Les antibiotiques sont des agents antibactériens d’origine
biologique, produits par des microorganismes (bactéries
ou champignons) ou préparés par hémisynthèse à partir des
molécules initiales (extractives) ; certains produits obtenus
par synthèse chimique (sulfamides et dérivés, l’isoniazide,
les quinolones et dérivés, etc.) témoignant d’une activité
antibactérienne sont classés avec les antibiotiques :
les antibiotiques
doivent être capables d’inhiber ou de détruire les
bactéries responsables d’une infection sans nuire à l’organisme
(patient) qui les héberge.
Bases des classifications
des antibiotiques :
Le nombre élevé de molécules disponibles a depuis longtemps
imposé de les classer en regroupant les produits selon
divers critères : plusieurs clés de classification peuvent être
proposées selon que l’on s’adresse à la formule chimique, au spectre d’activité ou à la cible bactérienne des antibiotiques.
A - Classification en familles d’antibiotiques :
Cette classification est la plus utilisée car, fondée sur la
structure chimique de base d’un chef de file, premier d’une
série, elle regroupe « en familles » (ou « classes » pour les Anglo-Américains) des produits ayant des caractéristiques
communes : de structure, de spectre d’activité, de cible
moléculaire bactérienne, de sensibilité à des mécanismes
de résistance (résistances croisées) et d’indications cliniques.
Cette classification a des limites : en effet, au sein
d’une même famille, la recherche industrielle permet à partir
d’un noyau commun, par hémisynthèse, d’élaborer des
produits voisins mais chimiquement modifiés par rapport
au chef de file au moyen de substitutions chimiques
diverses, aboutissant à des antibiotiques au spectre antibactérien
plus large, avec une stabilité accrue aux mécanismes
de résistance, un comportement in vivo différent
chez le malade (pharmacocinétique).
Un exemple très
représentatif de cette évolution est celui des b-lactamines
issues soit de la pénicilline G (extraite de Penicillium notatum
ou de P. chrysogenum), soit de la lignée des céphalosporines
(céphalosporine C extraite à l’origine de Cephalosporium
acremonium en 1953).
L’identification de la
structure de la pénicilline et l’obtention du noyau 6-aminopénicillanique
; du noyau 7-aminocéphalosporanique à partir
de la céphalosporine C ont été à l’origine de la multiplication
par hémi-synthèse des b-lactamines : il apparaît
ainsi que les nombreux produits réunis dans la famille des
b-lactamines possèdent des propriétés très différentes
imposant des subdivisions en sous-groupes.
Une évolution
comparable a été celle de la famille des macrolides qui a
bénéficié, au cours de la dernière décennie, de l’introduction
en thérapeutique de molécules mieux tolérées que
l’érythromycine A, chef de file de la série, ayant une plus
longue demi-vie plasmatique et des caractéristiques de distribution
tissulaire et intracellulaire très intéressantes dans
certaines indications.
La famille des quinolones est aussi
très évolutive : l’essor des fluoroquinolones est marqué
essentiellement par l’évolution du spectre antibactérien et
son extension.
B - Classification en fonction des cibles
des antibiotiques dans la cellule bactérienne :
La connaissance approfondie de la structure et de l’anatomie
fonctionnelle de la cellule bactérienne ainsi que l’analyse de la cible moléculaire précise de chaque antibiotique
au sein de cette cellule permettent de classer les antibiotiques
selon ces critères.
On distingue 5 principaux mécanismes
d’action.
1- Inhibition de la synthèse
de la paroi bactérienne b-lactamines, glycopeptides, fosfomycine :
2- Inhibition de la synthèse des protéines :
Ce sont les plus nombreux, comprenant notamment les
macrolides, les streptogramines, les tétracyclines, les aminosides
(ou aminoglycosides), le chloramphénicol, l’acide
fusidique.
3. Inhibition de la synthèse
des acides nucléiques Quinolones, rifamycines, nitro-imidazolés.
4- Inhibiteurs de la membrane cytoplasmique :
Peu nombreux, souvent toxiques, actifs exclusivement sur
les bacilles gram-négatifs, ce sont les polymyxines (colistine).
5- Inhibiteurs des folates :
Il s’agit des sulfamides (par analogie de structure avec
l’acide para-aminobenzoïque), des diaminopyrimidines
(triméthoprime, brodimoprime) qui, associés à un sulfamide,
bloquent à deux niveaux la chaîne de synthèse des
acides nucléiques avec un effet de synergie (association triméthoprime-sulfaméthoxazole).
