament.
Cette sensibilité est imprévisible, et la posologie doit être étroitement
ajustée en fonction des résultats biologiques de surveillance propres
à chaque malade.
Facteurs influençant l’efficacité
d’une même dose d’AVK :
L’importance de la diminution de l’activité biologique des facteurs
vitamine K dépendants résulte d’un équilibre entre la vitamine K et
l’AVK au niveau de l’hépatocyte.
Pour une même dose d’AVK, tout
facteur susceptible de modifier le cycle normal de la vitamine K et
d’en diminuer la quantité absorbée devient un facteur de surdosage.
Inversement, une alimentation riche en légumes verts, source
importante de vitamine K, peut entraîner une résistance au
traitement.
Un grand nombre de médicaments interfère avec le métabolisme et
la pharmacocinétique des AVK.
Certains les potentialisent, tandis
que d’autres diminuent leurs effets.
A - IMPORTANCE DE L’ALIMENTATION :
L’effet anticoagulant des AVK varie avec la quantité de vitamine K
ingérée quotidiennement.
Certains aliments sont particulièrement riches en vitamine K (laitue, épinards, choux [choucroute], chouxfleurs,
choux de Bruxelles, tomates, carottes, avocats, brocolis, foie,
etc).
La consommation de ces aliments est certes autorisée mais avec
modération.
Il est important de conserver un régime alimentaire
équilibré et constant dans le temps, de manière à assurer un juste
équilibre avec l’action de l’AVK.
Il faut être conscient également de
la teneur en vitamine K de certaines préparations de phytothérapie,
des cocktails polyvitaminés, de certaines préparations utilisées pour
la nutrition parentérale.
Pour mémoire, il a été observé que, pendant
l’été, il était souvent nécessaire d’augmenter la dose d’AVK,
probablement en raison d’une ingestion plus importante de légumes
verts.
En revanche, l’alcool doit être consommé avec modération.
B - FACTEURS HÉRÉDITAIRES :
Certains sujets présentent un polymorphisme au niveau du
cytochrome P450CYP2C9 métabolisant la warfarine, qui les rend
hypersensibles à cette molécule en raison d’une réduction de son
catabolisme.
Inversement, il a été observé de rares cas de résistance héréditaire
aux AVK.
Une résistance aux AVK se définit par l’impossibilité
d’obtenir une hypocoagulabilité pour des doses trois fois
supérieures à la dose habituellement utilisée pour obtenir un
équilibre thérapeutique.
Devant une résistance, il convient tout
d’abord :
– de s’assurer de la prise effective de l’AVK. En effet, le défaut
d’observance est une cause très fréquente de résistance au
traitement ;
– de rechercher un apport alimentaire très important en vitamine K :
consommation en quantité importante de certains aliments riches
en vitamine K, régime amaigrissant à base de légumes verts, gélules
de phytothérapie, gélules polyvitaminées, administration récente
d’une grande quantité de vitamine K1 pour traiter un surdosage en
AVK, etc ;
– de rechercher la prise d’un médicament inhibiteur ou de gélules
de phytothérapie en automédication (millepertuis utilisé comme
antidépresseur léger) ;
– d’avoir connaissance d’une résection intestinale étendue qui
diminue l’absorption des AVK.
Ce n’est qu’ensuite que l’on peut envisager une résistance génétique,
primitive, survenant d’emblée dès le début du traitement, ou
secondaire, après une période plus ou moins longue.
On peut alors
augmenter les doses d’AVK jusqu’à trois fois la dose habituelle.
En
cas d’échec, il faut changer de famille chimique.
Le diagnostic de
résistance génétique sera facilité par l’existence de cas similaires
dans l’entourage familial.
Parfois, la résistance apparaît au cours du traitement.
Le changement
de molécule permet généralement de récupérer une sensibilité
thérapeutique.
C - ÂGE :
La dose d’AVK nécessaire chez le sujet de plus de 60 ans décroît
avec l’âge, probablement en raison de la diminution du catabolisme
des AVK.
La stabilité du traitement peut être perturbée par les
pathologies intercurrentes et le grand nombre de médicaments
souvent associés.
D - INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES :
Les interactions médicamenteuses sont une cause très fréquente de
déséquilibre ou d’accident chez les patients sous AVK. Un grand
nombre de médicaments interfère avec la pharmacocinétique des
AVK.
Certains les potentialisent, tandis que d’autres diminuent leurs
effets.
Les médicaments les plus dangereux sont ceux qui déplacent
la liaison de l’AVK à l’albumine, augmentant brutalement la fraction
pharmacologiquement active.
En pratique, cette liste est loin d’être exhaustive, et elle
est difficile à mettre à jour en raison de l’apparition de nouveaux
médicaments.
Ainsi, toute modification thérapeutique (introduction,
changement de posologie ou arrêt d’un autre médicament ou d’une
phytothérapie) doit faire contrôler l’INR 3 à 4 jours après. Toute
nouvelle prescription doit conduire le praticien à consulter le cahier
des interactions médicamenteuses édité par le dictionnaire Vidalt.
Pour les associations déconseillées, quand elles ne peuvent
absolument pas être évitées, et pour celles nécessitant des
précautions d’emploi, le rythme de contrôle de l’INR doit être plus
rapproché pendant toute la durée de l’association et quelques jours après son arrêt, afin d’adapter les doses d’AVK
en conséquence.
Une centaine de spécialités pharmaceutiques contient de
l’aspirine sans que cette mention apparaisse clairement pour le
patient.