C - Autres critères de classification
des antibiotiques :
1- Selon l’étendue du spectre :
Le spectre d’activité d’un antibiotique est défini par la
nature et le nombre des espèces bactériennes sur lesquelles
il est actif (compte non tenu des souches résistantes parmi
ces espèces, par acquisition d’un mécanisme de résistance).
La distinction en antibiotiques à large spectre (céphalosporines
de 3e génération) et antibiotiques à spectre étroit
(aztreonam, glycopeptides) est ancienne.
Ce concept évolue
au sein d’une famille d’antibiotiques en fonction de la
mise au point de « nouveaux » dérivés (pénicilline G :
spectre étroit ; aminopénicillines : spectre « élargi » vers les
gram-négatifs) ; en fonction de la mise en évidence de
« nouvelles » bactéries : exemple des macrolides, classés
initialement à spectre étroit, reconnus aujourd’hui comme
recouvrant Chlamydia spp, Bartonella spp, Helicobacter
pylori…, témoignant ainsi d’un élargissement du spectre.
2- Selon les modalités d’action antibactérienne :
Les antibiotiques ont été depuis longtemps catégorisés en
antibiotiques bactériostatiques, capables d’inhiber la croissance
des bactéries : in vitro l’inoculum bactérien est identique
au stade initial du contact antibiotique-bactéries et en
fin d’observation (18 à 24 h) ; in vivo la non-multiplication bactérienne du fait de la bactériostase permet aux défenses
naturelles immunitaires du patient de prendre le relais de
l’action de l’antibiotique.
Macrolides, chloramphénicol,
tétracyclines sont classés bactériostatiques.
Les antibiotiques
bactéricides sont ceux capables de tuer la bactérie,
ce qui s’exprime in vitro par une diminution de l’inoculum
bactérien, passant par exemple de 105 cfu/mL * à 102 ou 103
cfu/mL après quelques heures de contact d’une concentration
donnée de l’antibiotique identifié comme bactéricide ;
chez le patient l’emploi d’antibiotiques bactéricides est
indispensable en présence d’infections sévères, où l’inoculum
bactérien est élevé (107 à 109 cfu/mL) telles que
méningites ou pneumopathies bactériennes, et lorsque par
ailleurs il s’agit d’un patient immunodéprimé.
Plusieurs
approches plus modernes interfèrent avec les notions de bactériostase et de bactéricidie.
Elles font intervenir :
• le rôle de l’espèce bactérienne : la réponse bactériostatique
ou bactéricide varie selon l’espèce ; ainsi les macrolides,
bactériostatiques sur la plupart des bactéries grampositives,
sont bactéricides sur Borrelia burgdorferi (agent
de la maladie de Lyme) et d’autres espèces de Borrelia ;
• le rôle des concentrations d’antibiotiques : ce rôle est
démontré par les études de cinétique de bactéricidie
(killing-curves) au cours desquelles on effectue les numérations
des colonies bactériennes à des temps successifs
après mise en contact des concentrations variées de l’antibiotique
testé, avec un inoculum fixe.
Ces tests in vitro
montrent pour les b-lactamines, les aminosides et d’autres
produits bactéricides que la réduction de l’inoculum n’intervient
qu’à certaines concentrations, les plus faibles ne
témoignant que d’un effet bactériostatique ;
• la vitesse de bactéricidie, paramètre important de l’effet
antibactérien d’un antibiotique : on distingue parmi les antibiotiques
bactéricides, les produits rapidement bactéricides
; aminosides, fluoroquinolones, dont l’effet est dit
concentration-dépendant ; les antibiotiques lentement bactéricides
dont l’effet est temps-dépendant tels que les
b-lactamines ou les glycopeptides.
Ces données in vitro sont de la plus grande importance pour
l’efficacité de l’antibiothérapie en clinique.
Conditions d’activité
d’un antibiotique
:
Plusieurs conditions générales sont nécessaires pour qu’un
antibiotique puisse exercer son effet antibactérien in vitro
et in vivo.
• L’antibiotique doit être présent à des concentrations suffisantes
dans le milieu biologique (site infectieux) ou en
culture in vitro : son activité antibactérienne sera fonction
de sa vitesse de pénétration (franchissement des couches
externes de la cellule bactérienne : capsule, membrane
externe, paroi) ; sa capacité de concentration au contact de
sa cible spécifique intrabactérienne ; son affinité pour la
cible (certaines modifications des cibles, avec perte de cette
affinité sont à la base de mécanismes de résistance).
• Les bactéries : doivent faire partie du spectre de l’antibiotique
et être en phase de multiplication active pour être
inhibées ou détruites pour la plupart des antibiotiques.
Cependant les fluoroquinolones peuvent être actives sur
des bactéries « dormantes » (ne se multipliant pas dans un
site protégé par une barrière de type glycocalyx : prothèses,
endocardites).
• Les phases successives d’action de l’antibiotique sur la
cellule bactérienne comprennent : pénétration et attachement
à la cible moléculaire spécifique de l’antibiotique ;
perturbation d’une fonction bactérienne vitale pour la cellule
bactérienne ; mort de la cellule bactérienne (bactéricidie)
ou arrêt de la croissance et de la multiplication (bactériostase).
Principes et règles d’utilisation :
Pour répondre à la question « comment choisir et prescrire
un traitement antibiotique », les réponses s’établissent à deux
niveaux de décision : la décision de prescrire une antibiothérapie
; le choix du (ou des) antibiotique(s) à prescrire.
A - Décision de prescrire un antibiotique :
Il s’agit de la discussion de l’indication qui doit se faire sur
des bases raisonnées et sur un ensemble de critères objectifs.
1- Signes cliniques :
Toutes les fièvres ne sont pas infectieuses et un certain
nombre d’infections vues en pratique médicale ne sont pas
d’origine bactérienne.
Diverses enquêtes ont montré que
30 à 50 % des prescriptions d’antibiotiques sont injustifiées,
soit du fait de l’absence d’infection reconnue, soit pour une infection virale qui ne relève pas d’une antibiothérapie,
soit encore pour une infection bactérienne bénigne
qui guérit sans antibiotiques, spontanément ou au moyen
de soins locaux appropriés.
2- « Terrain » du patient :
• L’âge : le nouveau-né ou le nourrisson et le sujet âgé sont
plus exposés que l’adulte ou le grand enfant à une aggravation
ou à l’extension d’une infection initialement
bénigne : otite moyenne aiguë chez le jeune enfant ; infection
cutanée streptococcique ou staphylococcique ; infection
urinaire aiguë ; diarrhée infectieuse banale.
Ces localisations
doivent être traitées.
• Les pathologies sous-jacentes : chez des patients présentant
des pathologies chroniques cardiaques, respiratoires,
rénales ou atteints de cirrhose ou de déficits immunitaires
d’origines diverses (infection par le virus de
l’immunodéficience humaine : VIH), ou porteurs de matériel
étranger (prothèses), une infection commune pourra
rapidement revêtir des signes de gravité qui justifieront une
antibiothérapie.
3- Certaines infections :
Chez le sujet antérieurement sain certaines infections imposent
une antibiothérapie d’urgence en raison d’un risque
vital telles que les méningites bactériennes (notamment
accompagnées de purpura fulminans), une fièvre thyphoïde,
une brucellose, et ce, sans attendre les résultats du
laboratoire.
4- Antibiothérapie empirique (« probabiliste ») :
Elle s’imposera devant des signes de gravité, des signes
d’endocardite infectieuse dont l’identification bactérienne
est souvent lente, notamment en présence de fièvre chez
un cardiaque ayant subi un remplacement valvulaire ; en
milieu hospitalier devant toute infection nosocomiale,
acquise au cours de l’hospitalisation, imposant un traitement
d’urgence.
5- Décision documentée de l’antibiothérapie :
Au-delà des signes cliniques d’infection, et de la localisation
du site de l’infection (pneumopathie, infection urinaire…),
elle doit être fondée, dans les conditions optimales, sur l’isolement et l’identification de la (des) bactérie(
s) impliquée(s) dans l’infection et sur la détermination
rapide de la sensibilité aux antibactériens disponibles (antibiogramme).
B - Choix de l’antibiothérapie :
La décision du « bon emploi » des antibiotiques (deuxième
niveau de décision) sera fondée sur une série de critères
dont on doit peser l’importance respective : quelle(s) molécule(
s) ? monothérapie ou association ? quels dose, rythme,
durée, voies d’administration ? quels risques d’effets secondaires
ou toxiques ?