Ainsi pour toutes ces raisons, il faut expliquer au patient que
toute automédication est fortement déconseillée.
Surveillance biologique du traitement :
A - CONDITIONS PRÉANALYTIQUES :
La mesure du temps de Quick, converti en INR, est réalisée sur
plasma.
Le sang est prélevé dans un tube contenant du citrate de
sodium ou le mélange CTAD (citrate, théophilline, adénosine,
dipyridamole) qui s’oppose à l’activation plaquettaire.
Les
recommandations internationales conseillent d’utiliser du citrate
0,109 M ou 0,105 M au lieu du citrate 0,129 M, parce que l’ensemble
des réactifs utilisés est calibré à l’aide de plasmas recueillis sur
citrate de faible molarité.
Le tube doit être parfaitement rempli (neuf
volumes de sang pour un volume de citrate) pour éviter une
dilution excessive par la solution anticoagulante, ce qui aurait pour
effet d’augmenter l’INR : ce dernier est modifié lorsque le
remplissage du tube est inférieur à 80 %.
Le tube doit ensuite être
centrifugé à 2 000 g pendant 15 minutes.
Le test doit être effectué
dans un délai de 4 heures si le tube a été centrifugé immédiatement,
sinon dans un délai de 2 heures.
Avant analyse, le tube doit être
conservé à température ambiante (laboratoire climatisé).
Une
température excessive a pour effet d’augmenter l’INR. La
réfrigération à 4 °C diminue immédiatement l’INR (activation du
facteur VII par la prékallikréine).
La congélation du plasma entraîne
une augmentation progressive de l’INR.
B - TEST UTILISÉ :
La surveillance biologique d’un traitement par AVK s’effectue avec
un temps de Quick converti en INR.
Le temps de Quick explore
l’activité globale de trois des quatre facteurs vitamine K-dépendants : les facteurs II (prothrombine), VII et X.
Au cours
d’un traitement AVK, l’expression du temps de Quick en taux de
prothrombine (TP %) est affectée par la sensibilité du réactif de
laboratoire utilisé (thromboplastine).
Pour un même niveau
d’anticoagulation, une thromboplastine sensible donne un TP plus
bas qu’une thromboplastine moins sensible.
Ainsi, le même malade
surveillé dans deux laboratoires compétents peut avoir un TP à 20 %
ou 35 %.
La zone thérapeutique efficace d’un laboratoire (15 à 25 %)
peut être différente de celle d’un autre laboratoire (25 à 40 %) en
fonction de la sensibilité du réactif utilisé.
La sensibilité d’une
thromboplastine s’exprime par l’index de sensibilité international
(ISI).
L’ISI, fourni par le fabricant de réactif, est calculé par rapport
à une thromboplastine étalon de référence de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS). Une thromboplastine sensible a un ISI
proche de 1, tandis qu’une thromboplastine moins sensible a un ISI
proche de 2.
L’INR (temps de Quick malade/ temps de Quick
témoin élevé à la puissance ISI) est un mode d’expression du niveau
d’anticoagulation indépendant de la sensibilité de la
thromboplastine.
Il permet de définir un niveau d’anticoagulation
modéré (INR compris entre 2 et 3) ou élevé (INR compris entre 3 et
4,5).
Le temps de céphaline activée est moins sensible à l’effet
anticoagulant des AVK que le temps de Quick.
Il est donc inutile de
l’associer à l’INR, sauf en cas de surdosage où il donne un
renseignement complémentaire sur le degré d’hypocoagulabilité et
au cours d’un relais héparine non fractionnée-AVK puisque c’est le
test de choix pour mesurer l’effet anticoagulant de l’héparine.
Au
cours d’un relais héparine de bas poids moléculaire (HBPM)-AVK,
l’INR sera utilisé seul.
Afin d’illustrer concrètement l’intérêt de l’expression des résultats
en termes d’INR, on peut prendre l’exemple de trois malades sous
traitement AVK et surveillés dans deux laboratoires différents.
On
peut voir que, malgré des TP significativement différents, les INR
calculés sont pratiquement identiques.
Il a été montré que la surveillance par l’INR s’accompagnait d’une
diminution des complications hémorragiques par rapport à une
surveillance par le TP.
En conclusion, seul l’INR et non le TP, doit
être utilisé pour surveiller les traitements par AVK.
C - ZONES THÉRAPEUTIQUES EXPRIMÉES EN INR
:
Il existe un consensus international sur les valeurs cibles de l’INR
que l’on doit chercher à obtenir selon les indications du traitement.
Conduite pratique d’un traitement
par AVK et modalités du relais
héparine-AVK :
La première obligation du prescripteur est d’informer et d’éduquer
le patient. Ceci permet d’améliorer l’adhésion au traitement.
Souvent, ce que l’on croit être de la non-observance est en fait une
non-adhésion au traitement par manque d’information.
Ceci
s’observe par exemple chez les patients qui ne savent pas pourquoi
un traitement anticoagulant oral leur a été prescrit.
Si le patient n’est
pas en mesure de la comprendre, cette information doit être
dispensée à un membre de sa famille qui le prendra en charge.
Le
contenu minimum de cette éducation est le suivant : but de
l’anticoagulation, bénéfices et dangers, mécanisme d’action des AVK,
choix de l’INR cible et surveillance du traitement, importance du
carnet d’anticoagulation et des contrôles réguliers de l’INR,
interactions médicamenteuses, problèmes diététiques, attitude en cas
de saignement, de chirurgie, de grossesse, de maladie intercurrente,
d’oubli de la prise d’anticoagulant, vacances et loisirs.
Un bilan d’hémostase préthérapeutique est nécessaire pour dépister
un trouble de la coagulation qui pourrait contre-indiquer le
traitement.
Il est déconseillé d’utiliser une dose de charge au début du
traitement, parce que la sensibilité du malade aux AVK est
imprévisible.
Certains seront équilibrés avec un quart de comprimé,
tandis que d’autres nécessiteront deux comprimés par jour.
Il est
recommandé d’administrer un comprimé par jour, le soir de
préférence, et de faire le premier contrôle biologique au matin du
2e jour (soit 36 heures après) pour détecter suffisamment tôt une
éventuelle hypersensibilité.
Le contrôle suivant sera réalisé au matin
du 3e ou du 4e jour selon la demi-vie de la molécule utilisée (3e jour
pour les AVK à demi-vie courte, 4e jour pour les AVK à demi-vie
longue).
En fonction du résultat de cet INR, la dose du soir peut être
augmentée ou diminuée de un quart à un demi comprimé.
Pour la Coumadinet, on raisonne en milligrammes : le traitement est débuté
à la dose de 5 mg, puis augmenté ou diminué par paliers de 1 ou
2 mg en fonction des résultats de l’INR.
Toute modification de
posologie doit être contrôlée par un INR, 2 à 3 jours après.
Équilibrer
un traitement par AVK demande au minimum 4 à 8 jours.
Chez le sujet âgé, la dose initiale sera réduite de moitié.
Au début
du traitement, la recherche de la dose moyenne d’équilibre peut prendre plusieurs jours.
Pour aider le médecin, des algorithmes
permettant de prévoir cette dose ont été proposés, notamment pour
la Coumadinet et le Préviscant.
De tels algorithmes
permettent de réduire significativement le temps nécessaire pour
atteindre l’équilibre thérapeutique, mais ils ne suppriment nullement
l’obligation d’effectuer les contrôles prévus ci-dessus.
Ensuite, une fois le traitement équilibré, la surveillance biologique
par l’INR sera réalisée tous les 8 jours, puis tous les 15 jours, puis
tous les mois.
En cas de nécessité d’ajustement très précis des doses, la sécabilité
des comprimés au-delà d’une limite raisonnable qui est le quart de
comprimé, peut être difficile.
Ainsi, il n’est pas réaliste de prescrire
par exemple un demi-comprimé plus un huitième, soit cinq
huitièmes de comprimé.
Avec les AVK à demi-vie longue, il est
possible de prescrire des doses variables en alternance sur 2 jours,
dans la mesure où les doses ne diffèrent pas de plus de un quart de
comprimé ou d’1 milligramme d’un jour à l’autre.
Le respect de la
prescription peut être difficile avec ce mode d’administration
discontinu en raison de l’effort de mémoire qu’il demande au
patient, et il est recommandé d’établir un calendrier avec la dose en
clair pour chaque jour du mois ou d’utiliser un pilulier pour
préparer à l’avance ces posologies variables.
L’intérêt d’un pilulier
est de pouvoir mettre en évidence les oublis ou au contraire les
prises multiples le même jour.
En revanche, il n’est pas souhaitable
d’utiliser ce mode discontinu pour les AVK à demi-vie courte ce qui
pourrait induire des oscillations de l’INR dans le temps, rendant
aléatoire l’ajustement de posologie d’AVK en fonction du jour de
contrôle biologique.
Devant tout signe clinique hémorragique évoquant un surdosage ou
à l’occasion de tout épisode susceptible de modifier l’équilibre
vitamine K/AVK, il est nécessaire de demander un contrôle anticipé
de l’équilibre du traitement.
Les doses de médicament, les résultats
du contrôle biologique et les événements intercurrents sont notés
soigneusement sur un carnet de surveillance qui facilite la prise en
charge du malade par le médecin.
Très souvent, les AVK sont prescrits en relais d’un traitement par
l’héparine.
Lorsqu’il s’agit d’héparine non fractionnée, la
surveillance biologique associe le temps de céphaline activée et
l’INR, lorsqu’il s’agit d’héparine de bas poids moléculaire, la
surveillance se résume à l’INR.
Le traitement AVK est commencé à
raison de 1 comprimé par jour (ou 5 mg pour la Coumadinet) et
l’héparine est maintenue à dose inchangée jusqu’à ce que l’INR soit
supérieur ou égal à 2 sur deux prélèvements consécutifs à 24 heures
d’intervalle.
En pratique, les deux traitements sont associés pendant
quelques jours.
En cas de thrombose récente, pour une meilleure
efficacité clinique, l’héparine et les AVK doivent se chevaucher
pendant 5 jours au minimum, quelle que soit la valeur de l’INR,
afin de permettre au médicament de réduire le taux de facteur II en
dessous d’un certain niveau, compte tenu de la demi-vie longue de
ce facteur et de son importance dans l’action antithrombotique des
AVK.
Quelques problèmes particuliers :
A - AVK EN PÉDIATRIE
:
Tous les AVK ne peuvent pas être utilisés en pédiatrie.
Pour la Coumadinet, le Préviscant et le Sintromt, les posologies chez
l’enfant reposent à la fois sur l’expérience pratique et des données
issues des études en pédiatrie.