1- Choix des molécules adaptées :
Plusieurs critères de choix doivent entrer en jeu :
• l’identification bactériologique, chaque fois que l’infection
est documentée, les bases bactériologiques
(spectre) peuvent conduire au choix de l’antibiotique.
La
connaissance du spectre ne suffit pas car parmi les espèces
« habituellement sensibles », des souches résistantes peuvent
avoir été acquises par le patient : en ville, pneumocoques
résistants à la pénicilline ; à l’hôpital bactéries multirésistantes, agents d’infections nosocomiales : S.
aureus, P. æruginosa.
Dans les deux situations, l’orientation
de l’antibiothérapie est basée sur les enquêtes épidémiologiques
récentes pour un traitement probabiliste.
Après isolement bactérien, les tests de sensibilité aux antibiotiques
sont pratiqués et conduiront au choix de l’antibiothérapie
optimale.
• Les caractéristiques pharmacocinétiques des antibiotiques
disponibles et « bactériologiquement » adaptés : la
connaissance de leurs propriétés pharmacocinétiques, leur
capacité à diffuser dans les tissus et dans les cellules, à persister
à des concentrations élevées dans certains sites potentiellement
infectés constitue une base importante pour le
choix du produit.
La cinétique plasmatique ne renseigne
pas toujours sur les concentrations extravasculaires : la
connaissance des taux atteints dans le liquide céphalorachidien
pour une méningite, intraprostatiques ou osseux
pour les infections de ces sites, est nécessaire car dans tout
traitement d’une infection, l’objectif est de réaliser chez le
patient des concentrations d’antibiotiques largement supérieures
aux concentrations minimales inhibitrices (CMI)
pour la bactérie en cause, au niveau du site infecté.
De nombreuses
infections s’accompagnent de la multiplication
intracellulaire de micro-organismes à tropisme cellulaire :
Chlamydia spp, Brucella spp, Rickettsia spp, Legionella
spp : le choix se portera sur des antibiotiques à forte pénétration
intracellulaire et reconnus bioactifs dans l’environnement
intracellulaire, tels que macrolides, rifampicine,
tétracyclines, fluoroquinolones.
• La gravité de l’infection : à cet égard, deux paramètres
doivent être pris en compte : le caractère concentrationdépendant
ou temps-dépendant (pharmacodynamie) de
l’effet bactéricide de l’antibiotique (données prédéterminées)
; ce paramètre aura un impact déterminant sur le
rythme d’administration (intervalles entre les doses) : le
meilleur exemple est celui des aminosides, longtemps
administrés à raison de 3 doses par jour, préconisés actuellement
à une seule injection par jour, du fait de la puissance
bactéricide, concentration-dépendante de ces produits, à
laquelle s’ajoute un effet postantibiotique très marqué (arrêt de la croissance
bactérienne après retrait de l’antibiotique), la décision d’une
monothérapie ou d’une association d’antibiotiques.
2- Monothérapie ou association
:
Cette décision sera fondée sur : l’identification et le profil
de résistance de la bactérie en cause (P. æruginosa, Acinetobacter
spp, S. aureus méticilline-R) ; la gravité de l’infection
en fonction de pathologies sous-jacentes chez le patient et de la localisation de l’infection (méningite bactérienne,
pneumopathie nosocomiale, infections intraabdominales)
; les antibiotiques choisis : taux de mutations
élevées vers la résistance (rifampicine, fosfomycine, fluoroquinolones).
3- Connaissance et prévention des risques d’effets secondaires ou
toxiques :
Peu d’antibiotiques sont totalement dénués d’effets secondaires ;
certains sont connus pour des risques importants de toxicité et ne doivent être prescrits qu’à
condition que la sévérité de l’infection le justifie et moyennant
une stricte surveillance des fonctions qui peuvent être
atteintes (hépatiques, rénales, hématologiques).
Les associations
d’antibiotiques peuvent être génératrices de potentialisation
d’effets toxiques.
Enfin les interactions médicamenteuses
entre antibiotiques et autres classes
thérapeutiques doivent également être connues et surveillés
lors d’administration de « cocktails » thérapeutiques au
cours de pathologies sévères, dans les services de réanimation.