Les autres AVK ne doivent pas
être utilisés en raison de l’absence de données sur leur usage pédiatrique.
Les AVK sont déconseillés chez l’enfant de moins de
1 mois en raison de la carence physiologique en facteurs vitamine
K-dépendants durant cette période.
En l’absence de données, les
recommandations concernant l’intensité et la durée du traitement
découlent de celles de l’adulte.
Les enfants de moins de 1 an
requièrent des doses moyennes de l’un ou l’autre des AVK,
significativement plus importantes que chez les enfants de plus de
3 ans.
Avant 3 ans, la variabilité est grande d’un enfant à l’autre
alors qu’après, les valeurs se rapprochent progressivement de celles
de l’adulte.
Du fait des variabilités importantes de l’INR chez
l’enfant, l’intervalle entre deux INR ne doit pas dépasser 15 jours.
En pratique, ces recommandations sont rarement respectées, mais
tout déséquilibre du traitement expose l’enfant aux même risques
que chez l’adulte.
En pédiatrie, la dose d’AVK est calculée en fonction du poids et il
n’existe pas de formulation pédiatrique des divers médicaments
AVK.
La coumadine présente
l’avantage d’exister en comprimés sécables de 2 mg.
Les autres AVK
peuvent être reconditionnés par les pharmacies centrales des
hôpitaux.
Ils sont alors réduits en poudre.
La dose calculée est alors
pesée précisément puis conditionnée dans des gélules qui sont
ouvertes au moment de l’administration pour incorporer la poudre
à un liquide quelconque (lait, eau).
B - AVK, GROSSESSE ET ALLAITEMENT
:
Les risques liés aux AVK durant la grossesse concernent
essentiellement l’enfant, les complications maternelles étant très
rares.
Les AVK franchissent la barrière placentaire, contrairement à
l’héparine.
Ils sont tératogènes, notamment lorsqu’ils sont
administrés entre la 6e et 12e semaines de grossesse, entraînant des
malformations des os propres du nez, des ponctuations épiphysaires, un syndrome d’asplénie.
La fréquence de ces
complications est difficile à apprécier, les chiffres variant selon les
auteurs de 5 à 30% pour les estimations les plus pessimistes.
Quelques rares cas d’anomalie du système nerveux central ont été
rapportés chez des enfants exposés in utero aux 2e et 3e trimestres
de grossesse. Les AVK peuvent aussi entraîner des manifestations
hémorragiques chez le foetus.
Au 3e trimestre, une hypocoagulabilité
excessive, liée à un surdosage en AVK, pourrait entraîner des morts
foetales in utero.
La possibilité de fausse couche est rapportée
pendant toute la durée de la grossesse. Durant les 15 derniers jours,
le risque hémorragique concerne l’accouchement.
Pour ces raisons,
les AVK devront être si possible évités durant toute la durée de la
grossesse.
La prescription des AVK durant le second trimestre doit
être réservée exclusivement aux cas où l’héparine ne peut être
utilisée durant toute la grossesse, notamment en cas de prothèse
mécanique intracardiaque.
La prescription ou la poursuite d’un AVK
chez une femme enceinte relève toujours d’un avis très spécialisé
impliquant le médecin traitant, le cardiologue et l’obstétricien.
Dans
ces conditions, les patientes sont traitées par héparine jusqu’à la
13e semaine, un relais AVK est réalisé jusqu’au milieu du 3e trimestre
et l’héparine est reprise jusqu’à l’accouchement avec un nouveau
relais AVK en post-partum.
En pratique, il est indispensable d’assurer une contraception efficace
chez la femme en âge de procréer, sous traitement AVK.
Le stérilet
est contre-indiqué en raison des risques hémorragiques qu’il
entraîne.
Chez la femme pour laquelle les oestroprogestatifs
aggraveraient trop le risque préexistant de maladie
thromboembolique, on peut utiliser des progestatifs purs, en sachant
que leur efficacité anticonceptionnelle n’est pas absolue.
Cette
attitude est discutée par certains spécialistes de l’hémostase qui
estiment que les oestroprogestatifs n’aggravent pas le risque en
raison de l’hypocoagulabilité induite par les AVK, si le traitement
est correctement équilibré.
Au moindre doute, il faut réaliser un test
de grossesse pour pouvoir interrompre à temps le traitement AVK
et le remplacer par une héparine.
Divers auteurs ont montré que la Coumadinet ne passait pas dans
le lait maternel.
Les autres médicaments AVK n’ont pas été
étudiés, il ne faut donc pas les prescrire chez une femme qui allaite.
Les mentions légales des AVK en France contre-indiquent
l’utilisation de tous les AVK.
Il est possible d’utiliser la Coumadinet
en supplémentant le nourrisson avec une dose de 2 mg de vitamine
K1 Rochet per os par semaine.
C - AVK ET ANTICOAGULANTS CIRCULANTS
ANTIPHOSPHOLIPIDES :
Les anticoagulants de type lupique entraînent un risque de
thrombose.
Il y a donc une forte probabilité, pour les patients
présentant ce type d’anomalie, d’être traités un jour par AVK.
Quand
l’anticoagulant est de titre élevé, il peut augmenter l’INR avant toute
thérapeutique par AVK, ce qui rend difficile la définition d’une cible
thérapeutique.
Si l’INR du bilan préthérapeutique est supérieur à
1,5, il faut contacter un spécialiste d’hémostase pour la conduite
pratique du traitement, afin de définir une autre cible INR, choisir
pour la réalisation des INR un réactif thromboplastine peu sensible
à ces anticoagulants, ou choisir d’autres paramètres pour le
suivi, par exemple le dosage du facteur X ou du facteur II.
D - AVK ET CHIRURGIE
:
En cas d’intervention chirurgicale programmée, la difficulté est
d’évaluer le risque hémorragique par rapport au risque
thrombotique lié à un arrêt des AVK.
Si le geste est peu invasif
(extraction dentaire simple, biopsie cutanée ou biopsie de lésion
superficielle), avec possibilité d’hémostase locale par compression
ou application de médicaments hémostatiques locaux (Exacylt), la
poursuite du traitement AVK est possible, avec un INR compris
entre 2 et 3.
Si le geste chirurgical entraîne un risque hémorragique,
le traitement AVK doit être arrêté 4 jours avant l’intervention.
Le
patient est protégé par une injection sous-cutanée d’HBPM débutée
36 heures après l’arrêt des AVK.
L’HBPM sera arrêtée 12 à 18 heures
avant l’intervention.
Les patients porteurs d’une valve cardiaque
mécanique sont protégés par l’héparine calcique prescrite 24 heures
après l’arrêt des AVK, à dose curative pour éviter une thrombose de
la valve (400 à 600 unités/kg/24 h fractionnées en trois pour une
injection toutes les 8 heures), ajustée ensuite en fonction du TCA
(temps de céphaline activé) qui devra se trouver dans la zone
thérapeutique de l’héparine non fractionnée.
L’injection du matin
du jour de l’intervention est sautée. Un INR est demandé la veille
de l’intervention.
S’il est inférieur à 1,5 l’acte chirurgical peut être
effectué sans risque hémorragique majeur.
S’il est supérieur, on
administre 1 mg de vitamine K1 et on recontrôle l’INR le jour de
l’intervention.
L’héparine est reprise dès que possible après le
geste chirurgical.
Durant toute la durée du traitement par héparine,
les plaquettes doivent être surveillées deux fois par semaine.
Un
relais héparine-AVK est entrepris dès que l’équipe chirurgicale
estime que le risque hémorragique, notamment celui dû à la chute
d’escarre, est écarté.
En cas d’intervention chirurgicale urgente, on utilise du PPSB
(Kaskadilt) pour restaurer immédiatement une coagulabilité
normale.
Contre-indications des AVK :
La gravité potentielle des accidents hémorragiques par les AVK
oblige à respecter strictement les contre-indications du traitement : existence d’un trouble acquis ou congénital de la coagulation,
hypertension sévère, insuffisance hépatocellulaire, chirurgie récente,
accident vasculaire cérébral, ulcère gastroduodénal, hernie hiatale,
fibrome utérin hémorragique.
Dans l’insuffisance rénale chronique
sévère avec clairance de la créatinine inférieure à 20 mL/min,
l’utilisation des AVK est déconseillée en raison des troubles
préexistants de l’hémostase.
Ces troubles sont liés à une thrombopathie acquise et à l’anémie chronique, qui intervient elle
aussi dans l’allongement du temps de saignement.
S’il n’y a pas
d’autre alternative, après avoir soigneusement évalué le rapport
bénéfice/risque, les AVK sont utilisées dans une posologie initiale
réduite de moitié et en surveillant plus fréquemment l’INR.
Dans
l’insuffisance rénale aiguë, des hémorragies digestives consécutives
à des ulcérations de stress compliquent souvent les formes les plus
graves.
Il est donc totalement exclu d’utiliser les AVK dans cette
pathologie.
Il existe aussi des contre-indications liées à l’indiscipline du patient,
qui n’accepte pas la surveillance biologique du traitement ou qui
n’en comprend pas les dangers potentiels.
Incidents et accidents des AVK :
A -
GÉNÉRALITÉS ET CONDUITE À TENIR
:
Certains effets secondaires non hémorragiques et heureusement
exceptionnels sont spécifiques à certaines familles d’AVK.
Les indanediones peuvent entraîner des accidents immunoallergiques :
insuffisance rénale aiguë, insuffisance hépatique, atteinte médullaire
(neutropénie, thrombopénie), des manifestations cutanées à type de
rashs ou de nécroses, des réactions fébriles, des arthralgies, de la
diarrhée.
Les dérivés coumariniques peuvent entraîner des éruptions
cutanées (urticaire, prurit).
Ces réactions imposent l’arrêt du
traitement.
Elles sont alors réversibles et contre-indiquent la
réintroduction du médicament. L’utilisation d’une autre famille de
molécules est alors envisageable, avec une surveillance attentive de
la réapparition d’éventuels effets secondaires en début de traitement.
Des nécroses cutanées peuvent s’observer au début d’un traitement
par les AVK prescrit chez les patients porteurs d’un déficit
congénital en protéine C.
En raison de la demi-vie courte de cette
protéine, environ 6 heures, son taux s’effondre dès les premières
heures du traitement, bien avant que le taux des facteurs IX, X et II,
ne diminue.
Ceci accentue le déséquilibre entre les facteurs procoagulants et le système inhibiteur de la protéine C, ce qui peut
aboutir à des microthromboses au niveau des capillaires, là où la
surface endothéliale est considérable et où le rôle antithrombotique
de la protéine C est probablement important.
C’est pourquoi dans
cette indication rare, il est nécessaire d’associer une héparinothérapie
en début de traitement par les AVK.
Les accidents hémorragiques dus aux AVK s’observent dans deux
circonstances : le traitement peut faire saigner une lésion méconnue,
par exemple ulcère gastroduodénal, fibrome utérin, anévrisme
cérébral, alors que le traitement est parfaitement équilibré ; mais le
plus souvent, l’accident témoigne d’un surdosage (INR > 5).
La
fréquence des incidents hémorragiques mortels varie de 0,25 % à
0,8 %, et celle des hémorragies graves de 1,1 % à 4,9 %, par an et par
patient, selon les séries publiées.
Le risque hémorragique augmente
de façon exponentielle lorsque l’INR est supérieur à 5.
Selon la
gravité du surdosage et l’estimation du risque hémorragique, trois
mesures peuvent être adoptées :
– la suspension transitoire du traitement ;
– l’administration de vitamine K1 ;
– la perfusion d’un concentré de facteur vitamine K-dépendant
(PPSB - Kaskadilt), en sachant que 1 unité/kg d’équivalent facteur
IX augmente le taux des facteurs déprimés de 1 à 2%.
Les doses de vitamine K doivent être scrupuleusement
respectées, un surdosage entraînant une résistance aux AVK pouvant
persister jusqu’à 1 semaine.
En cas d’administration par voie
intraveineuse, l’injection est très lente en raison du risque de choc
anaphylactique.
B - CAS PARTICULIER DE L’INTOXICATION
PAR LES RATICIDES (OU RODENTICIDES)
:
Les AVK entrent dans la composition de plus de 90 % des raticides.
Ces molécules sont préférées aux poisons violents à base de
strychnine, arsenic ou cyanure, car la mort du rat doit être lente et
paraître naturelle.
En effet, si la colonie de rats voit un de ses
membres succomber immédiatement après ingestion d’un appât,
celui-ci est alors soigneusement évité par les autres congénères.
La
demi-vie des AVK utilisés est très longue afin d’exposer le rat à la
plus longue période possible d’hypocoagulabilité et d’augmenter les
chances d’accident hémorragique mortel.
Les sujets victimes d’une
intoxication volontaire ou accidentelle par les raticides présentent
donc une hypocoagulabilité prolongée que seule permet de corriger
une vitaminothérapie K de longue durée.
Le diagnostic est évoqué
devant un bilan d’hémostase très perturbé avec effondrement des
seuls facteurs vitamine K-dépendants.
Les doses massives de
raticides impliquent un lavage d’estomac si l’intoxication date de
moins de 6 heures.
Si l’INR est supérieur à 20 ou en cas
d’hémorragie majeure, on administre 100 mg de vitamine K1 Rochet
en perfusion continue, ainsi que du PPSB à la dose de 30 U/kg
d’équivalent facteur IX.
Si l’INR est inférieur à 20, la dose de
vitamine K est de 50 mg en perfusion continue.
Dans les deux cas,
les perfusions de vitamine K à la dose de 50 mg sont répétées si
l’INR effectué 6 heures après n’a pas suffisamment diminué ; 50 mg
de vitamine K sont ensuite administrés tous les jours jusqu’à ce que la coagulation soit revenue à la normale.
La vitamine K peut alors
être administrée par voie orale.
La dose quotidienne de 50 mg doit
alors être conservée 3 jours puis être réduite de moitié.
Si cette
réduction s’accompagne d’une remontée de l’INR au-dessus de 1,5,
un retour à la dose précédente est nécessaire sinon la nouvelle
posologie est maintenue 3 jours avant d’être de nouveau réduite de
moitié, et ce jusqu’à atteindre une dose quotidienne de 10 mg.
Après
quoi la vitamine K est arrêtée au bout de 3 jours.
L’INR est contrôlé
48 heures après la dernière administration de vitamine K afin de
détecter toute rechute.
En cas de remontée de l’INR, on réadministre
10 mg de vitamine K et on contrôle l’INR 48 heures après.
La
guérison ne peut être affirmée que si l’INR se maintient à un niveau
normal pendant plusieurs jours après arrêt de la vitamine K, ce qui
peut demander un délai de 4 à 12 semaines.
Indications des AVK :
Le caractère retardé de l’effet anticoagulant des AVK et la facilité
avec laquelle on peut les administrer par voie orale expliquent que
ce sont des médicaments adaptés à la prévention de la thrombose
ou à la consolidation de l’effet curatif immédiat de l’héparine.
Les AVK sont utilisés dans plusieurs circonstances dont certaines sont
toujours discutées du fait d’essais cliniques dont les résultats sont
discordants.
A - PRÉVENTION DE LA MALADIE THROMBOEMBOLIQUE
VEINEUSE :
Plusieurs essais thérapeutiques ont montré que les AVK prévenaient
efficacement les thromboses veineuses postopératoires.
La cible
thérapeutique doit être un INR compris entre 2 et 3.
Toutefois, la
longueur de la période d’équilibration, en pratique 8 jours, la
sensibilité individuelle imprévisible des malades, le risque
d’interaction médicamenteuse pendant la période périopératoire
expliquent que cette méthode de prévention ne soit en pratique que
très peu utilisée en France, au profit de l’héparine sous-cutanée.
Chez la femme atteinte d’un cancer du sein métastatique ou chez un
malade porteur d’un cathéter central, de très faibles doses d’AVK
ciblant un INR à 1,6 réduisent significativement l’incidence des
thromboses veineuses.
B - TRAITEMENT DE LA MALADIE THROMBOEMBOLIQUE
VEINEUSE ET DE L’EMBOLIE PULMONAIRE :
En l’absence de contre-indication, les AVK sont prescrits en relais de
l’héparinothérapie initiale.
L’introduction des AVK s’effectue entre
le 1er et le 5e jour du traitement héparinique avec des résultats
cliniques équivalents.
La qualité du relais est importante.
Il ne faut
pas baisser la dose d’héparine tant que l’INR n’est pas supérieur à
2.
Les deux médicaments sont donc associés pendant le temps
nécessaire, en pratique 3 à 6 jours.
La cible thérapeutique doit être
un INR compris entre 2 et 3.
La durée du traitement varie selon le siège distal ou proximal de la
thrombose, la notion d’embolie pulmonaire, son caractère spontané
ou provoqué, la notion de récidive spontanée.
Une première
thrombose veineuse proximale spontanée nécessite typiquement une
durée de traitement comprise entre 3 et 6 mois.
Une embolie
pulmonaire est traitée pendant 6 à 12 mois.
Des récidives multiples
sur terrain thrombophilique font discuter un traitement au long
cours.
C - PROTHÈSES VALVULAIRES :
Les AVK sont prescrites chez les porteurs de prothèse valvulaire
cardiaque.
Les prothèses mitrales sont plus emboligènes que les
prothèses aortiques, ainsi que les prothèses mécaniques par rapport
aux bioprothèses.
En cas de bioprothèses, la durée du traitement (INR compris entre 2
et 3) est d’environ 3 mois.
En cas de prothèse mécanique, le
traitement est permanent en ciblant un INR entre 3 et 4,5 dans la
majorité des cas.
L’aspirine à la dose de 100 mg/j,
associée aux AVK, réduit significativement le risque d’embolie mais
augmente le risque hémorragique.
Cette association ne doit donc
être décidée qu’en cas d’échec des AVK utilisés seuls, en toute
connaissance des risques, après avoir soigneusement évalué le
rapport bénéfice/risque.
Le dipyridamole (400 mg/j) est moins
efficace que l’aspirine dans cette indication.
D - FIBRILLATION AURICULAIRE :
Tout d’abord, il faut rappeler que chez les sujets de moins de 65 ans
présentant une fibrillation auriculaire (FA), le traitement
recommandé est l’aspirine s’il n’y a pas de facteur de risque
additionnel.
Les AVK sont utilisés chez les sujets de plus de 65 ans
en FA ou chez les sujets plus jeunes s’il existe une association à des
antécédents d’accidents cérébraux ischémiques, à une hypertension
artérielle, à une insuffisance cardiaque, à un diabète ou encore à un
rétrécissement mitral.
Le traitement est prescrit à vie ou tant que dure la FA.
Si celle-ci
peut être réduite, les AVK sont bien entendu arrêtés.
Pour les sujets
de plus de 75 ans, le rapport bénéfice/risque doit être
soigneusement évalué, en fonction de l’état physiologique du patient
et de sa capacité à suivre correctement son traitement, ou de son
entourage s’il ne peut pas se prendre en charge lui-même.
E - DÉFICITS CONGÉNITAUX EN ANTITHROMBINE,
PROTÉINE C, PROTÉINE S
:
Bien que la protéine C et la protéine S soient vitamine K-dépendantes, l’expérience clinique montre que les sujets affectés
par un déficit congénital en l’un de ces deux inhibiteurs, et qui
présentent des thromboses récidivantes, tirent bénéfice d’un
traitement par les AVK.
L’existence prouvée d’un tel déficit associé à des manifestations
thromboemboliques spontanées et récidivantes justifie un traitement
au long cours par les AVK.
La découverte d’un déficit
asymptomatique dans le cadre d’une enquête familiale ne justifie
pas toujours un traitement AVK, mais seulement une surveillance et
une prévention active (héparine, héparines de bas poids moléculaire,
AVK) à l’occasion des circonstances favorisantes : intervention
chirurgicale, grossesse (AVK exclues), alitement prolongé, etc.
Lorsqu’un tel patient est traité par les AVK, la cible de l’INR doit
être comprise entre 2 et 3.
En cas de déficit congénital en protéine C ou protéine S nécessitant
un traitement AVK, l’administration d’AVK doit toujours se faire
sous couvert d’une héparinothérapie et de la perfusion de concentré
de protéine C, dans le cas de déficit important en protéine C (taux
inférieur à 20 %).
F - AUTRES PATHOLOGIES :
Les AVK n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans les
artériopathies chroniques des membres inférieurs.
Ils ne sont pas
indiqués dans la prévention des récidives d’infarctus cérébral
secondaire à l’artériosclérose en raison du risque d’hémorragie.
Leur
utilisation est discutée dans la prévention des récidives d’infarctus
du myocarde.
Ces indications relèvent plus volontiers de la
prescription d’aspirine. Ils peuvent être utilisés pour contribuer à
maintenir les shunts et pontages vasculaires périphériques lorsque
les conditions hémodynamiques sont précaires.
Iatrogénicité des AVK :
Malgré la meilleure définition des zones thérapeutiques et des
progrès dans la standardisation de la surveillance biologique, les
traitements par AVK sont grevés d’un pourcentage important
d’accidents hémorragiques.
En 1993, une méta-analyse estimait à 4,9
les accidents hémorragiques graves et à 0,8 les accidents hémorragiques mortels pour 100 patients-années.
L’accident
hémorragique grave est défini par sa localisation (intracrânien, rétropéritonéal), par la nécessité d’hospitaliser le malade ou de le
transfuser.
Lorsque ces pourcentages sont extrapolés au nombre total
de malades traités par les AVK en France, on obtient 4 800 décès et
29 400 accidents hémorragiques graves par an imputables à
l’utilisation des AVK.
Une enquête récente (1998) réalisée par les centres régionaux de
pharmacovigilance sur un échantillon représentatif de services
d’hospitalisation français a révélé que les AVK représentaient la
première cause d’hospitalisation pour effets indésirables.
Une
extrapolation de ces résultats suggère qu’il y a 17 300 hospitalisations
par an pour événement indésirable, principalement
hémorragique.
Une autre étude réalisée dans les services de
neurochirurgie français indique qu’il y a environ 10 000 hospitalisations
par an pour hémorragie du système nerveux central, dont
8 % en rapport avec un traitement AVK.
Cette estimation ne tient
pas compte des accidents n’ayant pas entraîné d’hospitalisattion.
Ce
niveau d’iatrogénicité révélé par ces enquêtes en France est
compatible avec les données de la littérature.
Nous n’avons pas d’indications sur les risques de récidive de
thrombose qui constituent des échecs du traitement.
La littérature
estime ce risque à 5 à 10 événements pour 100 patients-années, selon
le type de pathologie.
Une bonne partie de ces échecs pourrait être
liée au fait que, sur une période de temps donnée, le malade passe
un pourcentage élevé du temps en dehors de la fourchette d’INR
désirée.
Une enquête diligentée par l’AFSSAPS (Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé) en 2001, auprès d’un
échantillon représentatif de laboratoires d’analyses médicales
français a montré que pour une fourchette d’INR souhaité comprise
entre 2 et 3, seulement 43 % des patients ont un INR correct, 24 %
ont un INR insuffisant, et 33 % ont un INR trop élevé.
Pour une
fourchette d’INR comprise entre 3 et 4,5, seulement 36 % des
patients ont un INR correct, 48 % un INR insuffisant et 16 % un INR
trop élevé.
Afin d’améliorer cette situation préoccupante, plusieurs pays ont
créé des cliniques d’anticoagulants.
Une clinique d’anticoagulants
est une structure sanitaire spécialisée dont la mission est double :
assurer l’information et l’éducation du patient selon un programme
d’enseignement adapté et structuré, planifier la conduite pratique
du traitement (adaptation des doses, date des contrôles biologiques).
Plusieurs publications montrent que le nombre des accidents
thrombotiques et hémorragiques est réduit d’un facteur 3 à 4 lorsque
les patients sont suivis par ces structures sanitaires.
Aux Pays-Bas,
l’ensemble des patients traités par AVK est suivi par de telles
structures depuis près de 50 ans.
En Italie, il existe une Fédération
italienne de cliniques d’anticoagulants réunissant 250 centres de
taille variable, qui surveille environ 25 % à 30 % des patients italiens.
Il existe ponctuellement d’autres structures comparables dans
plusieurs pays européens et en Amérique du Nord.
Une étude
économique indique qu’une clinique d’anticoagulants permettrait
d’économiser 1 500 euros par patient/année en réduisant le nombre
d’hospitalisations lié à l’iatrogénie hémorragique et aux
conséquences fonctionnelles des récidives thrombotiques.
En
France, il existe une expérience pilote au CHU de Rangueil à
Toulouse, qui s’est structurée à partir d’octobre 1998.
D’autres
cliniques sont en train de se structurer dans diverses régions.
Il faut
convaincre le médecin spécialiste et le médecin de famille de l’intérêt
de ces nouvelles structures qui se proposent d’aider, de conseiller et
non pas de remplacer le médecin, qui reste responsable de son
patient sur plan médicolégal.
Dispositifs d’autocontrôle :
La surveillance de l’INR à domicile est possible grâce à de petits
appareils portatifs.
Trois appareils différents existent sur le marché : CoaguChekt, ProTimet, Avocet PTt.
Ils sont utilisés depuis une
dizaine d’années dans divers pays d’Europe (Suisse, Italie,
Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne, Suède, Danemark), aux
États-Unis et en Australie.
Leur utilisation est facile (recueil d’une
goutte de sang au bout du doigt), rapide (résultat en 3 minutes),
simple (pas de calibration manuelle, ni de préparation de réactifs).
Seul un contrôle de qualité doit être effectué avant chaque INR.
La
précision de ces automates utilisant du sang capillaire, semble être
aussi bonne que celle de l’analyse traditionnelle.
L’utilisation de ces
appareils diminue les problèmes préanalytiques.
Ces automates
gardent en mémoire les INR précédents.
Les patients utilisant
l’autocontrôle s’investissent davantage dans leur traitement et
passent plus de temps dans la zone thérapeutique que les patients
suivis de façon traditionnelle (79,2 % du temps pour l’automesure
et seulement 54,4 % pour le suivi traditionnel au laboratoire).
Il
est à noter que leur utilisation n’est envisageable que chez des
patients motivés, ayant reçu une éducation thérapeutique et jugés
aptes par leur médecin traitant.
Ces appareils n’ont pas encore été
introduits en France car en l’état actuel de la législation, les INR
réalisés sur ces appareils ne peuvent être validés et remboursés que
s’ils ont été faits par un biologiste dans un laboratoire, ce qui en
diminue largement l’intérêt.